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Full text of "Études sur l'Islam en Côte d'Ivoire"

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iversity  of  Connecticut 
jbraries,  Storrs 

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BOOK    297.M367    c.  1 

MARTY    #    ETUDES    SUR    LISLAM    EN    COTE 

DIVOIRE 


3  T153  OOOfllbb?  D 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

Boston  Library  Consortium  IVIember  Libraries 


littp://www.arcliive.org/details/tudessurlislamOOmart 


ÉTUDES  SUR  L'ISLAM 


EN 


CÔTE    D'IVOIRE 


6 


COLLECTION   DE  LA  REVUE  DU  MONDE   MUSULMAN 


PAUL  MARTY 


ÉTUDES  SUR  L'ISLAM 


EN 


COTE   D'IVOIRE 


PARIS 
ÉDITIONS     ERNEST     LEROUX 

28,    RUE    BONAPARTE     (VI") 
1922 


A  MONSIEUR  LE  GOUVERNEUR  ANTONNETTI 


PAUL  MARTY. 


666 


ÉTUDES  SUR   L'ISLAM   EN  COTE   D'IVOIRE 


La  Côte  d'Ivoire  se  partage  géographiquement  en  trois 
grandes  zones  : 

I.  La  région  côtière.  —  Elle  est  habitée  dans  son  en- 
semble par  des  peuplades  qui,  suivant  le  système  Maurice 
Delafosse  et  Gaston  Joseph,  se  rattachent  aux  familles  : 

Kroumen 25o.ooo  âmes. 

Koua-Koua 106.000  âmes. 

En  plusieurs  points,  la  forêt  arrive  à  la  mer  avec  les 
Agni. 

Ces  populations  sont  extrêmement  divisées  ethnique- 
ment  et  politiquement.  Beaucoup  d'entre  ces  tribus  sem 
blent  venir  de  la  forêt,  voire  de  la  Haute  Côte  d'Ivoire,  et 
ont  été  refoulées  et  comme  écrasées  sur  le  littoral  Atlan- 
tique. C'est  ainsi  qu'au  cours  des  âges,  des  cou.hes  eth- 
niques se  sont  superposées,  mêlées,  coincées  le:  unes  sur 
les  autres,  ou  les  unes  dans  les  autres  et  qu'il  seri  bien  dif- 
ficile de  démêler  jamais  leurs  origines  et  leur  histoire. 

Ces  populations  sont  fort  intelligentes,  mais  paresseuses 
au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut  imaginer,  dans  un  pays  pro- 
digieusement riche.  C'est  cette  richesse  qui  explique  sans 
doute  cette  anémie  de  l'énergie.  Elles  n'ont  qu'un  besoin  : 
l'alcool  ;  elles  ne  travaillent  que  pour  s'en  procurer,  elles 
vivent  encore,  sauf  quelques  groupements,  presque  nues, 
même  à  proximité  des  villages.  Elles  sont  toutes  fétichistes. 


2  ETUDES   SUR    L  ISLAM   EN    COTE    D  IVOIRE 

mais  très  nettement  en  marche  vers  le  christianisme,  en 
ses  différentes  formes.  L'islam  n'est  représenté  parmi  elles 
que  par  quelques  immigrants  sénégalais,  soudanais,  et 
achantis  de  Gold  Coast. 

2.  La  savane  soudanaise.  —  Le  Nord  de  la  Côte  d'Ivoire 
se  rattache  par  la  géographie  physique  comme  par  la  géo- 
graphie humaine,  et  même  déjà  par  la  géographie  écono- 
mique, au  Soudan.  C'est  la  savane,  habitée  par  des  popula- 
tions soudanaises  qui,  malgré  leur  rusticité,  sont  déjà  évo- 
luées, ont  des  chefs,  des  cadres  sociaux,  une  existence 
presque  normale,  et  chez  lesquelles  l'administration  a  été 
possible,  du  jour  au  lendemain,  comme  dans  les  autres 
colonies  de  l'Afrique  Occidentale.  Il  faut  seulement,  pour 
leur  propre  évolution,  comme  par  solidarité  avec  les  autres 
régions  de  la  colonie,  les  pousser  à  sortir  quelque  peu  de 
chez  elles,  leur  apprendre  le  chemin  de  la  Côte,  vaincre 
cette  frayeur  incoercible  qu'elles  ont  gardé  de  la  forêt,  qui 
fut  longtemps  pour  elles  un  lieu  d'épouvante. 

Ces  populations  se  rattachent  aux  grandes  familles  sou- 
danaises : 

Famille  mandé 290.000  âmes 

Famille  senoufo 25o.ooo   âmes 

Famille  voltaïque  ....       40.000  âmes 

Les  Mandé  sont  représentés  ici  par  deux  peuples  :  les 
Malinké  qui  peuplent,  en  groupes  compacts,  surtout  la 
partie  occidentale  de  la  savane;  et  les  Mandé-dioula,  qui 
habitent  les  parties  centrales  de  la  savane,  dispersés  en 
petits  cantons,  en  villages,  en  quartiers  de  village  et  même 
en  familles,  au  milieu  des  peuples  senoufo  et  abron.  L'is- 
lam de  la  Côte  d'Ivoire,  à  quelques  exceptions  près,  est 
concentré  tout  entier  dans  la  famille  mandé,  chez  les  Ma- 
linké partiellement,  chez  les  Dioula  à  peu  près  complète- 
ment. 


i:TUi)£S  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire  5 

Les  Senoufo  (ou  Siénamana)  sont  représentés  ici  par 
plusieurs  tribus  que  la  poussière  de  Dioula  musulmans 
répandus  au  milieu  d'elles,  n'a  pas  réussi  à  islamiser.  Cul- 
tivateurs frustes,  attachés  au  sol,  on  les  comparerait  faci- 
lement aux  Arabo-Berbères  de  l'Afrique  du  Nord,  au  milieu, 
desquels  habitent  ou  circulent  les  Juifs  commerçants  et 
astucieux.  Les  Dioula,  au  sens  ethnique  du  mot,  et  les 
dioula,  colporteurs  de  toutes  origines,  mais  surtout  mandé,., 
sont  les  Juifs  de  la  haute  Côte  d'Ivoire. 

La  famille  voltaj'que,  terme  imprécis  en  attendant  mieux^. 
renferme  ici,  et  en  partie  seulement,  des  peuplades  Abron^ 
Koulango,  Birifon,  et  Lobi,  toutes  foncièrement  animistes . 
Leur  contact  avec  les  Dioula,  qui  est  le  même  que  celui 
des  Senoufo  et  des  Dioula,  n'a  eu  chez  -elles  aucun  effet, 
d'islamisation. 

3.  La  ^one  sylvestre,  —  Entre  la  région  côtière  et  la  sa- 
vane soudanaise  s'étend  la  zone  sylvestre,  vastes  territoires 
où  le  sol  et  les  hommes  ont  été  étouffés, depuis  l'origine  de 
l'humanité,  par  ce  splendide  et  effroyable  manteau  de  ver- 
dure. Elle  est  peuplée  par  les  familles  suivantes  : 

Famille  Agni-Achanti 410.000  âmes 

Famille  Dan-gouro 200.000  âmes 

auxquelles  il  faut  joindre  nombre  de  peuplades  des  familles 
Krou  et  Koua-Koua,  qui  débordent  d^e  la  région  côtière  sur 
la  forêt. 

Ces  peuples  qui  représentent  plus  de  la  moitié  de  la  po- 
pulation de  la  Côte  d'Ivoire,  vivent  pour  la  plupart  dans 
un  état  d'indépendance,  d'anarchie  et  d'individualisme  qui 
atteint  le  dernier  degré  de  la  sauvagerie.  Ce  sont  de  véri- 
tables bêtes  fauves,  qu'il  est  impossible  de  faire  vivre  en 
villages,  si  petits  qu'ils  soient  et  qui  se  croient  toujours 
traqués.  Leur  méfiance  irraisonnée  est  incoercible.  On  re- 
lève chez  eux,  à  l'état  permanent,  des  scènes  hideuses  d'an-- 


4  ETUDES   SUR   L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

thropophagie,  des  crimes  rituels  d'une  cruauté  inouïe  et 
qui  témoignent  d'un  manque  absolu  de  sens  moral  ou  fa- 
milial (i).  Chaque  mois,  on  apprend  avec  plus  ou  moins  de 
possibilité  de  répression  —  et  plus  souvent  on  n'ap- 
prend pas  —  des  attaques  de  femmes  et  d'enfants  dans 
les  hameaux  de  culture,  aux  fins  de  cannibalisme.  On  ne 
compte  plus  les  victimes,  livrées  par  des  membres  de  leurs 
familles  aux  sacrifices  sanglants  des  sorciers;  et  les  exé- 
cutions capitales  qui  sanctionnent  ces  crimes,  quand  l'au- 
torité peut  les  atteindre,  ne  paraissent  guère  changer  la  face 
des  choses.  La  femme  est  une  véritable  bète  de  somme, 
une  simple  captive,  qu'on  achète  et  qu'on  vend  suivant 
ses  besoins.  Pas  décadrés  sociaux.  Pas  de  chefs. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que  l'islam  s'est  arrêté  net  devant 
cet  écran  de  la  forêt  et  que  son  influence  civilisatrice,  à 
qui  il  y  a  tant  de  choses  à  reprocher  dans  les  sociétés  mé- 
laniennes,'  mais  qu'on  aurait  aimé  voir  s'exercer  ici,  où 
elle  pouvait  être  utile,  n'a  pu  percer  ce  rideau  opaque,  ni 
atteindre  ces  populations  privées  d'air  et  de  lumière,  étouf- 
fées par  la  forêt  sous  sa  verdure  souveraine. 

Les  dioula,  qui  se  sont  aventurés  parmi  elles,  dans  un 
but  de  lucre,  ont  généralement  eu  à  subir  des  avanies  de 
toute  sorte  et  souvent  ont  péri  misérablement  sous  leurs 
coups  ou  leurs  tortures.  Ce  n'est  que  de  nos  jours,  et  par 

(i)  Ce  sont  les  populations  de  la  forêt  qui,  en  igio,  ayant  capturé  un 
chef  de  train,  M.  Rubino,  le  torturèrent  sur  la  voie.  «  Tu  vas  voir,  lui  dé- 
clarèrent les  Abbey,  les  parties  de  ton  corps  que  tes  yeux  n'ont  jamais  pu 
voir.  »  Ils  lui  détachèrent  alors  la  peau  du  dos,  qu'ils  présentèrent  à  ses 
yeux,  puis  la  peau  des  fesses,  puis  l'anus.  Ensuite,  ils  lui  arrachèrent  un 
des  yeux  qui  fut  présenté  à  l'autre  œil  du  malheureux.  Enfin  ils  firent 
l'ablation  des  parties  sexuelles  qu'ils  lui  introduisirent  dans  la  bouche. 
M.  Rubino,  respirant  encore,  fut  alors  coupé  en  morceaux  et  chaque  village 
adhérent  à  la  révolte  reçut  un  de  ces  morceaux.  Ceci  s'est  passé  en  1910,  à 
60  kilomètres  de  Bingerville,  dans  une  région  déjà  traversée  par  le  chemin 
de  fer. 

Ce  sont  encore  les  populations  de  la  région  forestière  (Soubré),  qui 
en  1913  attaquèrent  M.  Huberson,  paisiblement  installé  dans  une  case, 
après  une  étape  fatigante,  le  tuèrent  à  coups  de  machete  et  le  mangèrent 
«nsuite. 


ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE  î> 

notre  paix,  que  les  iMusuImans,  colporteurs  ou  employés, 
commencent  à  apparaître  dans  les  principaux  centres  de 
la  forêt;  et  si  leurs  efforts  économiques  sont  comblés  de 
succès  par  la  richesse  du  pays,  leur  prosélytisme,  modeste 
d'ailleurs,  reste  sans  effet  devant  la  xénophobie  et  la  mé- 
fiance inimaginable  des  gens. 

En  résumé,  la  Côte  d'Ivoire  est  peuplée  de  1.600.000  ha- 
bitants dont  100.000  environ,  soit  le  seizième  de  la  popu- 
lation totale,  est  musulman;  le  reste  est  animiste  ou  féti- 
chiste. La  proportion  est  du  sixième  pour  la  savane  souda- 
naise (100.000  sur  600.000),  et  du  tiers  pour  la  famille 
mandé  qui  renferme  tous  les  musulmans  (100.000  sur 
Soo.ooo).  On  ne  peut  vraiment  pas  tenir  compte  dans  un 
tableau  d'ensemble,  aussi  général  que  celui-ci,  des  quelques 
douzaines  de  Senoufo  ou  Koulango  islamisés,  lesquels 
tendent  d'ailleurs  à  se  dénationaliser  en  s'islamisant,  et 
sont,  à  la  deuxième  génération,  des  Mandé  complets. 


LIVRE    PREMIER 

LA  RÉGION  CÔTIÈRE 


CHAPITRE    PREMIER 

L'IMPRESSIONNABILITÉ    RELIGIEUSE    DES    POPULATIONS 
MARITIMES    ET    LACUNAIRES 


L'étude  des  populations  maritimes  et  lagunaires  de  la 
Côte  d'Ivoire,  dans  leur  stade  actuel,  permet  d'établir,  dès 
le  premier  contact,  leur  extrême  sensibilité  religieuse.  Cette 
impressionnabilitéest  démontrée  par  trois  faits  :  i*^  Le  foi- 
sonnement des  sociétés  secrètes  rituelles;  2°  Les  cas  d'isla- 
misation rapide  qui  se  sont  produits  en  divers  points  de  la 
Côte  chez  des  indigènes,  lagunaires  ou  autres,  au  contact 
de  marabouts,  internés  politiques  ;  3''  Le  développement 
inopiné  d'une  secte  protestante,  dû  au  succèsprodigieuxd'un 
clerk  noir,  Harris,  et  le  bouleversement  profond  que  ses 
prédications  ont  amené  et  amènent  de  jour  en  jour  dans 
la  mentalité  religieuse  et  sociale  de  ces  populations. 

I.  Les  sociétés  secrètes  rituelles.  —  Le  golfe  de  Guinée 
est  le  paradis  de  la  magie.  En  ce  qui  concerne  la  Côte 
d'Ivoire  maritime,  et  spécialement  la  région  occidentale, 
les  bassins  de  Cavally  et  du  Sassandra,  en  sont  le  lieu 
d'élection,  florissant  entre  tous.   Ici,   le  sorcier  féticheur 


8  ÉTUDES  SUR    l'islam   EN    CÔTE  d'iVOIRE 

(Wihibi  ou  Ouognon,  suivant  les  tribus)  dont  l'influence 
est  considérable  dans  toutes  les  sociétés  noires,  s'est  élevé  à 
la  hauteur  d'une  institution  sociale.  Les  sorciers  sont  cons- 
titués en  sociétés  secrètes,  dont,  pour  autant  qu'on  puisse 
en  saisir  le  fonctionnement,  les  rites  actuels,  les  sacrifices, 
les  pratiques  et  les  prescriptions  et  défenses,  ont  manifes- 
tement un  but  mystique.  Mais,  ici  comme  ailleurs  en  pays 
noir,  la  magie,  cette  perversion  de  la  religion,  cetart  falla- 
cieux de  réduire  à  son  service  les  forces  secrètes  de  la  na- 
ture et  les  influences  du  Immonde  invisible,  la  magie,  dis-je, 
a  pris  la  place  de  la  religion,  lien  direct  et  patent  qui  unit 
l'homme  à  Dieu.  Le  culte  de  Kou,  «  le  diable»  comme  on 
le  traduit  communément,  ou  si  l'on  veut,  le  principe 
du  mal,  la  nuit,  la  lune,  s'est  annexé  au  culte  de 
Nyessea,  «  le  Bon  Dieu  »,  le  principe  du  bien,  personnifié 
dans  le  soleil  ou  le  jour.  Il  a  fini  même  par  s'y  substituer. 
On  n'a  rien  à  craindre  de  Nyessea,  qui  est  bon  par  prin- 
cipe. Tout  au  plus  est-il  convenable  de  lui  adresser  une 
prière  matinale.  C'est  donc  à  Kou,  esprit  du  mal,  que  doi- 
vent aller  les  sacrifices  propitiatoires  et  les  incantations. 

Les  sociétés  de  sorciers  abondent  :  il  y  en  a  dans  chaque 
village  ou  chaque  groupe  de  villages  ;  il  y  en  a  même  sou- 
vent plusieurs  dans  une  même  agglomération.  Alors  que 
partout  ailleurs  le  sorcier  est  l'exception,  ici  tout  le  monde 
se  rattache  plus  ou  moins,  de  près  ou  de  loin,  aune  fa- 
mille ou  à  un  groupe  de  sorciers  ;  la  hiérarchie  règne  en 
maîtresse  dans  ces  sociétés  et  chacun  tient  rigoureusement 
la  place  que  son  âge,  ses  fonctions  ou  l'avancement  lui  ont 
assignée.  C'est  ainsi  que  dans  le  désir  d'une  protection  effi- 
cace contre  l'Au-delà  néfaste,  lesprimitifs  s'agrègent  à  ceux 
qui  ont  la  réputation  d'avoir  su  l'asservir. 

Au  sorcier,  qui  se  cache,  et  dont  l'action  est  néfaste,  s'op- 
pose le  contre-sorcier,  ou  médecin  de  sorcier,  ou  simple- 
ment médecin-féticheur  comme  on  l'appelle  quelquefois 
(dèye).  Le   rôle  de  celui-ci  est  de  prévenir  ou  de  guérir  le 


L  IMPBESSIONNABILITE    RELIGIEUSE  Q 

mal  par  l'utilisation  des  forces  naturelles  ou  magiques,  par 
le  recours  aux  fétiches,  personnifications  de  ces  forces,  par 
l'intervention  des  divinités  et  des  génies  bienfaisants.  Si 
les  procédés  du  «  dèye  »  sont  secrets,  comme  il  convient,  il 
opère  tout  de  même  au  grand  jour  et  ne  cache  ni  sa  per- 
sonne, ni  son  rôle,  ni  ses  buts.  Il  y  avait  là  un  heureux 
contre-poids  à  l'influence  du  sorcier.  La  lutte  ne  s'est  pas 
établie  :  le  dèye  n'a  jamais  cherché  à  s'opposer  au  Wahibi, 
et  c'est  celui-ci  qui  a  toujours  joué  le  grand  premier 
rôle. 

La  plupart  des  rites  cultuels  des  sociétés  de  sorciers  nous 
sont  et  nous  resteront  inconnus.  Le  mutisme  des  intéressés 
est  aussi  complet  qu'il  convient  en  la  matière.  Cependant, 
et  grâce  surtout  aux  instructions  judiciaires,  où  la  bête  hu- 
maine, traquée  et  affolée,  finit  par  se  laisser  aller  à  certains 
aveux,  à  certaines  confidences,  et  surtout  à  des  explications 
d'où  elle  attend  son  salut,  il  a  été  possible  d'esquisser 
quelques  points  importants  du  culte  et  de  la  morale  de  ces 
sociétés  traditionnelles. 

C'est  le  sacrifice  humain,  annuel  ou  semestriel,  qui  pa- 
raît être  à  la  base  de  ces  pratiques,  et  dans  un  double  but: 
but  de  communion  dans  la  chair,  but  de  bénédiction  sur 
les  récoltes. 

Des  assemblées  mensuelles  réunissent  le  groupement  de 
sorciers.  Des  scènes  extraordinaires  de  danses,  de  repas,  de 
copulations  sans  freins  ni  lois,  y  contreviennent  à  toutes 
les  coutumes  normales  de  ces  tribus.  C'est  là  que  la  vic- 
time sacrificielle  est  désignée.  Cette  désignation  ne  se  fait 
pas  au  hasard.  Chaque  Wahibi,  chef  de  groupe,  doit  à  son 
tour,  faire  connaître  le  membre  de  sa  famille  qu'il  a  choisi. 
C'est  un  de  ses  très  proches  parents  qu'il  doit  donner  :  son 
mari  ou  sa  femme,  son  père  ou  sa  mère,  un  enfant,  un 
frère,  une  soeur,  etc.  La  victime,  ainsi  désignée  à  son  insu, 
continue  à  vivre  jusqu'au  temps  marqué  pour  le  sacrifice. 
Elle  est  alors  livrée  par  ruse  et  par  force  à  l'assemblée, 


10  ETUDES   SUR   L  ISLAM    EN    COTE   D  IVOIRE 

égorgée  comme  un  mouton,  sur  un  trou,  où  coule  le  sang, 
et  enfin  dépecée  et  partagée  entre  tous  les  assistants,  tout  au 
moins  entre  ceux  qui  ont  déjà  donné  quelqu'un  à  la  so- 
ciété. Le  chef  de  famille  a  droit  spécialement  à  la  tête  et 
aux  parties  génitales.  La  chair  est  souvent  cuite  et  mangée 
sur  place,  au  moins  partiellement.  Mais  une  portion  est 
toujours  emportée,  et  sert  de  potion,  de  médicament,  de 
préservatif,  d'amulette,  de  grigri,  etc.,  dans  les  divers  be- 
soins de  la  vie.  Le  plus  souvent  l'exécution  n'est  pas  aussi 
brutale.  La  victime  s'éteint  lentement  par  envoûtement  ou 
empoisonnement,  elle  disparaît  ainsi  à  l'heure  choisie,  sans 
que  sa  mort  entraîne  de  doutes  ou  tout  au  moins  de  soup- 
çons. Après  les  funérailles,  et  quelquefois  après  même  l'in- 
humation, le  cadavre  est  livré  à  l'assemblée  et  partagé  dans 
les  conditions  précitées. 

On  remarquera  ce  choix  d'un  membre  familial.  La  so- 
ciété est  un  groupe  fermé,  et  c'est  par  cette  communion 
dans  la  manducation  de  la  chair  d'un  des  leurs  que  le  lien 
mystique  se  raffermit  tous  les  jours.  Judiciairement,  les 
chefs  jadis,  et  nous  aujourd'hui,  avons  su  tirer  parti  de 
cette  coutume.  Jadis,  les  soupçons  se  portaient  vite  sur 
deux  ou  trois  personnes  de  l'entourage  de  la  victime;  elles 
étaient  condamnées  aux  ordalies  du  bois  rouge;  le  méde- 
cin-féticheur  savait  faire  disparaître  le  coupable.  Aujour- 
d'hui les  mêmes  soupçons  permettent  de  diriger  l'enquête' 
avec  une  certaine  efficacité. 

Outre  ce  premier  rôle,  le  sacrifice  humain  paraît  cons- 
tituer aussi  un  rite  agraire.  Les  richesses  agraires  sont  en 
effet  la  véritable  fortune,  le  seul  moyen  alimentaire,  dans 
un  pays  dépourvu  de  toute  industrie  et  de  tout  cheptel.  Il 
importe  donc,  semble-t-il,  que  les  champs  participent  à  la 
communion  des  hommes  et  c'est  pourquoi  on  est  appelé  à 
faire  une  double  constatation  :  i"  C'est  que  les  sacrifices 
humains  ont  lieu,  soit  une  fois  par  an,  au  moment  des  se- 
mailles, soit  deux  fois  par  an,  aux  moments  des  semailles 


L  IMPRESSIONNABILITE  RELIGIEUSE  1 1 

€t  de  la  récolte  ;  2°  Que  le  squelette  de  la  victime  propitia- 
toire doit  être  enfoui  dans  les  champs  qui  sont  travaillés, 
et  que  cette  règle,  commune  à  tous  ceux  qui  ont  participé 
au  sacrifice,  est  absolument  impérative  pour  le  chef  de  fa- 
mille qui  a  livré  la  victime.  Il  doit  enfouir  le  crâne  dans 
son  champ.  Chaque  membre  du  groupe  semble  ainsi  rem- 
plir à  tour  de  rôle  une  fonction  de  sacerdoce  agraire. 

Il  est  hors  de  doute  que  les  membres  de  ces  sociétés  de 
féticheurs  savent  qu'ils  font  mal,  en  livrant  à  la  mort  un 
des  leurs  :  on  le  voit  par  la  résistance  que  fait  chaque  chet 
de  famille,  quand  il  est  appelé  à  livrer  sa  victime.  Il  lui  faut, 
la  plupart  du  temps,  des  rappels  à  l'ordre,  des  blâmes  et 
des  menaces  de  la  part  de  l'assemblée.  On  le  voit  encore 
par  le  remords  qui  très  souvent  l'agite  parla  suite.  Chaque 
famille,  chaque  village  ont  leurs  fétiches  protecteurs.  Pour 
une  raison  ou  pour  une  autre,  que  par  exemple  l'intéressé 
tombe  malade,  soit  victime  d'un  accident,  que  la  case  du 
fétiche  brûle,  etc.,  le  voici  aussitôt  appelé  à  faire  des  ré- 
flexions salutaires.  Il  se  reproche  sa  cruauté,  «  demande 
pardon  »,veut  apaiser  les  mânes  de  la  victime  et  la  justice 
divine.  D'autres  fois,  ce  sont  des  complices  ou  simplement 
des  témoins  qui  ont  «  mal  au  cœur  »  de  voir  le  chagrin  et 
les  larmes  des  parents  de  la  victime,  et  qui  ne  peuvent  pas 
supporter  cette  situation  pénible.  Divers  rites  intervien- 
dront, dont  le  plus  curieux  est  certainement  l'aveu  de  la 
faute.  Cette  sorte  de  confession  à  deux  ou  trois  personnes 
de  son  entourage  est  absolument  nécessaire  pour  ramener 
l'apaisement  de  l'âme,  ou  la  santé  du  corps,  tant  pour  les 
coupables  que  pour  les  complices  ou  simples  spectateurs  ou 
témoins.  Malheureusement  pour  le  coupable,  cesecret  par- 
tagé n'est  plus  un  secret  ;  les  autorités  apprennent  souvent 
la  chose  par  la  rumeur  publique  et  l'expiation  va  beaucoup 
plus  loin  qu'il  ne  le  pensait. 

2.  Cas  de  conversions  à  Vislamisme.  —  De  par  une  tra- 


12  ETUDES   SUR   L  ISLAM    EN    COTE   D  IVOIRE 

dition  administrative,  qui  remonte  au  premier  jour  de  l'oc- 
cupation, la  Côte  d'Ivoire  est  la  colonie  où  sont  envoyés  les 
indigènes  musulmans,  blancs  ou  noirs,  des  régions  du 
Nord,  qui  ont  été  l'objet  d'une  mesure  d'internement  poli- 
tique. Il  avait  paru  que  ce  milieu  de  populations  primitives, 
pleines  de  défiance  à  leur  égard,  dont  ils  ne  connaissent 
ni  la  langue  ni  les  mœurs,  et  qu'au  surplus  ils  honorent 
de  leur  mépris,  seraient  pour  ces  marabouts  et  guerriers, 
révoltés,  perturbateurs,  frondeurs  ou  hallucinés,  la  meil- 
leure des  geôles  morales.  C'est  ce  qui  s'est  produit  en  effet 
pendant  plusieurs  années. 

Or,  on  constatait,  ces  dernières  années,  que  la  douzaine 
de  personnages  musulmans,  internés  à  Daloadans  le  Haut 
Cavally,  et  qui  d'ailleurs  y  jouit  d'une  grande  liberté,  puis- 
qu'il ne  s'agit  pas  d'emprisonnement  judiciaire,  commen- 
çait à  prendre  une  certaine  influence  sur  les  indigènes  des 
alentours.  Il  y  avait  là  des  Maures  de  Kiffa,  traîtres  à  notre 
occupation,  ou  de  Oualata,  insurgés  Abdouké  de  la  révolte 
des  Mechdouf-Ahel  Sidi  de  19 16  ;  il  y  avait  quelques  ma- 
rabouts noirs  soudanais,  prédicateurs  et  pêcheurs  en  eau 
trouble,  mais  ici  en  un  vase  qu'on  croyait  clos.  Il  l'était 
bien,  mais  c'est  à  l'intérieur  mêmedu  vase  que  d'une  façon 
inattendue  le  microbe  islamique  tendit  à  se  développer. 

On  crut  alors  bien  faire  en  faisant  venir  ces  détenus  poli- 
tique à  Bingerville,  chef-lieu  de  la  colonie;  il  semblait  dif- 
ficile que  ce  milieu,  surtout  cosmopolite,  fût  accessible  à 
des  sentiments  de  conversion  religieuse.  C'est  pourtant  ce 
qui  s'est  produit  !  On  a  pu  constater  avec  étonnement,  quel- 
ques mois  plus  tard,  que  certains  gardes  de  cercle,  des  re- 
présentants des  villages  lagunaires,  des  boys  de  toute  con- 
dition, commençaient  à  s'agenouiller  derrière  les  mara- 
bouts, à  l'heure  de  la  prière.  Bingerville  tendait  à  devenir 
un  centre  islamique. 

On  pouvait  remarquer  en  même  temps  le  même  phéno- 
mène à  Dabou,  où  l'ex-sultan  deZinder,  MamadouTeniem, 


l'impressionnabilité  religieuse  i3' 

interné  depuis  1907,  était  des  plus  considérés  par  les  Adiou- 
krou  et  Ebrié  fétichistes  et  auraient  pu  en  amener  un  cer- 
tain nombre  au  salam,  s'il  n'avait  été  retenu  par  la  réserve 
que  lui  imposait  sa  situation  spéciale. 

Tels  sont  les  résultats  rapides  qu'obtenaient  les  loisirs  de 
ceux  que  leur  entourage  ou  leurs  gardiens  considéraient 
comme  de  saints  personnages.  On  peut  croire  que  si  les 
Musulmans  sénégalais  et  soudanais  qui,  à  la  Côte,  s'em- 
ploient au  service  de  l'administration  ou  des  maisons  de 
commerce,  s'en  étaient  donné  la  peine,  au  lieu  de  ne  son- 
ger qu'à  leurs  intérêts  matériels,  il  y  aurait,  à  l'heure  ac- 
tuelle, un  fort  élément  local  islamisé. 

La  situation,  signalée  plus  haut,  ne  saurait  prendre 
d'autres  proportions.  La  plupart  des  internés,  y  compris 
ceux  de  Dabou,  ont  été  renvoyés  dans  leurs  foyers  soit  à  la 
suite  de  l'expiration  de  leur  peine,  soit  par  une  mesure  gra- 
cieuse, que  permettait  la  fin  des  hostilités.  Bingerville  n'en 
compte  plus.  Les  derniers  achèvent  leur  peine,  à  Lakota, 
dans  le  HautLahou,  à  la  lisière  des  sauvages  DidaetGouro, 
peu  accessibles,  semble-t-il,  au  moins  pour  l'instant,  au  bon 
exemple  des  vertus  islamiques. 

3.  Essor  du  christianisme.  Le  harrisme.  —  Il  nous  faut 
en  venir  maintenant  à  un  fait  religieux,  presque  incroyable, 
qui  a  bouleversé  toutes  les  idées  qu'on  se  faisait  sur  les  so- 
ciétés noires,  si  primitives,  si  rustiques,  de  la  Côte,  et  qui 
sera  avec  notre  occupation,  et  comme  conséquence  d'ail- 
leurs de  cette  occupation,  l'événement  politique  et  social  le 
plus  considérable  de  dix  siècles  d'histoire,  passée,  présente 
ou  future  de  la  Côte  d'Ivoire  maritime.  Il  est  à  croire  d'ail- 
leurs que  ce  phénomène  aura  sa  répercussion  prochaine 
dans  la  zone  svlvestre. 

Au  début  de  1 914,  apparut  successivement  dans  plusieurs 
villes  de  la  côte  un  indigène  libérien,  nommé  William 
Vade   Harris,  qui,  se  disant  prophète,   faisait  détruire  les 


14  ÉTUDES   SUR   l'islam   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

fétiches,  initiait  les  gens  à  une  sorte  de  christianisme  pri- 
mitif et  jouissait,  près  des  populations  du  bord  de  la  mer,, 
d'un  grand  renom.  Harris  fut  signalé  à  Lahou,  à  Dabou  et 
à  Assinie  et,  sur  la  demande  des  habitants  de  Bassam,  vint 
dans  cette  ville.  Peu  après,  on  le  convoquait  à  Bingerville. 

Il  y  fit  des  déclarations  qu'on  peut  résumer  ainsi  :  étant 
maître  d'une  école  protestante  de  Cap-Palmas,  et  pourvu 
du  titre  de  «  Révérend  »,  il  vit  en  rêve  l'ange  Gabriel  qui,, 
au  nom  de  Dieu,  l'invita  à  se  rendre  chez  les  fétichistes 
pour  y  détruire  les  emblèmes  de  leur  culte,  les  inciter  à  une 
vie  plus  morale  par  le  travail,  et  les  empêcher  de  se  livrer 
à  leurs  penchants  pour  l'ivrognerie.  Il  interdit  le  vol,  l'es- 
croquerie et  l'adultère,  mais  permet  plusieurs  femmes,  et 
engage  au  travail  pour  obtenir  la  richesse  qui  assure  une 
existence  agréable.  En  récompense,  le  ciel  est  promis  à  ceux 
qui  se  conduisent  selon  la  règle  préconisée  par  l'ange,  etle 
baptême  les  lave  de  leurs  souillures  passées. 

William  Vade  Harris  quitta  alors  Cap-Palmas  et  se  ren- 
dit en  Gold  Coast,  puis  en  Côte  d'Ivoire,  où  sa  religion  fit 
un  grand  nombre  d'adeptes  ;  elle  est  simple,  il  suffit  de  se 
bien  conduire  et  quelle  que  soit  la  règle  suivie,  protestante 
ou  catholique,  on  arrive  au  salut  éternel. 

Le  prophète  d'une  figure  expressive,  ornée  d'une  barbe 
blanche,  de  haute  stature,  vêtue  de  blanc,  le  chef  entur- 
banné  d'une  pagne  de  même  couleur,  porte  une  étole  noire,. 
à  la  main  une  haute  croix,  et  en  baudrier  une  calebasse 
contenant  des  graines  sèches,  qu'il  agite  pour  rythmer  ses 
cantiques  ;  il  est  suivi  d'un  clergyman  et  de  trois  femmes, 
également  habillées  de  blanc.  Il  obtient  parmi  les  indigènes 
un  succès  extraordinaire. 

A  sa  seule  parole,  les  Ebrié,  les  Attié,  et  les  habitants  du 
Sanwi  qui  comptent  parmi  les  populations  les  plus  arrié- 
rées et  les  plus  ancrées  dans  leur  fétichisme,  ont  détruit 
leurs  fétiches,  même  les  plus  réputés,  tel  Mento,  le  plus 
puissant  et  le  plus  terrible  dans  la  région  des  Lagunes,  alors 


l'impressionnabilité  religieuse  i5 

que  nos  conseils  étaient  restés  vains.  Les  jeunes  gens  de 
Jacqueville  qui  n'osaient  rentrer  chez  eux,  car  le  fétiche 
savamment  exploité  par  les  vieillards,  leur  prenait  leurs 
économies,  reviennent  dans  leur  pays.  De  tous  côtés,  les 
gens  accourent  demander  au  Prophète  libérien  de  se  rendre 
chez  eux  pour  détruire  les  fétiches,  d'autres  se  rangent  à 
sa  suite,  se  font  baptiser,  et  mettent  en  pratique  ses  con- 
seils moraux.  Et  pourtant  ne  boire  que  modérément,  tra- 
vailler six  jours  sur  sept,  ne  plus  se  livrer  à  l'adultère,  ce 
sont  là  des  privations  et  une  activité  qu'ignorent  les  habi- 
tants de  la  côte,  des  lagunes  et  de  la  zone  sylvestre.  Si  ces 
bonnes  résolutions  devaient  durer,  elles  amèneraient  une 
transformation  totale  de  cette  région. 

Le  procédé  de  conversion  du  «  Prophète  »  est  toujours  le 
même  ;  il  se  rend  dans  un  village,  la  foule  se  réunit  autour 
de  lui,  les  hommes  à  sa  droite  et  les  femmes  à  sa  gauche. 
Il  leur  clame  alors  d'une  voix  tonitruante  tout  le  mal  que 
leur  font  les  fétiches  et  ordonne  aux  sorciers  de  venir  se 
placer  devant  lui.  Il  leur  montre  sa  croix.  Ceux-ci  sont 
alors  pris  de  convulsions,  cherchent  à  fuir,  mais  ne  le 
peuvent,  se  roulent  en  hurlant.  Ils  paraissent  à  ce  moment 
en  état  hypnotique.  Harris  les  calme  et  leur  trace  sur  le 
front  un  signe  de  croix  avec  de  l'eau,  en  leur  faisant  tenir 
sa  croix.  Les  sorciers  vont  alors  d'eux-mêmes  briser  leurs 
idoles.  Lé  village  se  fait  baptiser. 

Le  bruit  se  répandit  peu  à  peu  que  ceux  qui  n'obéissaient 
point  à  ses  conseils  moraux  en  étaient  aussitôt  punis,  non 
par  la  mort  que  donnaient  les  fétiches,  mais  par  l'empê- 
chement de  commettre  la  mauvaise  action  qu'ils  se  propo- 
saient d'accomplir.  C'est  ainsi  qu'une  femme  mariée,  étant 
aller  trouver  son  amant,  alors  qu'elle  venait  de  recevoir  le 
baptême,  ne  put,  malgré  ses  invites  amoureuses,  obtenir 
les  faveurs  de  ce  dernier,  et  celui-ci,  lorsque  la  parole  lui 
revint,  ne  réussit  point  à  faire  parler  sa  compagne.  L'his- 
toire se  répandit  et  la  croyance  en  la  vertu,  de   la  religion 


l6  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

du  prophète  s'en  accrut  ;  bien  que  ce  ne  fût  là  sans  doute 
qu'un  phénomène  d'auto-suggestion. 

En  résumé,  et  après  une  entrevue,  d'ailleurs  fort  cordiale 
qu'un  missionnaire  catholique  eut,  à  la  demande  du  gou- 
verneur Angoulvant,  avec  le  Prophète,  on  put  conclure  que 
le«harrisme»  n'étant  autre  qu'une  manifestation  de  Téthio- 
pianisme,  cette  dérivation,  cette  déformation  constante  du 
christianisme  indigène,  abandonné  à  lui-même. 

Le  catéchisme  du  Prophète  se  résumait  en  quatre  articles  : 
croyance  en  Dieu  unique,  abandon  et  destruction  des  fé- 
tiches, observation  presque  judaïque  du  repos  dominical, 
prohibition  de  l'adultère  (avec  maintien  de  la  polygamie). 
Ce  credo  admis,  on  recevait  le  baptême. 

Les  moyens  utilisés  par  le  prophète,  étaient  sa  puissance 
considérable  d'hypnotisme,  et  aussi  les  menaces  mystiques, 
toujours  redoutées  par  les  primitifs  :  morts,  maladies,  trans- 
formations en  animaux,  etc. 

Ses  conclusions  étaient  qu'envoyé  seulement  pour  bapti- 
ser, il  n'avait  ni  le  temps  ni  les  moyens  de  donner  l'ins- 
truction religieuse  aux  néophytes  :  il  leur  appartenait  de  se 
rendre  à  la  mission  voisine,  catholique  ou  protestante, 
quelle  que  fût  sa  dénomination  et  d'y  achever  leur  édu- 
cation. Lui-même,  quand  il  fut  à  Bingerville,  assista 
pieusement  à  la  messe  du  dimanche. 

Jusqu'ici  tout  allait  bien  et  en  somme,  quand  l'autorité 
se  fut  rendu  compte  que  l'action  moralisatrice  de  Harris 
était  excellente,  ses  intentions  pures,  et  sa  conduite  morale 
et  son  désintéressement  au-dessus  de  tout  soupçon,  elle  le 
laissa  aller,  malgré  les  inconvénients  que  cette  perturbation 
sociale  apportait  chez  les  populations, à  une  époque  (1914- 
igi5)  où  l'on  visait  par-dessus  tout  à  maintenir  la  tranquil- 
lité la  plus  complète. 

Mais  cette  faveur  populaire,  dont  jouissait  le  Prophète, 
devenue  on  ne  sait  comment  le  «  Fils  de  Dieu  »,  fit  surgir 
une  multitude   d'imitateurs,  une  poussière  de  petits  pro- 


L  IMPBESSIONNABILITE    RELIGIEUSE  I7 

phètes,  de  Yessou  (Jésus)  et  de  fils  de  Dieu,  qui  montrèrent 
beaucoup  moins  de  tact  et  de  désintéressement  que  leur 
maître  ou  modèle.  Une  invasion  de  «  clarks  »,  prédicants 
et  quêtants,  petits  commerçants  ou  traitants,  en  rupture  de 
comptoir  ou  de  chantier,  s'abat  sur  la  côte  et  même  dans 
la  forêt  méridionale.  Elle  «change  »  la  méthode  du  maître  : 
on  relève  de  tous  côtés  l'exagération  dans  la  mise  en  scène, 
là  comédie  ridicule,  des  procédés  d'intimidation  inadmis- 
sibles, des  menaces  qui  n'ont  rien  de  spirituel,  des  procé- 
dés de  chantage  odieux.  Le  ministre  indigène  Wesleyen 
d'Aboisso  se  fait  sacrer  évêque  du  Sanwi  et  dans  une  grande 
robe,  tantôt  noire,  tantôt  blanche,  parcourt  et  agite  le  pays. 
Le  mouvement  gagne.  Un  certain  Yessou  révolutionne  en 
1918-1919  les  régions  d'Abidjan  et  de  Lahou  et  finit  en 
prison.  Dans  les  cercles  du  NziComoé,  et  deTAgnéby,  pa- 
cifiés depuis  quatre  ans,  les  émissaires  courent  dans  la 
forêt,  disant  qu'un  prophète,  fils  de  Dieu,  est  apparu,  que 
son  pouvoir  est  irrésistible,  que  les  Blancs  vont  être  chassés, 
que  l'impôt  est  supprimé  et  la  liberté  d'antan  rétablie.  Des 
chefs  «lavent  y>  alors  leur  chaise  en  grande  pompe  et  brû- 
lentlesfétiches.  On  ajoute  que  le  «  lion  »  du  Libéria  mangera 
tous  les  Européens. 

Le  dévergondage  mystique  ne  tarde  pas  à  apparaître.  On 
signale  de  divers  côtés  l'apparition  de  nouveaux  dieux.  Au 
temple  d'Abidjan,  on  va  plus  fort  :  une  déesse  est  venue 
du  Ciel,  munie  par  le  Bon  Dieu  d'un  registre  sur  lequel 
elle  devra  inscrire  les  noms  des  vrais  fidèles.  Ce  registre 
était  simplement  un  carnet  d'épicerie  de  la  F.  A.  O.  Elle 
annonçait  des  modifications  importantes  et  notamment  le 
changement  de  couleur  des  Blancs  et  des  Noirs.  Cette  déesse 
resta  d'ailleurs  invisible,  et  quand  l'autorité  annonça  l'in- 
tention d'enquêter  sur  cette  affaire,  les  «clarks  ■»,  metteurs 
en  scène,  disparurent. 

Les  événements  d'Europe  demandaient  plus  de  tranquil- 
lité que  jamais  dans  la  colonie  :  il  fallait  entraver  la  nais- 


l8  ÉTUDES   SUR   l'islam    EN    CÔTE   D  IVOIRE 

sance  et  la  circulation  de  ces  faux  bruits  susceptibles  d'in- 
.quiéter  les  esprits.  Les  fils  de  Dieu  et  le  Prophète  lui-même 
furent  donc  invités  à  regagner  leur  pays  et  à  s'y  tenir  tran- 
quilles. Quelques  petites  sanctions  aidèrent  à  cette  solu- 
tion. Harris,  toujours  digne,  repartit,  son  bâton  de  pèlerin 
à  la  main,  vers  Cape  Palmas,  où  il  se  trouve  toujours. 

Il  n'en  reste  pas  moins  que  les  populations  maritimes  et 
lagunaires  sont  désormais  très  nettement  en  marche  vers 
les  différentes  confessions  du  christianisme  :  catholicisme, 
anglicanisme,  dénominations  baptiste,  wesléyenne,  har- 
riste  pure,  etc.,  et  que,  quoi  qu'on  ait  dit,  leur  transforma- 
tion religieuse  est  réelle  et  durable.  La  mission  catholique 
signale  par  exemple  que  le  nombre  annuel  des  baptêmes 
est  passé  de  80  avant  la  guerre  à  6  ou  700  pendant  les  hos- 
tilités, malgré  la  diminution  des  deux  tiers  du  personnel  ; 
elle  assure  que  la  conversion  des  catéchumènes,  amenés 
par  le  harrisme,  est  sérieuse  et  résiste  à  toutes  les  difficultés 
et  épreuves.  Les  églises  et  les  temples  s'élèvent  comme  par 
enchantement  sur  la  côte,  édifiés  par  les  fidèles  eux-mêmes, 
et  de  toutes  parts  prêtres  et  pasteurs  sont  demandés. 

Cette  extrême  sensibilité  religieuse  étant  à  signaler, 
comme  aussi  la  carence  complète  de  l'islam  dans  une  révo- 
lution religieuse  aussi  importante,  et  où  il  aurait  pu  trouver 
sa  place.  En  tout  cas,  on  peut  affirmer  hardiment  que 
dans  deux  générations  au  plus  tard,  toute  la  Côte  d'Ivoire 
maritime  et  lagunaire  sera  chrétienne.  On  n'y  verra  plus, 
comme  disciples  du  Prophète,  que  les  musulmans  d'impor- 
tation. 


CHAPITRE  II 
TRACES    D'ISLAM 


I.  Cercle  du  Bas-Cavally.  —  Le  cercle  du  Bas-Ca- 
vally  ouvre,  à  l'ouest,  la  zone  maritime  de  la  Côte  d'Ivoire. 
II  tire  son  nom  de  la  vallée  inférieure  du  fleuve  Cavally. 
qui  constitue  la  frontière  entre  la  République  du  Libéria  et 
la  Côte  d'Ivoire.  Il  est  peuplé  par  des  tribus  fort  nombreuses, 
appartenant  toutes  au  groupement  Bakoué  de  la  raceKrou, 
qui  s'échelonne  sur  lacôte,  de  la  Rivière  Half  Cape  Mount 
dans  le  Libéria,  jusqu'à  Trépoint,  à  l'ouest  de  Lahou.  Ce 
nom  de  Krou,  ou  encore  Kroumen,  ou  Krouboy,  comme 
on  les  appelle,  leur  est  venu  par  l'intermédiaire  des  Portu- 
gais (Krao,  Grao)  de  la  tribu  qui  habite  la  région  de  Setta 
Krou,  dans  le  Libéria.  Les  principales  de  ces  tribus  Krou  du 
cercle  sont  :  les  Bakoué  proprement  dits,  les  Ouané,  les 
Pié,  les  Abri-Neyo,  les  Plapo  et  les  Tépo. 

Les  Krou  vivent  dans  une  parfaite  anarchie  politique  et 
sociale,  qui  a  laissé  le  champ  libre  à  un  foisonnement 
extraordinaire  de  sociétés  secrètes,  dont  le  sorcier  féticheur 
est  le  personnage  principal.  La  croyance  primitive  en  un 
Dieu  créateur  (Niessona),  encore  que  réelle,  ne  tient  aucune 
place  dans  leur  morale  ou  leur  culte.  En  revanche,  les 
pratiques  les  plus  immondes  et  les  plus  sanglantes  de  la 
magie  ont  pris  un  développement  qui  fait  frémir;  les  crimes 


.20  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM   EN    CÔTE   d'iVOIRE 

rituels  de  tout  genre,  les  empoisonnements,  les  envoûte- 
ments, les  ordalies  mortelles  ont  pris  une  extension  qu'après 
un  quart  de  siècle  d'occupation  nous  n'avons  pas  encore 
pu  arrêter.  En  1919,  on  fusillait,  à  San  Pedro,  neuf  sor- 
ciers qui  s'étaient  rendus  coupables  de  crimes  affreux. 

Tout  décès  anormal,  et  souvent  même  normal,  entraîne 
la  recherche  du  coupable.  Quatre  hommes  disposent,  les 
.pieds  devant,  le  cadavre  sur  leur  tête  et  à  une  allure  verti- 
gineuse parcourent  le  village  jusqu'à  ce  que  l'un  des  por- 
teurs, fléchissant  sur  ses  jambes,  laisse  toucher  une  case 
par  l'un  des  pieds  du  cadavre.  Le  coupable  est  là,  ainsi  dé- 
signé par  le  défunt,  et  il  faut  aussitôt  que  l'inculpé  se  dé- 
gage de  l'accusation  par  l'épreuve  d'un  bois  ordalique,  qui 
entraîne  généralement  sa  mort. 

Les  trois  espèces  ligneuses,  qui  servent  principalement 
dans  les  épreuves  judiciaires,  sont  :  le  bois  rouge  (ir-rou), 
-le  sassav/ood  des  Anglais,  dont  l'écorce  pilée  est  mêlée  à 
une  calebasse  d'eau  que  le  patient  doit  absorber;  l'euphorbe 
(boto),  dont  le  suc  instillé  dans  l'oeil  amène  la  cécité;  et  le 
,gano,  dont  l'écorce  pilée  et  macérée  donne  un  liquide  qui 
possède  les  propriétés  du  bolo. 

On  conçoit  que  dans  un  pareil  champ,  imprégné  d'un 
fétichisme  si  profond,  l'islam  n'ait  gagné  aucun  terrain.  Au 
surplus,  les  Krou  qui,  dès  leur  enfance,  s'embarquent  de- 
puis plusieurs  siècles  comme  passeurs  de  barre,  hommes 
d'équipe,  matelots,,  chauffeurs  et  soutiers  sur  les  navires 
européens  et,  en  cette  qualité,  naviguent  sur  la  côte  jus- 
qu'au Congo,  ont  pris,  au  contact  des  Européens,  un  amour 
immodéré  pour  le  gin,  le  genièvre,  etc.,  qui  constitue  un 
-rempart  infranchissable  à  l'islam. 

A  défaut  d'islamisme  local,  il  faut  signaler  une  centaine 
d'adeptes  étrangers,  attirés  là  par  la  richesse  commerciale 
du  pays  :  traitants  et  employés  sénégalais  (Ouolof  et  Tou- 
couleurs);  dioula  soudanais  (Malinké,  Dioula,  Bobo); 
quelques  Fanti  de  Gold  Coast.  Ils  ne  font  aucun  prosély- 


TRACES   D  ISLAM  2I-- 

tisme  et  n'ont  aucune  influence.  Aucune  mosquée,  aucune 
école.  Ils  font  leurs  prières  et  célèbrent  leurs  fêtes,  sans  ap- 
parat, à  l'intérieur  de  leurs  maisons.  On  les  trouve  à 
Tabou,  Béréby,  Rock  Béréby  et  San  Pedro. 

2.  Cercle  du  Bas-Sassandra.  —  Le  cercle  du  Bas-Sas- 
sandra,  formé  par  la  vallée  inférieure  du  Sassandra,  de 
son  confluent  avec  la  Lobo  jusqu'à  l'Océan,  est  habité  par 
des  peuplades  se  rattachant  à  deux  origines  différentes  : 
les  Bété  et  les  Krou,  mais  dérivées  très  probablement  dans 
le  lointain  des  âges  d'une  même  extraction  :  les  Krou. 

A  l'intérieur,  dans  la  forêt,  domine  le  peuple  bété  qu'on 
retrouve  d'ailleurs  en  amont,  dans  la  vallée  supérieure  du 
fleuve.  Ils  forment  ici  un  groupe  compact  de  So.ooo  âmes. 

La  zone  proprement  maritime  est  peuplée  :  soit  de  tribus 
bété  immigrées,  telles,  vers  l'est,  les  Godié  et,  sur  le  fleuve, 
les  Kouadyo,  soit  de  plusieurs  tribus  se  rattachant  au 
groupe  Bakoué  de  la  race  krou,  ainsi  qu'il  a  été  signalé 
plus  haut,  soit  enfin  d'une  peuplade  métisse  :  les  Neyo 
(écrit  quelquefois  Neyaux),  où  l'on  trouve  du  sang  bété,  du 
Nord  et  du  Sud,  du  sang  krou  (diverses  tribus  du  groupe 
bakoué)  et  des  vestiges  d'indigènes  plus  anciens,  sans 
doute  les  autochtones.  La  fusion  est  complète  chez  ces 
Nej^o  :  ce  sont  les  coutumes  et  la  langue  krou  qui  dominent 
généralement. 

Les  tribus  de  la  zone  maritime  comme  de  la  zone  syl- 
vestre sont  indemnes  de  toute  race  islamique.  Elles  sont 
attachées  de  toute  leur  force  à  leur  fétichisme  traditionnel, 
où  l'on  distingue  une  vague  croyance  à  un  Dieu  supérieur 
et  unique  :  Lago,  ou  Lago  Tapé,  maître  du  tonnerre,  et. 
surtout  les  multiples  vérifications  et  affubulations  des- 
forces de  la  nature.  Les  crimes  y  atteignent  les  mêmes 
proportions  que  dans  le  bassin  du  Cavally.  On  y  a  trop  in- 
sisté pour  y  revenir  ici.  Retenons  que  l'influence  toute- 
puissante  des  sorciers,  l'abus  des  liqueurs  fortes  et  l'anar- 


22  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

chie  sociale  prédominent  dans  ces  sociétés  Krou  et  Bété  et 
dérivées,  et  sont  un  obstacle  quasi  invincible  à  l'islam. 

Elles  n'en  sont  pas  un  à  l'extension  du  christanisme 
qui,  depuis  Harris  et  par  sa  grâce,  gagne  chaque  jour  du 
terrain,  soit  sous  la  forme  catholique,  soit  sous  les  formes 
protestantes  (anglicane,  wesléyenne,  baptiste,  harriste,  etc.). 
La  christianisation  prochaine  de  ces  peuples  interdit  défi- 
nitivement toute  espérance  à  l'Islam. 

Allah  n'y  est  pourtant  pas  complètement  inconnu,  et 
l'on  trouve  dans  les  escales  de  Sassandra,  Drewin  et  Vie- 
tory  quelques  employés  et  boutiquiers  sénégalais,  quelques 
colporteurs  dioula,  quelques  traitants  fanti,  quelques 
gardes  soudanais  qui  se  prosternent,  le  soir,  sur  le  sable 
de  la  plage,  adorant  sa  grandeur.  Même  notation  à  Soubre, 
agglomération  importante  à  140  kilomètres  en  amont  de 
Sassandra.  Aucun  de  ces  fidèles  ne  méritent  de  mention. 

3.  Cercle  de  Lahou.  —  Le  cercle  de  Lahou,  qui  doit  son 
nom  à  son  chef-lieu,  Grand-Lahou,  important  centre  com- 
mercial à  l'embouchure  du  Bandama,  est  habité  au  Sud  par 
le  peuple  Avikam,  dit  aussi  Panda,  et  que  les  Agni  et 
ApoUoniens  appellent  Brignan;  et  au  Nord  par  les  Bété  ou 
Dida. 

Les  Avikam,  qui  ne  dépassent  pas  6  à  7.000,  ne  se  rat- 
tachent à  aucune  race  connue.  Ils  paraissent  être  les  débris 
d'un  peuple  ancien  qui  a  été  refoulé  et  comprimé  sur  le 
rivage;  ils  ont,  de  ce  fait,  subi  l'influence  ethnique  de  leurs 
voisins  du  Nord,  les  Bété,  et  leurs  coutumes  et  institutions 
présentent  avec  les  leurs  les  plus  grandes  affinités. 

Les  Bété  ou  Dida  sont,  semble-t-il,  une  branche  de  la 
grande  famille  Krou,  mais  il  faut  se  hâter  de  dire  que 
leurs  mœurs  et  leur  langue  gardent  des  particularités  très 
accusées. 

Avikam  et  Bété  sont  fétichistes,  et  on  ne  trouve  chez 
eux,  comme  représentants  de  l'islam,  que  les  Sénégalais, 


TRACES    d'islam  23 

traitants  et  employés  du  Grand-Lahou,  les  Mandé  dioula 
et  soudanais,  établis  ou  de  passage,  colporteurs  comme  tou- 
jours, et  quelques  Fanti  et  Apolloniens,  ouvriers  d'art  et 
coupeurs  de  bois,  au  total  cinq  cents  au  maximum,  parta- 
gés entre  Fresco  et  les  trois  Lahou  :  Grand,  Moyen  et 
Petit. 

En  revanche,  ici  comme  sur  toute  la  côte,  le  christia- 
nisme gagne  du  terrain.  Les  «  clarks  »  ont  construit,  en 
maints  endroits,  des  chapelles  protestantes.  A  Grand- 
Lahou  même,  les  catholiques  noirs,  d'importation  indi- 
gène, ont  élevé,  de  leur  propre  initiative,  une  fort  belle 
église  et  réclamé  avec  tant  d'insistance  un  prêtre,  que  le 
Vicaire  apostolique  de  la  Côte  d'Ivoire  a  fini  par  leur  don- 
ner satisfaction. 

Il  ne  semble  pas,  dans  ces  conditions,  que  l'islam  réus- 
sisse à  s'imposer  ici  un  jour, 

4.  Cercle  des  Lagunes.  —  Le  cercle  des  Lagunes,  chef- 
lieu  Abidjan,  tire  son  nom  de  ce  qu'il  est  baigné  par  la 
grande  lagune  Ebrié,  par  la  lagune  Potou  et  par  leurs  mul- 
tiples ramifications.  Il  renferme  Bingerville,  chef-lieu 
actuel  de  la  colonie.  Il  est  peuplé  par  six  ou  sept  groupe- 
ments appartenant  tous  au  groupe  Kouakoua,  que  certains 
rattachent  ici  à  la  famille  agni-achanti.  Ce  sont  les  Alla- 
dian,  les  Adioukrou,  les  Abidji,  les  Ebrié,  les  Attié  du  Sud, 
dit  Neddé,  les  Mbato-Dabré. 

Ces  populations  étaient  toutes  fétichistes,  mais  l'influence 
chrétienne  commence  à  se  faire  vivement  sentir.  Il  n'est 
pas  exagéré  de  dire  que  dans  une  génération  elles  auront 
achevé  leur  évolution  vers  les  diff'érentes  formes  du  chris- 
tianisme et  qu'il  n'y  aura  plus  de  place  pour  l'islam. 

Elles  vivent,  sauf  les  AUadian,  dans  un  état  d'anarchie 
complet.  Pas  de  chef,  ou  des  chefs  sans  autorité;  pas  de 
cadres  sociaux.  Chaque  famille  constitue  une  cellule  isolée 
et  indépendante.  Notre  administration  s'est  servie,  au  dé- 


24  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

but,  des  porte-cannes,  sorte  d'agents  politiques,  qui  ser- 
vaient à  transmettre  les  ordres,  à  fournir  des  renseigne- 
ments, à  effectuer  des  recherches  et  des  enquêtes.  On  tend 
aujourd'hui  à  restreindre  leur  rôle,  sinon  à  les  supprimer 
et  à  utiliser  les  services  des  représentants  de  village  instal- 
lés au  chef-lieu  et  qui  servent  d'intermédiaires  entre  l'auto- 
rité et  les  groupements.  Ils  sont  généralement  bien  plus 
écoutés  que  les  chefs  de  village. 

Abidjan,  tête  de  ligne  du  chemin  de  fer  de  la  Côte 
d'Ivoire  et  des  Hautes-Volta,  est  une  ville  dont  l'impor- 
tance s'accroît  tous  les  jours.  Elle  sera  demain,  à  tous  les 
points  de  vue,  la  capitale  de  la  colonie.  Sa  triple  vie  com- 
merciale, industrielle  et  administrative  a  attiré  de  très 
nombreux  étrangers  et  notamment  plusieurs  centaines  de 
Musulmans  qu'on  peut  diviser  en  quatre  groupes  : 

1°  Le  groupe  haoussa,  originaire  de  la  Northern  Nigeria. 
Ce  sont  à  peu  près  tous  des  commerçants  d'affiliations  di- 
verses, uniquement  absorbés  par  les  soucis  de  leur  négoce. 
Les  plus  notoires  sont  :  a)  Ali  Haoussa,  de  Sokoto,  né  vers 
1875,  tidiani  qui,  par  Assamatou  ('Asmah),  Haoussa  de 
Bouaké,  se  rattache  à  l'almamy  de  Bassam,  Al-Hadji  Abd- 
oullaye;  b)  Alohammadou  Lamin  Haoussa  de  Kano,  né 
vers  1870,  sans  ouird  ;  c)  Mohammadou  Chouar,  du  Bor- 
nou,  né  vers  1870,  tidiani  de  l'obédience  de  l'almamy  de 
Bassam;  d)  Aïssa  Guibrilou  Haoussa,  de  Sokoto,  né  vers 
1880,  disciple  tidiani  de  Assamatou  précité;  e)  Abdou 
Mahama  Haoussa,  de  Kano,  né  vers  i885,  sans  ouird; 
/)  Chérifou  Mohammadou  ibn  Ibrahima  ibn  Souleyman, 
arabo-haoussa  de  Sokoto,  de  teinte  très  claire.  C'est  un 
homme  intelligent,  instruit  et  très  correct  qui,  depuis  un 
demi-siècle,  trafique  dans  toutes  les  colonies  du  golfe  de 
Guinée.  Il  est  arrivé  en  Côte  d'Ivoire  vers  igoS  et  y  a  sé- 
journé et  commercé  dans  les  diverses  escales  de  la  côte  et 
de  la  voie  ferrée.  Il  est  à  Abidjan  depuis  1912.  Il  est  tidiani 


TRACES    d'islam  25 

de  l'obédience  d'un  marabout  célèbre  de  Sokoto,  Abdoul- 
Karimou,  aujourd'hui  décédé.  Cet  Abdoul-Karimou  avait 
reçu  l'ouird  de  Mohammed  Al-Kah,  cheikh  de  la  zaouïa 
tidjanïa  de  La  Mecque  et  disciple  immédiat  du  fondateur  de 
la  voie.  Chérifou  Mohammadou  a  deux  fils  :  l'un,  Ibrahima, 
né  à  Cape  Coast,  vers  1887,  qui  manque  d'instruction  arabe, 
mais  parle  assez  bien  le  français  et  l'écrit  un  peu,  ayant 
fréquenté  un  an  les  cours  d'Aboisso  et  de  Bassam.  C'est  un 
homme  fort  adroit  et  en  déplacement  perpétuel;  l'autre, 
Abou  Bakri,  né  vers  1892  à  Secondée,  tient  actuellement 
une  boutique  à  Cape  Coast  (Gold  Coast). 

2°  Le  groupe  ^ow//o  du  Macina,  tous  qadrïa  comme  il 
convient,  par  la  grâce  des  amirou  foulbé  du  Macina  et  du 
célèbre  Cheikh  Bekkaï,  le  kounti  (f  i865)  (i).  Les  plus  no- 
toires sont  :  a)  Mohammadou  Diallo,  de  Mopti,  disciple  de 
Tierno  Mamadou  Haïdara,  des  Kounta,  de  Moulay  Ha- 
chimi,  des  Kounta  et  du  Cheikh  Bekkaï;  b)  Kolo  Soh,  du 
Farimaké,  disciple  de  Tierno  Mamadou  Sidi,  poullo;  de 
Sidi  Mbadi  et  de  Ba  Tadi  Mahmoudou,  tous  deux  kounta, 
se  rattachent  au  Cheikh  Bekkaï;  c)  Ousman  Hamadou 
Diallo,  du  Macina,  disciple  du  Cheikh  Abdoul  Hamma. 

3""  Le  groupe  toucouleur  du  Fouta  et  de  Nioro,  tous 
tidjanïa,  comme  il  convient,  par  la  grâce  d'Al-Hadj  Omar, 
Les  plus  notoires  sont  :  a)  Maliki  Kane,  Almamy  d'Abid- 
jan. Il  est  né  vers  1876,  dans  le  Bosséa,  a  fait  de  bonnes 
études  à  Dakar  avec  Al-Hadji  Cheikou  Kane  (2),  qui  lui  a 
donné  l'ouird  et  est  venu  s'établir  vers  1908^  à  Abidjan,  où 
il  vit  du  commerce;  b)  Abdoullaye  Mahmoudou,  F'outanké 
du  Damga,  disciple  tidiani  d'Al-Hadj  Omar  Mahmoudou. 

(i)  Sur  le  Cheikh  Bekkaï,  le  Kounti,  ami  de  Barth  et  grand  adversaire  d'Al- 
Hadj  Omar,  cf.  Études  sur  l'islam  et  les  tribus  du  Soudan  :  Les  Kounta, 
par  Paul  Marty,  in  Collection  de  la  Revue  du  Monde  musulman. 

(2)  Sur  Al-Hadji  Cheikou  Kane,  cf.  Études  sur  l'islam  au  Sénégal  :  Les 
personnes.  Ibid. 


20  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Ce  marabout  est  un  des  produits  de  la  propagande  d'un 
missionnaire  marocain,  Chérif  Salimou  Al-Makki,  venu  de 
Fez  il  y  a  quelques  années  et  qui,  par  Chérif  Hosseïn,  se 
rattachait  à  Mohammed  Al-Rali,  cheikh  de  la  zaouïa  tidja- 
nïade  La  Mecque;  c)  Samba  Diallo,  de  Diaba  (FoutaToro), 
disciple  du  même  Chérif  Salimou  ;  d)  Mamadou  Ba,  torodo 
de  Nioro  Sahel,  né  vers  1880,  disciple  tidiani  de  Tafsir 
Ibrahima  et  de  Tafsir  Ali,  de  Técole  de  Dinguiraye; 
e)  Mohammadou  Moussa,  Marka  de  Dia,  né  vers  1980, 
disciple  tidjani  de  Saïdou  Ba,  dioula  toucouleur,  qu'il  a 
rencontré  à  Kassari  (Bouaké).  Mohammadou  est  le  maître 
de  l'école  coranique  d'Abidjan.  Il  a  une  douzaine  d'élèves, 
tous  enfants  des  Musulmans  des  groupes  précités.  Ces 
Toucouleurs  sont  commerçants,  boutiquiers  dans  les  mai- 
sons européennes,  tailleurs,  etc. 

d)  Le  groupe  ouolof,  très  épris  de  sa  religion,  mais  éloi- 
gné de  tout  prosélytisme  et  même  de  toute  manifestation 
exagérée.  Ces  Ouolof  se  trouvent  dans  le  commerce  et  dans 
l'administration,  aux  chantiers,  aux  usines  et  dans  les  bu- 
reaux. Il  n'y  a  guère  à  signaler  que  quelques  individuali- 
tés :  à)  Nfa  Kaba  Diakité,  disciple  et  missionnaire  qadri  de 
Bou  Kounta  (Tivaouane).  C'est  le  moqaddem  des  qadrïa 
d'Abidjan.  On  le  retrouvera  plus  loin,  au  titre  «  Bassam  »; 
b)  Mamadou  Sek,  né  à  Sakal  (Cayor)  vers  1872.  Cet  indi- 
vidu, cultivateur  à  Sébikotane,  où  il  a  sa  femme,  ses  en- 
fants et  sa  mère,  n'a  aucune  instruction.  On  l'a  aperçu 
quelquefois  à  Abidjan,  chez  son  neveu  Ibrahima  Sek,  cor- 
donnier, et  il  s'est  signalé  surtout  par  la  vente  de  placards 
arabes  et  de  chromos  coloriés;  c)  Kali  Ndiaye,  commerçant 
très  lancé  en  affaires,  homme  intelligent,  ouvert  et  distin- 
gué; d)  A  ce  groupe  on  peut  rattacher  Lamin  Touré, 
ouolof  de  Dabou,  commerçant  et  cultivateur,  personnage 
assez  intrigant. 

On  doit  signaler,  dans  le  même  esprit,  des  petits  groupes 
de  Sénégalais,  Soudanais  et  Haoussa  musulmans,  employés 


TRACES    D  ISLAM  27 

du  commerce  et  de  l'administration,  forestiers,  bouti- 
quiers, etc.,  tous  sans  importance,  d'abord  sur  les  rives  de 
la  lagune  :  Dabou,  Sassegni,  Bingerville  (avec  les  villages 
de  Santé  et  d'Agbada),  puis  dans  les  escales  qui,  de  l'em- 
bouchure du  Bendama,  s'échelonnent  jusqu'à  Grand-Bas- 
sam  :  Kraffi,  Adda,  Jacqueville,  Petit-Bassam,  Abreby.  Un 
seul  marabout  mérite  une  mention  :  Karamoko  Bamba,  de 
la  grande  famille  malinké  des  Bamba,  qu'on  verra  plus 
tard.  Il  est  originaire  de  Kaniméni  (Mankono).  Longtemps 
tailleur  à  Dimbokro,  il  est  aujourd'hui  commerçant  à 
Dabou  :  c'est  un  homme  zélé  pour  l'islam 

On  trouve  deux  mosquées  dans  le  cercle  des^lagunes  : 
l'une  à  Bingerville  —  débarcadère  :  elle  est  l'œuvre  de  deux 
notables  ouolofs,  Mamadou  Samba,  maître-maçon  aux 
Travaux  publics,  et  SaërNdiaye,  boucher;  l'autre  à  Abid- 
jan-Koundi  :  elle  est  l'œuvre  collective  des  petits  commer- 
çants toucouleurs  et  ouolofs  qui,  après  entente,  ont  obtenu 
une  concession  au  nom  de  l'un  d'eux  et  y  ont  édifié  une 
grande  case,  sans  cachet,  en  pierres,  planches  et  tôle  on- 
dulée. Les  autres  centres  n'ont  qu'un  «  maqam,  simple 
lieu  de  prière,  petit  fer  à  cheval  sablonneux  entouré  de 
piquets,  de  caisses,  de  cailloux,  et  rappelant  les  oratoires 
du  même  genre  du  Sénégal. 

Comme  on  le  voit,  la  basse  forêt  qui  ici  descend  jusqu'à 
la  lagune  et  jusqu'à  la  mer  même,  ne  recèle  aucune  trace 
d'islam  local.  Cependant,  ces  fétichistes  endurcis  se  lais- 
saient séduire,  en  mai  1909,  par  un  dioula  musulman  de_ 
passage,  qui  pensait  réaliser  de  fructueuses  affaires  à  la 
faveur  du  désordre.  Sa  propagande  hostile  cristallisait  les 
sentiments  de  résistance  des  populations  attié.  Elles  s'in- 
surgeaient, assassinaient  le  commis  Gourgas  en  tournée  et 
assiégeaient  Adzopé,  son  poste.  Dans  l'excitation  générale, 
la  xénophobie  prit  tous  ses  droits,  et  le  dioula  musulman 
et  étranger  ne  tarda  pas  à  être  lui-même  assassiné.  L'ordre 
fut  facilement  rétabli. 


28  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

5.  Grand-Dassam.  —  Dans  le  cercle  du  Grand-Bassam^ 
enchaîné  dans  le  cercle  des  Lagunes,  l'islam  est  représenté 
par  25o  à  3oo  indigènes  sénégalais  (Ouolof,  Toucouleurs, 
SarakoUé),  tous  employés  du  commerce  et  de  l'Administra- 
tion, et  par  quelque  Mandé  dioula,  amenés  ici  par  leur  com- 
merce. Le  grande  majorité  de  cette  population  urbaine,  où 
l'on  trouve  des  ApoUoniens,  des  Fanti,  des  Agni,  des  Sie- 
namana,  et  surtout  des  représentants  de  toutes  les  peu- 
plades lacunaires  de  la  basse  côte,  se  partage  entre  un  féti- 
chisme sur  son  déclin,  et  un  christianisme  aux  formes 
diverses,  et  tout  à  fait  en  vogue. 

Les  personnalités  islamiques  les  plus  notoires  sont  : 
1°  Al-Hadji  Abdoullaye  Dieng,  toucouleur,  né  vers  i85o  à 
Diaba  (DIorbivol),  almamy  de  la  mosquée  de  Grand-Bas- 
sam.  Maître  autrefois  d'une  école  florissante,  Al-Hadji  usé, 
et  presque  aveugle,  a  dû  la  fermer.  Il  donne  encore  de  ci 
de  là  quelques  leçons  de  grammaire  et  d'exégèse  coranique. 
C'est  un  cheikh  tidiani,  sympathique,  mais  qui  ne  paye  nul- 
lement de  mine,  et  dont  on  est  tout  surpris  de  rencontrer 
les  disciples,  assez  nombreux,  dans  le  haut  pays.  Il  a  reçu 
l'ouird  et  les  pouvoirs  de  consécrateur  de  Mohammed  Al- 
Arabi,  cheikh  de  la  zaouïa  de  Fez  en  1894,  à  son  retour 
de  La  Mecque.  Par  lui  et  par  son  maître  Al-Hadj  Abd  El- 
Ouahhâb,  il  se  rattache,  directement  au  fondateur  de  la  voie; 
2"  Al-Hadji  Yaqouba,  né  vers  1880,  sarakoUé  de  Somankidi 
(près  Kayes).  Il  réside  au  village  d'Impériale  (quartier  de 
Bassam)  et  y  fait  l'école  coranique  à  26  élèves,  fils  de  Sara- 
koUé, Toucouleurs,  Ouolof,  Dioula.  Aucun  enfant  du  pays 
n'y  fréquente.  Il  est  cheikh  qadri,  par  la  grâce  d'Ibrahima 
Ndiaye,  de  Sonankidi,  et  par  lui  et  par  Chekou  Mamadou 
Doukouré,  de  même  extraction,  se  rattache  à  la  voie  du 
Cheikh  Sidia.  Al-Hadji  est  un  personnage  sympathique  et 
instruit  et  qui  est  destiné,  à  la  mort  d'Al-Hadji  Abdoul- 
laye, à  tenir  la  première  place  dans  la  société  islamique  de 
Bassam.  Il  est  l'almamy  de  la  mosquée  d'Impériale  et  juge 


TRACES    D  ISLAM  29 

au  Tribunal  de  subdivision  ;  3°  Moussa  Diop,  khassonké  de 
Médine,  cultivateur  au  village  d'Impériale,  assesseur  au 
Tribunal  de  cercle.  Il  est  qadri  de  l'obédience  de  Bou 
Kounta  de  Tivaouane  (Sénégal)  ;  4°  Mbaké  Ndiaye,  ouolof 
de  Koolak,  commerçant  et  charpentier  dans  une  maison 
de  commerce,  assesseur  au  Tribunal  de  cercle.  Il  est  ins- 
tallé ici  depuis  191 3,  et  relève  de  l'obédience  tidianïa  d'AI- 
Hadj  Malik  de  Tivaouane  ;  5"  SoriTaraoré,  bambara,  culti- 
vateur, juge  au  Tribunal  de  subdivision,  disciple  qadri  des 
Bou  Kounta  ;  ô**  Mamadou  Beng,  ouolof,  employé  au  Wharf, 
juge  au  Tribunal  de  subdivision ,  sans  affiliation  ;  7°  Lamin 
Touré,  d'origine  sarakollé,  devenu  ouolof  avec  le  temps, 
commerçant,  disciple  tidiani  d'Al-Hadj  Malik. 

Comme  on  le  voit,  ces  Sénégalais  ont  apporté  ici  leurs 
mœurs,  leurs  coutumes  et  leurs  affiliations  du  pays  natal. 
Ce  sont  leurs  réclamations  qui  ont  attiré  l'attention  du 
Gouvernement  sur  «  ces  îlots  de  civilisation  plus  avancée  » 
et  leur  ont  valu,  dans  la  charte  judiciaire  indigène  de  1912, 
des  Chambres  musulmanes  spéciales  dans  les  tribunaux 
locaux.  Plusieurs  d'entre  eux  sont  devenus,  avec  la  loi 
Diagne  de  1917,  des  citoyens  français,  mais  pas  plus  que 
leurs  congénères  restés  au  Sénégal,  ils  n'ont  cherché  à 
jouir  du  bénéfice  de  la  loi,  et  continuent  à  relever  des  tri- 
bunaux indigènes.  II  faut  reconnaître  qu'ici  l'administra- 
tion a  tout  de  même  fait  un  effort,  en  supprimant  au  moins 
tout  citoyen  français  dans  la  composition  du  tribunal  in- 
digène. 

Il  y  a  fort  peu  de  Syriens  en  Côte  d'Ivoire.  On  n'en  si- 
gnale que  deux  à  Bassam  :  l'un,  Mansour,  d'ailleurs  catho- 
lique, ou  soi-disant  tel,  est  chef  d'une  grande  maison  de 
commerce;  l'autre  Mohammed  Bourji,  est  un  musulman 
de  Beyrouth,  qui  a  eu,  pendant  la  guerre,  des  démêlés 
avec  l'autorité  anglaise  de  Lagos,  où  il  était  établi.  Il  assure 
qu'on  l'a  tracassé  parce  qu'il  se  réclamait  des  Français,  ce 
qui  est  tout  à   fait  invraisemblable.  Il  est  disciple  qadri 


3o  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

d'un  cheikh  égyptien  et  parent  de  Chérif  Ali,  de  Bouaké. 
Il  essaye  actuellement  de  se  créer  une  situation  commer- 
ciale à  Bassam.  Il  paraît  inoffensif. 

Deux  Orientaux,  commerçants  importants  de  Bassam, 
sont  allés  s'établir  en  Nigeria  en  1916  :  Abbas  Ali  Farsi, 
né  vers  1 865,  et  son  fils  Ali,  né  vers  1889.  Ce  sont  de  grands 
voyageurs.  Arabes  d'origine,  ils  ont  quitté  La  Mecque 
vers  1895  et  ont  fait  en  commerçant,  tels  les  héros  de  Sin- 
debad  et  des  Mille  et  une  nuits  tout  le  tour  de  l'Afrique. 
Le  6  janvier  1912,  ils  devenaient  par  naturalisation  sujets 
anglais  des  Etats  de  l'Union  du  Sud  africain.  A  la  fin  de 
cette  même  année,  ils  débarquaient  en  Côted'Ivoire,  munis 
d'ailleurs  de  passeports  réguliers.  Ils  s'installaient  au  village 
de  France,  chez  Ma  Samba  Guèye.  Pris  au  début  pour  de 
grands  marabouts,  ils  furent  consultés  avec  déférence  par 
certains  musulmans,  mais  refusèrent  tout  conseil  et  se 
tinrent  uniquement  sur  le  terrain  commercial.  Abbas,  qui 
se  dit  très  riche,  prouva  qu'il  avait  des  dépôts  d'argent  en 
banque  à  La  Mecque,  au  Caire,  à  Constantinople  et  à  Cape 
Town.  Ce  sont  des  gens  intelligents,  parlant  très  bien 
l'arabe,  le  turc,  l'hindouslani  et  l'anglais. 

Grand  Bassam  compte  deux  mosquées  :  la  première  est 
dans  la  ville  française  même  ;  elle  n'est  autre  qu'une  maison 
ordinaire  de  briques,  de  planches  et  de  tôles;  elle  a  été  bâtie 
en  I9i8-i9i9par  les  Sénégalais  de  la  ville,  après  des  con- 
ciliabules qui  durèrent  plusieurs  années.  On  finit  par  s'en- 
tendre et  elle  fut  édifiée  avec  les  dons  de  tous  sur  le  lot 
n"  ii3  du  plan  cadastral  de  Bassam,  que  son  propriétaire, 
le  notable  ouolof  Hassan  Diop,  concéda  gracieusement.  La 
seconde  mosquée  est  au  village  d'Impériale;  elle  a  été  bâtie 
dans  les  mêmes  conditions,  en  191 3,  sur  la  propagande  de 
Nfa  Kaba  Diakité,  dit  Kaba,  sarakoUé  ouolofisé,  mission- 
naire qadri  de  Bou  Kounta.  Cet  indigène  zélé  réussit  à 
échauffer  la  bonne  volonté  des  Sénégalais,  à  qui  la  prière 
individuelle  devant   leurs  cases  avait  suffi  jusque-là,  et  à 


Abbas  Ali  Farsi. 
(Bassam.) 


TRACES    d'islam  3i 

ramasser  le  capital  et  la  main-d'œuvre  qui  permirent  d'édi- 
fier la  mosquée.  C'est  à  Nia  qu'on  doit  la  plupart  des  affi- 
liations qadrïa,  signalées  plus  haut.  Il  est  aujurd'hui  à 
Abidjan.  Les  autres  faubourgs  de  Bassam,  France,  Petit 
Paris,  Azuretti,  quoique  renfermant  quelques  habitants 
musulmans,  n'ont  pas  de  mosquée. 

Le  Grand  cheikh  sénégalais,  Al-Hadj  Malik,  a  aussi  ses 
missionnaires,  qui  visitent  annuellement  ses  adeptes  tidia- 
nïaet  font  quelques  quêtes,  soit  pour  lazaouïa  deTivaouane, 
soit  pour  la  métropole  de  Fez.  Le  plus  notoire  d'entre  eux 
est  Seri  Kane,  toucouleur  de  Dierbivol,  né  vers  1877.  De 
chez  son  hôte,  l'almamy  Al-Hadji  Abdoullaye,  où  il  établit 
son  quartier  général,  il  rayonne  dans  les  groupements  sé- 
négalais de  la  Côte,  faisant  un  peu  de  commerce  à  l'occa- 
sion, donnant  quelques  leçons  coraniques,  quelques  con- 
sultations juridiques  ou  théologiques  et  distribuant  des  af- 
filiations tidiania.  Un  autre,  Samba  Diop,  ouolof,  y  est 
venu  aussi,  malgré  l'opposition  des  autorités  de  Binger- 
ville  et  de  Dakar,  qui  n'aiment  guère  voir  circuler  de 
groupe  en  groupe  ces  agents  de  liaison  et  quêteurs  éhontés, 
auxquels  on  n'ose  pas  résister  et  qui  sont  souvent  des  véri- 
tables maîtres-chanteurs. 

On  trouve  quelques  ouvrages  arabes  a  Bassam,  surtout 
des  Coran  et  des  Dalaïl  al-Khaïrat  ;  ils  se  répandent  de  là 
chez  les  musulmans  d'Abidjan,  d'Aboisso  ou  de  Bouaké. 
Ils  sont  importés  à  peu  près  tous  soit  par  les  Marocains 
Hadj  Mohammed  ben  Djelloun  et  Bennouna,  de  Dakar, 
soit  par  le  sujet  anglais  Hadj  Ali  de  Lagos. 

6.  Cercle  cVAssinie.  —  Le  cercle  d'Assinie,  chef-lieu 
Aboisso,  clôt  la  zone  maritime  de  la  Côte  d'Ivoire.  Une 
♦  frontière  artificielle  de  100  kilomètres,  que  prolonge  le 
cours  de  la  basse  Tanoé,  le  sépare  de  la  Gold  Coast.  Il  est 
constitué  par  les  anciens  Royaumes  d'Assinie  et  duSanwi, 
et  peuplé  surtout  par  des  Agni  (branche  Afema)  et  aussi  par 


32  ÉTUDES    SUR    l'iSI.AM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

des  Abouré,  et  des  Apolloniens  ou  Zéma,  les  unes  et  les 
autres  fétichistes,  mais  évoluant  manifestement  vers  le 
christianisme. 

La  race  agni,  ici  comme  dans  la  forêt  supérieure,  est 
absolument  rebelle  à  l'islam;  il  est  impossible  d'en  discer- 
ner la  moindre  infiltration,  malgré  la  présence  de  nom- 
breux dioula.  On  perçoit  même  chez  ces  païens  comme  un 
sentiment  d'hostilité  à  l'égard  de  la  religion  du  Prophète. 
Le  chef  le  plus  en  vue  de'  ce  groupement  est  Aka  Bosson, 
chef  du  canton  dit  «  d'e  la  route  des  Caravanes  ».  Aka 
Bosson,  qui  habite  Ayamé,  est  né  vers  1 88 1.  Son  père,  Aka 
Brimbi,  jadis  chef  de  canton,  s'est  réfugié  en  Gold  Coast, 
lors  des  opérations  du  recrutement  (igiS).  Il  eut  pour  suc- 
cesseur Efouan  Kan,  qui  ne  tarda  pas  à  démissionner,  et 
fut  remplacé  (1917),  sur  la  désignation  dé  tous  les  chefs  de 
village  de  la  route  des  Caravanes-,  par  Aka  Bosson.  C'est  un 
homme  intelligent  qui  possède  une  cacaoyère  d'un  millier 
de  pieds.  Ce  canton  de  2.125  Agni  est  traversé  par  le  long 
couloir  de  la  rivière  Bia  et  par  la  grande  route  commer- 
ciale qui  descend  de  Bondoukou  et  par  Assikasso,  Aben- 
gourou  et  Zaranou,  atteint  Aboisso,  la  lagune  Aby  et  la 
rade  d'Assinie.  C'est  le  seul  canton,  à  part  les  villes,  qui 
connaisse  les-  mulsulmans,  sous  la  forme  de  dioulas  colpor- 
teurs, et  c'est  aussi  celui  où  Ton  trouve,  la  moins  déguisée, 
l'hostilité  à  l'islam. 

L'influence  chrétienne  gagne  en  revanche  du  terrain,  soit 
sous  la  forme  catholique  (missions  florissantes  d'Aboisso 
et  d'Assinie),  soit  sous  la  forme  protestante,  et  plus  spé- 
cialement wesléyenne  et  harriste.  En  cette  région  frontière 
plus  encore  qu'ailleurs-^  catholicisme  signifie  influence 
française  et  protestantisme  influence  [^anglaise.  Quoi  qu'il 
en  soit,  les  progrès  du^  christianisme,  qui  seront  complets 
dans  une  génération,  soustraient  définitivement  cette  région 
àl'islam. 

Ce  n'est  pas  le  lieu  de  s'étendre  ici  sur  le  fétichisme  des 


TRACES   d'islam  53 

Agni  et  autres  animistes  de  la  région.  Il  revêt  le  double 
caractère  de  culte  public  avec  ses  arbres  et  ses  cases-fé- 
tiches, et  ses  prêtres,  à  la  fois  sorciers,  devins  et  mires,  et 
de  culte  privé,  ou  plutôt  familial,  avec  ses  dieux  lares  de 
bois  ou  de  terre.  Il  s'accompagne  de  rites  pour  les  diverses 
circonstances  de  la  vie,  et  notamment  de  cérémonies 
agraires,  aux  différents  moments  de  la  plantation,  de  l'essor 
de  la  maturité  et  de  la  récolte  des  produits.  On  frotte,  par 
exemple,  le  fétiche  familial  avec  des  œufs,  au  moment  des 
semailles  ou  des  plantations  ;  par  la  suite  et  pour  assurer 
une  belle  venue  des  récoltes,  on  procède  à  des  sacrifices  de 
moutons  et  de  poulets. 

La  religion  musulmane  est  représentée  dans  cette  région 
par  des  éléments  immigrés,  au  nombre  de  trois:  i"  L'élé- 
ment achanti  de  Gold  Coast,  jadis  assez  nombreux,  au 
moment  des  hauts  prix  de  caoutchouc,  et  qui  ne  comprend 
plus  que  5  à  600  membres,  dont  quelques-uns  seulement 
sont  musulmans  et  dont  aucun  ne  mérite  une  mention 
spéciale;  2"  L'élément  mandé-dioula,  venu  du  Nord  soit 
français,  soit  anglais,  par  la  grand'route  caravanière  avec 
les  produits  soudanais  et  sylvestres.  Ces  étrangers  sont  ins- 
tallés soit  dans  les  gros  villages  de  la  routecomme  traitants, 
soit  en  équipes  de  quelques  dizaines  d'hommes  dans  des 
chantiers  de  bois.  Ils  coupent  des  billes  d'acajou,  au  compte 
des  Compagnies  forestières,  et  les  traînent  au  prochain  ma- 
rigot. Ils  vivent  fort  isolés  et  n'entretiennent  que  peu  de 
relations  avec  les  Agni  voisins.  Un  seul  nom  mérite  une 
mention,  Al-Hadji  Haïdara^,  de  lointaine  origine  sonraï, 
né  à  Koutiala  vers  1866.  C'est  un  modeste  tailleur  complè- 
tenient  illettré,  qui  n'a  guère  de  musulman  que  sa  dignité 
de  chérif  et  qui  au  surplus  n'en  saurait  donner  la  moindre 
preuve  :  il  n'a  aucune  connaissance  de  sa  généalogie.  Il 
paraît  être  un  fils  de  captif  de  Maure,  et  c'est  ce  qui  expli- 
querait ses  prétentions  au  chérifat;  3°  L'élément  sénégalais, 
le  seul  où  l'on  compte  vraiment  quelques  musulmans  de 

3 


34.  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    GÔTE    D'iVOIRE 

marque,  qui  n'ont  d'aillears  rien  de  maraboutique.  Les 
plus  notoires  de  ces  Sénégalais,  qui  sont  tous  ouvriers  d'art, 
traitants.,  employés  du  commerce  ou  de  rAdministration, 
sont  :  i*»  Samba  Guèye,  toucouleur  de  Matam,  né  vers  1874, 
fils  et  élève  de  Bou  Bakar  Mahmoudou.  Il  possède  deux 
boutiques  à  Aboisso  et  à  Bondoukou.  Il  a  créé  aux  envi- 
rons d'Aboisso  une  cacaoyère  assezbien  aménagée.  Cet  an- 
cien maître  d'hôtel  du  gouverneur  du  Sénégal  débarqua 
ici,  le  i5  mai  1896,  dans  les  bagages  du  gouverneur  Mou- 
tet.  Intelligent,  honnête,  déférent,  il  a  toujours  fait  preuve 
de  beaucoup  de  loyalisme.  En  février  1902,  il  retirait  de  la 
rivière  Noé  un  commerçant  qui  allait  s'y  noyer  sans  son 
intervention.  Cette  attitude  courageuse  lui  a  valu  une  mé- 
daille d'honneur.  Il  parleet  écrit  le  français  et  comme  tout 
Toucouleur  relève  du  tidianismeomari  ;  2°  Demba  Samba, 
toucouleur,  né  à  Matam  vers  1862,  élève  et  disciple  d'Ab- 
doullaye  Gueyane,  cheikh  tidiani.  Arrivé  à  la  Côte  d'Ivoire 
en  1898:,  en  qualité  de  mécanicien  à  bord  de  l'aviso 
Ardent^  Demba  Samba  y  est  resté  et  s'est  consacré  par 
la  suite  au  commerce.  II  a  une  boutique  à  Aboisso  et  une 
autre  à  Bondoukou,  et  va  de  l'une  à  l'autre,  suivant  les 
saisons.  Il  a  une  cacaoyère  à  Aboisso.  C'est  un  homme 
paisible,  parlant  bien  le  français  ;  3"  Alioun  Sow,  ouolof, 
né  à  Saint-Louis  1878,  fils  et  disciple  de  Amoudou  Racine 
Sow.  Il  est  en  Côte  d'Ivoire  depuis  1900,  et  à  Aboisso 
depuis  1902.  Commerçant  patenté  et  cultivateur  de  cacao, 
il  est  plus  instruit  en  français  qu'en  arabe.  Il  jouit  de  l'es- 
time générale;  4"  Al-Hadji  Abdoullaye  Demba,  toucouleur 
ébyabé,  né  à  Diabia(Diorbivol)  vers  1864.  Installé  à  Aboisso 
avec  boutique  et  cacaoyère,  il  rayonne  dans  la  basse  Côte 
d'Ivoire.  Il  a  une  boutique  à  Grand-Bassam,  une  autre  à 
Dimbokro,  qui  fut  tenue  par  son  frère  Al-Hadji  Amedin, 
qui  y  mourut  vers  19 12.  Il  fait  l'école  à  ses  propres  enfants  ; 
quelques  enfants  voisins,  fils  de  ses  compatriotes,  se  joi- 
gnent   quelquefois  aux  siens.  C'est  un   homme   simple  et 


TRACES    d'islam  35' 

cultivé,  parfaitement  irréprochable.  Il  a  fait  le  pèlerinage 
par  la  mer  avec  son  frère,  il  y  a  plus  de  20  ans,  et  n'en  a 
conservé  aucun  souvenir. 

Quelquefois  on  voit  passer  dans  ces  pays  de  frontière  des. 
marabouts  étrangers,  quêteurs  et  prédicateurs,  soit  d'ori- 
gine soudanaise  (mandé,  bobo,  et  même  maure),  soit  d'ori- 
gine haoussa.  Ils  sont  à  surveiller,  et  même  à  renvoyer, 
s'ils  n'ont  pas  de  moyens  d'existence,  car  ils  ne  cherchent 
qu'à  pêcher  en  eau  trouble. 

Aboisso  est  pourvue  d'une  petite  mosquée,  construite- 
en  1912  par  les  quelques  musulmans  précités  et  par  leurs 
compatriotes.  C'est  une  grande  bâtisse  en  pierres,  de 
i5  mètres  de  longueur  sur  10  m.  5o  de  largeur.  La  façade  est 
décorée  d'un  minaret.  C'est  Ibrahima  Samba  qui  en  est  l'ai- 
mamy.  Les  fidèles  qui  la  fréquentent  le  font  sans  osten- 
tionet  passent  inaperçus  dans  un  pays  aussi  complètement 
fétichiste  ou  christianisé. 

Assinie  n'a  pas  de  mosquée. 


LIVRE  II 

LA  ZONE  SYLVESTRE 


CHAPITRE   PREMIER 


LA  PHYSIONOMIE  MORALE  DES  TRIBUS  DE  LA  FORET 


I.  Croyances  et  rites  animistes.  —  Les  peuplades  de 
la  foret  sont  fétichistes  ;  leurs  croyances  et  pratiques  ne  dif- 
fèrent pas  sensiblement  d'une  tribu  à  l'autre. 

On  admet  généralement  l'existence  d'un  être  suprême, 
«  Niamia  Pri  »,  qui  domine  toutes  les  affaires  humaines, 
mais  de  si  loin  et  de  si  haut  qu'il  n'y  intervient  jamais,  ni 
en  bien  ni  en  mal.  Cette  vague  et  lointaine  divinité  est  ra- 
rement invoquée  ;  on  se  borne  à  lui  offrir  de  temps  en 
temps,  et  sans  cause  bien  définie,  quelques  petits  sacrifices 
peu  coûteux.  Le  véritable  maître  spirituel,  de  l'indigène, 
maître  craint,  bien  traité,  bien  nourri,  est  le  fétiche. 

Chaque  village  a  son  grand  fétiche,  le  «  Membo  »,  que 
fait  parler  le  féticheur,  suivant  les  cadeaux  qu'il  reçoit. 

Chaque  famille  a  également  le  sien  ;  elle  le  tient  généra- 
lement de  son  plus  lointain  ancêtre,  et  chaque  chef  de  fa 
mille  le  transmet  à  son  successeur,  en  lui  divulguant  les 
rites  spéciaux  sous  lesquels  il  aime  à  être  adoré.  Toutefois 
ce  fétiche  lui-même  n'est  ni  omnipotent,  ni  éternel  :   qu'il 


38  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

n'exauce  pas  les  vœux,  qu'il  ne  détourne  pas  le  malheur, 
il  est  déclassé  et  remplacé  par  un  autre  ;  ainsi  en  usent  ces 
paysans  calabrais  qui  frappent  et  insultent  l'effigie  du 
saint  récalcitrant. 

On  fait  des  cadeaux  au  fétiche,  surtout  des  œufs,  que 
mangent  les  civettes.,: mangoustes  et  serpents. 

Certains  fétiches,  particulièrement  puissants  et  redou- 
tés, exigent  du  sang  humain,  et  il  v  a  peu  de  temps  encore 
l'usage  des  sacrifices  humains  était  courant  chez  les  chefs 
importants,  lors  de  certaines  circonstances  solennelles. 

A  l'heure  actuelle  encore,  chaque  fois  qu'une  tribu  s'est 
insurgée  contre  notre  autorité,  c'est  par  des  sacrifices  hu- 
mains qu'elle  a  donné  le  signal  de  la  révolte.  On  peut  dire 
pourtant  que  partout  où  notre  administration  peut  se  faire 
sentir,  ils  ont  pratiquement  disparu.  Les  sacrifices  de 
bœufs  et  de  chèvres  sont  toujours  en  honneur. 

Le  fétiche  c'est  n'importe  quoi  :  une  statue  grossière  de 
bois,  mais  le  plus  souvent  la  chose  la  plus  inattendue  :  un 
vase,  un  débris  de  poterie  ou  de  bois  ou  de  fer,  un  canon 
de  fusil,  un  ustensile  quelconque,  un  arbre.  Il  n'a  de  va- 
leur que  celle  que  lui  attribue  celui  qui  l'a  déclaré  fétiche 
et  pour  lui  seulement. 

Le  véritable  maître  de  la  société  indigène  est  le  sorcier- 
féticheur.  Il  n'est  pas  seulement  l'organe  par  lequel  parle 
le  Membo  du  village,  c'est  aussi  l'auxiliaire  de  la  justice  et 
le  guérisseur.  Par  tempérament,  il  est  observateur  et  astu- 
cieux. Il  est  toujours  le  mieux  renseigné  du  village,  et  s'il 
est  honnête,  il  fait  dire  la  vérité  au  fétiche  et  condamner 
les  coupables.  Il  prépare  les  fétiches  ou  boissons  que  l'on 
fait  prendre,  au  tribunal  de  village,  aux  plaignants,  aux 
témoins  et  aux  prévenus.  De  reff"et  produit  par  ces  bois- 
sons, parfois  vénéneuses  et  mortelles,  on  conclut  à  la  cul- 
pabilité ou  à  l'innocence  de  l'accusé.  On  comprend  combien 
dans  ces- cas  est  prépondérante  l'action  du  féticheur. 

L'expression  très  employée  de  «  prendre  le  fétiche  »  si- 


PHYSIONOMIE    MORALE    DES   TRIBUS    DE    LA    FORET  Sç 

gnifie  aussi  «  prêter  serment  »,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de 
rien  absorber.  On  prête  alors  serment  sur  un  fétiche  qui 
tuera  le  coupable  parjure.  Souvent  même,  on  touche  du 
doigt  la  terre,  puis  le  bord  de  la  langue,  en  disant:  «  Que 
cette  terre  m'empoisonne,  si  je  mens,  »  et  on  lève  la  main.  Il 
ne  faut  pas  trop  s'illusionner  sur  la  valeur  de  tous  ces  ser- 
ments. 

Tel  est  le  rôle  du  sorcier  dans  ses  beaux  jours  ou  le  rôle 
du  «  bon  sorcier».  Mais  à  côté,  il  y  a  ceux,  prêtres  du  mal, 
qui  sont  voués  à  des  œuvres  néfastes.  C'est  parmi  eux  qu'on 
trouve  les  auteurs  de  crimes  rituels,  d'empoisonnements, 
d'envoùtem.ents,  d'ordalies  sanglantes  qui  foisonnent  dans 
la  société  indigène. 

En  1918,  dans  le  haut  Cavally,  quatre  sorciers  couverts 
de  peaux  de  singe  à  long  poil  attaquent,  au  détour  du  sen- 
tier, un  indigène  inoffensif.  Ils  s'acharnent  après  lui,  lui 
déchirent  avec  leurs  ongles  et  leurs  dents  la  figure,  la  poi- 
trine, les  bras,  lui  arrachent  les  oreilles,  lui  coupent  la 
verge.  Ils  veulent  «  manger  de  la  viande»,  et  garder  les  dé- 
bris pour  leurs  filtres  et  talismans.  Ils  expliqueront  en  jus- 
tice qu'ils  faisaient  nuitamment  tam-tam  dans  une  de  leurs 
cases,  sans  que  personne  pût  les  entendre.  A  quelle  séance 
de  magie  noire  pouvaient-ils  se  livrer? 

Qu'on  ne  croie  pas  d'ailleurs  que  ces  primitifs  soient 
inaccessibles  à  tout  sentiment.  La  crainte  du  châtiment  les 
retient  souvent.  L'un  d'eux,  poursuivi  pour  meurtres, 
avouait  de  lui-même  :  «  J'ai  tué  un  homme,  il  y  a  quatre 
ans.  J'en  avais  attaqué  un  autre,  mais  il  avait  un  bon  gri- 
gri. Il  m'a  saisi  par  la  main  et  blessé  gravement,  et  depuis 
«  je  n'ai  plus  fait  diable  »,  ni  blessé  personne.  »  (dé- 
cembre 1917).  Ainsi  leur  passion  exacerbée  est  pour  eux  «le 
diable  ».  On  ne  résiste  pas  quand  on  est  <k  possédé  »  par  le 
diable  et  on  est  irresponsable.  Cette  conscience  se  mani- 
feste même  après  coup  et  devant  l'appareil  judiciaire.  On 
en  voit  rire  aux  éclats,  si  un  témoin  rapporte  un  fait  ma- 


40  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

cabre  (cuisson  de  la  victime,  etc.).  Ils  ne  paraissent  pas  jouir 
de  toutes  leurs  facultés,  ou  en  tout  cas  n'en  jouissent  pas 
comme  nous.  C'est  ici  vraiment  qu'on  saisit  sur  le  vifcette 
mentalité  spéciale  des  primitifs  que  l'école  de  Durkheim 
appelle  la  mentalité  «prélogique  ». 

Si  les  sorciers  sont  féroces,  féroces  au  point  qu'on  voit 
des  mères  sacrifier  leurs  enfants,  la  foule  le  leur  rend  bien 
à  l'occasion  ;  quand  l'un  d'eux  est  convaincu  d'un  crime  ri- 
tuel, il  n'est  pas  de  supplice  que  la  vindicte  publique  ne  lui 
inflige. 

2.  Impressionnabilité  religieuse.  —  L'extrême  im- 
pressionnabilité  religieuse,  déjà  signalée  chez  les  popula- 
tions de  la  côte,  se  retrouve  chez  les  peuplades  de  la  forêt. 
On  a  pu  constater,  ces  dernières  années,  des  faits  religieux 
de  nature  à  transformer  en  une  génération  la  physionomie 
spirituelle  de  la  région. 

En  191 8,  le  pays  baoulé  fut  parcouru  en  tous  sens  par 
des  émissaires,  d'origine  inconnue,  propageant  l'ordre  di- 
vin suivant  :  «  Tuer  ou  vendre  tous  les  animaux  domesti- 
ques de  couleur  noire  ;  détruire  toutes  les  plantations 
d'ignames  noirs  {n^an  en  baoulé).  Ces  émissaires  insaisis- 
sables menaçaient  de  mort  tous  ceux  qui  n'obéiraient  pasà 
la  parole  divine.  Malgré  tous  les  avertissements  des  auto- 
rités, la  population  obéit  si  bien  et  clandestinement  que  le 
cheptel  fut,  en  peu  de  temps,  réduit  d'un  tiers  et  que  la  dé- 
vastation des  champs  d'ignames  noirs  entraîna  pour  une 
bonne  part,  dans  les  années  1918  et  1919,  assez  sèches  de 
par  ailleurs,  deux  terribles  disettes.  Des  troupeaux  entiers 
de  porcins,  le  seul  bétail,  ou  tout  au  moins  le  principal  bé- 
tail de  certains  cantons,  disparurent.  Les  hommes  étaient 
à  la  rigueur  autorisés  à  manger  les  ignames  noirs,  mais  à 
condition  que  ce  fût  dans  la  brousse  et  hors  de  tout  regard. 
Cette  autorisation  était  refusée  aux  femmes,  et  elle  s'aggra- 
vait de  la  prescription  des  gombos  verts  et  des  arachides. 


PHYSIONOMIE    MORALE    DES   TRIBUS    DE    LA    FORET  4I 

Lesfemmes  étaient  ointes  d'une  sorte  de  corps  gras,  qui  de- 
vait les  faire  périr,  si  elles  n'obéissaient  pas  aux  injonctions 
divines.  Certains  hommes  qui  ne  s'exécutèrent  pas  assez 
rapidement  se  virent  condamnés  à  une  amende  de  sept  tas 
d'or,  d'un  bœuf  rouge  et  d'un  bœuf  blanc. 

L'autorité  finit  par  s'émouvoir,  surtout  quand  le  bruit  se 
répandit  que  les  mesures  nouvelles  annonçaient  le  départ 
des  blancs.  Des  recherches  actives  permirent  la  découverte 
et  l'arrestation  de  certains  coupables.  Ils  donnèrent  de  fort 
vagues  justifications  :  les  uns  obéissaient  à  des  chefs  féti- 
cheurs;  les  autres  se  croyaient  inspirés  de  Dieu  ;  d'autres 
enfin  dirent  avoir  agi  par  vengeance.  Quoi  qu'il  en  soit,  on 
reste  confondu  que  ces  populations  primitives  aient  sacrifié 
sans  résistance  et  le  plus  facilement  du  monde  les  richesses 
vivrières  et  les  troupeaux,  auxquels  elles  attachent  tant  de 
prix  et  cela  sur  les  simples  déclarations  d'inconnus,  qui  leur 
disaient  que  tel  était  l'ordre  divin. 

Les  fétiches  sur  la  côte,  les  richesses  alimentaires  dans 
la  forêt,  tout  le  patrimoine  moral  et  matériel  de  ces  peuples 
perdait  toute  valeur  à  leurs  yeux,  à  la  simple  injonction 
d'inconnus. 

Il  faut  constater  là  un  état  d'esprit  extrêmement  impres- 
sionnable et  qui  réserve  des  surprises.  Les  tribus  de  la  fo- 
rêt, encadrées  au  nord  par  des  populations  en  partie  isla- 
miques, au  sud  par  des  populations  en  partie,  et  bientôt 
toutes  chrétiennes,  sont  mûres  pour  l'une  ou  l'une  de  ces 
religions,  et  sans  doute  suivant  les  méthodes  et  l'activité  des 
missionnaires  et  des  marabouts,  pour  l'une  et  pour 
l'autre. 

On  peut  encore  donner  comme  preuve  de  cettesensibilité 
les  quelques  conversions  à  l'Islam,  eff"ecluées  bien  malgré 
eux  et  par  le  seul  exemple  de  leurs  gestes  cultuels,  à  Daloa 
(Haut  Sassandra)  par  des  détenus  politiques  musulmans  ; 
et  enfin  la  docilité  avec  laquelle  certaines  tribus  de  la 
frange  méridionale  de  la  forêt  accourent  à  l'appel  desclarks 


42  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    CQTE   D  IVOIRE 

harristes  et,  tout  comme  leurs  voisins  des  lagunes  et  la  côte 
détruisent  leurs  fétiches. 

3.  Le  droit  coutumier  et  la  résistance  à  Vlslam.  "— 
L'Islam  ne  semble  pas  appelé  à  bénéficier  de  ces  transfor- 
mations religieuses  éventuelles,  soit  parce  que  les  quelques 
dioula  du  Nord,  qui  parcourent  la  forêt,  sont  beaucoup 
plus  soucieux  de  leurs  intérêts  commerciaux  et  beaucoup 
moins  empressés  à  la  tâche  apostolique  que  les  missionnaires 
chrétiens,  qui  montent  de  la  côte  et  entament  déjà  la  forêt, 
soit  plutôt  parce  que  le  droit  coutumier  et  les  institutions  ju- 
ridiques et  sociales  des  tribus  de  la  forêt  offrent  dans  la  plu- 
part des  cas,  une  telle  divergence,  une  telle  dissemblance 
avec  les  institutions  islamiques  qu'il  est  à  prévoir  une  résis- 
tance invincible,  si  la  religion  du  Prophète  est  prêchée 
quelque  part.  C'est  d'ailleurs  ce  qui  s'est  produit  à  l'ex- 
trême orient  de  la  colonie,  en  bordure  de  la  Gold  Coast, 
dans  l'Indénié,  parcouru  par  les  caravaniers  mandé  du  Nord. 
Leurs  prédications  occasionnelles  sont  restées  sans  succès. 

Il  n'est  pas  inutile  d'énumérer  rapidement  les  princi- 
pales de  ces  institutions  coutumières  qui  sont  les  bastions 
de  la  résistance  fétichiste  à  toute  invasion  d'une  religion, 
qui,  tell'islamisme,  se  présente  avec  une  code  juridique. 

à)  Polygamie  illimitée,  qui  est  d'autant  plus  en  honneur 
qu'elle  implique  considération  et  fortune. 

b)  Mariages  temporaires,  comportant  les  clauses  les  plus 
diverses.  Concubinage  légal  non  seulement  avec  des  cap- 
tives, mais  même  avec  des  femmes  libres,  déjà  mariées  ou 
jeunes  filles  ; 

c)  Liberté  entière  de  la  jeune  fille.  Cohabitation  et  même 
prostitution  courantes  avant  le  mariage; 

d)  Consentement  formel  de  la  jeune  fille  au  mariage. 
Nullité  de  toute  acte  où  son  acquiescement  n'est  pas 
donné; 

e)  Lévirat  d'usage  courant; 


PHYSIONOMIE    MORALE    DES    TRIBUS    DE    LA    FORET  48 

/)  Fréquence  et  facilité  de  l'adoption  ; 

g)  La  tutelle  comporte  le  soin  de  la  personne  du  mineur, 
mais  non  celui  de  ses  biens; 

h)  Forme  familiale  et  collective  de  la  prospérité  foncière  ; 

i)  Succession  d'après  le  droit  matriarcal  :  frères  utérins, 
neveux  fils  de  sœur  maternelle.  Unité  de  l'ayant-droit  à  la 
succession.  Choix  de  l'héritier  par  le  conseil  de  famille 
parmi  les  plus  intelligents  et  les  habiles  de  la  classe  appe- 
lée à  la  succession,  et  même  quelquefois  sans  distinction 
de  classes  ; 

y)  Non  limitation  du  droit  de  donation  testamentaire; 

k)  Entière  liberté  des  conventions,  mais  celles  concernant 
des  objets  qui  ne  vous  appartiennent  pas; 

/)  Mise  en  gage  des  enfants  et  des  serviteurs; 

7n)  Coutumes  pénales  variées,  comportant  en  principe 
l'absence  d'action  publique,  l'exercice  de  la  vengeance 
privée,  l'obligation  des  compensations  pécuniaires,  l'usage 
courant  de  la  rançon,  l'extinction  de  toute  action  après 
paiement  de  la  rançon,  etc. 

On  voit  combien  toutes  ces  dispositions  du  droit  coutu- 
mier  diffèrent  du  code  islamique  et  quelles  résistances  in- 
vincibles elles  offriraient  à  l'Islam  envahisseur. 

4.  Coutumes  politiques.  —  Les  tribus  de  la  forêt  n'ont 
jamais  pu  se  débarrasser  d'une  féodalité  minuscule  qui  a 
-entretenu  parmi  elles  uneanarchie  séculaire.  Aucun  empire, 
aucune  royauté  même  locale  n'ont  surgi  dans  la  zone  syl- 
vestre. Il  est  impossible  même  de  discerner,  dans  la  tradi- 
tion, le  groupement  politique  d'une  tribu.  La  cellule  poli- 
tique, c'est  à  peine  le  village,  ou,  tout  au  plus  la  coalition 
momentanée  de  quelques  villages. 

La  dévolution  de  ce  commandement  minuscule  suit 
quelques  règles,  surtout  à  l'ouest,  chez  les  Gouro,  les  Dan, 
les  Guère  et  les  Bettié  où  les  agglomérations  sont  un  peu 
plus  importantes  : 


44  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

a)  Succession  du  commandement  de  frère  en  frère  immé- 
diatement cadet  jusqu'à  extinction.  Retour  ensuite  au  fils 
aîné  du  frère  aîné.  Élasticité  de  cette  règle,  car  les  inca- 
pables, les  malades,  les  absents,  etc.,  sont  écartés.  Ce  prin- 
cipe se  rapproche  de  la  dévolution  du  pouvoir  dans  les  so- 
ciétés musulmanes; 

b)  Le  chef  en  exercice  désigne,  conformément  à  cet 
ordre,  son  successeur  que,  de  son  vivant,  il  associe  au 
pouvoir; 

c)  Ratification  de  cette  nomination,  au  jour  du  décès  du 
chef,  par  l'assemblée  des  chefs  de  village  et  des  notables. 
Il  fallait  que,  ce  jour-là,  le  candidat  portât  les  plus  beaux 
pagnes,  que  le  festin,  par  lui  offert,  eût  été  trouvé  par- 
fait, etc. 

Telle  était  la  règle  générale.  Dans  certains  cantons 
c'était,  au  contraire,  tel  ou  tel  de  ses  trois  principes  qui 
prédominaient,  les  autres  n'étant  que  des  indications.  Dans 
plusieurs  régions,  par  exemple,  c'était  le  troisième  qui 
l'emportait  :  le  chef  était  élu  au  cours  du  festin  et  n'était 
pas  toujours  celui  que  l'hérédité  désignait  ou  que  le  chef 
précédent  avait  choisi. 

La  déposition  du  chef  intervenait  assez  facilement,  quand 
il  avait  cessé  de  plaire.  C'est  la  même  assemblée  qui  mettait 
fin  à  son  pouvoir. 

Les  épreuves  judiciaires  sont  comprises  de  telle  sorte 
qu'elles  ont  amené  l'extinction  du  droit  pénal,  ou  peut- 
être  empêché  sa  naissance.  L'inculpé  sort  des  épreuves  in- 
nocent ou  mort.  Dans  un  cas  comme  dans  l'autre  la  répres- 
sion est  inutile. 

La  justice  suivait  la  coutume  du  nom  :  quiconque  vou- 
lait plaider  invoquait  le  nom  du  chef  de  son  choix,  et  l'ad- 
versaire était  tenu  de  comparaître  devant  ce  chef,  auquel 
était  supposé  par  le  plaignant  une  plus  grande  autorité  ou 
une  plus  grande  impartialité.  La  personnalité  du  plaideur 
tenait  plus  de  place  que  l'objet  même  du  litige. 


PHYSIONOMIE   MORALE    DES    TRIBUS    DE    LA    FORET  45 

Mais,  malgré  tout,  ces  coutumes  sont  exceptionnelles,  et 
le  caractère  le  plus  visible  de  la  situation  sociale  et  politique 
de  ces  peuples,  c'est  leur  absence  de  cadres,  c'est  l'esprit 
d'individualisme  poussé  à  un  point  qu'on  ne  peut  pas  soup- 
çonner. Il  en  va  des  populations  de  la  forêt,  comme  des 
oiseaux  qui  ramagent  sur  leurs  têtes  :  aussitôt  qu'il  peut 
voler  l'oiseau  s'envole;  le  nid  a  la  valeur  et  la  durée  d'une 
saison  et  tous  ces  chanteurs  et  pépieurs  constituent  ce  qu'on 
appelle  la  «  République  des  oiseaux  ». 

Une  République  de  cette  nature  sans  maîtres  et  sans 
principes  peut  suffire  à  la  gent  ailée.  Elle  n'est  pas  le  fait 
de  l'homme.  Et  ce  sont  les  sociétés  secrètes,  les  sorciers  et 
la  magie  qui  prennent  la  place  des  cadres  réguliers. 

5.  Etat  social.  —  Il  importe  en  effet  de  signaler  ici, 
comme  une  des  principales  causes  de  l'état  arriéré  des 
peuplades  sylvestres  et  comme  un  obstacle  invincible  à 
l'islamisation,  la  tendance  innée  et  profonde  de  ces  indi- 
gènes à  l'émiettement,  au  morcellement,  à  l'anarchie  so- 
ciale. C'est  un  véritable  fléau  que  cet  abandon  du  village 
ou  du  pseudo-village,  par  les  indigènes,  désireux,  en  s'ins- 
tallant  dans  des  campements,  de  se  soustraire  non  seule- 
ment à  notre  action  administrative  qui,  à  vrai  dire,  ne  les 
atteint  guère,  mais  encore  à  toute  action  de  leurs  autorités 
naturelles  et  humaines  :  chef  de  village,  conseil  de  notables, 
père  de  famille,  etc.  Ils  peuvent  alors,  dans  ces  misérables 
huttes,  bâties  de  quelques  larges  feuilles  de  palmier  ou 
d'autres  arbres,  s'adonner  complètement  à  leur  penchant,  à 
l'ivrognerie  et  à  la  paresse,  qui  dépasse  tout  ce  qu'on  peut 
imaginer.  Et  alors,  livrés  à  eux-mêmes,  sans  défense  phy- 
sique ni  morale,  ils  retombent  complètement  à  la  vie  de 
nature,  cessent  toute  culture,  ne  se  nourrissent  plus  que  de 
baies  et  de  racines  sauvages,  rejettent  le  misérable  cache- 
sexe  dont  ils  commençaient  à  se  vêtir,  deviennent  plus  mé- 
fiants et  plus  inabordables  que  les  fauves  qui  les  entourent 


4b  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

et  sombrent  dans  toutes  les  horreurs  de  la  bête  humaine 
primitive  à  l'état  de  barbarie  :  sacrifices  sanglants,  crimes 
rituels,  anthropophagie,  bestialité,  chasse  à  l'homme,  et 
surtout  à  la  femme  et  à  l'enfant,  érigée  en  principe  comme 
la  chasse  au  gibier,  etc.  Quand  saint  Bernard  conseillait  la 
retraite  et  le  recueillement  dans  les  bois  et  disait  :  Aliquid 
amplius  inverties  in  sylvis  quam  in  libris,  il  ne  connaissait 
certainement  pas  la  forêt  équatoriale. 

Il  importe  au  plus  haut  point,  et  quelles  que  soient  les 
critiques  idéalistes  que  des  théoriciens  pourront  émettre, 
que  nous  fassions  défense  à  nos  sujets  de  quitter  leurs  viU 
lages  pour  vivre  sous  des  abris  perdus  en  forêt.  C'est  peut- 
être  une  atteinte  à  la  liberté  individuelle,  mais  on  en 
commet  bien  d'autres  à  leur  égard,  ne  serait-ce  que  le 
recrutement,  qui  est  une  condamnation  à  mort  pour  eux  et 
qui  n'ont  pas  la  même  cause  et  la  même  justification  :  leur 
intérêt  bien  compris.  L'abandon  des  villages,  cellules  em- 
bryonnaires de  la  vie  sociale,  doit  donc  être  formellement 
interdit.  Seuls,  seront  tolérés  les  abris  destinés  à  recevoir 
les  cultivateurs  ou  les  récolteurs  obligés  de  se  rendre  à 
quelque  distance  pour  y  vaquer  à  des  occupations  hon- 
nêtes et  reconnues  utiles.  C'est  le  seul  moyen  de  les 
arracher  à  l'individualisme  de  la  bête,  et  ce  n'est  guère. 

Ces  populations  sont  à  un  tel  degré  d'enfance  que  des 
médecins  qui  les  ont  vues  de  près  et  vécu  longtemps  à  leur 
contact  sont  contraints  de  reconnaître  que  toutes  les  ques- 
tions se  rattachant  à  leur  hygiène  :  vaccinations,  maladies 
vénériennes,  lèpre,  tripanosomiase,  ne  viennent  qu'en  se- 
cond plan.  Les  deux  questions  de  l'eau  et  de  l'alimentation 
viennent  au  contraire  en  toute  première  ligne.  «  La  création 
du  puits,  l'obligation  stricte  et  contrôlée  de  plantations  . 
variées,  dit  un  médecin,  constitueraient  un  pas  considé- 
rable dans  l'amélioration  des  conditions  d'existence  des 
Baoulé.  C'est  dire  où  en  sont  les  choses  que  d'estimer  pri- 
mordiales des  questions  aussi  élémentaires  que  celles  de 


PHYSIONOMIE   MOBALE   DES    TRIBUS    DE    LA    FORET  47 

l'eau  potable  et  de  la  ration  alimentaire  dans  une  contrée 
qui  passe,  à  juste  titre,  pour  une  des  plus  peuplées  de  la 
Côte  d'Ivoire.  »  Et  c'est  ainsi  que  dans  un  des  pays  les  plus 
favorisés  par  la  nature,  les  indigènes  souffrent  périodique- 
ment de  famines  terribles. 

Contrairement  à  ce  qui  se  passe  chez  tous  les  peuples 
noirs,  les  tribus  de  la  forêt  ne  manifestent  pas  de  goût  pour 
l'instruction,  et  c'est  peut-être  ce  qui  les  a  préservés  de 
l'islamisation.  Cette  attirance  de  la  science  et  de  l'instruc- 
tion a  été,  en  effet,  partout  ailleurs,  une  des  grandes  causes 
du  succès  de  l'islam,  religion  intellectuelle  et  littéraire,  et 
pourvue  d'un  système  d'écriture. 


CHAPITRE     11 

TRACES    D'ISLAM 


I.  Cercle  de  rAgnéby.  —  Le  cercle  de  l'Agnéby,  chef- 
lieu  Agboville,  tire  son  nom  de  la  rivière  Agnéby  ou  Agbo, 
qui  le  traverse,  et  va  se  jeter  dans  la  lagune  Ebrié,  près  de 
Dabou.  Il  est  peuplé  par  trois  branches  de  la  race  agni- 
achanti,  appartenant  toutes  trois  au  groupe  kouakoua  de 
cette  race  :  les  Abbey,  les  Attié  du  Nord  et  les  Bettiè,  et 
toutes  trois  fétichistes  et  nettement  rebelles  à  l'islam.  On 
connaît  le  violent  mouvement  de  xénophobie  qui,  en  1910, 
souleva  tous  les  Abbey  coalisés.  Les  musulmans,  comme 
les  chrétiens,  en  furent  les  victimes,  et  les  dioula  souda- 
nais comme  les  traitants  et  coupeurs  de  bois  sénégalais  et 
apolloni^ns  furent  égorgés  ou  blessés,  au  cri  de  :  «  A  mort 
les  étrangers  »,  au  même  titre  que  les  Blancs. 

L'islam  n'est  donc  représenté  dans  ce  cercle  que  par  i5o 
à  200  dioula  soudanais  et  une  demi-douzaine  de  Sénégalais, 
établis  surtout  à  Tiassalé.  Avant  la  conquête  de  la  forêt,  on 
avait  fondé  quelque  espoir  sur  les  services  qu'ils  pouvaient 
rendre  comme  guides,  agents  de  renseignements  et  de  pé- 
nétration, les  colporteurs  musulmans  dont  le  sort  et  les 
intérêts  étaient  liés  aux  nôtres.  On  leur  fît  beaucoup  de 
grâces,  on  encouragea  la  construction  d'une  mosquée  à  Tias7 
salé,  et  le  gouverneur  Clozel  contribua  aux  dépenses  pour 
25o  francs  (1004).  Celte  mosquée,  grande  bâtisse  en  briques, 


TRACES    D  ISLAM  49 

couverte  de  tôles,  fermée  de  persiennes,  existe  toujours  : 
elle  aurait  coûté,  au  dire  des  fidèles,  5.ooo  francs.  Elle 
est  peu  fréquentée  et  dans  un  état  de  délabrement  pi- 
toyable. 

A  Agboville,  outre  quelques  commerçants  sénégalais  et 
colporteurs  soudanais,  on  remarquait,  ces  dernières  années, 
un  marabout  malinké  de  Kankan,  Fodé  Mamadou  Kaba, 
interné  là  à  la  suite  d'intrigues  et  de  désordres  dans  son 
pays.  Son  prestige  de  pèlerin  de  La  iMecque,  sa  grande 
piété,  sa  science  incontestable,  son  savoir-faire  lui  valurent 
la  vénération  générale  :  il  était  de  droit  l'almamy  local,  et 
l'on  commençait  à  remarquer,  derrière  lui,  à  la  prière,  quel- 
ques-uns de  ces  oisifs  et  aventuriers  Agni,  de  toute  pro- 
venance sylvestre,  prétendus  travailleurs,  qu'on  rencontre 
dans  les  gares  de  la  voie  ferrée.  Pour  couper  court  à  cette 
ébauche  d'islamisation,  Fodé  Kaba  qui,  au  surplus,  avait 
eu  une  attitude  parfaitement  correcte,  a  été  renvoyé  à  Co- 
nakry. 

2.  Cercle  de  N!{i  Comoé.  —  Le  cercle  de  Nzi  Comoé  tire 
son  nom  des  deux  grands  cours  d'eau  qui  le  traversent  :  le 
Comoé  à  l'est;  le  Nzi,  affluent  de  Bandama,  à  l'ouest.  Il  est 
habité  par  cinq  peuplades,  dont  quatre  :  les  Agba,  les  Agni 
proprement  dits,  les  Quelle  et  les  Ngan,  sont  des  rameaux 
de  la  famille  agni-achanti  et  dont  la  dernière  :  les  Mango 
ou  Anno,  sont  des  métis  de  Ngan,  de  Mandé  et  d'Agni. 

Les  Agba,  Agni  et  Quelle  sont  issus,  d'après  leurs  tradi- 
tions, de  mélanges  d'autochtones,  ou  plus  probablement 
de  couches  agni  primitives  et  de  migrations  postérieures 
agni  venues,  soit  du  Baoulé  (Quelle),  soit  du  pays  achanti 
de  Gold  Coast  (Agba).  Les  Ngan  sont  venus  par  étapes  suc- 
cessives du  Dahomey  par  le  Togo,  la  Gold  Coast  et  le 
Comoé  (vers  Bettié). 

Les  Anno  ou  Anonofoué  sont  venus  ici  et  se  sont  consti- 
tués par  des  invasions  successives  de  Ngan,  de  Mandé  et 

4 


50  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM   EN    COTE   d'iVOIRE 

d'Agni-Achanti.  Ces  invasions  furent  pacifiques,  les  Dji- 
mini,  premiers  habitants,  ayant  peu  à  peu  cédé  la  place. 
Elles  ne  se  contrecarrèrent  pas  les  unes  aux  autres,  les  der- 
niers arrivés  «  faisant  fétiche  »  avec  les  premiers.  Le  nou- 
veau peuple  eut  à  soutenir  des  luttes  prolongées  avec  les 
Abron  de  Bondoukou  et  les  gens  de  Coomassie,  ce  qui  finit 
par  amener  son  unité,  sous  l'autorité  du  chef  mandé- 
dioula,  Dyan  Ouattara,  lors  des  attaques  de  Fofié,  roi  des 
Abron  vers  i83o.  Ces  Mandé-Dioula,  maîtres  politiques  du 
pays,  sont  tous  de  diamou  Ouattara.  Ils  venaient,  soit  de 
Sansanné  Mango  (Togo),  soit  d'Anno  (Dagomba  anglais)  et 
c'est  ainsi  que  le  pays  a  pris  d'eux  le  nom  de  Mango  ou 
d'Anno.  Ils  étaient  tous  fétichistes  et  le  sont  restés,  l'exemple 
de  leurs  cousins  Mandé  du  Nord  ne  les  ayant  pas  convertis, 
sauf  exception,  à  l'islamisme.  Dans  le  canton  de  Tlfoué, 
ils  se  sont  mélangés  d'Abron  et  de  Baoulé.  Le  Mango  est 
aujourd'hui  réparti  entre  les  trois  cercles  du  Nzi-Comoé,  du 
Baoulé  et  de  Kong. 

L'islam  n'est  perceptible  ici  que  dans  les  trois  éléments 
ordinaires  étrangers  de  la  forêt  :  les  Sénégalais,  bouti- 
quiers et  employés,  les  gens  de  Gold  Coast  (Fanti,  Apollo- 
niens,  Haoussa)  traitants,  dioula,  coupeurs  de  bois^  ache- 
teurs de  palmistes,  de  caoutchouc  et  de  kolas;  et  enfin  les 
dioula  de  multiples  origines  soudanaises  :  par  eux  tous  les 
produits  du  sol  coulent  vers  les  factoreries.  Ils  les  échangent 
contre  des  produits  européens  qu'ils  dispersent  dans  la 
forêt.  Les  uns  et  les  autres  ne  font  pas  de  prosélytisme, 
mais  l'exemple  de  leur  piété,  qu'ils  exagèrent  d'ailleurs, 
sachant  l'influence  des  démonstrations  religieuses  sur  le 
primitif,  exposent  aux  yeux  des  indigènes  étonnés  les  pre- 
mières manifestations  de  l'islam. 

Les  deux  principaux  centres,  où  on  les  rencontre,  sont 
Dimbokro  et  Toumodi. 

A  Dimbokro  même,  il  n'y  a  que  trois  ou  quatre  noms 
notoires  dans  la  colonie  noire  musulmane  :  a)  Souleyman 


Al-Hadji    Abdoullaye, 
Almamy  de  Bassam. 


TRACES    d'islam  5i 

Bérété,  malinké  de  Kiba,  né  vers  i885.  Il  a  fermé  une  petite 
école  qui  ne  pouvait  pas  le  faire  vivre  et  fait  du  commerce. 
Il  est  le  disciple  tidiani  d'un  métis  maure  du  Kaarta  qui, 
par  Al-HadjiSalmoye  (i),  le  grand  Cheikh  de  Dienné,  se  rat- 
tache au  fondateur  de  la  Voie  ;  b)  Ahmadou  Daw,  Bobo 
Dafin  de  bobo  même.  Il  joint  à  son  école  de  quatre  élèves 
un  petit  commerce.  11  était  sans  ouird  jusqu'à  1917,  date 
où  le  marabout  Fodé  Kaba,  de  Kankan,  interné  politique 
à  Agboville,  l'a  affilié  au  qaderisme  de  Saad  Bouh  ;  c) 
Mamadou  Haïdara,  haoussa  de  Sokoto,  fils  de  Bakari 
Oussouman.  Il  est  venu  de  Nigeria  en  1918.  C'est  un  ti- 
diani qui  se  rattache  à  l'école  du  célèbre  Othman  dan  Fodé 
et  par  lui  à  la  zaouïa  de  Fez  ;  d)  Al-Hadji  Abdoullaye 
Demba,  toucouleur,  vu  plus  haut  à  Aboisso,  et  qui  possède 
un  comptoir  que  son  frère  Al-Hadji  Ahmedin  a  dirigé  jadis, 
et  que  tient  aujourd'hui  un  boutiquier  musulman  ;  e)  Sidi 
Cissé,  toucouleur  de  Niafunké,  tailleur  de  profession,  était 
le  personnage  le  plus  notoire  de  cette  colonie.  Instruit,  ora- 
teur disert,  il  présidait  les  cérémonies  cultuelles  à  Dimbo- 
kro.  Parti  vers  le  Soudan  vers  1916,  il  est  mort,  l'année 
suivante,  à  Bobo  Dioulasso. 

On  peut  bien  trouver  3oo  Dioula,  soudanais  et  musul- 
mans, à  Toumodi,  et  peut-être  4  ou  5  boutiquiers  séné- 
galais. Ils  n'ont  aucune  influence  locale.  Pour  les  mêmes 
raisons  que  celles  exposées  plus  haut  pour  Tiassalé,  l'ad- 
ministration encouragea  la  construction  d'une  mosquée  à 
Toumodi  en  1904.  Ellccoûta  2.000  francs  et  le  gouverneur 
Clozel  la  subventionna  pour  200  francs.  Elle  est  plus  petite 
que  celle  de  Tiassalé  et  couverte  en  tôles.  Elle  est  aujourd'hui 
dans  un  fâcheux  état. 

Dansles  populationslocales,  il  n'y  a  qu'un  point  où  l'islam 
fait  quelques  progrès  :  c'est  le  village  agba  d'Aoussoukro, 

(i)  Sur  Al-Hadji  Salinoye  voir  «  Études  sur  l'islam  au  Soudan  :  L'islam 
peul  »  (Dienné)  par  Paul  Marty  in  Collection  de  la  Revue  du  Monde  Musul- 
man, Paris,  Leroux. 


52  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

.appartenant  à  la  sous-tribu  des  Hali-Bonafouéet  sis  à  3o  ki- 
lomètres au  nord  de  Dimbokro  (subdivision  de  Bokanda). 
Il  a  été  en  partie  islamisé  par  l'action  directe  d'un  mara- 
bout sarakollé  de  Bakel,  Fodé  Gakou,  qui,  après  une  car- 
rière aventureuse  en  Orient ,  au  Congo,  et  dans  divers  points 
de  la  forêt,  notamment  à  Toumodi,  Tiassalé,  Bouaké,  vint 
se  fixer  à  Aoussoukro.  Ce  Fodé  Gakou,  de  son  vrai  nom, 
Hassen  Tendigoré,  se  rattachait  par  son  père,  Fodé  Amara 
Diakho,  au  célèbre  marabout  sarakollé  Mamadou  Lamin. 
Invité  à  rentrer  dans  son  pays  après  ce  pèlerinage  de  douze 
ans  à  La  Mecque,  il  s'est  retiré  à  Kounguel  (Bakel).  La  fer- 
veur de  ses  disciples  agba  a  langui  après  son  départ,  et  il  n'y 
a  plus  guère  à  Aoussoukro,  comme  musulmans,  qu'une 
dizaine  de  Baoulé  ignorants.  Ni  mosquée,  ni  almamy,  ni 
école  coranique. 

3.  Cercle  de  V Indénié.  —  L^Indénié  comprend  toute 
la  partie  de  la  forêt  comprise  entre  le  Moyen-Comoé  et  la 
frontière  de  Gold  Coast  ;  c'est  une  longue  bande  syl- 
vestre qui  s'appuie  au  sud  sur  le  cercle  d'Assinie,  peuplée 
comme  elle  d'Agni  animistes,  et  au  nord  sur  le  cercle 
de  Bondoukou,  où  l'on  trouve  les  Mandé-Dioula  les  pre- 
miers éléments  d'islam. 

L'islam  n'est  représenté  dans  l'Indénié  que  par  les  quel- 
ques dioula,  qui,  du  nord,  suivent  la  grand'route  carava- 
nière  qui,  de  Bondoukou  par  Abengourou,  descend  vers 
Aboisso  et  Assinie.  Il  n'a  aucune  influence  ;  on  peut  même 
dire  qu'il  n'est  pas  connu.  Les  seules  traces  locales  qu'on 
en  peut  citer  sont  les  amulettes  que  les  Agni  achètent  fort 
cher  à  des  marabouts  de  passage  et  portent  entremêlées  à 
leurs  innombrables  gris-gris  et  talismans  fétichistes.  C'est 
ainsi  que  Boa  Kouassi,  roi  de  l'Indénié,  apparaît,  à  certains 
jours,  couronné  d'un  diadème  de  six  étuis  triangulaires 
d'or  et  d'argent  alternés^  renfermant  des  amulettes  arabes. 
Jl  les  tient  par  héritage  de  son  oncle  Amoakou.  Il  est  à  peine 


TRACES    d'islam  53 

Utile  de  dire  que    sa  foi   égale  son  ignorance  et  qu'il   n'est 
nullement  musulman. 

On  s'en  tiendra  donc  ici  aux  considérations  suivantes  : 
l'autorité  des  chefs  s'est  effritée  dans  ce  pays,  dont  l'esprit 
d'indépendance  qui  caractérise  actuellement  les  Agni,  rend 
l'administration  malaisée. 

Apart  deux  chefs  de  canton ,  ceux  de  Niabley  et  de  Zaranou 
dont  les  qualités,  quoique  modestes,  ne  sont  pas  niables, 
les  bonnes  intentions  assurées,  et  qui,  tout  en  rencontrant, 
surtout  celui  de  Zaranou,  des  oppositions  fréquentes  de  la 
part  des  jeunes  notables,  savent  pourtant  les  combattre  et 
imposer  quelquefois  leur  volonté,  à  part  ces  deux  chefs,, 
aucun  autre  ne  se  fait  particulièrement  remarquer.  Le  cercle. 
se  compose  d'un  assemblage  de  villages,  d'origine  commune 
(Gold  Coast),  où  cherchent  à  régner  isolément  les  chefs  de 
famille,  convaincus  que  leur  famille  est  une  petite  tribu 
dans  la  tribu.  A  quelques  exceptions  près,  toute  la  région 
forestière  est  gangrenée  par  cette  oligarchie  officieuse,  dont 
rindénié  n'a  pas  seul  la  spécialité.  Aucun  des  indigènes  ap- 
pelés régulièrement  à  succéder  aux  chefs  actuels  ne  réunit 
pour  le  moment  les  conditions  requises,  à  savoir  :  l'auto- 
ritéémanant  de  sa  personne  même,  reconnue  par  tous  incon- 
testablement, une  nombreuse  famille  où  figurent  de  non 
moins  nombreux  domestiques,  et  surtout  la  fortune  suffi- 
sante pour  la  distribution  de  cadeaux  les  jours  de  fête. 

«  Les  chefs  actuels  sont  sans  fortune  et  même,  en  ce  qui 
concerne  Boa  Kouassi  et  Kabran  Aoussi,  ont  des  dettes 
criardes  envers  leurs  notables  ou  leurs  boys  qui  leur  ré- 
pondent couramment  :  «  Je  ne  t'écouterai  que  lorsque  tu 
m'auras  remboursé.  »  Les  chefs  à  venir  ne  paraissent  pas 
mieux  pourvus  et  leurs  ressources  ne  dépassent  pas  celle  du 
moindre  boy  un  peu  travailleur  s'occupant  de  ses  cacaoyers. 
Autrelois,  la  fortune  s'accumulait  sans  peine  dans  les 
«  bouteilles  royales  »  parce  que  le  roi  touchait,  en  plus  des 
amendes  et  à  la  façon  des  seigneurs  de  notre  moyen  âge,  un 


54  ÉTUDES   SUR   l'islam    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

tiers  des  produits  de  toute  nature  :  or,  caoutchouc,  ignames, 
récoltés  dans  ou  sur  les  terre  delà  tribu.  Il  conservait  l'or, 
vendait  le  reste,  vivait  largement  sans  débours  personnels 
et  se  voyait  en  mesure  de  distribuer  de  nombreux  cadeaux 
à  tous  ceux  venant  implorer  sa  protection  ou  le  flatter.  Au- 
jourd'hui sa  part  lui  est  souvent  refusée  ou  déclarée  men- 
songèrement  inexistante  :  il  ne  peut  employer  ni  l'amende 
ni  la  contrainte.  La  récolte  annuelle  se  trouve  pour  ainsi 
dire  réduite  à  néant,  et  la  cassette  ne  contient  que  la  part 
d'héritage  laissée  par  le  défunt  prédécesseur.  Le  chef  se  voit 
donc  réduit  à  se  procurer,  comme  le  commun  des  indigènes 
des  revenus,  en  faisant  travailler  pour  son  compte  les 
membres  de  sa  famille  et  ses  domestiques.  Mais  ceux-ci, 
habitués  à  vivre  grassement  sans  dépenser  le  moindre  effort, 
ont  acquis  une  extraordinaire  puissance  d'inertie,  et  lorsque 
le  souvenir  de  l'opulence  des  beaux  jours  les  taquine  trop 
fort  et  les  pousse  à  en  recouvrer  une  maigre  parcelle  par 
leur  travail  personnel,  ils  savent  dissimuler  leurs  gains  pour 
en  profiter  personnellement,  sans  céder  au  chef  la  part  qui 
lui  reviendrait  à  défaut  du  tout.  Ils  n'y  réussissent  pas 
chaque  fois,  car  le  chef  veille,  mais  ils  cherchent  à  dissi- 
muler, et  c'est  dans  cet  état  d'esprit  nouveau  qu'il  y  a  lieu 
de  consigner. 

Dans  chaque  famille,  la  même  attitude  envers  le  chef  se 
constate,  et  la  fortune,  au  lieu  de  se  concentrer  entre  les 
mains  du  représentant  de  la  famille,  se  disperse  dans  cha- 
cune des  malles  des  mères  dépositaires  de  chaque  travail- 
leur, aspirant  à  conserver  pour  lui-même  le  fruit  de  son 
travail  et  désirant  l'employer  à  sa  fantaisie. 

Au  point  de  vue  strictement  moral,  il  n'y  a  en  somme 
rien  à  objecter  à  cette  tendance.  Il  est  juste,  en  efïet,  que  le 
gain  aille  à  celui  qui  travaille.  Si  cet  esprit  d'individualisme 
s'accompagnait  de  la  manifestation  de  sentiments  de  loya- 
lisme à  notre  égard,  nous  pourrions  peut-être  y  voir  une 
évolution  satisfaisante  dans  le  sens  du  progrès.  Malheureu- 


TRACES    d'islam  55 

sèment,  libérés  de  leurs  chefs,  les  Agni  ne  paraissent  pas 
disposés  à  en  reconnaître  d'autres.  Il  convient  à  cet  égard 
d'indiquer  que  les  indigènes  de  race  agni,  originaires  de 
rindénié  même,  dont  l'Administration  utilise  les  services, 
sont  de  la  part  de  leurs  frères  de  race  l'objet  d'une  sorte  de 
boycottage  qui  accroît,  pour  eux,  les  difficultés  d'existence 
matérielle  et  paralyse  les  efforts  tentés  par  eux  dans  les  voies 
que  nous  leur  traçons. 

On  voit  en  résumé  que  la  question  islamique  ne  se  pose 
pas  chez  les  populations  animistes  de  l'Indénié. 

4.  Cercle  du  Baoulé.  —  Le  cercle  du  Baoulé,  dont  le 
chef-lieu  est  Bouaké,  tire  son  nom  des  Baoulé,  important 
rameau  de  la  race  agni-achanti.  Leurs  nombreuses  tribus  : 
Ouarabo  ou  Agoua,  Faafoué,  Saafoué,  ISlanafoué,  Nzipouri, 
Atoutou,  Soundo,  etc.,  couvrent  tout  le  nord  de  la  forêt  et 
débordent  largement  sur  la  savane.  Les  Ngan,  autre  rameau 
de  la  race  agni-chanti,  y  sont  également  représentés. 

Toutes  ces  peuplades  sont  fétichistes  et  ne  subissent  au- 
cune emprise  de  l'islam,  malgré  le  contact  fréquent  des 
dioula  soudanais,  pour  la  plupart  musulmans.  On  trouve 
dans  le  cercle  une  dizaine  de  villages  mandé-dioula, peuple- 
ment de  nombreux  fugitifs  qui,  lors  de  la  marche  de  Sa- 
mory  vers  le  sud,  échappèrent  de  la  sorte  à  son  atteinte. 
Quand  l'almamy  eut  été  pris,  la  plupart  rentrèrent  dans 
leur  pays  d'origine.  Quelques-uns  pourtant  restèrent  dans 
la  région,  s'y  fixèrent  sur  les  grandes  voies  de  communica- 
tion et  se  livrèrent  au  trafic.  Pendant  longtemps,  ils  furent 
les  seuls  intermédiaires  entre  les  Baoulé  et  les  commerçants 
de  la  Côte.  Ce  sont  avec  les  Dioula  de  toute  origine,  qu'on 
rencontre  sur  les  escales  tant  de  la  voie  ferrée  que  de  la 
route  automobile,  qui  la  prolonge,  les  seuls  éléments  mu- 
sulmans qui  appartiennent  véritablement  au  Baoulé. 

On  distingue  dans  le  cercle  du  Baoulé  trois  centres 
d'islam  intéressants  :  Bouaké,  Marabadiassa  et  Groumania, 


56  ÉTUDES    SUR    l'islam    ET   COTE    d'iVOIRE 

tous  trois  d'ailleurs  peuplés  d'étrangers.  Les  deux  derniers 
même, sis  à  la  périphérie  du  cercle,  relevant  surtout  de  l'islam 
mandé-dioula  voisin,  et  ne  sont  compris  dans  le  cercle  du 
Baoulé  que  pour  des  raisons  administratives  et  économiques. 
Bonaké,  terminus  actuel  du  railway  de  la  Côte  d'Ivoire, 
et  tête  de  la  voie  automobile,  qui  s'enfonce  dans  le  Soudan 
est  devenue  rapidement  la  plus  grande  ville  de  la  colonie. 
On  y  compte  environ  S.ooo  habitants,  dont  un  quart  est 
musulman.  Cet  élément  musulman  comprend  quelques 
boutiquiers  et  employés  sénégalais,  mais  surtout  des  dioula 
de  toute  origine  soudanaise,  et  notamment  d'origine  mandé. 
Les  personnalités  notoires  de  Bouaké,  fort  nombreuses  : 
a)  Ousmana  Daramé,  Bobo  Dafing,  né  vers  1860,  almamy 
de  la  mosquée.  Il  est  venu  ici  vers  1900  ;  cultivateur  et  à 
l'occasion  maître  d'école,  il  ne  paraît  pas  jouir  de  beau- 
coup d'influence.  Il  est  sans  affiliation  ;  b)  Mamadou  Daw 
Dafing,  maître  d'école.  Par  Modi  Daramé,  sarakolé,  installé 
à  Tiassalé,  il  relève  du  tidianisme  d'Al-Hadj  Malik  Malik, 
le  grand  marabout  de  Tivaouane  ;  c)  Kota  AUama,  Dafing, 
né  vers  1860,  cultivateur  et  colporteur.  Il  relève  de  Kara- 
moko  Assamatou  ci-après  ;  d)  Karamoto  Assamatou,  né 
vers  1870,  d'origine  haoussa.  Il  est  moqaddem  des  tidianïa 
de  la  région,  et  a  reçu  des  pouvoirs  d'Al-Hadji  AbdouUaye 
Dieng,  almamy  de  la  mosquée  de  Bassam,  déjà  vu;  e)  Lan- 
tina  Daramé,  Dafing,  né  vers  1872,  chef  du  village  de  Bouaké, 
commerçant  et  cultivateur,  il  n'a  pas  reçul'ouird  ;/)  Ibra- 
him Kaba,  malinké,  maître  d'une  école  d'une  dizaine  d'en- 
fants ;  g)  Ousman  Tounkara,  sarakollé  de  Bandiagara,  venu 
ici  pour  commercer,  s'y  est  établi  comme  cordonnier. 
C'est  un  tidiani  qui,  par  Chekou  Modi  Diabi,  se  rattache  à 
Al-Hadj  Omar;  /z)  Moussa Sissoko,toucouleur du Boundou, 
cultivateur,  disciple  tidiani  de  Tierno  Ali  Ba,  de  Bakel,  qui 
se  rattachait  à  Mounirou,  fils  d'Al-Hadj  Omar  ;  i)  Ba  Moussa 
Taraoré,  bambara,  né  vers  i885,  commerçant,  sans  affilia- 
tion; y)  Chékou  Mamadou  Sanoussî,  beau  vieillard  auxca- 


TRACES    d'islam  Sj 

denettes  blanches,  malinké  d'Odîenné,  colporteur.  II  est  le 
disciple  qadri  de  son  père,  l'almamy  Diakabi  d'Odienné.  II 
donne  la  chaîne  mystique  suivante  :  Almamy  Diakabi, 
Chekou  Mamadou  Sanoussi;  Fa  Sanaba  Karamoko,  ma- 
linké de  Samatiguila;  Mostafa  Diakabi,  père  du  précédent; 
Al-Hadji  Souleïman  Diakaba.  Ce  Souleïman  est  l'importa- 
teur du  qaderisme  et  vraisemblablement  un  des  mission- 
naires islamiques  chez  ce  peuple  malinké  de  la  région  de 
Beyla-Odienné.  Il  resta  25  ans  à  La  Mecque  et  y  reçut  les 
pouvoirs  de  consécrateur  du  Cheikh  Ibn  Ishaq.  Il  aurait 
fait,  à  son  retour,  un,e  relation  de  pèlerinage,  qui  est,  dit- 
on,  à  Samatiguila,  et  que  je  n'ai  pas  pu  retrouver.  Le  vieux 
Chékou  a  un  disciple  :  Ousman  Silla,  malinké,  né  vers 
1875,  commerçant  ;  k)  Lamin  Fodiga,  malinké,  né  vers 
1870,  commerçant.  Par  son  père  Amara  Fadiga,  par  son 
grand-père  Ali  Fadiga,  et  par  Alfa  Mahmoudou  Kankan,  il  se 
rattache  au  Cheikh  Omar  ;  /)  Sori  Taraoré,  malinké,  com- 
merçant et  cultivateur  né  vers  1876,  sans  ouird  ;  m)  Ibra 
him  Sidibé,  poullo  de  la  tribu  Soh.  C'est  un  tidiani, 
élève  et  disciple  d'Al-Hadji  Ahmadi  Dieng,  frère  d'Al- 
Hadji  Abdoullaye,  almamy  de  Bassam.  C'est  un  commer- 
çant notable  sans  importance  particulière  ;  n)  LembaDiallo 
d'origine  toucouleure,  né  à  Bouaké,  et  qui  est  allé  faire  de 
bonnesétudesà  Anyam,  dansle  Fouta  Toro.  II  s'y  estalors 
affilié  au  tidianisme  par  le  Cheikh  Sidi  Mohammed  ould 
Cheikh  Mohammed  Abd  Allah,  des  Ida  Ou  Ali.  C'est  un 
homme  intelligent  et  ouvert,  et  un  excellent  arabisant.  C'est 
de  tous  les  musulmans  que  j'ai  rencontrés  enCôte  d'Ivoire, 
la  personnalité  la  plus  distinguée. 

Bouaké  possède,  sur  la  grande  place  du  quartier  dioula, 
une  mosquée  spacieuse,  sans  cachet  d'ailleurs.  C'est  une 
grande  case  rectangulaire  de  25  mètres  sur  i5  mètres,  avec 
une  toiture  de  chaume  et  un  petit  mihrab,  le  tout  fort  mal 
entretenu.  Elle  a  été  édifiée  avec  les  dons  des  musulmans 
de  la  ville,  il  y  a  quelques  années  seulement. 


58  ÉTUDES    SUR    l'islam   EN   CÔTE    d'iVOIRE 

Marabadiassa,  sis  sur  le  Bandama  blanc,  à  l'angle  nord- 
ouest  du  cercle,  est  un  gros  village  mandé  qui,  ethnique- 
ment  et  religieusement,  se  rattache  à  l'Ouorodougou  voi- 
sin, et  notamment  à  Mankono.  Pour  cette  cause,  on  le 
verra  plus  loin,  sous  ce  titre. 

Groumania,  à  l'autre  extrémité,  sis  près  du  Comoé,  à 
l'angle  nord-est  du  cercle;  est  une  colonie  musulmane  de 
Kong,  sis  en  pays  mango.  Le  mot  lui-même  est  agni 
«  Ngroumanya,  feuille  de  gombo  »,  en  souvenir  du  champ 
de  gombos  qui  était  là  lors  de  l'installation.  Les  premiers 
Mandé  de  Kong  qui  vinrent  là  y  furent  poussés,  autant 
pour  échapper  à  certaines  vexations  dans  leur  pays  que 
pour  occuper  cet  important  carrefour  des  routes  qui,  de 
Kong,  de  Babakala  et  de  Bouaké  convergent  vers  Bon- 
doukou  et  Assikasso.  La  première  famille  qui  s'installa  au 
«  champ  de  gombos  »  fut  les  Karamaté  :  ils  sont  restés  les 
chefs  de  village;  les  guerres  de  Samory  y  amenèrent  des 
fugitifs.  Puis  vinrent  des  gens  de  Bouna  et  des  Haoussa. 
L'essor  du  commerce  de  l'or  et  du  caoutchouc  y  a  attiré  des 
Agni  de  diverses  tribus,  et  notamment  des  Baoulé,  puis  des 
Apolloniens,  Groumania  est  essentiellement  commerçant. 
Les  trois  quarts  des  habitants  y  sont  dioula  et  perpétuel- 
lement en  route,  ce  qui  donne  à  la  bourgade  un  aspect  dé- 
sertique. Un  poste  français  y  fut  installé  de  igoi  à  igoô, 
puis  la  position  fut  abandonnée  comme  trop  excentrique 
pour  l'administration  du  pays  mango. 

En  résumé,  et  malgré  la  présence  de  beaucoup  d'étran- 
gers, Groumania  est  une  ville  mandé-dioula,  fille  de  Kong, 
partant  nettement  musulmane.  Une  école  coranique  y 
fleurit  avec  une  moyenne  de  25  élèves.  Les  coutumes  isla- 
miques y  sont  en  honneur,  notamment  la  circoncision 
inconnue  chez  les  Annofoué  voisins,  et  c'est  dans  un  cime- 
tière et  non  dans  les  cases  ou  les  champs  que  sont  conduits 
les  trépassés. 

Quelques  familles  dioula  de  Groumania  sont  allées  s'ins- 


TRACES    d'islam  Sq 

taller  au  hameau  voisin  de  Massadougou,  y  apportant  l'is- 
lam avec  elles. 

5.  Cercle  des  Gouro.  —  Les  Gouro,  connus  aussi  sous  le 
nom  de  Kouéni,  n'ont  pas  encore  pu  être  déterminés  au 
point  de  vue  ethnique.  Ils  s'étendent  sur  la  rive  droite  du 
Moyen  Bandama  jusqu'au  fleuve  Sassandra.  Mêlés  aux 
Bété  voisins,  ils  ont  même  donné  naissance  à  un  peuple 
métis  :  les  Chien.  Il  est  probable,  suivant  l'hypothèse  de 
Delafosse,  que  ces  tribus  de  la  Côte  d'Ivoire  occidentale  se 
rattachent  à  la  famille  mandé.  On  distingue  pourtant  dans 
le  peuple  gouro  des  peuples  nettement  agni. 

Les  Gouro,  entièrement  animistes;  ne  présentent  aucune 
trace  d'islam.  A  peine  voit-on  chez  eux  passer  de  temps  à 
autre  de  petits  groupes  de  dioula  musulmans  qui  traver- 
sent en  hâte  le  pays,  à  peine  rassurés  par  notre  occupation 
récente.  Quelques-uns  de  ces  dioula  soudanais  se  sont  fixés 
à  Bouaflé,  chef-lieu  de  cercle,  sur  le  Bandama  Rouge  ;  ils  y 
font  un  peu  de  commerce,  mais  nul  prosélytisme. 

6.  Cercle  du  Haut- Sassandra.  —  Le  cercle  du  Haut- 
Sassandra  est  constitué  par  le  bassin  de  la  vallée  supérieure 
du  Sassandra  et  de  ses  affluents  :  la  Lobo,  grossi  du  Goré 
et  du  Zoumou,  le  Dé  ou  le  Davo  ou  Gabéro.  Il  est  peuplé 
d'un  grand  nombre  de  tribus  appartenant,  en  définitive, 
dans  le  Nord,  à  deux  branches  des  races  mandé  et  agni- 
achanti  :  les  Gouro,  les  Ouobé;  dans  le  Sud  à  une  branche 
de  la  famille  Krou  :  les  Bété.  Des  alliances  matrimoniales 
nombreuses,  des  fusions  perpétuelles  dans  les  territoires 
de  transition,  des  exodes  de  cause  politique  ou  économique 
ont  amené  la  naissance  de  tribus  métisses  par  l'origine,  et 
intercalaires  par  la  zone  d'habitat.  Il  faut  en  citer  :  les 
«  Chien  »  (ou  Shien)  qui,  dans  le  Nord,  sont  un  mélange 
des  Ouobé  de  la  rive  droite  du  Sassandra  et  des  Gouro  et 
qui,  dans  le  Sud;,  ajoutent  à  ces  deux  races  du  sang  krou  et 


60  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

forment  aujourd'hui  un  groupement  bien  homogène  de 
plus  de  3oo  villages,  présentant  des  ressemblances  avec  les 
Neyo  du  bas  Sassandra;  les  «  Kouya  »,  qui  sont  un  mé- 
lange des  Gouro  et  des  Bété,  avec  prédominance  des  pre- 
miers; les  «  Yokolo  »,  d'origine  récente,  et  qui  sont  un 
mélange  de  Chien,  de  Bété,  de  Dida,  de  Gouro  et  même  de 
familles  déjà  métissées,  A  signaler  les  «  Niaboua  »,  peu 
nombreux,  qui  peuplent  la  région  comprise  entre  la  Loba 
et  le  Sassandra  et  qui  ont  été  refoulés  vers  la  forêt.  Ils  pa- 
raissent être  des  autochtones;  en  tout  cas,  leur  installation 
se  perd  dans  le  passé. 

Toutes  ces  populations  sont  animistes  et  ne  présentent 
pour  l'heure  aucun  symptôme  de  transformation  religieuse. 
Les  missionnaires  du  Sud,  de  confessions  diverses,  n'y  ont 
pas  encore  paru.  Quant  aux  musulmans  du  Nord,  on  les  a 
vus  et  on  les  vait  encore,  en  très  petit  nombre,  mais  ils  ne 
font  aucun  prosélytisme  et  n'ont  aucune  influence. 

Les  guerres  de  Samory,  en  amenant  dans  ces  régions  de 
la  forêt  une  grande  quantité  de  fugitifs  ou  de  captifs  sou- 
danais, partiellement  musulmans,  auraient  pu  provoquer 
une  certaine  tendance  pro-islamique,  d'autant  plus  que 
quelques  éléments  se  sont  mélangés  aux  aborigènes.  Il  n'en 
a  rien  été  :  au  moment  de  l'occupation  du  pays  gouro,  plus 
de '12.000  captifs  soudanais  de  toute  une  génération  furent 
libérés  et  regagnèrent  leur  pays  d'origine,  sans  laisser  der- 
rière eux  la  moindre  trace  religieuse.  On  n'en  découvre 
pas,  en  tout  cas,  aujourd'hui. 

Une  statistique,  aussi  serrée  que  possible,  donne  les 
chiffres  suivants  :  i''  dans  la  subdivision  de  Vavoua,  une 
dizaine  de  boutiquiers  sénégalais  et  une  centaine  de  Sou- 
danais de  toute  provenance;  de  plus,  3. 000  musulmans 
étrangers  traversent  annuellement  le  secteur  ;  2"  dans  la 
subdivision  de  Daloa  on  rencontre  quelques  Sénégalais^ 
boutiquiers  des  maisons  européennes,  et  environ  600  Sou- 
danais de  toute  provenance,  dont  les  deux  tiers  parcourent 


TRACES    d'islam  6i 

3a  subdivision,  tandis  que  les  autres  séjournent  momenta- 
nément à  Daloa.  De  plus,  4  à  5. 000  Soudanais  musulmans 
circulent  dans  la  région,  établissant  le  courant  d'échanges 
avec  le  Nord  ;  3°  dans  la  subdivision  d'Issia,  il  y  a  deux 
commerçants  Sénégalais  et  environ  450  à  5oo  Soudanais; 
40  dans  la  subdivision  de  Gagna,  c'est-à-dire  vers  le  sud  du 
cercle,  on  ne  rencontre  plus  qu'une  centaine  de  musulmans 
soudanais. 

L'intrusion  des  colporteurs  soudanais  dans  ces  régions 
•est  antérieure  à  notre  occupation.  Ils  parcouraient  le  pays 
dans  le  but  de  faire  du  commerce  par  échange,  vendant  du 
sel,  des  bœufs,  contre  les  produits  du  sol.  Ils  redoutaient 
les  attaques  des  habitants,  marchaient  par  bandes  de  i5o 
à  200,  payaient  tout  ce  qu'ils  prenaient  pour  vivre,  même 
l'eau.  Les  indigènes  en  firent  cependant  des  massacres.  Ils 
implorèrent  notre  appui  et  nous  rendirent,  comme  guides 
et  indicateurs,  des  services  lors  de  la  pénétration.  A  partir 
de  ce  moment,  leur  attitude  changea  vis-à-vis  des  indi- 
gènes qu'ils  exploitent  aujourd'hui  par  tous  les  moyens 
possibles,  abusant  de  leur  simplicité  pour  faire  des  gains 
■exorbitants.  Ils  leur  laissèrent  croire  volontiers  que  nous 
étions  à  leur  service,  et  dioula  comme  eux;  certains  au- 
tochtones ne  sont  pas  encore  détrompés. 

Quant  aux  boutiquiers  sénégalais,  ils  se  livrent  paisible- 
ment à  leur  commerce. 

Tous  ces  musulmans  doivent  être  considérés  comme  de 
passage;  aucun  n'est  lié  au  sol  par  le  droit  de  propriété. 

Leur  genre  de  vie  est  très  simple;  ils  dépensent  peu  pour 
se  nourrir  et  se  vêtir;  leurs  tendances  et  projets  se  résu- 
ment dans  l'appât  du  gain;  ils  importent  des  bœufs,  des 
graines,  du  sel,  et  exportent  les  produits  du  pays.  Ce  sont 
les  principaux  clients  des  comptoirs  européens. 

L'occupation  des  pays  avoisinants,  soit  maritimes,  soit 
soudanais,  en  provoquant  une  recrudescence  du  mouve- 
ment commercial,  eut  un  double  résultat  :  les  dioula  se 


02  ^  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM   EN    CÔTE   d'iVOIBE 

firent  de  plus  en  plus  nombreux,  attirés  par  les  richesses 
locales  et  les  gens  de  la  forêt  apparurent  eux-mêmes  sur  les 
marchés  de  Mankono,  de  Touba  et  de  Séguéla.  Ces  contrats 
répétés  entre  fétichistes  et  musulmans,  tant  dans  la  forêt 
que  dans  les  villes  de  la  savane,  n'ont  amené  pour  l'heure 
aucune  conversion. 

La  soumission  des  Gouro  et  des  Bété  et  l'occupation 
effective  du  pays  ont  provoqué  une  nouvelle  phase  com- 
merciale. Les  marchés  du  Nord  se  ferment,  et  l'on  voit 
apparaître  des  caravanes  de  Kayes,  de  Nioro-Sahel,  de  Sé- 
gou,  de  Sikasso,  qui  se  rendent  elles-mêmes  sur  les  lieux 
de  production,  se  dispersent  en  tous  sens,  constituent  leurs 
approvisionnements  et  repartent  directement  vers  le  Nord. 
Il  ne  semble  pas  que  cette  nouvelle  invasion  de  Mandé,  de 
Khassonké,  de  Toucouleurs,  de  Bambara,  de  Bobo,  tous 
plus  ou  moins  islamisés,  aient  la  moindre  influence  reli- 
gieuse sur  le  pays.  Ils  sont  d'ailleurs  beaucoup  plus  sou- 
cieux de  leur  négoce  que  de  prosélytisme. 

Il  n'y  a  à  signaler,  pour  ce  vaste  cercle  du  Haut-Sassandra, 
que  trois  noms  de  marabouts  :  a)  Amadou  Bâ,  dit  Fila 
Karamorho.  C'est  un  Toucouleur  de  Ségou,  où  il  est  né 
vers  1864  et  a  fait  ses  études  auprès  d'Alfa  Aliou.  Son 
père,  Tierno  Alassane  Bâ,  décédé  à  Ségou  vers  1896,  fut  un 
chef  de  guerre  omarien.  Amadou  Bâ,  lui-même,  prit  part 
dans  sa  jeunesse  aux  luttes  sur  le  Niger  entre  Bambara  et 
Toucouleurs.  Il  est  établi  à  Dabou,  depuis  notre  installa- 
tion dans  le  pays  et  fait  le  commerce  des  colas.  11  lit  assez 
bien  le  Coran,  mais  n'a  aucune  instruction  arabe  et  ne  pro- 
fesse pas.  Il  n'est  pas  sans  influence  dans  son  quartier; 
b)  Lagui  Diabi,  malinké,  né  à  Sambatiguila  vers  1866;  il  y 
a  fait  ses  études  auprès  de  Mamadi  Saranorho  Diabi,  et 
aussi  auprès  de  son  père,  Alimou  Sitafa,  qui  fut  un  mara- 
bout de  renom,  à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle.  Il  fait  le 
commerce  des  bœufs  et  des  kolas  sur  une  petite  échelle. 
Peu  instruit,  peu  connu,  il  n'a  aucune  influence;  c)  Kara- 


TRACES   d'islam  63 

morho  OuIé,  malinké,  né  à  Odienné  vers  i85o.  Il  y  a  fait  ses 
études  auprès  de  son  père,  Fodé  Sankali,  et  d'un  marabout  de 
renom,  Sidiki  Koné.  Son  installation  dans  le  Haut  Sassandra 
suivit  de  près  notre  occupation.  Vers  igii,  on  le  trouve  à 
Issia  ;  se  sentant  trop  loin  des  siens,  il  est  venu  s'établir,  en 
mars  igiS,  à  Vavoua  :  il  y  a  fait  un  peu  de  culture, un  peu  de 
commerce,  et  surtout  le  trafic  de  talismans  et  de  prières. 
C'est  un  marabout  au  service  des  fétichistes,  sans  plus. 

Le  cercle  du  Haut-Cavally  comprenait  jadis  un  certain 
nombre  de  musulmans  dans  les  deux  cantons  malinké  du 
Nord  :  Kouroukoro  et  Ouadougou,  composés  en  grande 
partie  d'anciens  captifs  de  Samory.  Depuis  que  ces  deux 
cantons  ont  été  rattachés  à  Touba,  il  n'y  a  plus,  en  dehors 
des  dioula,  de  musulmans  locaux. 

Il  n'existe  dans  tout  le  cercle  ni  mosquée,  ni  lieu  de  pè- 
lerinage, ni  lieux  sacrés.  Le  chef  du  village  dioula,  à  Daloa, 
a  demandé  jadis  un  emplacement,  afin  d'y  construire  une 
case  pour  y  dire  les  prières  en  commun,  mais  il  n'a  jamais 
mis  son  projeta  exécution. 

Les  castes  existant  au  Soudan,  telles  que  les  griots,  les 
forgerons,  les  bourreliers,  ne  sont  pas  organisées  ici. 

Ils  n'existent  de  groupement  musulman  qu'auprès  des 
principaux  postes.  Ces  groupements  ont  un  chef  de  village 
nommé  par  l'autorité  française.  Il  n'y  a  pas  d'organisation 
politique,  à  proprement  parler. 

L'ingérence  musulmane  dans  les  tribus,  villages  et  fa- 
milles fétichistes  a  trouvé  un  milieu  complètement  réfrac- 
taire  à  l'apostolat,  tant  que  la  paix  n'a  pas  été  assurée,  mais 
le  prosélytisme  ne  manquera  pas  de  s'infiltrer  dans  le  nord 
du  cercle,  avec  les  progrès  de  la  pacification. 

Quant  à  l'action  des  dioula  sur  les  femmes  et  les  jeunes 
gens  autochtones,  elle  tend  plutôt  à  s'exercer  par  des  insi- 
nuations et  des  embauchages,  qui  aboutissent  à  une  traite 
déguisée,  sans  rapport  avec  les  questions  religieuses. 

Il  semblerait  que  les  marchands  musulmans  devraient 


64  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

être  pour  le  cercle  une  source  de  richesse,  puisqu'ils  con- 
tribuent à  répandre  le  numéraire  et  achètent  les  produits 
du  pays.  Il  n'en  est  rien  pourtant.  Ils  ont  ruiné  tout  le  pays 
gouro  ;  ils  ont  déjà  commencé  à  en  faire  autant  du  cercle 
du  Haut-Sassandra,  et  si  l'on  n'y  mettait  bon  ordre,  c'en 
serait  fait  bientôt  des  maigres  ressources  que  la  guerre  ci- 
vile a  laissées  aux  habitants. 

«  On  ne  saurait  trop  répéter,  dit  une  note  du  comman- 
dant de  cercle  en  igiS,  que  les  dioula  exploitent  par  toute 
espèce  de  moyens  la  naïveté  de  nos  indigènes.  Tout  ce  qui 
fait  la  richesse  du  sol  est  enlevé  à  des  prix  dérisoires,  le  plus 
souvent  pas  même  pour  de  l'argent  :  kolas,  latex,  riz,  etc., 
tout  cela  disparaît,  est  emporté  au  loin  ;  en  échange  l'indi- 
gène reçoit  un  petit  morceau  de  viande,  quelques  sombé  ou 
une  poignée  de  sel  ;  et  lui,  qui  devrait  être  riche,  en  arrive 
à  ne  plus  même  pouvoir  payer  l'impôt  ! 

«  Ce  ne  sont  pas  les  impôts  de  capitation,  le  rachat  des 
prestations,  les  prix  des  cartes  de  circulation  des  dioula  qui 
compenseront  toutes  ces  déprédations  !  » 

En  résumé,  les  populations  animistes  se  désintéressent 
de  l'islam,  tout  en  considérant  les  dioula  étrangers  comme 
des  gens  supérieurs  à  eux.  Les  uns  les  regardent  avec  froi- 
deur i  d'autres  avec  une  curiosité,  mêlée  d'intérêt,  et  cer- 
tains, par  esprit  d'imitation,  s'exercent  en  cachette  à  mimer 
les  prosternations  rituelles  des  dioula  ;  ils  leur  achètent 
même  des  versets  du  Coran,  mais  ils  ne  les  considèrent  que 
comme  des  amulettes.  L'islam  inconnu  avant  l'arrivée  des 
dioula  qui  sont  venus  à  notre  suite,  fera  probablement  des 
progrès,  mais  très  lentement.  Il  flatte  l'amour  du  surnaturel 
inné  chez  le  noir. 

Personne  n'est  hostile  à  l'islam  en  principe. 

La  plupart  des  boutiquiers  et  dioula  sont  vaguement  mu- 
sulmans, c'est-à-dire  qu'ils  font  plus  ou  moins  régulière- 
ment leurs  prières,  maisaccommodentlespréceptesdu  Coran 
à  leurs  goûts  et  leurs  préceptes. 


TRACES    d'islam  65 

Quelques-uns  cependant  témoignent  de  ferveur,  et  se  réu- 
nissent le  soir  pour  commenter  le  Coran  autour  de  ceux 
qui  possèdent  ce  texte  en  arabe. 

Parmi  les  commerçants  indigènes,  les  Sénégalais,  qui 
sont  lettrés,  savent  se  servir  du  Coran  pour  avoir  une  em- 
prise morale  sur  les  autochtones  intelligents,  qui  peuvent 
leur  rendre  des  services. 

Enfin  quelques  Maures  commencent  à  venir  dans  le 
cercle  avec  des  bœufs  ;  ceux-là  sont  des  musulmans  con- 
vaincus, mais  ils  ne  font  pas  de  prosélytisme,  et  vivent  à 
l'écart,  ne  frayant  pas  avec  les  populations  locales  qu'ils 
semblent  dédaigner. 

7.  Cercle  du  Haut-Capally.  —  Ce  cercle  du  Haut- 
Cavally  est  habité  par  des  peuplades  fort  diverses,  et  sem- 
blant distinctes  les  unes  des  autres  à  tous  les  points  de  vue. 
Une  observation  attentive  permet  pourtant  de  les  rattacher 
en  bloc  à  deux  origines  :  soudanaise  ou  côtière. 

La  migration  soudanaise  est  représentée  par  deux  grou- 
pements :  les  Toura  et  les  Dan. 

Les  Toura,  les  moins  nombreux,  forment  une  confédéra- 
tion d'environ  lo.ooo  âmes.  Ce  nom  est  le  seul  qui  leur 
soit  appliqué  par  eux-mêmes  et  par  leurs  voisins. 

Les  Dan  s'étendent  à  cheval  sur  le  Haut-Cavally  et  se 
prolongent  fort  avant  dans  le  territoire  libérien.  On  les  dit 
«  Manon  »  dans  la  haute  Guinée  et  «.  Dioula  »  à  Touba.  Les 
chefs  les  plus  importants  de  ces  Dan  sont  Ma  Hégui,  né 
vers  1880,  habitant  Zéalé,  chef  du  canton  Blossi  (68  vil- 
lages, 14.000  âmes)  et  Goundo,  chef  du  canton  deCourosé. 
Ce  canton  a  beaucoup  souffert  des  incursions  des  bandes  de 
Samory  :  aussi  nous  y  fut-on  très  reconnaissant  d'avoir 
débarrassé  le  pays  du  terrible  almamy,  et  en  décembre  igoS, 
lors  de  la  pénétration,  l'ex-chef,  Bé,  frère  de  Goundo,  nous 
rendit-il  de  précieux  services.  Dévoué  et  intelligent,  Goundo 
commande  avec  énergie  un  canton  de  1.600  âmes,  répar- 

5 


66  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE   d'iVOIBE 

ties  en  9  villages,  qui  n'ont  conservé  de  leurs  contacts  avec 
les  Mandingues  de  Samory  qu'une  profonde  horreur  de 
l'islam  et  des  musulmans. 

Le  chef  du  village  de  Laplou  porte  le  nom  d'Iba  (Ibrahim), 
c'est  la  seule  infiltration  d'islam,  que  l'on  trouve  dans  ce 
canton  de  Houné,  dont  le  chef  Badia  Glao,  est  le  frère 
d'Iba.  Iba  est  loin  d'ailleurs  d'être  musulman  :  mais  c'est 
par  une  coutume,  chère  aux  Noirs,  que  sa  famille  lui  a 
donné  ce  nom  qui  pourrait  faire   illusion  sur  sa  religion. 

A  Danané  même,  on  trouve  bien  quelques  corporteurs 
et  dioula  musulmans  de  passage,  mais  pas  d'établissement 
fixe,  pas  de  marabout  sédentaire. 

Au  nord  de  Logoualé,  on  rencontre  souvent  quelques 
marabouts  établis  sur  la  frontière  du  Haut-Cavally  et  de 
Man,  et  qui  vont  de  Tune  à  l'autre  région.  Trois  d'entre 
eux  méritent  une  mention  :  a)  Sagoué  Sérifou,  de  Gouessé 
So,  dans  le  canton  de  Gan.  C'est  un  Malinké,  né  vers  1864 
à  Férentela,  et  établi  depuis  longtemps  chez  les  Dan.  Il 
est  très  connu  d'eux  et  en  relations  intimes  avec  leur  chef 
Gouessé,  qui  lui  fait  des  cadeaux  et  l'apprécie  beaucoup. 
Les  dioula  de  passage  n'ont  en  revanche  qu'une  médiocre 
estime  pour  Sagoué,,  qu'ils  accusent  de  se  laisser  corrompre 
par  le  fétichisme  ambiant.  Il  distribue  à  ses  quatre  enfants 
et  à  quelques  fils  de  Dioula  les  rudiments  de  Coran  qui  lui 
restent  encore.  Il  fut  assesseur  au  Tribunal  de  cercle  de  Man 
quand  Man  en  était  le  chef-lieu  ;  b)  Siéko  Fadika,  né  vers 
1890,  malinké  de  Touba,  est  établi  à  Man,  chez  les  Dan,  et 
erre  en  dioula  du  Haut-Cavally  à  Touba.  Il  a  fait  ses  études 
auprès  de  son  frère  Karamoko  Fadika,  président  actuel  du 
tribunal  de  Touba.  Siéko  est  un  jeune  homme  intelligent, 
déjà  riche  et  qui  n'a  pas  encore  donné  sa  mesure.  Il  fait  la 
classe  à  quelques  enfants  de  sa  famille,  mais  n'est  pas  connu 
des  Dan  ;  c)  Doua  Sérifou,  malinké  de  Ferentéla,  né  vers 
1880,  établi  à  Soukourala,  du  canton  de  Bofesso,  auprès  du 
chef  Souaké,  qui  lui  fait  des  cadeaux  et  professe  à  son  égard 


TRACES    d'islam  67 

une  grande  confiance.  C'est  en  quelque  sortelechapelainetle 
griot  de  Souaké  :  c'est  d'ailleurs  un  ancien  captif  de  Souaké, 
qui  voilait  plus  ou  moins  jadis  son  islamisme,  et  qui  ne  l'af- 
fiche que  depuis  l'occupation  française.  Doua  est  très 
connu  dans  le  secteur  Dan,  à  cause  deson  action  sur  Souaké. 
Comme  dans  le  royaume  des  aveugles  les  borgnes  sont  rois, 
Doua,  qui  est  un  ignorant,  passe  tout  de  même  pour  un 
grand  savant,  auprès  des  fétichistes  dan.  Il  fait  l'école  à 
une  douzaii^e  d'enfants  de  8  à  14  ans,  fils  des  Diomandé  et 
Monké,  parents  de  Souaké.  Doua  travaille  à  l'islamisation 
du  pays  :  il  est  à  surveiller. 

Au  sud  de  ces  populations  Dan,  on  trouve  des  individus 
ou  des  familles,  habitant  par  petits  groupes  isolés,  n'ayant 
aucune  cohésion.  C'est  la  parfaite  anarchie  sociale  de  la  fo- 
rêt. Ils  ont  divers  dialectes,  dont,  malgré  tout,  la  base  est 
commune.  Ils  semblent  bien  appartenir  de  près  ou  de  loin 
aux  Bakoué  ou  plus  généralement  encore  à  la  race  Krou. 
Les  groupements  les  plus  importants  sont  :  au  nord-est, 
les  Oubé  ;  au  centre,  les  Niépo  ;  à  Touest,  vers  le  Cavally, 
les  Boo  et  les  Flépo.  Ils  n'ont  pas  chez  eux  de  nom  collec- 
tif :  leurs  voisins  du  nord,  Dan  et  Mandingueslesdésignent 
sous  le  nom  de  Guère.  Ces  peuplades  sont  profondément 
attachés  à  leurs  croyances  et  coutumes  animistes,  et  ignorent 
tout  de  l'islam. 


CHAPITRE  III 

COMMERÇANTS  ET  MARABOUTS  MAURES 


La  Côte  d'Ivoire  sylvestre  et  maritime,  et  même  souda- 
naise, a  vu  défiler,  depuis  notre  occupation,  un  certain 
nombre  de  commerçants,  de  marabouts  ou  tout  simplement 
d'aventuriers,  d'origine  blanche,  qu'il  est  bon  de  connaître. 
Les  uns  se  sont  installés  à  demeure  dans  le  pays  :  les  autres 
ont  disparu,  souvent  par  des  circonstances  indépendantes 
de  leur  volonté,  mais  reviendront  quand  l'occasion  sera 
favorable.  Les  uns  et  les  autres  cherchent  leurs  ressources 
dans  l'exploitation  des  indigènes,  licite  ou  illicite.  Tous 
auraient  quelque  tendance  à  profiter  de  la  crédulité  de  ses 
âmes  simples,  sinon  pour  leur  infuser  l'islamisme,  du 
moins  pour  tirer  cyniquement  parti  du  prestige  que  le  mer- 
veilleux islamique  et  leur  peau  blanche  leur  donnent  aux 
yeux  de  ces  populations  arriérées. 

Ces  marabouts  et  commerçants  semblent  avoir  été  connus 
depuis  fort  longtemps,  à  l'orée  septentrionale  de  la  grande 
forêt.  Il  est  curieux  de  lire  les  instructions  que  la  Compagnie 
(anglaise)  d'Afrique  adressait  de  Londres,  le  3 1  octobre  j 8 18 
à  Dupuis,  qui  s'en  allait  à  Coomassie  gérer  ses  intérêts  et 
représenter  le  Gouvernement  britannique  auprès  des  chefs 
achanti.  Elles  montrent  que  les  négociants  anglais  ne  se 
faisaient  pas  d'illusion  sur  la  valeur  morale  des  Maures  et 
sur  les  services  qu'ils  pouvaient  en  attendre. 


COMMERÇANTS   ET    MARABOUTS   MAURES  69 

«  La  connaissance  que  vous  avez  obtenue  du  caractère 
des  xMores,  pendant  votre  long  séjour  en  Barbarie,  rend 
parfaitement  inutile,  à  votre  égard,  les  avis  qu'on  pourrait 
donner.  Cependant,  il  sera  bon  de  remarquer  jusqu'à  quel 
point  on  pourrait  avoir  confiance  en  ceux  qui  résident  à 
Coomassie,  et  s'il  serait  politique  de  les  employer  comme 
interprètesou  autrement,  car,  par  religion  autant  que  par 
intérêt,  ils  doivent  être  plutôt  portés  à  nous  nuire  qu'à 
nous  protéger.  Il  est  possible  cependant  que  vous  les  trouviez 
moins  attachés  à  leurs  principes  religieux  qu'au  désir  de 
s'enrichir,  et  que  par  des  mesures  prudentes,  vous  réus- 
sissiez à  tourner  l'influence  qu'ils  exerce  sur  le  gouverne- 
ment d'Ashantee,  en  faveur  des  intérêts  britanniques.  5^ 

Dans  le  courant  de  igoS,  un  marabout  mi-blanc,  mi- 
haoussa,  originaire  de  Kouka  (Northern  Nigeria),  du  nom 
de  Mohammed  Othman,  est  signalé  par  ses  prédications  et 
perturbations  sociales  dans  la  forêt.  Il  arrive,  vers  mai,  à 
Bondoukou,  où  il  est  possible  de  le  surveiller  de  près.  Là, 
on  apprend  qu'il  a  quitté  Diafokou  dans  le  Baghirmi, 
vers  1903,  et  qu'il  s'est  rendu,  par  ordre  du  Mahdi  chez  les 
populations  du  golfe  de  Guinée  pour  réformer  les  musul 
mans  et  amener  les  païens  à  la  voie  droite.  A  Bondoukou, 
la  parole  de  cet  envoyé  du  mahdi  est  puissante  sur  l'esprii 
des  indigènes.  Il  fait  des  quêtes,  ordonne  la  destruction  des 
tam-tam,  s'absorbe  en  de  longues  prières  extatiques  dans 
les  mosquées,  conseille  la  mort  de  tous  les  animaux  de 
couleur  noire,  prescrit  de  nese  vêtir  que  d'étoffes  blanches, 
et  un  beau  jour,  dépassant  la  mesure,  invite  tous  les  mul- 
sulmans  à  faire  aiguiser  leurs  sabres,  car  l'heure  du  Mahdi 
est  proche  et  les  Blancs  vont  être  chassés.  Il  fut  arrêté  avec 
sa  femme  et  ses  serviteurs  et  envoyé  à  Dakar.  Ses  servi- 
teurs, qui  étaient  d'origine  dahoméenne,  furent  ramenés 
chez  eux.  Quant  à  lui  et  à  sa  femme,  ils  furent  l'objet  d'un 
arrêté  d'expulsion,  expédiés  sur  Lagos,  et  signalés  à  l'atten- 
tion des   autorités  anglaises  (décembre  igoô).  On  ne   lésa 


70  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE   D  IVOIRE 

plus  revus.  On  a  pu  constater  plus  haut  que  certaines  de 
ces  prédications,  et  notamment  la  destruction  des  animaux 
noirs,  avaient  été  reprises  à  leur  compte  par  des  sorciers 
fétichistes  de  la  forêt. 

La  propagande  de  Mohammed  Othman  avait  des  conti- 
nuateurs ou  des  initiateurs.  Le  8  août  igoS,  on  arrêtait  à 
Bouna  un  métis  de  Toucouleur  et  de  xMaure  de  Sokolo, 
Oumara  Faroukou.  C'était  un  disciple  du  grand  marabout 
Karamoko  Moussa,  alors  établi  à  Salaga.  Le  but  de  Kara- 
moko  était,  semble-t-il,  de  se  rendre  à  Tombouctou,  point 
terminus  de  sa  mission,  tout  en  recrutant  de  nouveaux 
adeptes  à  l'islam.  Oumara  Faroukou  déclare  que  ni  lui  ni 
son  maître  n'avaient  de  relations  avec  le  marabout  Mo- 
hammed Othman  précédemment  arrêté.  Oumara  Faroukou 
fut  dirigé  sur  Bingerville.  De  renseignements  obtenus  il 
résulta  que  Karamoko  Moussa,  de  Salaga  se  dirigea  vers 
Oua  et  de  là  remonta  vers  le  Nord.  Son  prosélytisme  fut 
particulièrement  brutal  et  la  chicotte  fut  le  grand  argu- 
ment de  ses  prédications.  Plusieurs  indigènes  qui  mettaient 
une  certaine  tiédeur  à  se  convertir  furent  roués  de  coups. 

Chose  extraordinaire,  cette  étrange  prédication  n'émut  pas 
outre  mesure  les  fonctionnaires  anglais,  qui  se  bornèrent  à 
inviter  Karamoko  à  quitter  au  plus  tôt  Oua  et  la  région  voi- 
sine. Or  il  fut  établi  par  la  suite  que  Karamoko  Moussa  n'agis  - 
sait  point  pour  son  propre  compte,  mais  avait  des  relations 
suivies  avec  Mohammed  Othman  et  n'était  autre,  lui  aussi, 
qu'un  émissaire  de  Si  Mahdi,  ou  du  moins  se  disait  tel. 

En  1906,  un  Cheikh  arabe  de  Médine,  Siyed  Mohammed 
ould  Chérif  Soma  Allah,  débarque  à  Bassam,  et  après  une 
exploration  minutieuse  de  la  lagune  et  de  la  basse  forêt, 
arrive  à  Toumodi,  puis  déclare  se  fixer  définitivement  à 
Tiassalé  pour  y  faire  du  commerce.  11  est  sans  moyens 
d'existence.  On  le  surveille  de  près,  ce  qui  rend  impossible 
toute  prédication  intéressée.  11  se  remet  en  marche  et  fina- 
lement disparaît  sans  laisser  de  traces. 


COMMERÇANTS  ET  MARABOUTS  MAURES  7I 

En  191 5,  on  arrête  à  Bondoukou,  après  une  année  de 
surveillance,  un  pèlerin  vagabond,  Al-Hadj  Abou  Bakr, 
qui,  arrivé  de  la  Mecque  par  Fort-Lamy,  où  on  lui  avait 
donné  un  laissez-passer,  s'était  signalé  dans  la  Baoulé,  à 
Bondoukou  et  à  Bouna  par  des  palabres  douteux.  Il  déclare 
alors  qu'il  ne  relève  que  du  sultan  de  Stamboul.  Remis 
en  liberté  avec  invitation  à  chercher  fortune  ailleurs,  il 
continue  ses  pérégrinations  sur  la  Gold  Coast.  On  ne  l'a 
plus  revu. 

La  famille  des  Mourad est  plus  intéressante  et  a  fini  par 
s'acclimater  en  Côte  d'Ivoire.  Abdoul-Karim  Mourad  ould 
Omar  est  originaire  d'Arabie.  Il  est  né  à  la  frontière  de  la 
Syrie  et  du  Hedjaz  vers  1860  . 

11  arriva  du  Sénégal,  vers  1904,  venant  de  Médine  où  il 
aurait  professé  l'arabe.  Il  commença,  à  l'exemple  de  plu- 
sieurs de  ses  compatriotes,  par  demander  des  aumônes  aux 
indigènes,  à  titre  de  natif  des  saints  Lieux  venant  de  la 
Mecque.  Il  })ut  ainsi  se  constituer  rapidement  un  petit 
pécule  qui  lui  permit  de  se  livrer  au  commerce  des  livres 
saints.  Pour  les  besoins  de  son  commerce,  il  entra  en  rela- 
tions avec  Ahmadou  Bamba,  pontife  des  mourides  sénéga- 
lais, et  avec  les  principaux  marabouts  de  la  colonie.  —  Il 
est  toujours  resté  en  relation  avec  eux.  Comme  c'est  un  fin 
lettré  arabe,  Cheikh  Thioro,  ancien  cadi  supérieur  de 
Louga  et  l'un  des  frères  d'Ahmadou  Bamba,  lui  confia  son 
fils,qu'Abdoul-Karim  emmena, avec  lui,  à  la  Côte  d'Ivoire. 

Après  un  premier  séjour  aa  Sénégal,  Abdoul-Karim  par- 
tit au  Lagos,  où  il  ouvrit  une  école  musulmane,  d'où  il  fut 
chassé. 

Il  revint  au  Sénégal,  en  décembre  1908,  et  y  resta  un 
mois,  pendant  lequel  il  alla  encore  rendre  visite  au  mara- 
bout de  Thiéyaine.  Il  s'embarqua,  le  2  février  1909,  pour 
Grand-Bassam. 

Il  resta  à  Grand-Bassam  de  février  à  octobre,  à  Kotonou 
de  novembre  à  décembre,  à  Porto-Novo  de  décembre  1909 


72  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIBE 

à  avril  1910.  On  le  trouve  en  perpétuelle  errance  à  Abomey 
en  mai,  en  Guinée  en  juin;  on  perd  sa  trace  de  juillet  à  fin 
octobre.  Il  reparaît  au  Sénégal  le  2  novembre.  Il  visita 
Ahmadou  Bamba,  qui  était  à  Diourbel  cette  fois,  dans  le 
courant  du  mois  et  partit  sur  l'Afrique  pour  Grand- 
Bassam,  le  2  janvier  191 1.  Depuis  cette  date,  il  est  retourné 
en  Nigeria,  mais  on  l'a  vu  à  maintes  reprises  en  Côte 
d'Ivoire  et  au  Sénégal. 

Il  s'intéresse  aux  manuscrits  arabes,  recueille  ceux  iné- 
dits, qu'il  peut  trouver,  pour  les  faire  éditer  au  Caire  ou  à 
Beyrouth  chez  Moustafa  Al-Habi  Al-Halabi,  à  qui  il  doit 
d'ailleurs  de  l'argent. 

Plusieurs  ouvrages  arabes,  dont  les  manuscrits  lui  ont 
été  remis  par  Ahmadou  Bamba,  ont  été  ainsi  publiés  par 
ses  soins  :  on  en  trouvera  la  liste  dans  «  L'Islam  au  Séné- 
gal »  (Les  Mourides  d'Ahmadou  Bamba).  Il  a  encore  fait 
paraître  les  poésies  religieuses  d'Ibn  Al-Mouhibb  et  une 
grammaire  arabe  d'Ibn  Bouna,  iMaure  de  la  tribu  des  Tad- 
jakant,  qui  a  fait  un  commentaire  apprécié  de  l'Alfiya. 

Deux  autres  ouvrages,  également  remis  à  Abdoul-Karim 
par  Sérigne  Bamba,  seraient  en  cours  d'édition  :  l'un  est  un 
commentaire  du  Coran,  ayant  pour  titre  «  Dzahabou-1 
Ibriz  »,  de  Mohammed  Al-Yadali,  marabout  du  Trarza,  de 
la  tribu  des  Oulad  Deïman,  l'autre  un  commentaire  de  Sidi 
Khalil  «  Al-Mouyassar  »  de  Mohand  Baba,  également  de  la 
tribu  des  Oulad  Deïman. 

Tout  compte  fait,  Abd  El-Karim  Mourad  paraît  être  sur- 
tout un  commerçant,  et  sa  véritable  voie,  enfin  trouvée, 
est  le  trafic  des  kolas,  des  tissus  et  du  sel. 

Il  a  installé  son  neveu  Mohammed  Mourad  ould  Moham- 
med ould  Omar  à  Korhogo.  Ce  jeune  homme,  dont  les  pa- 
rents sont  arabes  et  morts  au  Hedjaz,  a  été  recueilli  et  élevé 
par  son  oncle.  Il  l'a  suivi  dans  beaucoup  de  ses  pérégrina- 
tions et  finalement,  à  cause  de  son  mauvais  état  de  santé, 
s'est  établi  à  demeure  à  Korhogo  et  a  ouvert  une  boutique. 


COMMERÇANTS    ET   MARABOUTS    MAURES  yS 

Il  a  épousé  une  femme  baoulé  et  en  a  deux  enfants  en  bas 
âge.  «  Ma  femme,  raconte-t-il,  se  dit  musulmane  pour  me 
faire  plaisir,  mais  ce  n'est  pas  vrai  et  au  surplus  la  chose 
ne  m'intéresse  pas.  Je  la  vois  pourtant  quelquefois  faire 
sa  prière.  »  Mohammed  Mourad  paraît  sympathique,  il  n'est 
nullement  dangereux.  Il  ne  participe  d'ailleurs  à  aucun 
des  exercices  religieux  de  la  mosquée. 

Le  Ouorodougou  a  vu,  ces  derniers  années,  passer  deux 
Arabes  nord-africains  qui  ont  disparu  sans  laisser  de  tra- 
ces, après  plusieurs  escroqueries  caractérisées.  Le  premier, 
Chérif  Salah,  est  signalé  vers  191 2.  C'est  un  jeune  Tuni- 
sien, commerçant  à  Dimbokro.  Il  était  arrivé  à  Mankono 
sous  couleur  de  commerce.  En  réalité,  il  cherchait  surtout 
à  vendre  des  bagues  miraculeuses,  au  point  de  vue  de  la 
procréation,  et  qui  n'eurent  pas  le  moindre  succès.  Il  fut 
reçu  assez  froidement  par  les  marabouts  de  Mankono,  qui 
le  logèrent  dans  une  mauvaise  case,  et  comme  cadeau  de 
bienvenue,  lui  offrirent  un  maigre  cabri  de  quelques 
semaines.  Ils  consentirent  toutefois  à  l'admettre  au  premier 
rang  à  la  prière.  Salah,  écœuré  de  ces  procédés,  déclara 
que  ces  musulmans  étaient  de  bien  tristes  érudits,  tout  à 
fait  étrangers  aux  choses  de  Dieu  ;  puis  ne  faisant  pas  ses 
frais,  il  disparut. 

L'autre,  Ahmed  ould  Bekkaï,  originaire  de  l'Oued  Rhir 
(Constantine)  venait  également  de  la  côte  dans  un  but  de 
commerce.  Il  fut  immédiatement  discrédité  par  ses 
demandes  continuelles  de  vin  de  palme...  pour  faire  du 
pain?  Il  n'eut  même  pas  un  cabri.  Il  est  vrai  qu'il  ne  mit 
jamais  les  pieds  à  la  mosquée. 

Un  personnage  plus  redoutable  fut  le  nommé  Sidi  La- 
miné Sérijou,  détenu  plusieurs  années  pour  escroquerie  à 
Mankono.  Métis  de  Maure  et  de  femme  noire,  il  mita  pro- 
fit son  teint  clair  pour  se  faire  passer  pour  Arabe  chez  les 
fétichistes,  il  est  vrai.  Vivant  un  peu  comme  les  santons 
d'Algérie,  impressionnant  les  gens  simples  par  son  mélange 


74  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

de  sorcellerie  et  de  connaissances  coraniques,  il  escroqua 
ainsi  un  nombre  considérable  de  bœufs  et  beaucoup  de 
numéraire,  fut  dénoncé  par  les  musulmans  de  Mankono. 
Lui  aussi  a  disparu,  à  sa  sortie  de  prison.  On  le  reverra. 

Chérif  Ali  ben  Tahar,  de  Qmar,  tribu  des  Oulad  Abd 
El-Qader,  de  l'Oued  Souf  (Constantine).  Né  vers  iBSg,  il 
quittait  ses  oasis  du  sud  constantinois  et  errait  en  com- 
merçant de  Tunis  à  Oran.  Il  vint  au  Maroc,  où  on  lui 
parla  du  Sénégal.  Il  continua  ses  pérégrinations  sur  la  côte 
d'Afrique,  en  visita  les  différentes  localités,  monta'par  Dim- 
bokro  jusqu'au  Soudan,  tint  boutique  à  Sikasso  et,  finale- 
ment, après  maintes  aventures,  trop  longues  à  rapporter, 
ce  commerçant,  type  échappé  des  Mille  et  une  nuits,  s'est 
fixé  à  Bouaké.  Il  y  fait  le  commerce  de  bétail,  servant 
d'intermédiaire  entre  les  maisons  de  commerce  et  les  indi- 
gènes. Il  a,  jadis,  à  San,  épousé  une  femme  songaï,  fille 
d'Arma,  et  n'en  a  qu'une  fillette. 

Son  frère  Ham^a,  qui  l'a  rejoint  vers  1908,  est  son  asso- 
cié et  son  courtier.  Il  a  épousé  Oumati,  fille  de  Chérif 
Habib,  qu'on  verra  ci-après. 

Chérif  Ali  est  un  homme  usé  par  le  climat  colonial  et 
complètement  désabusé.  Il  n'a  pas  d'ouird,  ne  se  mêle  nul- 
lement aux  musulmans  locaux,  ne  va  jamais  à  la  mosquée 
et  fait  ses  dévotions  chez  lui.  Il  reconnaît  lui-même  que 
l'Islam  n'a  jamais  fait  de  progrès  et  est  peu  susceptible 
d'en  faire  chez  les  populations  agni.  Il  en  donne  comme 
exemple  les  nombreux  mariages  que  les  Soudanais  musul- 
mans contractent  avec  des  femmes  du  pays.  Elles  se  disent 
musulmanes  pendant  la  durée  du  mariage  et  pour  faire 
plaisir  à  leur  époux.  Mais  elles  ne  remplissent  aucune  obli- 
gation religieuse,  et  avec  la  rupture  du  mariage  abandon- 
nent jusqu'au  titre  de  musulmane.  C'est  un  homme  intelli- 
gent et  instruit,  sans  aucune  influence  locale. 

Chérif  Habib  ould  Moulay  Omar  ould  Sidi  Mohammed 
ould  Moulay  Mahdi  est  de  la  lignée  des  Chorfa  de  Néma- 


COMMERÇANTS    ET   MAPABOUTS   MAURES  jS 

Oualata.  Il  est  né  vers  1870,  est  venu  ici  vers  1900  et  a 
ouvert  diverses  boutiques  sur  la  voie  ferrée  :  Tiémélikro, 
Agboville,  Dimbokro,  Bouaké.  A  Dimbokro  il  fait  même 
le  boucher.  Il  sert,  en  réalité,  de  représentant  aux  nom- 
breux Maures,  marchands  de  bestiaux,  qui  descendent  du 
Nord,  facilitant  l'écoulement  de  leur  marchandise,  ou  en  la 
leur  achetant  lui-même.  Il  a  épousé  diverses  Soudanaises 
et  en  a  eu  des  enfants.  Son  frère,  Mohammed  Salah,  venu 
jadis  avec  lui,  est  décédé  il  y  a  quelques  années.  Chérif 
Habib  a  été  affilié  jadis  au  qadérisme  par  son  oncle,  Mou- 
lay  Abd  Allah  ould  Moulay  Ismaïl;  il  paraît,  d'ailleurs, 
beaucoup  plus  occupé  de  commerce  que  de  religion. 

Il  emploie  divers  coureurs  de  brousse  et  agents  d'affaire, 
dont  le  plus  intéressant  paraît  être  Mohammed  Abd  Allah 
ould  Hanina,  des  Tadjakant  de  Tindouf,  originaire  de  So- 
kolo,  garçon  fort  intelligent  et  ouvert. 

Mohammed  Abd  Allah  ben  Ali  appartient  à  une  tribu 
maure  du  Hodh  (cercle  de  Goumbou-Nara,  Haut-Sénégal 
et  Niger)  et  y  est  né  vers  1869.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années 
qu'il  erre  dans  la  haute  région  de  la  Côte  d'Ivoire  et  dans 
les  ^ares  ou  gros  centres  de  la  zone  sylvestre.  Venu  au 
début  pour  commercer,  il  s'est  peu  à  peu  habitué  à  vivre 
sur  le  pays,  s'occupant  à  de  petites  besognes  de  traitant 
quand  l'occasion  s'en  présentait,  vivant  le  plus  souvent 
aux  crochets  de  ses  coreligionnaires  et  même  des  féti- 
chistes. Loin  de  nos  postes,  on  l'a  vu  parader  de  village  en 
village  à  la  tête  de  40  à  5o  talibés,  aventuriers  de  tout  poil. 
C'est  un  individu  peu  intéressant  et  douteux  au  point  de 
vue  politique.  Après  plusieurs  altercations  à  Dimbokro  et 
Bingerville,  il  a  été  invité  à  regagner  son  pays  d'origine. 

En  dehors  de  ces  personnalités,  plus  ou  moins  notoires, 
il  faut  signaler  les  quelques  douzaines  de  Maures,  en  géné- 
ral originaires  du  Hodh  et  du  Sahel  soudanais  :  Kounta, 
Tadjakant,  Ahel  Taleb  Mokhtar,  Chorfa,  hassanes  même, 
qui  circulent  le  long  de  la  voie  ferrée  et  des  grandes  pistes 


yÔ  ÉTUDES   SLR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

caravanières,  amenant  sans  arrêt  du  Nord,  par  Bougouni 
et  Sikasso,  de  petits  troupeaux  de  bœufs,  de  moutons  et  de 
chèvres,  aussitôt  consommés  qu'arrivés  et  remportant  des 
kolas,  des  tissus,  du  thé,  du  sel,  etc.  Ils  n'exercent  aucune 
influence  islamique  sur  les  populations  de  la  forêt  et  cher- 
chent surtout  à  s'enrichir  par  le  négoce.  Il  apparaît  nette- 
ment que  s'il  arrive  quelquefois  aux  dioula  mandé  de  parler 
religion  aux  animistes,  sans  succès  d'ailleurs,  on  ne  saurait 
faire  un  semblable  grief  aux  Maures  et  métis  maures  du 
Nord. 


LIVRE  m 

LA  SAVANE  SOUDANAISE 


CHAPITRE  PREMIER 

GROUPEMENTS  ET  INDIVIDUALITÉS  ISLAMIQUES 

I.  —  Introduction  historique. 

Il  n'est  pas  possible  d'entreprendre  ici  l'histoire  de  la 
haute  Côte  d'Ivoire  :  Non  erat  hic  locus.  Mais  il  n'est  pas 
inutile  d'en  exposer  les  principales  données  historiques  et 
ethniques  :  cet  exposé  est  une  introduction  presque  néces- 
saire à  l'étude  des  principaux  groupements  et  personnages 
musulmans  de  la  savane  soudanaise  de  cette  colonie.  Les 
traditions  locales  ne  manquent  pas;  les  relations  écrites  des 
auteurs  arabes  y  font  quelques  allusions.  Ces  divers  maté- 
riaux ont  été  utilisés,  comme  aussi  les  travaux  si  pleins 
d'intérêt  de  xMaurice  Delafosse,  de  Ripert,  de  Chartier,  de 
Le  Campion,  de  Falip.  Cette  introduction,  conçue  sans 
vains  développements,  ramenée  aux  faits  essentiels,  établie 
en  vue  d'éclairer  la  situation  islamique  locale,  est  donc  en 
quelque  sorte  une  œuvre  collective. 

Au  moment  où  s'ouvre  l'ère  historique  de  la  haute  Côte 


yS  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIKE 

d'Ivoire,  c'est-à-dire  au  moyen  âge,  le  pays  est  peuplé  par 
deux  peuples  de  familles  ethniques  différentes,  toutes  deux 
animistes  :  les  Malinké  à  l'ouest,  les  Senoufo  au  centre  et 
à  l'est. 

Les  Malinké  appartiennent  à  la  grande  famille  mandé  ou 
mandingue.  Ils  sont  l'avant-garde,  vers  le  sud-est,  de  ces 
grands  peuples  qui  ont  illustré  l'empire  de  Mali.  Ils  for- 
ment un  même  groupe  avec  les  Malinké  voisins  de  Beyla, 
de  Kankan,  de  Kouroussa  (Guinée),  et  c'est  arbitrairement 
que  notre  frontière  administrative  les  sépare.  Ces  Malinké 
sont  actuellement  fétichistes,  comme  au  premier  jour  : 
aussi  sont-ils,  suivant  un  usage  courant  au  Soudan,  appe- 
lés «  Bambara  »  par  les  Musulmans  voisins,  même  par 
leurs  frères  ethniques.  On  sait,  en  effet,  qu'ici  «  Bambara  » 
est  synonyme  de  païen,  de  non-musulman,  comme  Soninké 
l'est  en  Gambie  et  en  Casamance. 

Le  centre  et  l'est  du  pays  constituent  la  zone  d'habitat 
du  peuple  Senoufo,  ou  Siéné,  Siénamana,  comme  il  s'ap- 
pelle lui-même.  Il  vit  aussi  à  cheval  sur  notre  frontière 
administrative  :  dix  de  ces  tribus  sont  comprises  au  Sou- 
dan; les  autres  (Pallaka,  Kiembara,  Kaouara,  Katiali, 
Kadioha,  Djimini,  Diamala,  Tagouana,  ou  Tagbana,  etc.) 
sont  en  Côte  d'Ivoire.  Toutes  les  traditions,  de  Koutiala  au 
Baoulé,  les  font  autochtones.  Ils  sont  animistes,  comme  au 
premier  jour.  Ce  sont  donc  aussi  des  «  Bambara  »  pour 
leurs  voisins  musulmans. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  rapporter  ici  les  traditious  historiques 
du  peuple  Senoufo.  Constatons  seulement  qu'elles  rappor- 
tent toutes  des  luttes  entre  Korhogo,  fondée  par  Mengué, 
serviteur  du  chef  de  la  fraction  Nafana,  et  Kong  (ou  Kpon) 
fondée  par  ce  chef  lui-même.  Les  gens  de  Korhogo  re- 
poussèrent les  Nafana  jusqu'à  Bondoukou,  où  certains  se 
trouvent  encore,  et  ont  gardé  ce  nom  de  Nafana.  Le  maître 
du  sol  à:  Bondoukou  est  un  Nafana.  Korhogo,  restée  long- 
temps fétichiste,  alors  que  Kong  se  peuplait  d'immigrants 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  79 

musulmans,  essaima  dans  la  région.  Le  pays  a  gardé  le 
nom  de  la  tribu  :  Kiembara  ou  Kiegbara. 

On  ne  citera  que  pour  mémoire  les  peuples  Koulango, 
Abron,  Lobi,  Dagari  et  Birifon  qui  habitent  la  corne  nord- 
orientale  de  la  colonie.  Leur  nombre  est  en  effet  peu  consi- 
dérable et  leur  zone  d'habitat  s'étend  surtout  dans  les  colo- 
nies voisines  :  Gold  Coast  et  Haute-Volta. 

Vers  la  fin  du  seizième  siècle,  les  traditions  s'accordent  à 
le  constater,  il  se  produit  sur  le  territoire  un  phénomène 
d'immigration  qui  va  amener  de  profondes  modifications 
dans  le  pays;  on  voit  apparaître  les  premiers  musulmans. 
Ils  viennent  tous  de  la  moyenne  vallée  du  Niger,  de  Bamako 
à  Tombouctou,  appartiennent  tous  à  la  famille  mandé  et 
sont  presque  tous  musulmans. 

A  quoi  attribuer  cet  exode?  A  des  causes  générales  sans 
doute  et  qui  comptent  pour  beaucoup  dans  cette  famille 
mandé,  active,  remuante  et  âpre  au  gain,  à  savoir  :  les 
divisions  intestines,  le  goût  des  aventures,  l'amour  du  com- 
merce et  du  lucre,  des  remous  ath niques  variés,  mais  sur- 
tout à  trois  grands  faits  historiques  et  religieux  qui  s'éche- 
lonnent, de  la  fin  du  quinzième  à  la  fin  du  seizième  siècle; 
ils  devaient  provoquer  des  perturbations  politiques  et  so- 
ciales, des  déclassements  de  peuple,  des  migrations,  à 
savoir  :  i**  la  chute  de  l'empire  mandingue  de  Mali  et  le 
transfert  de  la  souveraineté  à  la  dynastie  des  askia  de  Gao- 
Tombouctou;  2''  la  propagation  de  l'Islam  danslamoyenne 
vallée  du  Niger  par  les  prédications  des  grands  apôtres  du 
qadérisme  :  Al-Marili,  le  grand  cheikh  Kounta  du  Hodh,  etc. , 
et  leurs  missionnaires;  3*^  la  conquête  de  Tombouctou,  de 
Dienné,  etc.,  par  les  Marocains. 

Une  foule  d'aventuriers,  de  plus  en  plus  nombreux,  de 
plus  en  plus  musulmans,  émigrèrent  vers  le  Sud.  Ils  essai- 
mèrent dans  les  régions  de  Kankan  et  de  Beyla  (Guinée), 
d'Odienné,  de  Touba,  de  Man  et  même  de  Séguéla,  un  peu 
à  l'aventure  et  au  gré  des  exodes,  bien  plutôt  en  quéman- 


80  ÉTUDES    SLR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

deurs  qu'en  conquérants.  Dans  les  débuts,  ils  firent  cause 
commune  avec  leurs  hôtes,  mais,  dans  la  suite,  ils  ne  tar- 
dèrent pas  à  jalonner  de  leurs  groupements  les  centres  com- 
merciaux importants;  grâce  à  leurs  richesses  acquises  dans 
le  commerce,  grâce  à  leur  intelligence,  grâce  à  leur  science 
et  à  leur  religion  islamique,  parfois  même  grâce  à  la  force, 
ils  acquirent  ainsi  sur  les  fétichistes,  agriculteurs,  frustes 
et  casaniers  pour  la  plupart,  une  influence  considérable  qui, 
en  certaines  régions,  se  termina  en  une  maîtrise  absolue. 

C'est  ainsi  qu'ilsfondèrent  ces  Etats  des  Ouatara  de  Kong 
qui,  depuis  plus  d'un  siècle,  devaient  avoir  une  fortune 
si  florissante  ;  c'est  ainsi  encore  qu'ils  édifièrent  à  coups  de 
perfidies,  de  razzias,  de  traite  d'esclaves,  de  mises  en  cap- 
tivité, le  royaume  des  Touré  d'Odienné  qui  dura  une 
soixantaine  d'années.  Ailleurs,  dans  le  cercle  de  Touba, 
lors  surtout  des  invasions  des  despotes  musulmans,  ils  in- 
triguèrent et  parfois  même  donnèrent  un  appui  efficace 
aux  envahisseurs.  Cette  politique  devait  avoir  pour  consé- 
quence de  maintenir  une  profonde  inimitié  entre  les  popu- 
lations fétichistes  et  les  populations  des  grands  centres 
musulmans. 

Cette  invasion  des  Mandé  du  Nord  se  fait  sentir  dans 
l'Est,  mais  plus  sporadiquement  encore,  car  ici  elle  ne 
dérivait  pas  du  fond  même  de  l'agglomérat  mandé  de  Mali, 
mais  des  nombreuses  et  importantes  colonies  du  peuple 
dioula  qu'on  trouve  dans  le  bas  Soudan  :  chez  les  Mossi, 
les  Bobo  et  surtout  les  Dafina.  Elle  se  traduisit  sur  le  ter- 
rain par  une  extrême  dispersion  des  envahisseurs  :  tantôt, 
et  le  plus  souvent,  on  ne  trouve  qu'une  ou  plusieurs  fa- 
milles dioula  dans  le  village  Senoufo  ou  Koulango.  Tantôt 
on  rencontre  un  village  dioula,  mais  le  canton  est  Senoufo. 
Ce  n'est  que  rarement  qu'on  rencontre  des  groupements  de 
2,  3  ou  4  villages  dioula  et  musulmans,  qui  nous  permet 
tent  aujourd'hui  la  formation  d'un  petit  canton  de  cette 
race  et  de  cette  religion  :   Kong-ville  (Korhogo),  Darhalo 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  8l 

(Dabakala),  Boron  (Séguéla)  ;  Kaoura,  Morhandougou,  en 
bordure  du  Soudan. 

C'est  donc  par  ces  diverses  migrations  qui  s'échelonnent 
du  moyen  âge  à  nos  jours,  plus  massives  vers  l'ouest,  plus 
sporadiques  vers  l'est,  que  l'islam,  infiltré  dans  ce  courant 
mandé,  a  pénétré  dans  la  haute  Côte  d'Ivoire  au  seizième 
siècle.  C'est  par  ce  flux  d'immigrants,  venu  médiatement 
ou  immédiatement  de  la  moyenne  vallée  du  Niger,  et  sur- 
tout de  ses  capitales  religieuses  :  Dienné  et  Tombouctou, 
que  les  peuples  Malinké,  Senoufoet  Koulango  virent  appa- 
raître l'islam  en  des  étapes  qui  s'échelonnèrent  du  nord 
d'Odienné,  où  le  pays  en  a  gardé  le  nom  de  Nafana,  jus- 
qu'à Samatiguila,  «  le  pays  des  chasseurs  d'éléphants  »,  de 
Bobo-Dioulasso  jusqu'à  Korbogo,  Cong,  Bouna  et  Ban- 
doukou. 

Des  migrations  mandingues  postérieures  dérivèrent  de 
l'Ouest,  des  régions  du  haut  Niger  et  du  haut  Milo  :  on  y 
distingue  pêle-mêle,  d'après  les  traditions,  des  Ouassou- 
lounké  d'abord  Toron  (Toron  du  Ouassoulou),  de  même 
origine  que  les  Bambara  de  Ségou  et  du  Bélédougou,  et  qui 
peuplèrent  les  cantons  de  Toron,  du  Bouadougou  et  du  Ton- 
dougou,  d'Odienné,  ensuite  Foulanké,  métis  de  Malinké  et 
de  Foula,  et  qui  peuplèrent  le  Folo,  le  Fouladougou  et  le 
Fadougou  ;  et  enfin  Diomandé,  qui  peuplèrent  les  petits 
cantons  du  Bambala,  du  Gbanangala,  et  poussèrent  jusque 
dans  la  région  de  Séguéla. 

Les  uns  et  les  autres,  c'est-à-dire  Toronké,  Foulanké  et 
Diomandé,  étaient  fétichistes.  L'exode  sporadique  continua 
à  se  faire  sentir  de  génération  en  génération  fétichiste, 
jusqu'au  moment  où  la  haute  Guinée  s'étant  islamisée  et 
Kankan  étant  devenu  un  centre  religieux  important,  les 
premiers  immigrants  musulmans  venus  de  cette  région 
firent  à  leur  tour  leur  apparition  dans  le  pays. 

Nous  constatons  par  ce  que  vit  et  entendit  René  Caillié, 
qui  séjourna  cinq  mois  à  Tiéné,  près  d'Odienné,  en  1827, 


'  ^5-/^35 


82  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

qu'au  dix-huitième  et  au  début  du  dix-neuvième  siècle, 
musulmans  et  fétichistes,  les  unset  les  autres  Mandé,  et  plus 
spécialement  Malinké,  à  Touest,  les  uns  Mandé-dioula  et 
les  autres  Senoufo  ou  Koulango  ou  Abron  à  l'est,  vivent 
dans  les  meilleurs  termes.  Les  fétichistes,  maîtres  du  pays, 
laissent  la  plus  grande  liberté,  l'indépendance  complète 
même,  aux  musulmans. 

«  Dans  toute  cette  partie,  dit  Caillié,  il  y  a  quelques  vil- 
lages mandingues,  tous  mahométans  ;  ils  sont  indépen- 
dants des  Bambaras,  comme  à  Timé,  Sambatikila,  Tan- 
gréra,  et  d'autres  villages  situés  plus  au  sud.  Les  Bambaras 
les  appellent  Diaulas  ou  Jaulas  ;  et  quoiqu'ils  pussent  leur 
nuire,  puisqu'ils  sont  bien  plus  nombreux  qu'eux,  ils  les 
laissenten  paix,  et  vont  dans  leurs  villages  leur  vendre  le  su- 
perflu de  leurs  récoltes  ». 

Les  fétichistes  devaient  être  bientôt  les  victimes  de  cette 
trop  grande  bienveillance. 

C'est  vers  le  milieu  du  dix-neuvième  siècle  que  nous 
voyons  l'islam  s'installer  définitivement  dans  la  région  et 
procédant  par  la  violence,  ainsi  qu'il  opère,  chaque  fois 
qu'il  en  a  la  possibilité,  bouleverser  atrocement  les  sociétés 
malinké  et  senoufo. 

On  peut  distinguer  certains  épisodes  locaux  :  à  savoir, 
les  gouvernements  musulmans  des  despotes  Touré 
d'Odienné  et  de  Marabadiassa  et  les  tentatives  des  despotes 
de  Sikasso,  avant  d'en  arriver  au  grand  drame  final  deBa- 
bemba  et  de  Samory.  C'est  à  Delafosse  qu'il  faut  s'en  tenir 
dans  la  relation  et  la  critique  de  ces  événements.  Ses  études 
sur  la  question  sont  définitives. 

C'est  vers  1860  qu'un  descendant  de  la  deuxième  immi- 
gration, venu  de  Dienné,  nommé  i^a^a  Touré,  dont  le  père 
était  originaire  d'un  hameau  voisin  de  Samatiguila  et  la 
mère  native  de  la  province  du  Nafana,  conçut  l'idée  de 
fonder  un  empire  mandingue  et  musulman,  aux  dépens  des 
autochtones  siénamana,  jusque-là  suzerains  au  moins  no- 


*  t  --^ 


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Mosquée  d'Odiexné. 


Cl.   Le  Campion. 


I  f?î-,\; 


Une  mosquée  aux  environs  d'Odienné. 


Cl .   '  e  Caiiipion. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITÉS    ISLAMIQUES  83 

minaux,  et  des  immigrants  païens.  C'était  la  lutte  des  Mon' 
(musulmans)  contre  les  Bambara  (païens  de  toutes  races), 
qui  allait  désoler  l'ouest  du  pays,  comme  elle  a  désolé  tant 
de  régions  du  Soudan. 

Kaba  Touré —  qui  plus  tard  par  respect  fut  appelé  Fa  Kaba 
(le  père  Kaba),^ —  vivait  au  Nafana  dans  la  famille  de  sa 
mère.  C'est  là  qu'il  réunit  une  bande  de  guerriers,  qui  de- 
vait se  grossir  peu  à  peu  de  tout  ce  que  le  pays  comptait  de 
fainéants,  plus  enclins  à  manier  l'épée,  la  lance  ou  le  fusil 
que  la  houe  ou  le  métier  à  tisser.  Après  avoir  dévasté  le 
Sienko,  il  établit  un  camp  retranché  qu'il  peupla  des  cap- 
tifs faits  durant  sa  première  campagne  et  qu'il  appela 
Odienné  (ou  mieux  Ouaguienné),  en  souvenir  de  Dienné,  la 
patrie  de  ses  ancêtres.  Il  ravagea  ensuite  le  Massela,  res- 
pecta Samatiguila  à  cause  du  hameau  voisin,  d'où  son  père 
était  originaire  puis,  traversant  le  Noholo  et  le  Nafala,  des- 
cendit au  sud  jusqu'au  Kani,  dévasta  le  Kalaguian  et  fut 
surpris  par  la  mort,  au  moment  où  il  projetait  d'étendre 
ses  conquêtes  vers  l'est. 

Son  œuvre  fut  continuée  par  son  successeur,  Mango  Ma- 
madou,  qui  transforma  le  Naholo  et  le  Fouladougou  en 
déserts,  pilla  le  Zona  et  ne  fut  arrêté  que  vers  la  frontière 
orientale  du  Gbâto  par  l'énergie  des  Siénamana  coalisés 
(vers  1874). 

Mango  Mamadou,  à  la  tête  d'un  véritable  empire,  con- 
solida la  puissance  des  Touré  en  épousant  Sorhonassi,  pre- 
mière fille  de  Samory,  lequel  était  seulement  au  début  de  sa 
carrière  de  conquérant,  et  ne  commandait  guère  qu'à  Bis- 
sandougou.  On  a  dit  que  ce  mariage  fut  une  habileté  diplo- 
matique de  Samory,  qui  voulait  se  concilier  ainsi  un  rival 
possible,  alors  plus  puissant  que  lui-même. 

Les  forces  coalisées  de  Mango  Mamadou  et  Samory,  com- 
mandées par  un  chef  militaire  de  grand  talent,  Bintou  Ma- 
madi,  s'imposèrent  alors  à  tout  le  pays  ;  ce  fut  l'essor  de  la 
fortune  de  Samory.  Son  allié,  Mango  xMamadou,  dit  aussi 


84  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

Amadou  Touré,  se  mit  facilement  à  la  remorque  de  son 
beau-père. 

Odienné  avait  été  définitivement  occupé  par  nos  troupes 
en  1898,  après  la  prise  de  Sikasso,  Cette  occupation  marque 
la  fin  de  Péphémère  empire  des  Touré  :  les  provinces  con- 
quises par  Fakaba  et  son  successeur  reprirent  leur  indépen- 
dance etle  Kabadougou  fut  réduit  aux  environs  d'Odienné. 
Mais  les  Siénamana  du  Noholo  avaient  perdu,  pour  tou- 
jours, leur  ancienne  suzeraineté  sur  leurs  voisins  man- 
dingues.  Pour  en  finir  avec  la  famille  des  Touré,  il  faut 
dire  que  Mango  xMamadou  pris  par  Lartigue,  à  Lola,  au 
nord  du  Libéria,  fut  interné  à  Tombouctou  en  même  temps 
que  Fo,  fils  de  Tiéba  et  divers  chefs  toucouleurs,  de  la  pa- 
renté ou  de  la  suite  d'Ahmadou  Ghékou.  Gracié  en  igoS,  il 
rentra  à  Odienné,  et  y  vécut  et  y  mourut  paisiblement,  à 
côté  de  son  ancien  général,  Bintou  Mamadi.  Il  avait  été 
remplacé,  comme  chef  d'Odienné  et  du  Kabadougou,  par 
son  frère  Moriba,  qui,  ayant  cherché  à  renouveler  par  des 
moyens  détournés  les  actes  de  tyrannie  de  son  prédéces- 
seur, fut  exilé  à  Bingerville.  Celui-ci  fut  remplacé  d'abord 
par  Lanténé-Sidiki,  puis  par  Ibrahima,  qui  sont  tous  deux 
également  les  frères  du  célèbre  Mango  Mamadou.  Nous 
verrons  tous  ces  personnages  sous  le  titre  d'Odienné. 

Une  autre  branche  de  la  même  famille,  également  origi- 
naire de  Dienné,  était  allée  s'établir  bien  plus  au  sud,  à  la 
limite  nord-ouest  du  Baoulé,  sur  le  Bandama,  en  un  point 
que  des  Haoussa  marchands  avaient  converti  en  gîte  d'étape 
et  en  marché,  et  que  l'on  appela  pour  ce  motif  Maraha- 
diassa  (camp  des  Haoussa  ou  Maraba).  Vers  i885,  Mori 
Touré,  alors  chef  de  cette  colonie  Touré,  entreprit  la  con- 
quête des  pays  occupés  par  les  Siénamana  de  la  tribu  Tak- 
ponin,  dits  aussi  Tagouana  ou  Tagbana,  et  ramassa  un 
nombre  incalculable  de  captifs,  dont  les  uns  furent  vendus. 
au  Baoulé  et  les  autres  servirent  à  faire  une  ville  du  modeste 
camp  des  Haoussa.  Les  razzias  de  Mori  Touré  firent  moins 


GROUPEMENTS   ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  85 

de  ravages  dans  la  circonscription  de  Korhogo  que  dans 
celle  de  Dabakala  ;  cependant  les  cantons  de  Niankarama- 
dougou  et  de  Foundebougou,  situés  dans  la  première,  ne  se 
sont  pas  encore  rétablis  des  pertes  que  leur  a  fait  subir  ce 
conquérant.  Comme  Mango  Mamadou,  Mori  Touré  s'at- 
tacha parla  suite  à  la  fortune  deSamory  et  fut  tué,  semble- 
t-il,  au  cours  de  l'un  des  derniers  combats  livrés  à  l'almany 
par  nos  troupes.  Son  successeur  Souleyman,  dit  Babia,  est 
encore  chef  de  Marabadiassa;  mais  son  autorité  ne  s'étend 
pas  en  dehors  de  ce  village,  d'ailleurs  déchu  de  son  impor- 
tance d'un  jour. 

Ces  conquêtes  des  Touré  ne  furent  en  somme  que  des 
guerres  locales  :  celle  de  Babembaet  de  Samory  eurent  une 
bien  autre  importance  pour  l'avenir  de  la  haute  colonie, 
car,  outre  qu'elles  le  bouleversèrent  dans  une  zone  bien  plus 
étendue,  elles  furent  l'occasion  de  l'établissement  dans  le 
pays  d'une  foule  d'aventuriers  étrangers  qui,  venus  comme 
guerriers  ou  à  la  suite  des  conquérants,  ont  lâché  ces  der- 
niers, au  momient  où  la  fortune  leur  est  devenue  contraire, 
et  sont  restés  dans  le  cercle,  augmentant,  d'un  lot  d'ailleurs 
peu  recommandable,  les  habitants  de  famille  mandingue. 

Le  Kénédougou  et  Sikasso,  sa  capitale,  sont  habités  sur- 
tout par  des  Siénamana  delà  tribu  des  Siénerhé,  mais  aussi 
par  un  grand  nombre  d'immigrants  mandingues  qui  ont 
fortement  répandu  l'usage  de  leur  langue  dans  le  pays. 
Tiéba,  avant  sa  lutte  contre  Samory,  semble  avoir  eu  des 
visées  sur  les  régions  qui  nous  occupent  actuellement.  En 
1882,  aidé  de  Niamana,  chef  deMbégué,  il  détruisit  Niellé  ; 
en  i885,  il  s'empara  du  Kadlé  et  du  Niéné  et  fit  la  guerre 
aux  Nafarha  de  Sinematiali;  mais  il  était  l'ami  du  chef  de 
Korhogo.  Son  successeur  Babemba  aurait  eu  l'idée  de  fonder 
un  vaste  empire  Siénamana,  pour  l'opposer  à  l'empire 
Mandingue  de  Samory. 

C'est  à  la  requête  de  Ouahirimé,  alors  chef  des  Folo  de 
Niellé,  mort  en  mars  1906,  à  Fourougoula  (Bobo  Dioulasso), 


86  ÉTUDES   SUR   l'islam   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

que  Babemba  porta  la  guerre  dans  la  circonscription  de 
Korhogo.  Des  exactions  de  Ouahirimé  l'avaient  fait  détester 
de  sa  tribu,  dont  une  fraction  importante  s'était  soulevée 
contre  lui  et  l'avait  chassé  de  sa  capitale.  Babemba,  saisissant 
avec  joie  ce  prétexte,  accourut  à  son  appel  et,  unissant  à 
ses  bandes  celles  de  Ouahirimé,  attaqua  et  prit  Niallé.  Mais 
le  chef  de  parti  hostile  à  Ouahirimé,  Bilangolo,  actuelle- 
ment chef  du  canton  de  Niellé,  organisa  la  résistance  et 
réussit  à  chasser  Babemba  de  la  région  et  à  forcer  Ouahi- 
rimé à  passer  de  l'autre  côté  de  la  Léraba. 

Babemba  se  rabattit  sur  le  Niarhafolo,  qu'il  pilla,  puis 
conquit  et  dévasta  Sinématiali  et  Korhogo,  ravagea  Kiémou, 
et  ensuite  se  porta  vers  l'ouest,  mais  se  heurta,  à  Kiéré 
(canton  de  Kannorhoba),  aux  sofa  de  Samory,  qui  venaient 
d'occuper  le  Gbâto  et  qui  forcèrent  Babemba  à  rebrousser 
chemin.  Il  vint  s'établir  à  Tiorhoniarhadougou,  à  lo  kilo- 
mètres au  sud  de  Korhogo,  et  voulut  essayer  d'y  organiser 
la  résistance  contre  son  adversaire.  Dans  ce  but,  il  fit  ap- 
pel aux  chefs  des  tribus  voisines,  notamment  au  chef  de 
Korhogo,  père  du  chef  actuel,  les  convoquant  à  une  sorte 
de  cour  plénière.  Mais,  à  l'instigation  du  chef  de  Korhogo, 
qui  semblait  redouter  la  domination  de  Babemba  plus  que 
celle  de  Samory,  tous  les  chefs  refusèrent  de  répondre  à 
l'appel  de  Babemba,  qui,  apprenant  d'autre  part  qu'une  co- 
lonne française  se  dirigeait  du  côté  de  Sikasso,  retourna 
dans  sa  capitale.  Il  emmena  avec  lui  un  nombre  incal- 
culable de  captifs,  faits  au  cours  de  ses  razzias,  ce  qui  ne 
contribua  pas  peu  à  augmenter  la  ruine  du  pays,  que 
ses  pillages  et  ses  dévastations  avaient  déjà  rendu  bien 
misérable.  Il  emmena  aussi  comme  otages  beaucoup  de 
frères  et  fils  de  chefs,  dont  Gbon  Koulibali,  chef  actuel  de 
Korhogo. 

Les  malheureux  Siénamana  n'avaient  échappé  à  un  mal 
que  pour  retomber  dans  un  autre;  Samory  allait  renver- 
ser à  peu  près  tout   ce  que  Fa   Kaba,   Mango-Mamadou, 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  87 

Mori  Touré  et  Babemba  avaient  laissé  debout,  et  bouleverser 
pour  de  longues  années  les  paisibles  populations  de  cette 
région,  en  armant  les  chefs  indigènes  les  uns  contre  les 
autres,  en  les  poussant  au  pillage,  en  semant  les  guerres  ci- 
viles, en  enlevant  des  milliers  de  gens,  hommes,  femmes 
et  enfants,  qui,  de  maître  en  maître,  se  trouvèrent  bientôt 
dispersés  aux  quatre  coins  de  l'Afrique  Occidentale,  si  bien 
qu'on  en  a  retrouvé  à  la  Côte  d'Or  anglaise  aussi  bien  qu'au 
Sénégal.  Aidé  de  bandes  de  Mango-Mamadou,  Samory  — 
que  les  indigènes  appellent  Siamorou  ou  Siamori,  ainsi 
que  lui-même  d'ailleurs  orthographiait  son  nom  en  carac- 
tères arabes,  —  venant  d'Odienné,  qu'il  avait  dû  quitter 
précipitamment,  en  février  iSgS,  lors  de  l'arrivée  de  la 
colonne  Combes,  dévasta  ce  qui  restait  du  Noholo,  puis 
conquit  le  Gbàto,  où  il  laissa  un  corps  d'occupation,  ainsi 
qu'il  faisait  dans  tous  les  pays  qui  semblaient  riches  et  de 
nature  à  lui  fournir  des  vivres,  des  esclaves  ou  des  guer- 
riers. Après  la  bataille  de  Kiéré,  gagnée  par  un  de  ses  lieu- 
tenants sur  les  bandes  de  Babemba,  il  vint  occuper  le  Kan- 
norhoba,  dont  le  chef,  ignorant  à  qui  il  avait  affaire,  avait 
cru  sage  de  faire  débrousser  les  chemins  et  de  se  porter  en 
grande  pompe  au-devant  du  conquérant  :  cette  conduite 
ne  le  dispensa  pas  d'être  pillé. 

Ensuite,  Samory  alla  s'installer  près  de  Boron  et  y  cons- 
truisit un  camp  retranché,  qu'il  appela  Sanankoro  en  sou- 
venir de  son  ancienne  forteresse  du  Ouassoulou.  De  là,  re- 
montant au  nord,  il  se  porta  dans  le  Niéné,  où  il  se  heurta 
à  l'arrière-garde  de  Babemba,  qu'il  vainquit  à  Kato,  en  un 
combat  où  il  fit  de  nombreux  prisonniers.  Apprenant  que 
les  bandes  de  Babemba  se  reformaient  à  Kaloa  (canton  de 
Mbégué),  il  y  accourut,  détruisit  ces  bandes,  pritet  ravagea 
Mbégué,  dont  les  habitants  vinrent  demander  asile  au  chef 
de  Korhogoet  construisirent  sur  son  territoire  le  village, 
aujourd'hui  presque  abandonné,  de  Mbéguébougou  ou 
Mbégué-Soukoura.  Non  content  de  cette  nouvelle  victoire, 


«8  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

Samory  poursuivit  jusque  dans  le  Kénédougou  son  rival  et 
futs'intaller,  non  loin  de  Sikasso,  à  Lofiné  (iSgS). 

Persuadé  bientôt  que  Babemba,  qui  avait  à  compter  au 
nord  avec  les  troupes  françaises,  ne  tenterait  plus  d'équi- 
pées vers  le  sud,  il  revint  sur  ses  pas  et  s'établit  à  Nadié- 
fogo  ou  Niellé-Sokoura,  où  il  reprit  pour  lui  le  plan  élaboré 
quelque  temps  auparavant  par  Babemba,  faisant  prier  le 
chef  de  Korhogo  de  se  rendre  auprès  de  lui  avec  tous  les 
chefs  influents  de  la  région,  Les  chefs  se  rendirent  tous  à 
l'appel  de  Samory  ;  l'objet  de  cette  conférence  était  double  : 
1°  l'organisation  du  pays  qui  constituait  alors  l'empire  de 
Samory;  2"  surtout  l'union  pour  la  lutte  contre  Babemba, 
Samory  n'ayant  pas  encore  abandonné  le  désir  de  s'emparer 
de  Sikasso.  Cette  réunion  dut  avoir  lieu  en  1894,  peu  après 
le  passage  du  capitaine  Marchand  dans  la  région.  Elle  n'eut 
d'ailleurs  aucun  résultat.  Comme  elle  venait  de  s'assembler, 
arriva  une  lettre  «  des  Français  »  invitant  les  chefs  Siéna- 
mana  à  retourner  dans  leur  pays  et  à  ne  pas  prêter  leur 
aide  à  Samory;  les  chefs  assemblés  montrèrent  cette  lettre 
à  Samory,  qui  aurait  dit  :  «  Cela  veut  dire  que  les  troupes 
françaises  vont  arriver  du  nord  :  il  est  temps  pour  moi 
d'aller  occuper  le  pays  de  Kong  avant  qu'elles  n'arrivent.» 
Et  levant  aussitôt  son  camp,  Samory  descendit  à  Kiémou, 
passa  le  Bandama,  et  s'en  fut  dévaster  les  pays  Tagouana  et 
Djimini  (1894-95),  d'où  la  colonne  Monteil  ne  put  le  déloger. 

Les  Siénamana  étaient  débarrassés  de  Samory,  mais  des 
représentants  de  ce  dernier,  plus  ou  moins  officiels,  étaient 
demeurés  dans  le  pays,  et  ce  n'est  qu'en  1898,  avec  la  cap- 
ture de  Samory  et  notre  occupation  du  pays,  que  la  paix 
put  enfin  régner  et  que  les  populations  dispersées  purent 
rentrer  chez  elles  et  rebâtir  leurs  villages.  Ce  retour  s'est 
effectué  sans  précipitation,  puisque  nombre  d'ex-captifs 
des  cercles  de  Kankan  et  de  Beyla  (Guinée)  demandent  en- 
core à  l'heure  actuelle  à  rentrerdans  leurs  foyers  deTouba 
et  d'Odienné. 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  89 

Outre  l'approvisionnement  du  pays  et  la  diminution  de 
la  population,  les  dernières  guerres  avaient  eu  un  résultat 
assez  sensible  sur  les  mœurs  :  elles  avaient  contribué  à 
étendre  le  domaine  de  la  langue  mandingue  et  de  la  reli- 
gion musulmane,  à  développer  l'usage  des  vêtements,  à 
généraliser  Tusage  du  fusil  aux  dépens  de  l'arc,  à  faire  en- 
tourer les  villages  de  fossés  et  de  murs  qui  d'ailleurs  ne 
les  sauvèrent  que  bien  rarement,  enlin  à  faire  perdre  à 
beaucoup  d'indigènes  le  goût  de  l'agriculture  pour  leur  in- 
culquer celui  du  métier  des  armes.  Dans  cette  sorte  d'évo- 
lution, la  somme  des  inconvénients,  dit  Delafosse,  l'em- 
porte considérablement  sur  celle  des  avantages, 

La  question  de  Samory  devait  jusqu'en  1920  agiter  les 
esprits  et  causer  de  l'inquiétude.  De  divers  côtés,  on 
intervint,  entre  1914  et  1919,  en  faveur  du  fils  du 
célèbre  almamy,  Saranké-Mori,  déporté  au  Gabon  de- 
puis 1898.  On  exposait  qu'il  serait  à  la  fois  politique  et  gé- 
néreux de  permettre  à  ce  déporté  de  rentrer  dans  son  pays. 
Les  gouverneurs  généraux  Ponty,  Clozel,  Angoulvant  se 
montrèrent  absolument  opposés  à  cette  mesure  de  bien- 
veillance. Ils  ne  purent  que  s'étonner  de  voir  Saranké- 
Mori,  représenté  comme  le  seul  des  lils  de  Samory  qui  au- 
rait montré  de  la  sympathie  pour  les  Blancs,  et  que  ce 
serait  pour  le  punir  de  cette  sympathie  que  son  père  l'au- 
rait désigné  aux  autorités  soudanaises  comme  devant  par- 
tager son  propre  exil. 

La  vérité  est  tout  autre,  ainsi  qu'en  font  foi  tous  les  té- 
moignages historiques. 

Alors  que,  vers  la  fin  de  son  aventureuse  carrière,  Sa- 
mory semblait  disposé  à  traiter  avec  nous,  en  vue  de  s'as- 
surer une  tranquille  vieillesse,  ses  projets  de  soumission  et 
de  paix  furent  sans  cesse  et  obstinément  contrecarrés  par 
l'opposition  tenace  de  Saranké-Mori,  qui,  profitant  de  ce 
qu'il  était  placé  à  la  tète  des  bandes  de  son  père  et  avait 
acquis  ainsi  une  influence  considérable  sur  les  sofas,  aidé 


90  ETUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

aussi  dans  ses  visées  ambitieuses  par  sa  mère  Saranké, 
femme  préférée  de  l'almamy,  et  par  le  griot  Morifing  Diang, 
tout  à  sa  dévotion,  fit  échouer  toutes  les  tentatives  de  con- 
ciliation, menaçant  de  reprendre  pour  son  compte  les  hos- 
tilités contre  nos  troupes,  au  cas  où  son  père  y  aurait 
renoncé. 

Il  n'est  pas  permis  d'ignorer  que  c'est  Saranké-Mori  qui, 
au  moment  où  une  mission  dirigée  par  l'administrateur 
Nebout  se  préparait  à  entrer  en  pourparlers  avec  Samory  à 
Dabakala,  empêcha  qu'aucune  suite  pût  être  donnée  à  ces 
pourparlers  en  massacrant  dans  un  guet-apens  le  capitaine 
Braulot,  le  lieutenant  Bunas  et  le  sergent  Myskiewicz,  à 
quelques  kilomètres  de  Bouna,  alors  qu'il  avait  reçu  de  son 
père  l'ordre  formel  de  remettre  la  ville  et  la  province  de 
Bouna  entre  les  mains  de  cet  officier  et  de  ses  compagnons. 
Ce  crime,  qui  fut  toujours  désavoué  par  Samory,  a  été 
l'œuvre  personnelle  et  voulue  de  Saranké-Mori,  et  son 
accomplissement  motiva  Tenvoi  de  la  colonne  qui  se  ter- 
mina à  Guélémou  par  la  capture  de  Samory  et  de  ses  fils. 

Il  a  été  également  prouvé  que  Saranké-Mori,  par  haine 
des  sentiments  francophiles  manifestés  par  son  frère  Kara- 
moko,qui  avait  voyagé  en  France,  fit  emmurer  vivant  ce  der- 
nier aux  environs  de  Kani,  sur  la  route  de  Séguéla  à  Sikasso. 

Ce  sont  ces  raisons  qui  déterminèrent  le  général  de 
Trentinian  à  prononcer  la  déportation  de  Saranké-ISIon, 
ainsi  que  de  sa  mère  et  de  son  fidèle  Morifing-Diang.  Si  la 
mort  n'était  venue  peu  après  frapper  Samory,  il  est  pos- 
sible qu'une  mesure  de  clémence  eût  été  prise  à  l'égard  du 
vieil  almamy,  qui  s'était  toujours  conduit  vis-à-vis  de  nous 
en  ennemi  loyal  ;  mais,  à  aucun  moment,  une  semblable 
mesure  ne  paraissait  pouvoir  être  envisagée  en  ce  qui  con- 
cerne Saranké-Mori. 

En  dehors  des  raisons  de  justice  qui  s'opposent  à  l'octroi 
d'une  grâce  absolument  imméritée,  il  est  des  considéra- 
tions d'ordre  politique  qu'on  ne  peut  négliger. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  QI 

En  1916,  le  bruit  avait  couru  dans  la  région  de  Kankan 
que  Saranké-Mori  allait  revenir  au  Soudan,  et  cette  nou- 
velle se  propagea  dans  les  cercles  de  la  Guinée  et  de  la  Côte 
d'Ivoire  qui,  autrefois,  faisaient  partie  du  Ouassoulou  et 
où  Samory  recrutait  ses  bandes.  Immédiatement  plus  de 
3oo  bœufs  furent  réquisitionnés  par  les  chefs  des  districts 
d'Odienné  et  de  Touba  et  dirigés  sur  Kankan  pour  être 
offerts  à  Saranké-Mori  comme  hommage  et  dons  de  joyeuse 
arrivée.  En  même  temps,  une  sourde  effervescence  com- 
mença à  se  manifester  parmi  les  anciens  chefs  de  sofas  de 
la  contrée,  qui  voyaient  dans  le  retour  des  Saranké-Mori 
le  signal  d'un  retour  à  leurs  anciennes  habitudes  de  pillage 
et  d'indépendance.  Ce  mouvement  fut  arrêté  promptement 
et  n'eut  pas  de  suite,  les  bruits  répandus  s'étant  démontrés 
controuvés. 

Par  contre,  la  consternation  troublait  tous  les  cœurs 
dans  la  région  de  Kong. 

On  ne  peut  donc  que  regretter  qu'en  1920  des  interven- 
tions plus  puissantes  aient  contraint  le  Gouvernement  gé- 
néral à  céder  sur  cette  question,  et  à  autoriser  le  retour  de 
Saranké-Mori  à  Conakry,  ce  qui  constitue  la  première 
étape  sur  la  route  du  Ouassoulou.  C'est  la  négation  de  notre 
œuvre  politique  passée  et  présente.  C'est  un  défi  à  la  justice. 

Une  émotion  considérable  s'est  manifestée  dans  les  ré- 
gions de  Korhogo,  de  Kong,  de  Dabakala,  de  Bondoukou, 
qui  avaient  tant  souffert  de  déprédations,  exécutions  et 
crimes  du  célèbre  pillard.  Nous  y  avons  entendu  d'amers 
regrets  de  cette  politique  de  la  France  et  de  fâcheuses  pré- 
dictions; et  des  chefs  notables  et  marabouts  ont  rejeté  net- 
tement sur  nous  les  suites  et  responsabilités  de  cette  mesure 
maladroite. 


Et  maintenant,  si   l'on  voulait  établir  le  bilan  actuel  de 
l'islam  dans  la  haute  Côte  d'Ivoire,  il  faudrait  distinguer 


92  ETUDES.  SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

les  régions  de  l'Ouest  où  les  Musulmans  appartiennent  à  la 
même  race  et  parlent  la  même  langue  que  leurs  hôtes,  les 
uns  et  les  autres  malinké,  des  régions  du  Centre  et  de  l'Est 
où  les  Musulmans  se  différencient  par  la  race  (Mandé- 
Dioula),  les  coutumes,  les  mœurs  et  la  langue  de  leurs 
hôtes  Senoufo  ou  Koulango.  Ces  distinctions  entre  cousins 
mandé  ne  sont  pas  essentielles  d'ailleurs. 

Dans  le  peuple  malinké  (Odienné,  Boundiali-Tombougou 
partiellement)  il  faut  distinguer  dans  la  communauté  mu- 
sulmane deux  couches  bien  distinctes  :  les  musulmans  de 
castes  et  de  traditions,  et  les  néo-islamisés. 

Puissants,  catéchisés  héréditairement,  possédant  de  nom- 
breux captifs,  ces  musulmans,  adeptes  convaincus  de  l'is- 
lam, ont  pu  consacrer  de  nombreux  loisirs  aux  études 
scholastiques.  C'est  dans  leurs  centres  que  l'on  trouve  les 
grandes  mosquées  et  la  plupart  des  écoles.  Ce  sont  parmi 
ces  vieux  indigènes,  actuellement  seigneurs  déchus,  et 
parmi  leurs  descendants,  en  un  mot  parmi  ceux  dont  les 
aspirations,  les  désirs,  les  regrets,  sont  en  quelque  sorte 
condensés,  synthétisés  en  la  mentalité  des  maîtres  d'écoles, 
marabouts  et  namoutigui,  qu'il  faut  chercher  quelques 
lueurs,  tant  soit  peu  précises,  concernant  le  vrai  dogme,  le 
vrai  culte  et  la  véritable  tradition  de  l'islam. 

Autour  de  ces  musulmans,  en  quelque  sorte  de  vieille 
souche,  sont  les  masses  plus  nébuleuses  des  néo-convertis, 
des  musulmans  de  fraîche  date. 

Cette  islamisation  dans  le  cercle  se  fit  rarement  par  pro- 
sélytisme brutal,  elle  ne  se  fit  pas  non  plus,  à  l'exception 
de  quelques  cas,  par  l'appoint  de  nouveaux  disciples  ralliés 
à  la  vraie  voie  par  des  motifs  purement  religieux.  Elle  se 
fit  presque  exclusivement  sous  la  poussée  de  mobiles 
d'ordre  très  profane. 

En  maints  endroits,  les  razzias  accomplies,  les  jeunes 
parmi  les  vaincus,  les  fils  des  vaincus,  longtemps  élevés  en 
captivité  au  contact  de  leurs  vainqueurs,   oublièrent    bien 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  g3 

souvent,  même  ignorèrent  les  défaites  et  affronts  jadis 
subis.  Par  contre,  ils  furent  frappés  par  la  puissance  de 
leurs  maîtres,  séduits  par  leur  relative  prospérité  et  dans 
le  fait  de  faire  salam  virent,  sinon  l'une  des  causes  déter- 
minantes, du  moins  un  accompagnement  presque  néces- 
saire de  cette  opulence  et  de  cette  supériorité.  Tout  natu- 
rellement ils  imitèrent  ce  que,  plusieurs  fois  par  jour,  ils 
voyaient  faire  autour  d'eux,  et  dans  l'accomplissement 
solennel  de  la  prière,  ils  trouvèrent  un  ample  aliment  à 
leur  orgueil  et  à  leur  vanité. 

La  plupart  des  villages  fétichistes  comptent  de  la  sorte 
un  ou  deux  indigènes  revenus  de  captivité  et  faisant  salam. 
Ces  musulmans  certes  ne  sont  ni  très  fervents  ni  très  con- 
vaincus, mais  néanmoins,  sciemment  ou  inconsciemment, 
ils  préparent  à  l'islam  un  terrain  de  moins  en  moins  défa- 
vorable. 

Un  exemple  particulièrement  typique  de  ce  genre 
d'islamisation,  dû  à  des  facteurs  politiques,  nous  est  fourni 
par  les  cantons  du  Barala  et  du  Guanangala.  A  quelques 
villages  près,  ces  deux  cantons,  avant  le  passage  de  Samory 
étaient  fétichistes.  Samory  vint,  il  prit  les  hommes  adultes 
et  les  jeunes  gens.  Certains  furent  vendus  comme  captifs, 
d'autres  furent  enrôlés  comme  sofas  à  la  suite  des  hordes 
du  conquérant 

Samory  vaincu,  l'esclavage  supprimé,  sofas  et  captifs 
retournèrent  dans  leur  pays  et  sur  les  ruines  accumulées 
construisirent  de  nouveaux  villages.  Mais  partis  fétichistes, 
beaucoup  parmi  les  indigènes  du  Barala  et  du  Guanangala 
revinrent  musulmans;  ils  avaient  appris  à  faire  salam, 
soit  à  la  guerre,  soit  en  captivité.  A  l'heure  actuelle,  plus 
de  40  p.  100  de  la  population  du  Barala  et  du  Guanangala 
est  islamisé. 

D'autres  fois,  l'islamisation  est  due  à  des  causes  écono- 
miques. 


94  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

Notre  tutelle  sur  des  pays  de  l'A.  O.  F.  créa  une  ère  de 
tranquillité  inconnue  jusqu'alors  :  les  cloisons,  à  peu  près 
étanches,  qui  jalousement  confinaient  chaque  peuplade 
dans  un  secteur  déterminé,  éclatèrent;  le  commerce,  de 
local  qu'il  était,  se  fit  à  longues  randonnées;  les  dioulas  se 
répandirent  dans  les  moindres  villages  et  partout  procla- 
mèrent en  leur  salam  le  nom  d'Allah.  Ce  culte  simple, 
grandiose,  commun  à  presque  tous  les  noirs  provenant  du 
nord,  outre  ses  qualités  intrinsèques  de  séduction,  s'imposa 
comme  une  véritable  nécessité,  comme  un  obligatoire 
laissez-passer  aux  indigènes  fétichistes,  désireux  à  leur  tour 
de  commercer  avec  les  cités  du  Soudan,  dont  on  leur  parlait 
en  termes  merveilleux.  Ces  fétichistes,  partant  vers  le  nord, 
firent  donc  salam,  mais  sans  grande  conviction,  poussés 
par  des  raisons  à  quelques  nuances  près  analogues  à  celles 
qui,  de  nos  jours,  comme  dit  Le  Campion,  incitent  un 
voyageur  à  se  faire  inscrire  au  nombre  des  membres  d'un 
touring-club. 

De  retour  en  leur  village,  et  nullement  mécontents  de  par 
ailleurs  de  reprendre  leurs  daba  et  leurs  occupations  agri- 
coles, ces  dioulas  accidentels,  frais  émoulus,  ne  manqueront 
pas,  de  temps  en  temps  toutau  moins,  de  faire  salam.  Ils  ap- 
procheront avec  confiance  les  colporteurs  de  passage,  leur 
faciliteront  leur  tâche,  parleront  avec  eux  des  pays  souda- 
nais, des  commerces  lucratifs.  Au  village,  ils  raconteront  à 
leurs  concitoyens  leurs  voyages,  leurs  pérégrinations,  leurs 
bonnes  fortunes,  en  les  magnifiant  toutefois.  Si,  dès  lors, 
les  vieux,  plus  tenaces  aux  antiques  traditions,  plus  enra- 
cinés au  terroir,  voient  ces  péroreurs  avec  défiance,  près  des 
jeunes  ils  trouvent  bon  accueil,  oreille  attentive.  Certains 
désirent  les  imiter.  Désormais,  à  leur  insu,  ils  sont  devenus 
des  agents  très  actifs  d'islamisation. 

A  côté  de  ces  islamisés  par  mobiles,  soit  politiques,  soit 
économiques,  il  est  d'autres  indigènes  qui  font  salam  simple- 
ment par  contagion,  parce  que  le  voisin  fait  ainsi;  d'autres 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  qS 

qui  font  salam  pensant  que  cette  pratique  est  une  merveil- 
leuse panacée  devant  produire  un  résultat  à  brève  échéance  et 
que  l'on  abandonne  toutefois  si  le  résultat  désiré  tarde  trop. 

A  vrai  dire,  ces  islamisés  de  fraîche  date  sont  musul- 
mans, simplement  en  ce  sens  qu'ils  ne  sont  pas  hostiles, 
qu'ils  sont  même  acquis  à  la  pénétration  islamique;  mais 
ils  n'ont  pour  la  plupart  renoncé  à  aucune  de  leurs  cou- 
tumes, à  aucune  de  leurs  croyances;  ils  font  salam  par 
intermittence  souvent,  pratiquent  peu  ou  point  le  jeûne, 
donnent  sans  hésiter  leurs  tilles  en  mariage  à  des  fétichistes, 
mangent  sans  vergogne  la  chair  des  animaux  impurs,  enfin 
ne  se  font  point  faute  de  boire  du  vin  de  palme,  du  dolo, 
et  de  toutes  ces  infractions  leur  conscience,  coraniquement 
parlant,  n'éprouve  aucun  remords. 

A  côté  de  ces  musulmans  de  vieille  souche  et  parmi  ces 
islamisés  de  fraîche  date,  et  les  surpassant  de  beaucoup  en 
nombre,  sont  les  fétichistes.  Les  uns  ne  nourrissent  pas 
d'hostilité  très  marquée  contre  l'islam;  d'autres,  au  con- 
traire, les  vieux  pour  la  plupart,  ayant  gardé  un  cuisant 
souvenir  soit  de  leurs  défaites,  soit  même  de  leur  captivité, 
ou  bien  dans  des  victoires  ou  des  résistances  heureuses 
ayant  acquis  une  notion  plus  nette  de  leur  commune  in- 
dividualité, éprouvent  une  haineuse  répulsion  pour  la  reli- 
gion soit  de  leurs  anciens  vainqueurs,  soit  de  leurs  anciens 
agresseurs  durement  repoussés  (Kaoua,  Massala,  Nafana). 

«  Quand  nous  ferons  salam,  une  peau  de  chien  nous 
servira  de  tapis  de  prière  »,  déclarent  certains  chefs  ma- 
linké.  D'autres  enfin,  isolés  en  des  régions  montagneuses 
ou  difficiles,  se  trouvent,  plus  encore  par  la  nature  du  pays 
que  par  la  persistance  de  leur  sentiment  d'antipathie  isla- 
mique, protégés  pour  longtemps  de  l'intluence  musulmane 
(Fouladougou,  Touradougou.) 

Chez  les  peuples  Senoufo-Koulango  et  Abren  (Korhogo, 
Kong,  Dabakala,  Bondoukou,  Bouna),  la  situation  est 
quelque  peu  difïérente. 


96  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIHE 

Ici  comme  ailleurs,  plus  qu'ailleurs  peut-être,  les  féti- 
chistes ont  le  plus  grand  respect  pour  les  marabouts.  Leur 
talent  de  mise  en  scène  et  leur  pompe  théâtrale  n'y  sont  pas 
étrangers;  mais  la  vraie  cause  de  cette  déférence  est  la  foi 
profonde  des  musulmans;  l'assurance  de  leurs  manières  et 
de  leur  ton,  qui  en  découle  et  qui  en  impose  à  tous;  la  su- 
périorité incontestable  de  leur  dogme  sur  le  fouillis  informe 
de  croyances  animistes;  la  supériorité,  très  relative  d'ail- 
leurs, de  leur  morale  sur  la  morale  des  animistes  ;  la  beauté 
et  la  gravité  de  leurs  cérémonies  cultuelles  et  de  leurs  fêtes 
religieuses;  la  solidarité  qu'ils  manifestent  dans  leurs  rela- 
tions journalières,  et  surtout  et  plus  que  tout  le  reste  le 
prestige  de  la  science,  de  l'instruction,  de  l'école,  du  livre, 
de  l'écriture.  On  ne  saura  jamais  combien  le  prestige  scien- 
tifique a  servi  de  fourrier  à  l'islam  dans  la  pénétration  du 
monde  fétichiste  soudanais,  combien  le  mystère  de  l'écriture 
ravit  le  simple  et  lui  fait  prendre  souvent  pour  une  vérité 
sacrée  toute  parole  du  marabout,  qui  sait  mettre  la  pensée  sur 
un  papierou  sur  une  planche,  ou  la  déchiffrer  dans  un  livre. 

Caillié  le  remarquait,  avec  sa  clairvoyance  accoutumée, 
il  y  a  déjà  un  siècle  (1827).  Les  Malinké  fétichistes,  ou  les 
Bambara, comme  il  dit  d'après  l'usage  local  musulman,  «  ont 
beaucoup  de  respect  pour  les  sectateurs  de  Mahomet  et  pour 
l'écriture,  qu'ils  regardent  comme  une  sorte  de  magie  ». 

Aussi,  si  l'islamisation,  à  la  façon  de  Samory,  «  crois  ou 
meurs  »,  a  fait  son  temps  et  qu'on  ne  compte  plus  de  con- 
versions d'adultes,  l'islamisation  prend  une  autre  voie,  et 
plus  sûre  celle-là  :  la  voie  de  l'école  et  la  conquête  des  en- 
fants. Les  parents  fétichistes,  trop  âgés  pour  se  mettre  à 
l'étude,  veulent  au  moins  que  leurs  enfants  soient  pourvus 
d'instruction  et,  dans  ce  but,  les  envoient  à  l'école  cora- 
nique. Ils  n'y  acquièrent  guère  d'instruction,  mais  ils  se 
font  conquérir  par  l'islam. 

Cette  déférence  des  fétichistes  n'est  pas  seulement  théo- 
cratique.  Elle  se  manifeste  par  de  nombreux  cadeaux  of- 


GROUPEMENTS   ET   INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  97 

ferts  aux  musulmans  à  l'occasion  des  multiples  fêtes  reli- 
gieuses, sociales  ou  familiales.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
qu'à  Bondoukou,  à  Bouna,  les  chefs  Abron  et  Koulango;  à 
Dabakala,  les  chefs  Senoufo,  comme  d'ailleurs  dans  l'Ouoro- 
dougou  :  à  Séguéla,  à  Mankono  et  dans  la  région  de 
Touba,  etc.,  les  Diomandé  fétichistes  offrent  les  uns  et  les 
autres  un  bœuf  à  l'almamy  du  village,  lors  de  la  clôture 
du  jeûne  du  Ramadan. 

De  même  encore,  en  plusieurs  endroits,  les  fétichistes  se 
mêlent  aux  musulmans  à  la  prière  du  soir.  Cette  prière  du 
maghreb  (crépuscule)  a  fait  beaucoup  pour  l'attirance  à 
l'islam  :  l'heure  est  propice;  la  tombée  du  jour,  l'approche 
de  la  nuit  incitent  à  la  méditation,  au  recueillement,  à  la 
prière.  J'ai  pu  constater  cette  coutume  du  mélange  des  féti- 
chistes à  la  prière  musulmane  du  crépuscule,  et  à  cette  seule 
prière,  en  divers  points  du  Sénégal,  de  la  Guinée,  du  Sou- 
dan. Ce  besoin  de  prière,  à  celte  heure  de  recueillement  de 
la  nature,  paraît  si  inné  chez  le  Noir,  que  les  missionnaires 
catholiques  ont  fini,  en  beaucoup  d'endroits,  par  instaurer 
aussi  une  prière  crépusculaire  en  adoptant  aux  circon- 
stances la  prière  canonique,  c'est-à-dire  en  avançant  cette 
prière  du  soir,  en  l'annonçant  par  les  cloches  et  en  la  ren- 
dant publique.  Et  du  coup  le  succès  est  venu  :  tel  qui 
manque  la  messe  du  dimanche  ne  manque  pas  la  prière  du 
crépuscule,  et  là  aussi  on  voit  les  païens  mêlés  aux  chré- 
tiens. En  Côte  d'Ivoire,  en  beaucoup  d'endroits,  à  Touba, 
à  iMankono,  à  Korhogo,  à  Bondoukou,  une  certaine  partie 
de  la  population  fétichiste,  masculine  et  même  féminine, 
assiste  régulièrement,  les  soirs  de  Ramadan,  à  la  prière  du 
crépuscule.  Il  est  vrai  qu'elle  ne  pousse  pas  le  zèle  jusqu'à 
faire  jeûne  avec  les  fils  du  Prophète. 

Les  fétichistes  prennent  également  part,  avec  le  plus  vif 
empressement  et  par  amour  du  bruit,  du  tam-tam  et  de  la 
fête,  à  toutes  les  réjouissances  qui  accompagnent  les  fêtes 
religieuses.  A  les. voir  danser  et  festoyer,  le  soir  de  la  rup- 

7 


98  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

ture  du  jeûne,  on  croirait  que  ce  sont  de  saints  musulmans, 
qui  prennent  une  revanche  méritée  des  privations  d'un 
mois.  Il  n'en  est  rien. 

Certainescoutumes  musulmanes  influent  surles coutumes 
fétichistes  semblables,  ou  tendent  à  se  substituer  à  elles.  C'est 
ainsi  que  plusieurs  des  gestes  rituels  de  la  circoncision  chez 
les  fétichistes  sont  empruntés  à  leurs  congénères  islamiques; 
c'est  ainsi  encore  que  Tâge  de  la  circoncision,  qui  tend  à 
se  rapprocher  de  la  naissance  chez  les  musulmans,  subit  la 
même  attirance,  par  imitation,  chez  les  fétichistes. 

Beaucoup  de  vocables  musulmans  pénètrent  dans  la 
langue  et  l'onomastique  humaine  chez  les  animistes  :  les 
formules  de  salutation,  santé,  etc.;  notamment  les  noms 
du  calendrier  de  l'islam  deviennent  de  plus  en  plus  cou- 
rants dans  le  monde  fétichiste  :  il  ne  faut  pas  se  laisser 
prendre  à  cette  source  d'erreurs  comme  on  l'a  fait,  en  Eu- 
rope, pendant  la  guerre.  De  même,  les  locutions,  exclama- 
tions, serments  islamiques  se  trouvent  souvent  dans  la 
bouche  des  fétichistes. 

Mais  quels  que  soient  ces  phénomènes  sociaux,  dus  à 
une  vie  en  commun  remontant  à  plusieurs  siècles,  et  à 
une  pénétration  réciproque,  Tislam  ne  semble  pas  avoir 
gagné  du  terrain  depuis  plusieurs  générations  dans  la  so- 
ciété animiste  de  l'est.  Les  musulmans  restent  tels  de  père 
en  fils,  mais  on  ne  distingue  pas  de  conversions  chez  les  féti- 
chistes. On  peut  expliquer  cette  stagnation  par  deux  causes  : 

i"  Noyés  dans  une  population  animiste,  ayant  perdu 
tout  contact  avec  les  foyers  de  piété,  de  foi  et  de  science, 
les  musulmans  de  la  haute  Côte  d'Ivoire  orientale  sont 
souvent  soit  découragés,  soit  étiolés.  Ils  perdent  leur  ardeur 
religieuse  ;  ils  ne  sont  agités  d'aucun  esprit  de  prosélytisme; 
bien  mieux,  ils  n'ont  pas  su  toujours  tenir  leur  dogme, 
leur  morale  et  leur  culte  à  l'abri  des  influences  fétichistes, 
et  les  infiltrations  de  la  coutume  et  de  la  tradition  met- 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  g(^, 

tent  plus  d'une  fois  en  péril  leur  orthodoxie  islamique  .. 

2"  Au  cours  des  guerres  et  des  invasions,  principalement 
lors  des  abominations  du  temps  de  Samory,  la  conduite 
des  musulmans,  surtout  ceux  des  grands  centres,  fut  extrê- 
mement louche.  A  maintes  reprises,  ils  trahirent  sans  ver- 
gogne les  fétichistes,  et  se  rangeant  sous  le  drapeau  d'islam 
plus  ou  moins  sincère,  plus  ou  moins  orthodoxe,  déployé 
par  Samory,  ils  firent  leur  paix  particulière  aux  dépens  de 
leurs  malheureux  hôtes  et  amis.  Beaucoup  d'entre  eux. 
profitaient  de  la  situation  pour  pêcher  en  eau  trouble.  C*&. 
procédés  déloyaux  indisposèrent  au  plus  haut  degré  les- 
fétichistes  tant  ceux  de  l'Ouest  :  Malinké  comme  nous 
l'avons  vu,  que  ceux  du  Centre  :  Senoufo,  que  ceux  de 
l'Est:  Koulango,  Abron,  Mandé  restés  fétichistes,^  etc., 
tant  ceux  du  Nord  que  les  Agni  de  la  bordure  sylvestre. 
Depuis  ce  temps,  les  musulmans  sont  tenus,  en  beaucoup 
d'endroits,  en  légitime  suspicion,  et  l'islam  subit  de  ce 
fait  une  période  de  stagnation,  voire  de  recul. 

Par  contre-preuve,  cette  stagnation  et  même  cette  régres-- 
sion  de  l'islam  peuvent  s'expliquer  par  ce  que  les  quatre:- 
facteurs,  plus  ou  moins  actifs,  plus  ou  moins  opérants,  de 
sa  propagation  en  Afrique,  n'ont  pas  joué  ou  ont  mal  joué  : 
le  conquérant,  le  marabout,  le  maître  d'école,  le  dioula. 

I"  L'influence  du  conquérant  paraît  avoir  été  nulle.  Le 
seul  conquérant  qui  aurait  pu  agir  dans  ce  sens  est,  en. 
effet,  Samory,  mais  soit  qu'il  eût  étouffé  le  zèle  religieux, , 
qui  l'animait  au  début  de  ses  conquêtes,  et  l'incitait, 
disait-il,  à  les  entreprendre,  soit  que  pourchassé  par  nos 
troupes  et  astreint  à  de  perpétuels  déplacements,  il  n'eut 
pas  le  temps  nécessaire  pour  s'occuper  de  conversions, 
Samory  fit  peu  pour  l'islam  dans  les  milieux  fétichistes, 
Senoufo,  Abron  ou  Koulango,  et  il  lui  fit  même  beaucoup 
de  mal  par  ses  exactions  et  ses  cruautés,  tant  chez  les  pre-  - 
miers  que  chez  les  Malinké  et  les  Mandé  dioulas. 

2^  Les  marabouts,  comme  nous  l'avons  vu,  ont  pénétré 


100  ETUDES   SUR   L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

dans  la  haute  Côte  d'Ivoire  sporadiquement  et  se  sont  éta- 
blis par  petits  paquets,  un  peu  partout,  absorbant  quelque- 
fois ouvertement,  le  plus  souvent  subrepticement,  l'auto- 
rité politique  locale,  mais  ne  constituant  jamais  l'élément 
nombreux  et  vital  du  pays. 

Cette  dispersion  de  l'élément  musulman  et  le  petit 
nombre  d'individus,  qui  le  compose,  peuvent  déjà  expli- 
quer le  manque  d'emprise  de  l'islam  sur  les  populations 
fétichistes  de  ces  régions,  mais  il  s'expliquera  également 
par  le  manque  de  valeur  et  de  prestige  personnel  des  mara- 
bouts, qui,  ailleurs,  ont  forcé  l'admiration,  amené  des 
imitations  et  par  suite  des  conversions. 

3*»  Cette  dernière  raison  paraît  surtout  convenir  pour 
expliquer  le  peu  de  résultats  obtenu  par  les  maîtres 
d'écoles  sur  l'élément  fétichiste. 

De  l'enquête  sur  les  écoles  coraniques  du  pays  il  résulte, 
en  eflFet,  que  si  la  généralité  des  marabouts  de  cette  région 
sont  en  même  temps  maîtres  d'écoles,  ils  sont  tous  étran- 
gers au  pays,  tandis  que  leurs  élèves  sont  uniquement 
leurs  propres  enfants  ou  les  enfants  de  gens  appartenant 
à  la  même  race  qu'eux. 

Telles  elles  sont  aujourd'hui,  telles  ces  écoles  devaient 
être  dans  le  passé,  puisqu'on  ne  trouve  aucun  maître 
appartenant  à  la  race  aborigène,  sauf  peut-être  une  demi- 
douzaine  à  Dabakala,  et,  à  ce  point  de  vue  encore,  on  peut 
conclure  que  l'action  de  propagande  par  l'école  n'a  et  n'a 
eu  aucun  effet  sur  l'élément  fétichiste. 

4"  Que  dire  du  quatrième  facteur  de  propagande,  celui 
du  dioula  ou  colporteur  indigène,  qui,  sans  oublier  ses 
intérêts  matériels,  apparaît  parfois  comme  une  sorte  de 
commis-voyageur  en  religion,  et  conquiert  le  ciel,  en 
gagnant  largement  son  existence. 

Au  Soudan,  il  est  un  fait  presque  établi  que  là  où  l'islam 
progresse,  il  le  doit  aux  dioulas.  Cette  constatation  est-elle 
générale  et  peut-elle  s'appliquer  également  ici? 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  lOI 

L'examen  attentif  de  ce  mode  de  propagande  démontre- 
rait au  contraire  que  son  action  n'a  pas  été  plus  active  sur 
les  populations  fétichistes  de  l'Est  que  les  autres. 

Que  sont,  en  effet,  les  marabouts  et  les  maîtres  d'écoles 
sinon,  à  l'origine,  des  dioulas  ou  colporteurs  eux-mêmes. 

Les  uns  et  les  autres  ont  été  reçus  par  les  fétichistes 
parce  qu'ils  ne  constituaient  pas  pour  eux  un  danger 
social  ;  ils  sont  venus,  en  effet,  isolément,  rendant  service 
à  la  communauté  fétichiste  en  lui  vendant  du  sel  ou  d'autres 
marchandises.  Mais  tout  semble  faire  admettre  que  lorsque 
des  dioulas,  en  passant,  parlaient  de  leur  Dieu  aux  féti- 
chistes, ceux-ci  devaient  invariablement  leur  répondre  par 
le  même  argument  :  «  Pourquoi  ferions-nous  salam,  nos 
pères  ne  l'ayant  jamais  fait  ?  » 

C'est  encore  actuellement  l'argument  qui  est  servi  aux 
dioulas  convertisseurs,  qui  viennent  peut-être  plus  nom- 
breux que  par  le  passé  et  s'y  fixent  temporairement  pour 
leurs  affaires,  ou  définitivement,  quand  ils  sont  fatigués 
ou  trop  vieux  pour  continuer  leurs  pérégrinations,  parce 
que  nous  avons  garanti  à  tous  et  partout  la  sécurité  des 
personnes  et  la  libre  circulation. 

En  se  fixant  dans  ce  pays,  les  dioulas  colporteurs  aug- 
mentent  par  eux-mêmes  le  nombre  des  musulmans  ;  l'isla- 
misme, dans  cette  région,  compte  quelques  mosquées  de 
plus,  voire  de  nouvelles  écoles,  mais  le  bloc  fétichiste  n'est 
pas  entamé  ni  corrodé  par  leur  influence. 

Il  ressort  donc  que  ni  les  marabouts,  ni  les  maîtres 
d'école,  ni  les  dioulas  n'ont  pu  faire  progresser  l'islam 
dans  cette  région  par  des  conversions,  pas  plus  que  l'isla- 
misation par  la  force  n'y  aurait  laissé  de  traces  durables  et 
que  le  fétichiste  de  cette  région,  comme  celui  des  cercles 
voisins  du  bas  Soudan  :  Sikasso,  Bougouni,  Koutiala,  Bobo- 
Dioulasso  et  Lobi,  est  rebelle  à  la  religion  du  Prophète. 

L'imprécision  doctrinale  et  cultuelle  des  musulmans  de 


.102  ETUDES    SUR    L  ISLAM   EN    COTE   D  IVOIRE 

îa  Côte  d'Ivoire  s'accentue  et  devient  une  ignorance 
presque  absolue  dans  le  domaine  plus  étroit  des  ordres 
religieux.  La  grande  masse  des  fidèles  serait  bien  embar- 
rassée de  donner  l'explication  de  termes,  tels  que  «  qadri  » 
ou  «  tidiani  »,  que  tout  le  monde  connaît  pourtant.  Et 
néanmoins,  malgré  cette  ignorance,  l'affiliation  à  une  con- 
frérie est  chose  générale,  et  ceux  mêmes  qui  déclarent  n'en 
pas  sentir  le  besoin,  finissent  tôt  ou  tard  par  aller  deman- 
der l'ouird  à  un  marabout  de  renom. 

«  Pour  entrer  au  Paradis  il  est  aussi  nécessaire  d'être 
affilié  à  un  ordre  que  de  s'aider  d'un  bâton  pour  accom- 
plir une  longue  route  »,  disait  un  musulman  éclairé 
d'Odienné.  Ce  sont  là  certainement  paroles  pieuses  et 
sages,  mais  il  n'est  pas  à  croire  qu'en  général  ce  soient  là 
les  véritables  motifs  qui  déterminent  les  musulmans  à  se 
faire  affilier  à  une  voie  religieuse.  Beaucoup,  sans  examen 
préalable,  sont  indiff'éremment  qadrïa  ou  tidianïa,  parce 
que  leur  maître  d'école  est  soit  qadri,  soit  tidiani,  dans 
beaucoup  de  cas,  l'affiliation  à  un  ordre  semble  être 
quelque  peu  un  complément,  une  annexe  de  l'instruction 
donnée  par  le  maître.  D'autres,  sciemment  ou  inconsciem- 
ment, sont  victimes  d'un  particularisme  très  étroit,  d'une 
sorte  de  fétichisme  égoïste,  extrêmement  conformic  aux 
idées,  aux  préjugés  ataviques  des  noirs,  fétichisme  qui 
érige  dans  la  doctrine  simple,  universelle  de  l'islam,  de 
petites  chapelles  qui  demeurent  étroitement,  presque" 
hostilement,  closes  aux  musulmans  non  initiés. 

Et  enfin,  et  surtout,  il  y  a  le  particularisme  des  races,  des 
groupements  et  des  familles  qui  joue  ici,  comme  partout  ail- 
leurs en  pays  noir.  Sans  être  aussi  formaliste,  aussi  exclusif 
que  certains,  lesToucouleurs  par  exemple,  qui  ne  sauraient 
être  autre  chose  que  tidianïa,  les  grandes  familles  malinké  et 
dioula  se  rattachent  par  tradition,  gar  prosélytisme  ou  par 
toutautre  motif  à  Tuneou  à  l'autre  des  deux  chapelles  qadrïa 
ou  tidianïa,  et  aucun  de  leurs  membres  ne  saurait  en  sortir. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I03 

Le  passage  d'une  voie  à  l'autre  serait  considéré  certaine- 
ment comme  une  sorte  d'apostasie. 

Entre  les  adeptes  d'une  confrérie,  l'autorité  du  maître 
d'école  mise  à  part,  il  n'existe  point  de  hiérarchie  nette- 
ment définie  ;  ils  vivent  à  peu  près  isolés,  ne  connaissant 
en  règle  générale  que  le  maître  d'école,  le  marabout,  le  dis- 
ciple qui  les  a  initiés,  mais  ne  peuvent  remonter  la  plupart 
du  temps  au  deuxième  ou  troisième  échelon  au-dessus  de 
leur  initiateur.  Il  a  donc  été  très  difficile  de  déterminer 
l'origine  de  l'affiliation  religieuse  de  ces  peuples  mandé. 
Quelques-uns,  en  petit  nombre,  ont  des  notions  légère- 
ment moins  imprécises  ;  mais  ce  qu'il  faut  par-dessus 
tout  retenir,  c'est  que  Qadrïa  et  Tidianïa  ne  se  considèrent 
pas  comme  liés  vis-à-vis  des  cheikhs  et  moqaddems,  et  ils 
seraient  bien  surpris  si  on  leur  dévoilait  que  pour  remplir 
le  programme  et  satisfaire  à  l'ambition  de  certains  ordres, 
il  est  nécessaire  qu'ils  soient  entre  les  mains  des  cheikhs 
«  comme  un  cadavre  entre  les  mains  du  laveur  des 
morts  ». 

Ces  voies  classiques  qadrïa  et  tidianïa,  auxquelles  se 
.rattachent  les  m^usulmans  de  la  haute  Côte  d'Ivoire,  ne 
nourrissent  l'une  contre  l'autre  aucune  animosité  ;  quelques 
tidianïa  se  bornent  à  dire  que  si  Al-Hadj  Omar  a  lancé 
cette  voie  ici,  c'est  qu'il  a  trouvé  qu'elle  était  meilleure  et 
plus  rapide  vers  le  ciel;  par  contre  les  qadrïa  laissent  par- 
fois entendre,  que  cette  voie  nouvelle  n'est  pas  plus 
rapide  que  l'ancienne,  tout  au  contraire,  mais  qu'elle  est 
moins  fatigante. 

Dans  leur  rituel,  les  qadrïa  pratiquent  séparément  les 
prières  prescrites.  Les  tidianïa,  au  contraire,  tout  au  moins 
avant  notre  arrivée  dans  le  pays,  se  réunissaient,  suivant  la 
coutume  et  le  rite,  dans  une  case  etàpleine  voix,  à  l'unisson,, 
récitaient  indéfiniment  la  même  invocation,  invocation 
accompagnée  d'un  balancement  continu  du  corps..  Cette 
récitation,  cette  gymnastique  conduit    souvent   au  délire 


104  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

extatique.  «  Celui  qui  fait  tidiani  trop  jeune  meurt  fou  »» 
disent  les  noirs. 

La  voie  qadrïa  l'emporte  nettement  sur  sa  rivale  dans 
les  régions  de  Boundiali,  Odienné,  Touba,  Séguélé  et  Man- 
kono,  c'est-à-dire  danstout  l'Ouest.  Les  Malinké  sont  mani- 
festement qadrïa  dans  leur  ensemble,  de  par  une  tradition 
vieille  de  plusieurs  siècles,  et  qui  remonte  vraisemblable- 
ment à  leur  islamisation.  Ils  ont  reçu  à  la  fois  l'islam  et 
le  qaderisme  des  mains  des  missionnaires  des  grands 
cheikh  kounta  :  Cheikh  Omar  Cheikh  et  Cheikh  Bekkaï. 
Partis  musulmans  et  qadrïa  de  la  vallée  du  Niger,  ils  sont 
arrivés  tels  ici  et  le  sont  restés  d'un  bloc  et  sans  fissure. 

En  outre,  les  zaouïas  de  la  ville  voisine  et  congénère  du 
Kankan,  assez  florissantes  aux  dix-huitième  et  dix-neu- 
vième siècles,  ont  sans  doute  beaucoup  contribué  à  main- 
tenir ou  à  développer  cette  voie  dans  la  région. 

Enfin,  certains  missionnaires  blancs,  maures  ou  maro- 
cains, apparaissent  parfois  dans  le  pays  et  distribuent  ou 
renouvellent  des  affiliations  :  c'est  ainsi,  par  exemple  que 
tout  un  groupe  de  Médina  (Touba)  relève  par  un  chef, 
Fodé  Sako,  d'un  marabout  marocain,  Sidi  Mohammed  le 
Fassi,  qui  passa  dans  la  région  au  temps  du  despote  Ahma- 
dou  Touré,  fils  de  Fa  Kaba. 

Le  tidianisme  n'y  a  qu'un  nombre  restreint  d'adeptes. 

En  prenant  comme  champ  d'expérience  le  milieu  des 
marabouts  de  marque  et  notoires,  on  a  : 

Région  d'Odienné 35  qadrïa  23  tidianïa  qques  indép. 

Région  de  Boundiali     ....       8     —         o      —  — 

Région  de  Touba g3      —  8      —  — 

Région  de  Séguéla 8      —  4      —  — 

Région  de  Mankono 18      —  2      —  — 

soit  au  total  :  162  marabouts  qadrïa  et  46  tidianïa. 

En  effet,  la  vague  omarienne,  déferlant  sur  le  haut  Niger 
entre  i85o  et  1870,  s'est  brisée  avant  de  toucher  Odienné, 
et   si  le   nom   du   grand  conquérant  toucouleur   est  bien 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I05 

arrivé  jusqu'aux  Malinké  de  l'Ouest-Côte  d'Ivoire,  c'est 
plutôt  comme  celui  d'un  personnage  éclatant,  héros  de 
légende  et  d'épopée.  La  tradition  relate  pourtant  que 
quelques  marabouts  tidiani  de  l'Ouorodogou,  ayant  appris 
dans  le  troisième  quart  du  dix-neuvième  siècle  la  présence 
de  missionnaires  omariens  à  Kankan,  envoyèrent  à  leur 
rencontre  des  messagers.  Mais  il  advint  d'eux  ce  qu'il 
était  advenu,  à  plusieurs  reprises,  pour  les  messagers 
envoyés  par  les  Qadrïa,  au  cours  des  siècles,  aux  grandes 
zaouïa-mères  de  Dienné  et  de  Tombouctou.  Ils  furent  pris 
sur  la  route  dans  des  guerres  intestines,  dans  des  rivalités 
de  chefs  et  de  villages,  furent  tués  ou  faits  captifs,  bref 
disparurent  sans  laisser  de  traces.  C'est  un  fait  classique 
dans  les  annales  religieuses  du  pays;  toute  tentative  de 
jonction  avec  les  zaouïa-mères  ont  à  peu  près  échoué,  et 
cette  anarchie  ambiante,  cette  absence  de  communication 
n'ont  pas  peu  contribué  à  l'autonomie  des  chapelles 
locales,  à  leur  évolution  dans  leur  propre  plan  et  suivant 
leur  propre  mentalité,  et  finalement,  comme  il  en  serait  de 
rameaux,  à  peine  reliés  au  tronc,  ont  abouti  à  leur  dessè- 
chement spirituel  et  à  la  pauvreté  de  leur  science  et  de  leur 
ferveur  islamique. 

Il  faut  donc  noter,  comme  source  du  tidianisme  local, 
des  marabouts  maures  du  Sahel-Hodh  soudanais,  de  pas- 
sage ici,  et  quelques  missionnaires  toucouleurs  ou  sara- 
kollé  (marka)  du  Fouta  Toro,  du  Guidimaka,  ou  de  Ségou. 
A  remarquer  dans  le  même  sens  que  le  séjour  d'Al-Hadj 
OmaràDinguiraye  attira  à  sa  voie  tidianïaun  certain  nombre 
de  Malinké  de  la  haute  Guinée  (Kankan,  Kouroussa  Siguiri) 
et  que  l'un  d'entre  eux.  Alfa  Mamadou  Kankan,  a  fait 
école  dans  cette  ville.  Il  est  très  connu  dans  certains 
milieux  de  Touba  et  d'Odienné,  et  l'on  va  quérir  son  ouird 
à  Kankan. 

Dans  le  centre  de  l'Est  de  la  colonie,  c'est-à-dire  chez 
les  Mandé-dioula,  les  voies   qadrïa   et   tidianïa   semblent 


I06  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE   d' IVOIRE 

se  balancer,  avec  peut-être  une  légère  prédominance  en 
faveur  de  qaderisme.  Les  causes  qui  ont  joué  pour  l'une 
et  l'autre  de  ces  voies  sont  les  mêmes  ici  qu'à  l'ouest,  mais 
le  tidianisme  a  été  favorisé  par  la  propagande  de  plusieurs 
pèlerins  dioula,  revenus  de  La  Mecque.  Il  est  à  remarquer, 
en  effet,  que  cette  race  voyageuse  fournit  beaucoup  de  pèle- 
rins, et  que  ceux-ci  rapportent  généralement  de  l'Orient 
l'ouird  tidiani.  A  leur  retour,  et  sans  d'ailleurs  avoir  reçu 
aucun  pouvoir  à  cet  effet,  ils  s'empressent  pour  un  bon 
prix  de  le  distribuer,  au  même  titre  que  l'eau  intarrissable 
de  Zemzem  et  les  cheveux:  innombrables  du  Prophète. 
C'est  surtout  à  Bondoukou  que  cette  cause  a  joué  et  a 
permis  de  rétablir  jusque  Téquilibre  en  faveur  du  tidia- 
nisme. 

On  constate  par  exemple  les  proportions  suivantes  :  il 
s'agit  des  personnages  de  marque,  marabouts  almamys, 
lettrés,  notables,  maîtres  d'école  : 

Région  de  Korhogo i6  qadri'a  r3  tidianïa  qques  indép. 

Région  de  Kong 25      —  6      —  — 

Région  de  Dabakala lo      —  lo      — -  — 

Région  de  Daoulé 4      —  5       —  — 

Région  de  BondoukoLi .     ...       4      —  17       —  — 

Région  de  Bouna 8       —  4      —  — 

Soit  pour  le  Centre  et  l'Est  du  haut  pays  67  qadrïa  et 
55  tidianïa. 

Le  rituel  de  l'ouird  qadri  comme  celui  de  l'ouird 
tidianine  ne  diffèrent  nullem.ent  de  ceux  universellement 
employés  en  A.  O.  F.  Le  chiffre  de  litanies  indiqué  est 
d'ailleurs  un  maximum  :  ce  n'est  qu'avec  l'âge,  la  piété 
et  le  progrès  dans,  la  hiérarchie  mystique  qu'on  arrive  à 
réciter  toutes  ces  invocations.  Et  encore  les  marabouts  les 
plus  pieux  ne  les  récitent-ils  que  deux  fois  par  jour,  après 
la  prière  du  matin  et  après  celle  de  la  mi-soirée. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  IO7 


2.  —  Odienné. 

a)  Senoufo.  —  Les  Senoufo  (Siénémana),  peu  nombreux 
dans  la  région  d'Odienné,  sont  tous  inclus  dans  le  canton 
du  Naoulou.  De  mémoire  locale,  les  différents  sous-can- 
tons, Sewala,  Zonohola,  Guendéla,  Bona,  jouissaient,  de 
leur  autonomie.  Le  bouleversement  islamique  de  la 
deuxième  moitié  du  dix-neuvième  siècle  amena  leur  union 
sous  l'autorité  de  Daba,  chef  du  sous-canton  Bona.  Tous 
les  Senoufo  d'Odienné  formèrent  ainsi  une  seule  unité 
politique  :  le  Naoulou.  Avec  le  temps  Daba,  devenu 
aveugle,  puis  impotent,  perdit  à  peu  près  toute  autorité. 
Ses  successeurs  étaient  trop  jeunes  pour  le  remplacer.  Au 
surplus,  les  conditions  n'étaient  plus  les  mêmes.  Bref,  on 
dut,  en  août  1916,  scinder  le  Naoulou  et  rétablir  les  an- 
ciennes divisions. 

Le  personnage  le  plus  important  est  Noumoukié  Koné, 
qui  commande  le  sous-canton  de  Sewala  (villages  de  Ngo- 
loblasso,  Boroumasso,  Dzéguétiéla  et  Karasso).  Il  est  peu 
riche,  mais  vit  dans  l'aisance,  grâce  au  travail  de  ses  nom- 
breuses femmes  et  enfants.  On  trouve  à  peine  quelques 
dioulas  musulmans  dans  ces  i.5oo  Senoufo  animistes.  On 
n'en  trouve  pas  plus  dans  les  autres  cantons. 

Mandé  fétichiste.  —  C'est  ici  le  principal  centre  des 
provinces  mandé  restées  fétichistes,  entre  les  deux  pôles 
musulmans  des  Màlinké  de  Kankan  et  de  Beyla,  et  des 
Mandé-dioula  de  Korhogo-Kong.  .Mais  leur  islamisation 
par  leurs  frères  de  races,  de  langue  et  de  mœurs  n'est  sans 
doute  qu'une  question  de  temps. 

Ces  provinces  sont  :  le  Folo,  dont  le  chef  Kassoum  Dié- 
messi,  né  vers  1870,  habitant  Maninian,  a  été  sofa  de 
Samory  et  a  fait  colonne  en  cette  qualité  dans  le  pays  de 
Korhogo.   Les  2.5oo  Mandé  de  ce  canton  sont  fétichistes. 


I08  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d' IVOIRE 

On  ne  trouve  quelques  musulmans  qu'à  Maninian,  Madina 
et  Sokoro.  Les  Foulanké,  qui  habitent  ce  canton,  sont 
métissés  de  sang  peul  ;  le  Gouaiiangala,  dont  le  chef  Tié- 
kessé  Koné,  né  vers  1890,  habitant  Sogorodougou,  a  fait, 
en  qualité  de  sofa  d'Ahmadou  Touré,  des  expéditions  dans 
le  Naoulou  senoufo.  Les  2.000  habitants  (28  villages)  sont 
fétichistes,  sauf  quelques  musulmans  à  Mohi  Mossadou- 
gou,  Férémandougou,  Tendirima  Sokoro  ;  le  Toron,  dont 
le  chef  Kélesseri  Diarassouba,  né  vers  1860,  habitant 
Kaniasso,  descend  de  Massa  Sokala  Fani,  fondateur  de  la 
province.  Dans  les  luttes  du  Kabadougou,  il  prêta  aide  à 
Ahmadou  Touré,  le  suivit  en  qualité  de  sofa  dans  le 
Ouorodougou,  les  pays  de  Touba,  Man  et  Bougouni.  Il 
était  avec  Samory,  au  moment  de  la  prise  de  ce  dernier. 
Rentré  à  Kaniasso,  il  fut  presque  aussitôt  chef  (1896).  Ses 
i.5oo  administrés,  comme  lui,  sont  rebelles  à  l'islam;  le 
Bodougou,  dont  le  chef  Massa  Doumbia,  né  vers  i865, 
habitant  Tienko,  prit  la  fuite  avec  la  plupart  de  ses 
2.5oo  administrés  vers  la  Sibiriba  (Bougouni),  au  temps 
des  dévastations  de  Vakaba  Touré,  despote  d'Odienné. 
Peu  de  musulmans.  Revenus  chez  eux  par  la  grâce  des 
Français,  les  gens  de  Bodougou  sont  restés  en  relations 
avec  leurs  alliés  de  Bougouni  ;  le  Bambala  dont  le  chef, 
Fabéré  Bamba,  habitant  Bougoussou,  a  été  captif  à  Bafou- 
labé,  libéré  en  1896,  et  nommé  chef  de  canton  en  1898,  à 
la  mort  de  son  frère.  Le  millier  de  Mandé  de  ce  canton  est 
fétichiste,  sans  trace  d'islam;  le  Massala,  dont  le  chef 
Bambatié  Kourouma,  né  vers  1880,  habitant  Kimbérila,  a 
succédé  en  1890  à  son  père  Mori  Kourouma,  sur  l'élection 
des  villages.  Ce  canton  a  beaucoup  souffert  des  dépréda- 
tions musulmanes.  Mori  combattit  les  Touré  d'Odienné  et 
de  Samatiguila  (destruction  de  N'Dola)  et  fut  vaincu.  Son 
canton  fut  placé  sous  la  domination  des  Touré.  Cette  do- 
mination cessa  lors  de  notre  venue  et  le  Massala  recouvre 
son  autonomie;  Bambatié,  trop  jeune  alors,  ne  prit  pas  part 


La  PRiÈKE  A  Olienné. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  lOQ 

à  ces  événements.  C'est  un  chef  de  grande  envergure,  intel- 
ligent et  obéi,  prestigieux  et  admiré;  son  influence 
dépasse  son  canton.  Il  a  un  penchant  fâcheux  pour  le 
dolo.  Il  a  voué  aux  musulmans  du  pays,  particulièrement 
à  ceux  d'Odienné  et  de  Samatiguila,  qui  ont  tourmenté 
son  enfance,  une  antipathie  non  déguisée.  Ses  administrés, 
au  nombre  de  2.400,  sont  tous  fétichistes. 

Mandé  musulmans.  — Avec  les  trois  cantons  mandé  mu- 
sulmans d'Odienné,  nous  touchons  au  cœur  même  de 
l'islam  historique  et  religieux  de  la  région  ;  ce  sont  le  Sama- 
tiguila, le  Sienkono,  le  Tiénéet  le  Kabadougou.  Le  Sama- 
tiguila (ou  Sambatiguila),  sis  sur  la  grand'route  d'O.dienné 
à  Bougouni,  a  joué  un  rôle  fort  important  dans  les  luttes 
pour  la  prépondérance  engagées  par  l'islam  contre  les  ani- 
mistes de  la  région  d'Odienné.  Toutes  les  traditions  en 
rappelleat  le  souvenir.  Le  premier  marabout,  établi  en  cette 
région,  fut  Hadji  Diaya  Téguéré.  Il  résida  dans  la  région 
avec  l'autorisation  de  Siraza  Diarassouba,  chef  de  tout  le 
pays. 

Vers  1820,  VakabaTouré,  de  Samatiguila,  chef  de  guerre 
musulman  au  compte  des  Diarassouba,  fît  une  expédition 
heureuse  contre  le  Toron,  puis  des  razzias  fructueuses 
dans  les  pays  du  Bambala,  du  Seydougou,  de  Koulikoro,  de 
Guéléba.  Sur  ces  entrefaites,  les  Diarassouba  de  Vakaba 
entrèrent  en  désaccord,  puis  en  lutte,  et  «  le  valet  chassa 
le  maître  »,  comme  dit  Le  Campion. 

Les  Diarassouba  vaincus  durent  se  réfugier  dans  la  can- 
ton ingrat  du  Nafana.  Samatiguila  est  demeurée  la  ville  la 
plus  musulmane  delà  région,  «  la  ville  Sainte»  en  quelque 
sorte,  celle  en  tout  cas  où  l'esprit  musulman  de  vieille  date 
s'est  conservé  le  plus  complet.  Elle  se  devait  de  donner  un 
appui  complet  à  tous  les  conquérants  noirs  :  Ahmadou 
Touré,  Samore,  etc..  Elle  s'enrichit  considérablement  dans 
ces  guerres  de  razzias.  L'instauration  de  la  paix  française 


IIO  ETUDES    SUR   L  ISLAM   EN    COTE    D  IVOIRE 

et  la  libération  des  captifs  devaient  forcément  nous  l'alié- 
ner. Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  qu'aujourd'hui,  sous  les 
apparences  correctes,  cette  population  nous  témoigne  la 
plus  grande  réserve,  et  souvent  une  hostilité  sournoise. 

Le  chef  du  canton  est  Bakari  Dialo,  dit  Sidiki,  né 
vers  1880,  qui  tient  depuis  igiS  la  place  de  son  père,  Van- 
zoumana,  vieux,  fatigué,  fini.  Intelligent,  réfléchi,  actif,  il 
a  eu  du  mérite  à  commander  fort  convenablement  ce  can- 
ton, composé  des  villages  de  Samatiguila  et  de  Tiesseriba 
(i.ooo  habitants),  où  l'on  trouve  une  profusion  de  mara- 
bouts orgueilleux,  pédants,  sûrs  de  l'amitié  divine.  Bakari 
Dialo  possède  une  petite  instruction  arabe  acquise  auprès 
de  son  frère  Almamy  Diabi.  Il  est  en  relations  correctes, 
mais  plutôt  froides,  avec  ses  voisins,  les  chefs  fétichistes 
du  Toron  et  du  Massala, 

Les  personnalités  notoires  de  ce  monde  maraboutique  du 
Samatiguila  sont  : 

Vadiguiba  Diabi,  né  vers  i885,  fils  et  successeur  de  Va- 
diguiba  Diabi,  almamy  du  village  et  marabout  bien  connu, 
qui  a  laissé  de  nombreux  talibés  dans  la  région.  Il  relevait 
du  qaderisme  de  l'école  maiinké  de  Kankan. 

Son  père,  Karassou  Mamadou,  né  vers  1825,  s'est  éteint 
au  début  du  siècle.  Il  jouissait  d'une  grande  considération. 
Avec  ses  dix  femmes  et  ses  nombreux  enfants  et  petits- en- 
fants, il  représentait  fort  bien  le  patriarche  biblique.  On  le 
considérait  comme  le  chef  des  marabouts  de  la  région  :  il 
disait  aux  officiers,  du  début  de  l'occupation,  que  son  père 
Anzoumana  Diabi  avait  dans  sa  jeunesse  reçu  une  affilia- 
tion d'une  zaouïa  de  Tombouctou.  Par  la  suite,  il  y  envoya 
des  courriers,  mais  aucun  d'eux  ne  revint  jamais.  C'est  cet 
Anzoumana  Diabi  qui  dominait  religieusement  dans  la 
région,  lors  du  passage  de  René  Caillié  (i"  août  1827),  et 
cette  influence  fut  fort  utile  au  voyageur.  Celui-ci  note,  en 
eff"et,  quelques  semaines  plus  tard,  àTiéné,  où  l'immobili- 
saient la  maladie  et  d'horribles  souffrances  :  «  J'étais  étran- 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I  I  I 

ger,  mais  sous  la  protection  de  l'almamy  de  Sambatiguila, 
ce  qui,  je  crois,  leur  inspirait  une  sorte  de  crainte.  » 

Son  fils  Karassou  n'hérita  pas  tout  de  suite  de  cette  suc- 
cession spirituelle  :  elle  passa  à  Silama  Tiéba,  de  Soukou- 
ralla,  et  ce  n'est  qu'à  la  mort  de  ce  dernier  que  Karassou 
fut  considéré  comme  chef  religieux  du  pays.  Entre  autres 
disciples,  Karassou  laissa  un  marabout  de  choix  :  Laféré 
Lamina,  né  vers  1825,  et  qui  vient  de  mourir  à  un  âge 
avancé. 

Le  représentant  actuel  de  la  famille  Vadiguiba  fait  l'école 
à  cinq  ou  six  enfants  :  c'est  un  arabisant  de  médiocre 
valeur  et  sa  réputation  n'est  pas  encore  assise.  Il  paraît 
bien  en  main  et  rallié  à  notre  cause.  C'est  en  tout  cas  un 
des  rares  marabouts  locaux  à  vivre  en  bons  termes  avec  le 
chef  de  village.  Il  a  été  l'almamy  de  la  grande  mosquée  de 
Sambatiguila  jusqu'à  1919,  date  où  il  a  été  remplacé  par 
son  frère  Mo  Youssoufou  Diabi. 

Vakoussa  Diabi,  delà  même  famille  et  de  la  même  voie, 
né  vers  1870,  est  un  petit  maître  d'école.  C'est  un  homme 
intelligent  et  dévoué. 

On  peut  dire  la  même  chose  de  Issiaka  Diabi,  né 
vers  1878,  petit   maître  d'école  ouvert  et  sympathique. 

On  citera  pour  mémoire  les  autres  marabouts  de  Sama- 
tiguila  qui  dispensent  à  3,  4,  ou  5  élèves  la  maigre  science 
coranique  qu'ils  possèdent  et  dont  l'esprit  d'opposition  est 
caractérisé. 

Mori  Birama  Diabi,  né  vers  i865,  qui  fut  jadis  expulsé 
du  cercle  de  Bougouni  pour  avoir  construit  une  mosquée 
dans  le  village  de  iMaféléla,  entièrement  fétichiste;  Marna 
Sanissi  Diabi,  né  vers  1860,  qui  paraît  le  plus  intelligent, 
le  plus  instruit  et  aussi  le  plus  dangereux.  C'est  en  quelque 
sorte  le  chef  de  l'opposition;  Nabé  Saranorho  Diabi,  né 
vers  1854,  dont  l'école  est  la  plus  florissante  (12  à  i5 
élèves);  Ibrahima  Saranorho,  maître  d'une  école  d'une 
dizaine  d'élèves  ;   Bénia   Diabi,    né  vers    i85o,    Ahmadou 


112  ETUDES   SUR    L  ISLAM   EN    COTE   D  IVOIRE 

Kandé,  né  vers  1860;  Samouka  Samakassi,  né  vers  i852, 
Morifou  Silla,  né  vers  1880,  tous  petits  maîtres  d'école. 

En  résumé,  Samatiguila  avec  une  dizaine  d'écoles,  une 
clientèle  scolaire  de  70  à  80  enfants,  une  mosquée  diouma 
très  fréquentée,  est  un  des  principaux  centres  islamiques 
du  pays  malinké.  Sa  force  de  rayonnement  sur  les  pays 
fétichistes  qui  l'encerclent  est  à  surveiller.  Il  n'est  pas  jus- 
qu'aux querelles  cléricales  qui  n'achèvent  de  lui  donner 
l'aspect  d'une  petite  métropole  religieuse.  En  1898,  à  la 
suite  de  discussions  byzantines  et  de  rixes,  chacun  voulant 
être  le  grand  chef  religieux,  un  certain  nombre  de  mara- 
bouts fut  envoyé  à  Nioro  pour  un  séjour  obligatoire  d'un 
an.  En  1902,  et  pour  le  même  motif,  deux  d'entre  eux 
furent  appelés  à  Dabakala  auprès  du  commandant  de  région 
et  jurèrent  sur  le  Coran  de  rester  tranquilles  et  de  s'abste- 
nir de  toute  polémique.  Cette  agglomération  a  été  visitée 
par  René  Caillié  en  1827,  et  à  cette  date  il  avait  déjà  remar- 
qué un  caractère  très  islamisé. 

Le  Folo,  ou  pays  de  Maninian,  ne  renferme  que  deux 
villages,  où  Ton  puisse  trouver  un  marabout  méritant  une 
mention  :  Madina,  où  Mori  Sarandé,  né  vers  1880,  fils  et 
élève  de  Sokadan  Sarandé,  est  almamy  et  maître  d'école 
(i5  à  20  à  élèves);  Sokoro,  village  islamisé  de  quelque  im- 
portance, où  Ton  compte  cinq  marabouts  maîtres  d'école, 
dont  surtout  Bakari  Cissé,  et  une  cinquantaine  d'élèves. 

Un  seul  village,  Mahandiana,  est  à  noter  dans  le  canton 
de  Vadougou.  Use  signale  par  ses  trois  marabouts  :  Lamin 
Saranorho,  né  vers  1890;  Mani  Sako,  né  vers  i85o;  An- 
zoumana  Fafana,  né  vers  1890,  tous  qadrïa,  et  dont  l'école 
renferme  chacune  une  douzaine  d'élèves. 

Le  Si'enAono  comprend  2.000  Mandé  et  16  villages,  dont 
deux  seulement,  Bako,  le  chef-lieu,  et  Kambosso,  sont 
exclusivement  musulmans,  les  autres  sont  surtout  féti- 
chistes et  font  volontiers  quelque  opposition  au  chef  Va- 
kaba  Koné,  parce  qu'il  est  musulman.  Vakaba,  né  vers  1882, 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUAWTÉS    ISLAMIQUES  Il3 

est  de  la   famille  héréditaire   des  chefs.    11   a    succédé   en 
juillet  1897  à  son  cousin  Dioulatié  Koné. 

Le  Kabadougou,  ou  pays  du  marabout  Kaba,  est  le  pays 
d'Odienné  même.  Il  comprend  y.Soo  habitants,  dont  5. 000 
environ  sont  musulmans,  et  41  villages.  Les  premiers  mu- 
sulmans qui  s'établirent  dans  le  pays  furent  appelés  par 
Sirassa  Diarassouba  qui  résidait  à  Déou,  dans  les  collines, 
aux  environs  d'Odienné.  Sirassa  Diarassouba  était  le  chef 
des  Diarassouba  et  le  maître  d'une  grande  partie  de  l'actuel 
Kabadougou.  Ces  musulmans  vinrent  de  Kankanen  dernier 
lieu,  sous  la  conduite  de  Fongoué  Kamara  et  Féréba  Lissé, 
pour  aider  Sirassa  dans  ses  guerres  contre  le  Ouassoulou. 
Ces  faits  ne  doivent  pas  remonter  au  delà  de  i5o  ans,  s'étant 
produits  à  l'époque  de  la  venue  de  xMoussa  Barhayorho, 
Issifou  Kamaraté  Hadji  Diaya.  Vers  1826,  les  Diarassouba 
furent  chassés  du  pays  par  Bakaba  et  durant  se  réfugier 
dans  le  canton  actuel  du  Nafana.  Le  village  d'Odienné  fut 
construit  ;  il  devint  la  capitale  du  royaume  des  Touré, 
communément  appelé  Vakabadougou. 

Les  Diarassouba  vaincus  et  chassés.  Va  Kaba  razzia  le 
Bodougou,  le  Niémédougou  de  Bougouni,  etc. 

Ibrahima,  son  hls,  qui  lui  succéda,  ravagea  le  Todougou 
et  une  partie  du  Fouladougou. 

Mokhtar,  successeur  de  Ibrahima,  fît  la  guerre  dans  les 
cantons  de  Bougouni,  puis  dans  l'actuel  Ouorodougou,  dans 
le  iMassala,  etc. 

Ammadou,  successeur  de  Mokhtar,  dévasta  le  Ouassoulou, 
leBambala,  parties  du  Naoulou,  du  Fouladougou,  les  pays 
du  Naoulou,  du  Fouladougou,  les  pays  de  Guiborosso  et  de 
Morondo;  finalement,  il  se  joignit  aux  hordes  de  Samory. 
Ayant  épousé  une  des  filles  de  cet  almamy,  il  devint  un 
de  ses  chefs  de  guerre  et  participa  à  la  plupart  des  expédi- 
tions dans  la  haute  Côte  d'Ivoire.  Déporté  à  Tombouctou 
en  1898,  avec  un  certain  nombre  de  ses  compagnons,  il  y 


114  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

vécut  en  paix,  ne  manifestant  son  caractère  emporté  que 
dans  des  disputes  avec  ses  camarades  d'infortune.  Libéré 
en  igoS,  il  est  revenu  mourir  à  Odienné. 

C'est  à  peu  près  à  cette  date  que  les  nombreux  captifs 
des  Touré  furent  remis  en  liberté  par  nos  soins  et  retour- 
nèrent en  foule  dans  leur  pays  d'origine. 

A  Ahmadou  Touré  succédèrent  ses  trois  frères,  qui  dé- 
chus du  pouvoir,  sont  toujours  en  vie  et  vivent  en  seigneurs 
retraités.  D'abord  Moriba  Touré,  né  vers  1845.  Il  était 
chef  d'Odienné  au  moment  de  l'arrivée  des  blancs  et  avait 
plusieurs  fois  gouverné  le  pays  pendant  l'absence  d'Ahma- 
dou  Touré  qui  était  en  colonne.  Il  commit  un  grand 
grand  nombre  d'exactions  et  fit  mettre  à  mort  beaucoup 
de  captifs.  Pour  ces  raisons,  il  fut  interné  à  Bafoulabé.  De 
retour  à  Odienné,  il  se  livra  à  la  vente  des  captifs  et  fut 
interné  à  nouveau  à  Bingerville  (1915-1912).  A  cette  date, 
il  est  revenu  à  Odienné.  C'est  un  homme  très  intelligent  et 
extrêmement  énergique  ;  il  fait  la  plus  vive  opposition  au 
chef  actuel  d'Odienné.  Il  est  en  tout  cas  trop  astucieux 
pour  sortir  des  limites  de  la  correction.  Son  prestige 
paraît  bien  éteint,  et  il  n'a  conservé  quelques  relations 
qu'avec  les  gens  de  Soukouralla,  dont  sa  mère,  Madio 
Koné,  était  originaire. 

Ensuite  Mori  Soukari,  né  vers  1848.  Il  prit  part  dans  sa 
jeunesse  aux  colonnes  de  Mokhtar  Touré  et  de  Samory. 
Nommé  chef  d'Odienné  par  nos  soins,  il  commit  de  telles 
exactions  qu'on  dut  l'interner  à  Séguéla.  Il  en  est  revenu 
en  igoS,  vieux,  ruiné,  fini.  Mori  n'est  plus  capable  de 
jouer  un  rôle,  il  est  d'ailleurs  médiocrement  intelligent. 

Le  dernier  des  fils  de  Va  Kaba  Touré,  Lanténé  Seriki, 
n'a  fait  aussi  que  passer  sur  la  chaise  du  commandement 
d'Odienné.  On  se  lassa  vite  des  errements  familiaux  qui 
continuaient  avec  lui  :  exactions,  sévices,  opposition  à 
notre  autorité.  Il  fut  destitué  et  envoyé  en  internement  au 
Bandama.   Il  en  est   revenu  en  igoS  et  après  avoir  vécu 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  Il5 

une  dizaine  d'années  à  Soukouralla,  d'où  sa  mère  Lanténé 
Koné  était  originaire  et  où  il  avait  conservé  des  relations, 
il  s'est  fixé  à  Odienné.  C'est  un  caractère  faible  et  sournois, 
qui  fait  une  sourde  opposition  à  son  neveu,  le  chef  actuel. 
Il  n'a  d'ailleurs  qu'une  influence  minime,  et  restreinte  au 
seul  clan  des  vieux  Touré. 

Ibrahima  Touré,  né  vers  i865,  fils  de  Mokhtar  et  petit- 
fils  de  Va  Kaba,  chef  actuel  d'Odienné  et  du  Vagadougou,  a 
remplacé  son  oncle  Lanténé  en  1902.  Faible  et  apathique, 
Ibrahima  est  comme  l'enfer,  «  pavé  de  bonnes  intentions  », 
mais  il  lui  manque  l'énergie  pour  les  réaliser.  Il  est  assez 
bien  obéi  à  Odienné,  encore  qu'il  y  rencontre  une  oppo- 
sition sérieuse.  iMais  les  gros  villages  de  Guéléba,  Kéré, 
Féréfégoula,  Seidougou,  lui  échappent  complètement.  Son 
instruction  arabe  est  fort  médiocre.  Il  préside  avec  assez  de 
dignité  le  Tribunal  de  subdivision.  Ibrahima  a  un  passé 
guerrier  de  quelque  valeur.  Il  a  fait  colonne  dans  le  Bom- 
bala,  le  Ouattaradougou,  leNafana  et  à  la  suite  de  Samory 
dans  le  Badougou  et  vers  Bobo  Dioulasso.  Il  en  a  conservé 
une  certaine  allure.  Il  est  d'ailleurs  fort  orgueilleux  et 
aime  le  faste  et  la  mise  en  scène,  comme  les  anciens  repré- 
sentants de  celte  petite  cour  royale  d'Odienné.  En  dehors 
de  ces  anciens  chefs,  un  seul  notable  Touré  mérite  une 
mention  :  c'est  Mouroulaye  Touré,  né  vers  i85o,  disciple 
qadri  de  Karamoko  Toukara  de  Ségou.  Il  est  en  relations 
suivies  avec  Soukaralla,  d'où  sa  mère  Borondré  Koné  est 
originaire.  Intelligent  et  rusé,  mais  apathique,  il  vise  à  en- 
tretenir de  bonnes  relations  avec  tout  le  monde,  mais  il  est 
évident  que  ses  sympathies  personnelles  vont  à  Moriba 
Touré,  son  ancien  «.  patron  ».  Il  peut  être  utilisé  comme 
élément  de  concorde. 

Le  clan  rival  des  Touré  est  celui  des  Silla,  dont  le  chef 
est  Godigui  Silla  vers  1810.  Sa  mère,  Mama  Diarassouba 
était  une  païenne  du  Nafana.  Il  a  pris  part  aux  colonnes 
d'Ahmadou  et  ae  Samory  et  a  conservé  une  certaine  acti- 


■Ïl6  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

vite  qu'il  dépense  dans  le  commerce.  Il  va  en  caravane 
jusqu'à  Daloué  et  Bamako.  Intelligent,  énergique,  très 
écouté  dans  les  clans  des  Silla,  Godigui  a  fait  alliance  avec 
les  Touré  dissidents  pour  tenir  tète  au  chef  de  village,  Ibra- 
hima.  Ces  rivalités  locales  n'ont  d'ailleurs  aucune  réper- 
cussion dans  le  domaine  politique. 

Tous  ces  chefs  et  notables  Touré  et  Silla  sont  musulmans 
à  la  façon  des  grands  chefs  noirs.  Ce  n'est  pas  par  une  piété 
exemplaire  qu'ils  se  distinguent  :  quant  à  leur  harem,  qui 
contient  toujours  de  lo  à  5o  femmes,  il  ne  se  différencie  en 
rien  de  ceux  des  chefs  fétichistes. 

Odienné  s'honore  de  plusieurs  marabouts  de  renom;  le 
plusconnu  estIsmaïlaSarandé,  né  à  Samatiguilavers  i85o, 
almamy  de  la  ville  d'Odienné  depuis  igii,  où  il  a  succédé 
à  son  frère  Saranké  Boa.  Il  a  une  vingtaine  d'élèves  cora- 
niques et  donne  un  rudiment  d'enseignement  supérieur  à 
2  ou  3  d'entre  eux.  Sans  être  de  première  force,  il  tranche 
pourtant  sur  ses  collègues  par  sa  connaissance  de  la  littéra- 
ture sacrée;  il  n'a  d'ailleurs  aucune  bibliothèque.  Intelli- 
gent, respectueux,  Ismaïla  est  le  type  du  vieux  marabout 
pondéré  et  conservateur,  qu'il  faut  traiter  avec  égards  et 
grande  douceur,  et  savoir  utiliser  comme  facteur  de  conci- 
liation et  d'apaisement  dans  la  politique  locale.  Ismaïla 
a  tenu,  en  1916,  à  signer  en  notre  faveur,  une  déclaration 
de  loyalisme  :  il  est  certainement  le  personnage  religieux 
le  plus  réputé  de  la  région.  Il  n'a  aucune  fortune,  et  ses 
fils  travaillent  aux  lougans  pour  le  faire  vivre.  Il  a  reçu 
l'oued  qadri  de  son  frère  Saranké  Boa,  qui  le  tenait  de  Ba- 
kari  Silla,  marabout  centenaire,  qui  a  un  pied  coupé  et 
habite  à  Karakoro,  près  de  Siguiri. 

Les  autres  marabouts  d'Odienné  :  Moriféré  Sarandé,  né 
vers  1877,  Ibrahima  Sarandé,  né  vers  i885,  Kassémi  Cissé, 
né  vers  1880;  Va  Kaba  Diabi,  né  vers  i865  ;  Kouroudi 
Diakaté,  né  vers  1878  ;  Ba  Moussa  Sarandé,  né  vers  i883  ; 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  llj: 

Mori  Sirima  Cissé,  né  vers  i887;Mori  Karaba  Touré,  né 
vers  1888,  tous  malinké,  sont  des  notables  de  la  ville,  dont 
l'influence  ne  dépasse  pas  leur  quartier.  Ils  dirigent  tous, 
soit  en  permanence,  soit  par  intermittence,  de  petites  écoles 
coraniques  dont  la  clientèle  scolaire  varie  entre  5  ou 
6  élèves.  Le  plus  connu  paraît  être  Va  Kaba  Sarandé,  fils 
du  Sarandé  Boa  précité.  Il  a  reçu  l'ouird  tidiani  à  Daloa 
(Haut-Sassandra)  au  cours  d'un  voyage  de  commerce,  d'un, 
pèlerin  de  passage,  Al-Hadji  Ismaïla.  Celui-ci  avait  été 
initié  à  la  voie,  à  la  zaouïa  même  de  La  Mecque,  par  Moham- 
med ibn  Tahir. 

La  vieille  mosquée  d'Odienné  a  été  détruite  lors  de 
l'occupation  de  la  ville  par  le  colonel  Combes  en  1898.. 
Les  habitants  n'osèrent  pas  en  reconstruire  aussitôt  une- 
autre  ;  ils  se  contentèrent  pour  leurs  prières  d'une  grande 
case  carrée.  C'est  d'ailleurs  ainsi  qu'il  en  était  dans  tous, 
les  villages  de  la  région  où  les  mosquées  avaient  été 
détruites  par  Samory.  Par  la  suite  et  avec  l'apaisement,, 
une  jolie  mosquée  dans  le  style  soudanais  a  été  édifiée  en 
191 3  par  les  jeunes  gens  de  la  ville,  après  une  collecte  qui 
servit  à  payer  les  matériaux.  C'est  un  carré  de  i5  mètres 
de  côté  environ,  percé  d'une  porte  vers  l'ouest,  de  deux 
au  nord  et  de  deux  au  sud.  Le  muezzin  se  juche,  pour 
l'appel  à  la  prière,  sur  l'une  des  poutrelles  qui  hérissent 
le  minaret. 

Plusieurs  villages  du  Kabadougou  sont  partiellement 
musulmans;  ce  sont  :  Sananférédougou,  Gueléba,  Foulla 
et  Féréfougoula. 

A  Sananférédougou,  le  chef  de  village  et  almamy  est 
Sananféré  Touré,  fils  et  successeur  de  Samori  Touré, 
mort  en  1910.  Sa  mère,  Soba  Kamangué,  était  une  féti- 
chiste de  Djirila(Dodougou).  Toute  cette  famille  a  pris  part 
aux  razzias  des  Kaba  et  de  Samory,  s'y  est  enrichie,  puis 
a  été  ruinée  par  la  libération  des  captifs.  Elle  ne  saurait 


Il8  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

donc  avoir  pour  nous  de  grandes  sympathies.  Sananféré 
n'est  que  médiocrement  intelligent  et  instruit.  Il  sait  pour- 
tant se  faire  obéir.  Il  a  fait,  à  différentes  reprises,  l'école 
aux  enfants  du  village,  mais  a  cessé  depuis  cinq  ans.  Ce 
village,  englobé  dans  une  région  entièrement  fétichiste, 
peut  constituer  un  centre  de  rayonnement  islamique. 

Ouéléba,  sur  la  frontière  même  de  la  Guinée,  a  été  créée 
par  des  musulmans  du  pays  de  Sankaran.  Cette  création, 
ainsi  que  celle  du  village  voisin  de  Seydougou,  ne  remonte 
pas  au  delà  des  guerres  de  Va  Kaba.  Des  trois  marabouts  : 
Ibrahima  Cissé,  né  vers  1870,  Saramori  Cissé,  né  vers 
1878,  Mori  Dienné,  né  vers  1879,  ^^^  compte  Guéléba,  le 
premier,  almamy  local,  est  de  beaucoup  réputé.  Sa  famille 
est  originaire  du  Bakongo  (Kankan)  et  venait  dans  le  loin- 
tain des  âges  de  Galé-P^outa.  Il  a  pris  part  dans  sa  jeunesse 
aux  guerres  de  Samory,  en  qualité  de  sofa.  Son  école 
compte  une  quinzaine  d'enfants,  dont  plusieurs  viennent 
de  l'extérieur,  et  notamment  de  Soukourella.  Intelligent, 
énergique,  hostile  à  notre  domination,  il  est  à  surveiller. 

FouUa  renferme  plusieurs  marabouts  dont  un  seul 
mérite  une  mention  :  Dioussoufou  Saranorho,  né  vers  1870. 
Son  école  renferme  une  quinzaine  d'élèves. 

Béréfégoula  fut  fondée  par  Féré  Mori  Konaté,  un  des 
douze  compagnons  de  Moussa  Barhayorho,  dans  son 
voyage  à  La  Mecque.  La  sépulture  de  ce  saint  homme  se 
trouve  à  proximité  du  village  sous  un  kolatier  et  est  l'objet 
de  pèlerinages.  Le  marabout  et  almamy  actuel  est  Ahma- 
dou  Kandé,  né  vers  1872,  dont  l'école  compte  une  dizaine 
d'élèves. 

Tiémé  semble  être  le  centre  musulman  le  plus  ancien 
de  la  région.  Le  premier  disciple  du  Prophète  qui  arrive 
dans  la  région  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  venait 
de  Ségou  et  portait  le  nom  de  Fara  Kaba  Silla.  Ses  descen- 
dants peuplent  le  village. 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  II9 

Tiémé  a  l'honneur  d'avoir  hospitalisé  pendant  cinq 
mois  (août  1827-janvier  1828),  l'intrépide  René  Caillié,  le 
premier  et  peut-être  le  plus  grand  de  nos  pionniers  afri- 
cains. Il  y  parvenait,  débouchant  de  Samabatiguila  le 
3  août  1827.  «  Nous  arrivons,  dit-il,  vers  i  heure  et  demie 
de  l'après-midi,  au  joli  petit  village  de  Tiémé,  habité  par 
des  Mandingues  mahométans;  il  est  ombragé  par  une 
quantité  d'énormes  bombax  et  par  quelques  baobabs  »  ;  il 
rendit  aussitôt  visite  au  chef  du  village,  «  vieillard  véné- 
rable de  la  secte  des  Bambaras,  mais  soumis  à  la  loi  de 
Mahomet  »  ;  il  y  a  là  une  confusion  dans  l'esprit  de  Cail- 
lié. Bambara  signifie  ici  fétichiste.  Le  chef  du  Tiémé  ne 
pouvait  donc  pas  être  à  la  fois  bambara  et  musulman.  En 
réalité,  c'était  bien  un  Bambara,  c'est-à-dire  un  Malinké, 
fétichiste,  mais  il  affectait  comme  beaucoup  d'autres  une 
certaine  coqueterie  à  l'égard  de  l'islam.  Caillié  reçut  de  lui 
avec  le  meilleur  accueil  un  beau  morceau  de  viande  crue, 
qu'il  reconnut  le  soir  au  repas  pour  être  du  sanglier,  «  je 
fis  d'abord  quelques  difficultés  »,  dit-il,  mais  comme  tout 
le  monde  en  mangeait  sans  scrupule,  il  ne  se  gêna  plus 
et  fit  comme  les  autres. 

«  Il  peut  contenir  cinq  à  six  cents  habitants,  partie  Man- 
dingues et  partie  Bambaras.  Les  deux  nations  sont  sépa- 
rées par  un  mur;  elles  vivent  cependant  en  bonne  intelli- 
gence, malgré  la  différence  de  religion.  Ces  Mandingues 
sont  musulmans  et  les  Bambaras  sont  païens;  toutefois, 
ceux  qui  descendent  d'une  mère  mandingue  se  croient 
supérieurs  aux  Bambaras  francs,  mais  n'en  restent  pas 
moins  idolâtres.  » 

Cette  description  est  toujours  exacte,  sauf  que  Tiémé  a 
grandi  depuis  René  Caillié  et  dépasse  aujourd'hui  le  millier 
d'habitants. 

Mamari  Silla  a  été  dans  la  génération  qui  disparaît  un 
personnage  notoire.  Il  fut  l'élève  du  grand  marabout 
Makoné  Mamadou  ;  son  arrière-grand-père  était  le  chef  des 


i2'0  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

marabouts  de  la  région.  C'est  lui  qui  construisit  la  mosquée- 
case  de  banco  et  de  chaume  dans  le  style  soudanais,  où' 
Caillié  lit  ses  dévotions. 

Mouroulaye  Silla,  chef  du  canton  et  du  village  de  Tiémé, 
est  né  vers  1877.  Il  a  succédé  à  son  frère  Tiéba  Silla.  Leur 
père  Soisséma  descend  en  droite  ligne  de  Fara  Kaba.  Mou- 
roulaye paraît  sournois,  mais  il  a  assez  d'énergie  pour  diri- 
ger un  village  musulman,  fort  difficile  à  manier,  et  assez 
de  docilité  et  de  bonnes  intentions  pour  s'acquitter  conve- 
nablement de  sa  tâche. 

Kamohi  Silla,  almamy  de  la  ville,  est  né  vers  i85o.  Sa 
famille  se  rattache  dans  le  lointain  aux  Silla  de  Nioro.  Il  a 
fait  lui-même,  dans  sa  jeunesse,  partie  des  colonnes 
d'Ahmadou  et  de  Samory.  C'est  aujourd'hui  un  bon  vieux 
très  considéré,  mais  de  peu  d'influence,  qui  fait  l'école 
coranique  à  une  quinzaine  d'enfants.  Il  a  quelques  con- 
naissances d'arabe,  mais  il  s'en  sert  surtout  pour  écrire  le 
malinké  en  caractères  arabes. 

Karamoko  Daw,  né  vers  1860  à  Tossima  (Dienné,  Sou- 
dan) ancien  guerrier  d'Ahmadou  Kaba,  fait  l'école  à  une 
douzaine  d'enfants.  Il  est  plus  versé  dans  les  différents 
dialectes  mandé  qu'en  arabe.  11  s'ingénie  à  les  transcrire 
tous  en  caractères  arabes. 

Les  autres  marabouts  de  Tiémé  :  Siriki  Silla,  né  vers 
1872,  Mamadou  Kandé,  né  vers  1876,  Mori  Silla,  né 
vers  1868,  Youssoufou  Silla,  né  vers  1862,  sont  autant 
commerçants  et  cultivateurs  que  maîtres  d'école.  Ils  n'ont 
pas  de  personnalité  bien  accusée,  ils  relèvent  tous,  comme 
l'ensemble  des  gens  de  Tiémé,  soit  de  iVlamari  Silla  ancien 
almamy  du  village,  soit  de  Kounioumani  Dialo,  de  Sama- 
tiguila,  tous  deux  moqaddem  qadrïa  de  la  région. 

Entre  1900  et  19 12,  est  venu  à  Tiémé  un  marabout 
maure  originaire  du  Sahel  soudanais,  Amourlaye  Haidara. 
Il  venait  de  Sikasso  qu'il  dut  évacuer  en  1898,  lors  de  la 
prise  de  cette  ville.  Il  se  joignit  à  Foô,  frère  de  Bademba, 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  12  f 

et  ils  allèrent  rejoindre  Samory  à  Boubana.  Il  suivit  l'al- 
mamy  jusqu'à  sa  capture.  Il  se  réfugia  alors  à  Samatiguila, 
puis  à  Odienné,  et  se  fixa  finalement  à  Tiémé.  Il  faisait 
l'école  à  quelques  enfants,  mais  ne  jouissait  pas  d'un 
grand  prestige  religieux.  Pour  que  sa  ferveur  parût  relâ- 
chée aux  Malinké,  il  fallait  qu'elle  ne  fût  pas  bien  vivace; 
on  raconte,  par  exemple,  qu'il  ne  jeûnait  que  trois  jours 
pendant  le  Ramadan.  En  résumé,  il  vendait  des  gris-gris  et 
faisait  quelques  petites  cultures.  Il  disparut  en  1912. 


3.  —  Région  de  Boundiali-Tombougou. 

Entre  la  région  d'Odienné  et  celle  de  Korhogo  s'étend  un 
paj'S  intermédiaire  qui  sert  de  marché  aux  deux  grandes 
branches  de  la  race  mandé  :  en  Odienné,  c'est  l'élément 
malinké,  en  majorité  fétichiste,  qui  fleurit;  en  Korhogo, 
c'est  l'élément  mandé-dioula,  à  peu  près  entièrement 
musulman,  qui  vit  et  prospère  au  milieu  des  Senoufo. 
Cette  zone  intermédiaire  à  qui  on  a  donné  le  nom  de  son 
chef-lieu  administratif,  jadis  Tombougou,  aujourd'hui 
Boundiala,  est  donc  peuplée  de  Malinké,  soit  musulmans, 
soit  plutôt  fétichistes,  de  Mandé  dioula  surtout  musul- 
mans et  déjà  de  Senoufo,  tous  animistes.  C'est  si  bien  un 
«  marché  »  que  notre  administration  n'a  jamais  pu  déter- 
miner si  c'était  à  Odienné  ou  à  Korhogo  qu'elle  devait  être 
rattachée,  et  qu'elle  a  été  ainsi  ballottée  de  l'un  à  l'autre 
cercle.  Aujourd'hui  elle  ressortit  à  Odienné. 

On  peut  dire  que  tout  l'islam  de  la  région  de  Boundiali 
s'est  concentré  sur  la  grand'route,  qui,  du  Soudan,  descend 
au  pays  des  kolas,  ou  pour  parler  plus  clairement,  de 
Sikasso  à  Touba,  Soguéla,  et  Mankono.  A  droite  et  à 
gauche  de  cette  artère,  on  trouvera  bien  quelques  groupe- 
ments de  cultivateurs  mandé,  affiliés  à  l'islam,  mais  c'est 
sur  cette  route  qu'ils  sont  ramassés.  Chaque  gîte  d'étape, 


122  ETUDES   SUR   L  ISLAM   EN   COTE   D  IVOIRE 

chaque  caravansérail,  chaque  marché  a  son  noyau  d'islam, 
quelquefois  modeste  ;  une  famille,  un  hameau,  un  quartier 
de  village;  quelquefois  plus  important,  le  village  tout 
entier,  un  bourg,  par  exemple  Tengréla.  Une  tradition 
très  nette  attribue  l'introduction  de  l'islam  dans  la  région 
à  un  grand  marabout,  Famara  (le  père  Omar)  Fofana, 
venu  de  Dienné,  au  début  du  dix-huitième  siècle,  ou  à  peu 
près,  et  ancêtre  du  clan  maraboutique  local  des  Fofana. 
Il  s'était  fixé  à  Bong,  à  25  kilomètres  au  nord-est  de  Tom- 
bougou,  il  fit  l'école,  répandit  le  qadérisme  et  depuis  cette 
époque,  tous  les  qadrïa  de  la  région  relèvent  de  lui. 

L'énumération  des  centres  musulmans  ne  sera  donc  autre 
que  celle  des  gîtes  d'étape  de  la  grand'route  de  Sikasso, 
pays  des  kolas. 

Tengréla  est  un  village  mixte.  René  Caillié  le  notait  à 
son  passage  en  janvier  1828  :  «  Il  est  habité  par  des  Bam- 
baras  et  des  Mandingues  qui  y  vivent  en  très  bonne  intel- 
ligence. »  C'est  toujours  exact.  Caillié  note  encore  que  c'est 
un  centre  de  commerce  important,  grâce  à  la  fréquentation 
des  dioulas  musulmans.  «  Tous  les  jours  un  grand  concours 
de  monde  afflue  au  marché,  et  il  s'y  rend  de  nombreuses 
caravanes  du  Sud,  et  de  Ségou,  Yamina  et  Kayaye...  Tan- 
grera  est  une  espèce  d'entrepôt.  »  Il  logea  chez  un  sara- 
kollé,  qu'il  croyait  être  musulman. «  Il  l'avait  été  autrefois, 
mais  depuis  qu'il  était  de  retour  de  ses  voyages,  il  s'était 
habitué  à  boire  de  la  bière.  »  Caillié  fit  à  Tengréla  la  con- 
naissance «  de  quelques  Mandingues  musulmans,  rassem- 
blés dans  de  grandes  maisons  en  terre,  qui  servent  en 
même  temps  de  point  de  réunion  et  d'école  pour  les  enfants 
musulmans».  «  Il  y  en  avait  plusieurs  dans  le  village  quand 
j'y  arrivai,  dit-il,  les  uns  étant  occupés  à  coudre  des  pagnes; 
les  autres  à  lire  le  Coran  ;  ils  quittèrent  aussitôt  leurs  occu- 
pations. »  Il  y  rencontra  aussi  un  Maure  de  Oualeth  (Oua- 
lata),  qui  lui  fit  subir  un  interrogatoire  très  serré  sur  ses 


GROUPEMENTS   ET   INDIVIDUALITÉS   ISLAMIQUES  123 

origines,  le  but  de  son  voyage,  etc..  Caillié  s'en  tira  à  son 
honneur,  non  sans  inquiétude,  et  le  Maure  remis  en  con- 
fiance, lui  fit  cadeau  «  d'un  gros  morceau  de  sel  »  et  de 
cauris. 

En  fin  1887,  au  cours  de  sa  magnifique  exploration, 
Binger  essaye  en  vain  à  plusieurs  reprises  d'entrer  à  Ten- 
gréla.  Les  habitants  fort  jaloux  de  leur  indépendance,  et 
refusant  tout  contact  avec  les  Blancs,  se  dérobent  à  ses  in- 
vites, et  de  Tiong,  il  doit  continuer  sur  Kong,  sans  avoir 
pu  visiter  Tengréla. 

La  ville  s'orne  aujourd'hui  d'une  belle  mosquée,  de 
construction  et  de  goût  soudanais.  La  date  de  son  édifica- 
tion remonte  à  plusieurs  siècles.  René  Caillié  la  voyait 
déjà,  il  y  a  un  siècle,  telle  qu'elle  nous  apparaît  aujour- 
d'hui. Elle  a  été,  bien  entendu,  réfectionnée  plusieurs  fois 
depuis  cette  date. 

Trois  petits  marabouts  méritent  de  retenir  l'attention  : 
Karamoko  Konaté,  né  vers  1872,  qui  a  fait  ses  études  à 
Kayes  chez  Lancina  Koné;  Anzoumana  Kouma,  né 
vers  1880,  élève  de  iMori  Touré  de  San  ;  et  enfin  Soulei- 
mané  Daramé,  le  plus  réputé  des  trois,  né  vers  i863.  Ils 
dirigent  des  petites  écoles,  qui  comptent  de  8  à  12  élèves, 
et  sont  tous  qadrïa. 

Les  étapes  suivantes,  Bolondioet  Boundiou  présentent,  à 
notre  point  de  vue,  moins  d'intérêt.  Mais  Kouto,  dans  le 
canton  de  Niéné-Nord,  est  un  centre  très  important,  où 
vivent  une  dizaine  de  personnalités  islamiques  notoires.  A 
citer:  Malé  Baro,  né  vers  i863,  le  seul  qui  soit  allé  faire 
ses  études  au  dehors,  à  Ségou,  d'où  il  a  rapporté  l'ouird 
qadri.  Les  autres  :  Benoro  Konaté,  né  vers  i885,  Mori 
Kounadi  Touré,  né  vers  1870,  Sori  Birama  Fofana,  né 
vers  i863,  Bénoro,  né  vers  1874,  sont  de  petits  maîtres 
d'école  locaux,  qui  sans  affiliation,  et  sans  instruction,  dis- 
pensent un  peu  de  science  coranique  à  une  demi-douzaine 


124  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

d'enfants.  L'almamy  du  village  est  Hamadou  Konaté,  né 
vers  1862,  mandé  dioula  comme  eux,  et  un  peu  plus  ins- 
truit. A  ses  douze  élèves  coraniques,  il  joint  un  ou  deux 
jeunes  gens  à  qui  il  enseigne  les  rudiments  de  la  grammaire 
et  de  la  théologie.  Les  Konaté  sont  la  plus  ancienne  fa- 
mille religieuse  du  pays  et  à  ce  titre  c'est  toujours  parmi 
eux,  depuis  Sini  Mori  Konaté,  qui,  fuyant  les  guerres 
civiles  du  pays  mandé,  vint  le  premier  ici,  qu'ont  été 
recrutés  les  chefs  des  marabouts  locaux  (dix-septième  et 
dix-huitième  siècles  environ).  Déguéba  Konaté,  père  de  la 
génération  actuelle,  fut  un  saint  homme  qui,  à  sa  mort, 
vers  1890,  a  laissé  une  certaine  réputation.  Son  fils  aîné, 
Koromani,  lui  succéda  à  cette  date  et  fit  le  meilleur  accueil 
aux  blancs  et  se  plaça  sous  la  protection  des  lieutenants 
Bue  et  Woelffel.  Il  mourut  en  juillet  191 1  et  fut  remplacé 
par  son  frère  Ahmadou.  Celui-ci  est  un  désabusé;  il  a  vu 
passer  les  bandes  de  Bademba  et  de  Bilali,  et  a  été  dépouillé 
par  les  uns  et  par  les  autres,  contraint  de  fuir  il  fut  pris  à 
Blessigué,  condamné  à  mort  et  ne  sauva  sa  vie  que  sous  la 
promesse  de  rentrer  à  Kouto,  et  d'y  prêcher  l'apaisement; 
il  s'efforce  d'entretenir  avec  les  Français  des  relations,  qui 
sont  bonnes,  mais  froides  et  compassées  ;  il  est  très  connu 
dans  les  centres  religieux  de  Kouto,  Kolia,  Bong,  Tom- 
bougou,  Marhanama,  Tinasso,  ainsi  que  dans  le  Gbato  et 
le  Kadli.  Dans  ces  deux  cantons  toutefois,  il  a  trouvé  de 
l'hostilité.  Il  a  une  bonne  instruction  arabe,  mais  utilise 
surtout  le  dioula  sous  le  vêtement  des  caractères  arabes. 
Son  école  comprend  i5  à  20  élèves  surtout  coraniques. 
Il  les  fait  travailler  à  ses  lougans  et  peut  ainsi  les  en- 
tretenir et  vivre  lui-même  dans  l'aisance.  Son  frère  et 
successeur  éventuel,  Ahmadou,  né  vers  i865,  paraît 
avoir  un  meilleur  esprit  que  lui.  Toute  cette  famille  est 
tidianïa  par  le  père,  Dèguiba  Konaté,  qui  se  rattache  à 
l'école  d'Al-Hadj  Omar. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  125 

Bong  et  Kolia  dans  le  canton  de  Niéné-Sud  ont  moins 
d'importance.  Bong  s'honore  des  cinq  écoles  de  Balé  Diane, 
né  vers  i865,  Bafétigué  Touré,  né  vers  i856,  Séko  Diane, 
né  vers  1875,  Famourou  Moratigui,  né  vers  1870,  et  Ma- 
hamadi  Kamaraté,  né  vers  1880,  qui  au  total  ne  dépassent 
pas  3o  à  35  élèves.  La  plus  importante  est  celle  de  Maha- 
madi,  fils  de  Matari.  Sa  famille  avait  quitté  Bong  lors  des 
incursions  de  Samory  et  s'était  réfugiée  à  Bamako,  où  le 
jeune  homme  fît  ses  études.  Elle  est  revenue  vers  1908.  Ma- 
hamadi  a  assez  en  main  l'usage  des  caractères  arabes  pour 
écrire  le  dioula  au  courant  de  la  plume.  A  signaler  qu'il  a 
deux  ou  trois  enfants  de  Senoufo  dans  sa  clientèle  scolaire. 
Il  fait  du  zèle  administratif  en  envoyant  de  temps  en  temps 
au  poste  la  liste  de  ses  élèves  et  le  choix,  des  versets 
coraniques  qu'ils  étudient.  Mahamadiest  le  cousin  germain 
de  l'interprète  Basmori  Kané  et  du  marabout  Sicé  Kama- 
raté, de  Tombougou.  Il  est  le  conseiller  et  le  chapelain  du 
chef  de  Niéné-Sud.  Sans  fortune,  il  vit  du  travail  de  ses 
lougans  et  d'un  peu  de  commerce.  Tous  ces  marabouts  de 
Bong  sont  tidianïa. 

Kolia  n'a  que  deux  nom^s  dignes  de  mention  :  Ibrahima 
Tofana,  dit  Sori  Birama,  mandé  dioula,  né  vers  1870,  fils 
et  successeur  spirituel  de  Mori  Lamine  Fofana,  qui  fut,  de 
son  vivant,  le  chef  des  marabouts  locaux.  Ibrahima  est  in- 
telligent, dévoué  et  sympathique.  A  son  école  dé  10  élèves, 
on  apprend  le  Coran,  mais  aussi  l'usage  des  caractères 
arabes  pour  la  transcription  du  dioula,  ce  qui  est  une  inno- 
vation heureuse.  Il  a  été  jadis  mêlé  aux  troubles  de  Sa- 
mory. Fait  prisonnier  par  Bilali,  à  Blessigné,  il  fut  mis  en 
résidence  obligatoire  auprès  de  l'almamy  de  Kouto.  C'est 
l'arrivée  des  Français  qui  lui  rendit  la  liberté.  Banzoumana 
Diarassouba,  né  vers  1890  est  le  deuxième  maître  d'école 
de  Kolia  :  il  a  aussi  une  dizaine  d'élèves.  Tous  deux  sont 
tidianïa  de  l'obédience  de  Mori  Lamin  Fofana. 


120  ETUDES   SUR    l'iSLAM    EN   CÔTE    d'iVOIRE] 

Tombougou,  ancien  chef-lieu  de  la  région,  renferme 
deux  marabouts  notoires  :  Vanmara  Fofana,  né  vers  1870, 
dioula,  élève  de  l'école  de  Bong.  Son  père  Karamoko 
Fofana  était  fort  connu  et  présida  la  prière  locale.  L'éta- 
blissement de  la  famille  dans  le  pays  remonte  à  plusieurs 
siècles.  Dévoué,  plutôt  timide,  Vanmara  a  une  petite  ins- 
truction arabe  qu'il  dispense  à  sa  douzaine  d'élèves.  Il  vit 
de  ses  cultures,  du  lait  de  ses  chèvres,  et  d'un  peu  de 
commerce.  La  deuxième  personnalité  de  Tombougou  est 
Sine  Kamaraté,  né  vers  1872,  dioula,  qui,  à  peu  près  sans 
instruction,  enseigne  tout  de  même  quelques  versets  du 
Coran  à  une  demi-douzaine  d'enfants  de  Tombougou  et 
de  Fahandougou.  C'est  un  excellent  homme  qui  termine 
dans  le  commerce  une  succession  de  générations  qui  se 
consacrèrent  surtout,  dit-on,  à  l'étude  et  à  la  prière.  C'est, 
en  tout  cas  et  malgré  son  ignorance,  un  excellent  homme. 
Tous  deux  sont  tidianïa,  de  l'affiliation  de  Sori  Birama 
Touré,  marabout  notoire  de  Bong,  aujourd'hui  décédé. 

La  vieille  mosquée  de  Tombougou  fut  détruite  par 
Samory,  en  1895.  Au  moment  de  notre  occupation  ils  en 
élevèrent  une  autre,  mais  peu  satisfaits  de  son  emplace- 
ment, car  elle  se  trouvait  dans  la  concession  d'une  mai- 
son de, commerce,  ils  s'entendirent  avec  les  fétichistes  pour 
édifier  en  dehors  de  la  ville,  dans  le  quartier  nouveau,  le 
grand  temple  qu'on  y  voit  maintenant. 

Boundiali,  poste  actuel  de  la  région,  est  une  aggloméra- 
tion senoufo  comprenant  un  quartier  mandé  dioula.  On 
y  trouve  en  dehors  des  dioulas  plus  commerçants 
qu'hommes  d'église,  un  maraboutaillon  qui  fait  l'école 
à  4  ou  5  enfants  :  Moriba  Doumbouya,  né  vers  1878. 

Donnons,  pour  terminer,  les  noms  des  villages  senoufo 
où  l'on  trouve  un  quartier  mandé-dioula  et  une  école 
coranique  :  Tinasso,  avec  Ba  xMorifing  Sonaré,  né  vers 
1872,  élève  et  disciple  tidiani  de  Samatiguila,   10  élèves; 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  1 27 

Kasséré  avec  Séko  Damoro,  né  vers  1870,  élève  et  disciple 
tidiani  de  Kouto  ;  Tiasso  avec  Daramani  Touré,  né  vers 
1895,  lidiani,  6  élèves;  Mbia,  avec  Mori  Cissé,  né  vers  1875 
élève  et  disciple  qadri  des  Diabi  de  Samatiguila,  i5  a 
20  élèves  ;  il  a  quelque  renommée. 


4.  —  Touba  (i). 

Le  cercle  de  Touba  s'étend  sur  la  bordure  orientale  de 
la  frontière  guinéenne.  C'est  une  «  marche  »,  territoire 
de  transition  entre  deux  zones  géograghiques  ;  la  savane 
au  nord,  la  forêt  au  sud  ;  et  entre  deux  races  et  deux  reli- 
gions :  le  peuple  mandé  mi-musulman,  mi-fétichiste,  au 
nord  ;  les  peuples  sylvestres,  fétichistes  et  hier  encore 
anthropophages,  au  sud.  Il  participe  donc  des  deux  races, 
des  deux  civilisations  et  des  deux  milieux  géographiques. 
Si  la  région  du  Nord  est,  dans  son  ensemble,  plus  spécifi- 
quement mandé,  soit  animiste,  soit  musulmane,  et  si  les 
régions  du  Sud  sont  plus  spécifiquement  mahou,  yafouba, 
dioula  et  toura,  fétichistes  endurcis,  il  est  nombre  de 
villages  où  la  différenciation  devient  tout  à  fait  malaisée, 
soit  que  les  unes  et  les  autres  vivent  côte  à  côte  en  des  vil- 
lages ou  même  en  des  quartiers  entremêlés,  soit  môme 
qu'il  y  ait  fusion  et  métissage. 

Il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'ici  encore  l'administration 
ait  tâtonné  à  la  recherche  d'une  solution  qui,  si  bonne 
soit-elle,  ne  saurait  atteindre  la  perfection.  En  eff"et,  le 
cercle  de  Touba  actuel  comprend  deux  subdivisions  : 
Touba  au  nord,  iMan  au  sud.  C'est  d'ailleurs  à  Man  qi'est 
le  chef-lieu,  malgré  le  nom  du  cercle.  Or  jadis  les  s,  jdi- 
visions  étaient  séparées   et  Touba  faisait  cercle  a\ec   la 

(1)  Le  Touba  de  la  Côte  d'Ivoire  n'est  pas  le  Touba  Diakanké  du  Fouta 
Diallon  de  Guinée.  Sur  celui-ci,  cf.  Études  sur  l'Islam  en  Guinée  :  Frtuta 
Diallon,  par  Paul  Marty.  Paris,  Leroux. 


128  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'i VOIRE 

région  d'Odienné,  l'unité  administrative  portait  le  nom  de 
Touba-Odienné  ou  simplement  de  Touba.  Man  constituait 
un  autre  cercle.  On  va  ainsi  de  l'une  à  l'autre  organisation 
en  quête  d'une  solution  rendue  impossible  par  la  confusion 
de  tous  les  éléments  géographiques,  physiques  et  hu- 
mains. 

Voici  dans  l'ensemble,  et  par  provinces,  la  répartition  des 
musulmans  dans  le  cercle.  Dans  les  provinces  du  Nord, 
l'élément  musulman  est  évidemment  nombreux  par  suite 
du  peuplement  d'origine  mandé  et  de  branche  malinké  : 

Barala  et  Boroton,  3o  p.  loo;  Koro,  60  p.  100;  les  musul- 
mans résidant  à  peu  près  tous  au  chef-lieu  de  canton, 
Koro-ville  ;  Téné,  40  p.  100;  musulmans  résidant  surtout 
dans  les  trois  villages  de  Guentéguéla,  Bongasso,  Guana, 
qui  comprennent  les  deux  tiers  de  la  population  totale  de 
la  province;  Mahou,  3o  p.  100,  les  musulmans  résidant 
dans  les  trois  groupes  :  a)  Férentéla;  b)  Ngaoué,  Touba, 
Sokourala,  Madina;  c)  Kamacila,  Ngaoué,  Dioman  Fouissa, 
Kiento,  Gouékan,  où  ils  constituent  la  moitié  de  la  popu- 
lation des  villages.  On  n'en  compte  presque  pas  dans  le 
reste  du  canton  ;  les  trois  provinces  de  Santa,  Kaoua  et 
Touradoufou  ne  renferment  que  2  à  5  p.  100  de  musul- 
mans complètement  perdus  dans  la  masse  fétichiste.  Ainsi 
composé,  le  cercle  de  Touba  demeure  dans  sa  majeure 
partie  un  cercle  à  populations  fétichistes;  cependant,  au 
point  de  vue  de  l'évolution  de  l'Islam  ;  il  présente  un  intérêt 
réel,  car  il  comprend  à  la  fois  des  régions  à  islamisation 
totale,  c'est-à-dire  où  l'élément  musulman  dépasse 
90  p.  100;  d'autres  à  islamisation  partielle  comptant  de 
10  à  90  p.  100  de  musulmans;  d'autres,  enfin,  où  se  fait 
sentir  l'influence  de  la  forêt,  à  non-islamisation,  c'est-à- 
dire  comprenant  moins  de  10  p.  100  de  musulmans. 

Lesendroitsoù  l'élément  musulman  dépasse  90  p.  100 sont 
constitués  par  de  gros  centres  plutôt  que  par  des  régions. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I2g 

On  a  essayé  de  grouper  en  cantons  les  unes  et  les  autres, 
en  tenant  compte  dans  la  mesure  du  possible  des  affinités 
de  races  et  de  traditions. 

Tiaoïié  semble  être  le  centre  musulman  le  plus  ancien 
de  la  circonscription  de  Touba. 

Des  Koné  musulmans,  venus  du  Sankaran  (région  de 
Kankan),  sous  la  conduite  de  xMoriba  Koné,  avec  l'aide 
des  Diomandé,  Mandé  fétichistes,  et  de  leur  chef  Kogué 
Kan,  chassèrent  du  pays  de  Tiaoué,  les  Yafouba  et  les  re- 
foulèrent vers  le  fleuve  Bafing.  Ces  faits  semblent  remonter 
au  début  du  dix-huitième  siècle.  Après  la  victoire  des  Koné, 
arriva  Yssifou  Bamba,  compagnon  de  Moussa  Barhayorho. 
Yssifou  construisit  avec  le  secours  de  Ibrahima  Barhayorho, 
disciple  de  Moussa  Barhayorho,  une  mosquée  (diamio) 
qui  fut  détruite  dans  la  suite  au  cours  des  guerres  locales 
et  remplacée  par  une  petite  mosquée  (missiri-mousso).  A 
quelques  pas  de  cette  mosquée  se  trouve  le  tombeau  d'Yssi- 
fou  Bamba. 

Dans  les  rares  occasions  où  ils  s'approchent  de  ce 
tombeau,  les  musulmans  du  village  ne  manquent  pas  de 
retirer  leurs  sandales  ;  par  contre,  ils  laissent  à  leur  aise 
ies  troupeaux  de  bœufs  piétiner  et  couvrir  de  leurs  déjec- 
tions la  sépulture  d'Yssilbu. 

Les  deux  tiers  de  la  population  du  village  font  salam, 
mais  ce  sont  des  musulmans  d'une  grande  tiédeur.  Ce 
manque  de  zèle  est  si  considérable  qu'il  y  a  deux  ans,  de 
pieux  marabouts  déclarèrent  au  gens  de  Tiaoué  qu'il  était 
préférable  qu'ils  ne  fissent  plus  salam  ;  on  voulait  les  reje- 
ter complètement  du  giron  des  orthodoxes  et  des  fervents. 
Dans  la  même  réprobation  d'ailleurs  on  englobait  les  vil- 
lages de  Sérifina  et  Mandougou  et  dans  le  cercle  du  Ouoro- 
dougou,  les  villages  de  Gouaran  et  de  Diorolé.  On  ne 
trouve  à  Tiaoué  aucune  personnalité  digne  de  mention. 


l3o  ÉTLDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

Koro,  chef-lieu  du  canton  du  même  nom,  fut  fondé  vers 
le  milieu  du  dix-huitième  siècle  par  Moussa  Barhayorho. 
Toute  la  population  est  musulmane. 'Le  village  ne  possède 
qu'une  missiri-mousso,  dans  laquelle  pourtant  on  vient 
faire  de  tous  côtés  la  grande  prière  du  vendredi.  Les 
familles  notoires  du  village  sont  les  Barhayorho  et  les  Mérité, 
encore  qu'à  l'heure  actuelle  elles  n'aient  aucun  représen- 
tant digne  de  mention. 

Voici  d'après  Le  (>ampion,  l'histoire  et  la  légende  de 
Moussa  Barhayorho,  le  fondateur  de  Koro. 

Vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  douze  marabouts 
partirent  ensemble  de  la  boucle  du  Niger  et  se  rendirent  à  La 
Mecque.  Leur  pèlerinage  terminé,  ces  pieux  personnages  se 
fixèrent  en  desrégions  dififérentes.  Hadji  Salimou  Souaré  et 
Mohammadou  Barhayorho  demeurèrent  à  Tombouctou  ; 
Hadji  Mohammadou  Fofana  et  Maliki  Somono  demeurèrent 
à  Kankan  ;  Hadji  Bamba  Fadiga  demeura  à  Dienné;  Hadji 
Bakari  Taraoré  demeura  à  Ségou  ;  Hadji  Mohammadou 
Dialé  à  Vamala;  Hadji  Yssifou  Kamaraté  à  Bouandougou 
(cercle  de  Ouorodougou)  ;  Hadji  Morifing  Bamba,  à  Toulé 
(cercle  du  Ouorodougou)  ;  Hadji  Diaya  à  Samatiguila, 
près  d'Odienné;  Hadji  Férémourou  Kanaté  à  Féréfégoula, 
près  d'Odienné;  enfin  Hadji  Moussa  Barhayorho,  des 
douze  compagnons,  le  plus  saint,  le  plus  illustre,  vint 
dans  la  région  de  Touba  et  fonda  Koro. 

A  vrai  dire,  l'histoire  rapporte  seulement  qu'un  chef 
fétichiste  nommé  Gonsalia  Diomandé,  habitant  le  pays  de 
Beyla,  tant  pour  obtenir  victoire  dans  les  luttes  de  clans, 
voire  de  famille,  que  pour  repousser  vers  les  forêts  les 
Yafouba,  populations  autochtones,  fit  appel  à  la  protection 
des  prières  de  Moussa  Barhayorho  et  surtout  à  l'appui  de 
ses  hommes  venus  en  exode,  soit  volontaire,  soit  forcé, 
des  régions  la  boucle  du  Niger.  Moussa  prêta  son  concours, 
les  Yafouba  furent  razziés  et  la  victoire  acquise  aux 
Diomandé.  Moussa,  pour  sa  part  de   butin,  eut  beaucoup 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  iSl' 

de  captifs  et  l'existence  florissante  de   Koro   fut   dès    lors 
pour  longtemps  assurée. 

La  légende  est  venue  broder  sur  cette  trame  réelle  ses 
fantaisies  merveilleuses. 

A  La  Mecque,  Barhayorho  aurait  reçu  mission,  parait-il, 
de  marcher  vers  l'ouest  et  de  ne  s'arrêter  que  lorsque  son 
bâton  de  voyage,  tenu  horizontalement  sur  ses  épaules, 
serait  arrêté  par  deux  arbres  de  même  espèce.  Moussa  se 
mit  en  route.  Arrivé  au  fleuve  Férédégouba,  lui  et  ses 
compagnons  demandèrent  aux  piroguiers  de  leur  faire 
traverser  l'eau.  Ces  derniers  refusèrent.  Moussa  alors  prit 
son  bâton  et  le  déposa  sur  les  eaux  ;  elles  se  séparèrent 
immédiatement-,  livrant  chemin.  Cependant,  derrière  le 
passage  de  Moussa  les  eaux  se  maintenaient  séparées.  Les 
piroguiers  quémandèrent  le  pardon  de  Moussa  et  lui  firent 
don  d'une  captive.  Moussa  pardonna;  les  eaux  se  rejoi- 
gnirent et  reprirent  leur  cours. 

A  une  journée  de  marche  de  la  rivière,  le  bâton  de 
Moussa  se  trouva  immobilisé  par  deux  arbres,  tous  deux 
nommés  Korokoro.  En  cet  endroit,  Moussa  créa  un  village 
qu'il  nomma  Koro. 

Dans  les  alentours  du  village,  il  n'y  avait  pas  d'eau, 
Moussa  implora  la  clémence  d'Allah  et  immédiatement  un 
ruisseau  se  mit  à  couler  ;  on  le  nomma  «  so  gui  ma  » 
(accorde-moi  de  l'eau).  L'eau  d'ailleurs  disparut  inopi- 
nément. La  consternation  fut  grande,  on  crut  qu'Allah 
avait  maudit  le  nouveau  village  et  que  les  génies  malfai- 
sants s'en  étaient  emparés  ;  on  parlait  de  décamper  séance 
tenante,  quand  le  chef  ordonna  d'attendre  au  lendemain. 
Dès  que  le  jour  parut,  l'eau  coula  en  abondance.  On  cons- 
truisit alors  une  mosquée  à  côté  de  la  source.  Le  voyage 
de  Moussa  vers  les  régions  de  Beyla  fut  encore  signalé  par 
maints  prodiges;  près  de  Gahoué,  un  rocher  sur  lequel 
Moussa  avait  fait  sa  prière  conserve  profondément  gravé 
les  traces  des  pieds  d^j  saint  personnage  et,  tout  à  côté,  un 


l32  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOÎRE 

arbre,  sur  lequel,  à  l'étape,  Moussa  avait  déposé  la  selle  de 
son  cheval,  garde  les  empreintes  de  cette  dernière,  en  carac- 
tères inaltérables.  Moussa  Barhayorho  mourut  à  Koro  ;  son 
tombeau  est  un  lieu  de  pèlerinage,  fréquenté  à  la  fois  par 
les  musulmans  et  par  les  fétichistes. 

Le  chef  de  la  famille  des  Barhayorho,  Vamoya  Parha- 
yorho,  est  en  quelque  sorte  le  grand  prêtre  de  ce  tombeau- 
sanctuaire.  Les  crédules  solliciteurs  viennent  lui  soumettre 
leurs  espoirs,  leurs  craintes,  leurs  désirs  et,  contre  offre 
d'un  poulet,  voire  d'un  mouton,  quémandent  la  protection 
de  Moussa  Barhayarho.  Vamoya  délègue  alors  près  du 
tombeau  de  l'ancêtre  un  membre  de  sa  famille,  qui  expose 
l'objet  de  la  visite  et  de  la  requête,  et  sollicite  sa  puissante 
et  rapide  intervention. 

L'ancêtre  des  Mérité  Yabia,  Mérité,  était  un  des  suivants 
ou  des  compagnons  de  Moussa  Barhayarho  et  était  origi- 
naire comme  lui  de  Tombouctou.  Les  deux  familles  se 
sont  alliées  dès  la  première  heure  par  des  mariages. 

Toute  cette  gloire  islamique  est  bien  déchue.  Nfa 
Foumba,  chef  de  la  génération  précédente,  né  à  Koro  vers 
1860,  Mérité  par  son  père,  Barhayorho  par  sa  mère,  a 
laissé  une  mémoire  très  vénérée.  C'était  un  homme  intel- 
ligent et  ouvert  qui  accueillit  avec  sympathie  les  Français, 
facilita  leur  installation  et  conseilla  adroitement  le  chef 
de  canton  à  qui  d'ailleurs  il  étaitallié.  Il  est  mort  vers  1910, 
laissant  deux  fils  :  Nfa  Moriba  et  Nfa  Likou,  tout  à  fait 
insignifiants. 

Les  trois  marabouts  locaux  sont  aujourd'hui  :  Nomori 
Barhayorho,  Bakari  Kaloro  et  Moussa  Soumaorho,  dont 
les  connaissances  sont  nulles  et  la  clientèle  scolaire  de  2  à 
4  élèves. 

Mandougou  a  été  islamisé  par  Diaramissa  Bamba.  Il 
venait  de  Koro  et  arriva  du  temps  de  Gouaksué,  fondateur 
du  village,  fils  de  Wassa  Fanamba  et  petit-fils  de  Kogué. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  l3'3 

Ces  faits  ne  doivent  guère  remonter  au  delà  de  la  fin  du 
dix-huitième  siècle.  Avec  l'aide  de  Sakiiba  Saranorho,  venu 
de  Kong,  Diaramissa  construisit  une  grande  mosquée 
(Diamiou).  Elle  est  actuellement  en  ruines  et  sur  les 
décombres,  on  éleva  une  modeste  missiri-mousso.  Diara- 
missa Bamba  alla  mourir  à  Férentéla  et  fut  enterré  en 
ce  village  à  côté  de  son  parent  Bambadyan  Bamba.  Tous 
les  habitants  de  ce  village  font  salam,  sauf  une  trentaine 
de  Diomandé,  mais  il  n'y  a  aucune  personnalité  digne  de 
mention. 

Giientégiiela  a  été  en  grande  partie  islamisé  par  des 
musulmans  de  Do.  Leur  chef,  Fémomia  Bamba,  venait  de 
Férentéla  (fin du  dix-huitième  siècle  environ).  A  Fémomia 
succéda  Bahoué  Bamba  qui  abandonna  complètement  Do, 
créa  Guentéguéla  et  construisit  la  mosquée  diamiou.  Cette 
mosquée  subit  les  dévastations  de  la  colonne  de  Molditar 
Touré,  le  despote  d'Odienné.  Avant  qu'on  ait  eu  le  temps 
de  la  réparer,  les  pluies  d'hivernage  arrivèrent  et  la  jetèrent 
complètement  à  terre.  On  la  reconstruisit  dans  son  état 
actuel  quelques  années  plus  tard.  C'est  une  grande  et  spa- 
cieuse mosquée-cathédrale  de  style  soudanais. 

Trois  marabouts,  maîtres  de  petites  écoles  de  5  à  8  élèves, 
sont  à  citer  :  Karafounga  Bamba,  le  plus  réputé;  Kato- 
goma  Bamba;  Fa  Sotigui.  On  verra  les  origines  de  cette 
famille  Bamba  à  Férentéla. 

Un  de  ses  membres,  dont  on  voit  le  tombeau  sur  place, 
a  laissé  le  souvenir  d'un  saint  homme  :  Moussa  Bamba,  né 
vers  i83o,  mort  vers  1910.  11  était  le  frère  de  Kamori 
Bamba,  le  célèbre  marabout  de  Férentéla,  et  avait  étudié  à 
Mankono  avec  Anzoumama  Karamoko. 

Sokouralla  est  de  fondation  récente.  C'est  Ibrahima 
Touré,  venu  du  Sankaran  de  Kankan  (Guinée),  qui  la  fonda 
vers  1840. 


l34  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

LesTouré  sont  originaires  de  Dienné.  Le  premier  immi- 
grant serait  Fountéra  Touré,  qui  s'établit  à  Kimiéko,  où 
étaient  déjàles  Bamba  musulmans.  Ils  se  succédèrentdepère 
en  fils,  Nfa  SirifoTouré,BiramaTouré,  AnzoumanaTouré, 
Karamoko  Sirifa. 

Celui-ci,  dit  Kalimou  Touré,  né  vers  1886  àMondougou, 
€t  mort  vers  1902,  fut,  comme  son  frère  Anzoumana,  un 
marabout  de  renom.  Il  a  laissé  plusieurs  fils,  dont  les  plus 
connus,  cultivateurs  et  maîtres  d'écoles,  sont  Mamadou 
Birama  et  Mamoné.  Les  autres  maraboutaillons  sont  : 
Kaba  Touré,  Séké  Kalorho,  Sitifa  Bamba,  Moussa  Bamba, 
Karamoko  Dousso,  Ahmadou  Kamaro,  tous  personnages 
sans  importance. 

L'almamy  de  la  mosquée  est  Birama  Touré  précité.,  né 
vers  i865,  sans  instruction  ni  influence  politique. 

La  mosquée  locale  est  assez  spacieuse  et  de  style  souda- 
nais. Le  village,  malgré  sa  dizaine  d'écoles,  n'a  guère  plus 
de  40  à  45  écoliers. 

Madina  a  été  ainsi  nommée  en  l'honneur  de  la  sainte 
Médine  d'Arabie  par  Moussa  Touré  et  Moussa  Sarayorho, 
ses  fondateurs,  originaires  tous  deux  de  Toa  près  de  Bienko. 
Elle  s'honore  de  trois  marabouts,  maîtres  d'école,  dont  la 
clientèle  ne  dépasse  pas  au  total  20  élèves.  Ce  sont  Fodé 
Sako,  le  plus  réputé,  Birama  Sérifou  et  Sanio  Sarayorho. 

Fodé  Sako  (de  Sayoro)  est  né  à  Mousso-madougou  (Kara- 
goua),  où  son  arrière-grand-père,  Mamakou  Sako,  a  été 
enterré.  Salifou  Séko,  son  grand-père,  quitta  Dienné  pour 
commercer  et  s'établir  dans  la  région  ;  il  mourut  au  cours 
d'un  voyage  à  Sierra  Leone,  Son  père,  Mamadou  Sako,  fut 
aussi  un  commerçant  et  un  marabout.  Son  tombeau  est  à 
Sanankoroné.  Toute  cette  famille  a  laissé  une  certaine  ré- 
putation islamique  et  il  est  certain  que  ce  sont  ces  dioula, 
actifs,  intelligents  et  doués  d'un  certain  esprit  d'apostolat 
qui  sont  les   missionnaires  de  l'islam  et  lui  valent  ses  suc- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITÉS    ISLAMIQUES  l35 

ces.  Fodé  Sako  a  fait  des  études  assez  sérieuses  à  Kankan 
d'abord,  puis  dans  le  Labé  (Fouta  Djallon);  il  a  une  bonne 
instruction  arabe  et  fait  la  classe  à  une  vingtaine  d'enfants. 
Use  relie  par  ses  aïeuxau  qadérisme  de  Dienné  ;  moqaddem 
de  la  voie,  il  distribue  lui-même  cet  ouird  dans  la  région. 
C'est  au  demeurant  un  homme  effacé,  discret,  et  qui  vit  du 
travail  agricole  en  commun  avec  ses  enfants,  ses  neveux  et 
ses  élèves. 

Férentéla  est  probablement  par  le  nombre  de  ses  adep- 
tes et  par  les  traditions,  sinon  par  la  ferveur  ambiante,  le 
centre  d'islam  le  plus  important  de  la  région.  L'occupation 
première  du  pays  est  attribuée  à  Diali  Moussa,  marka,  ori- 
ginaire de  Dienné.  ïl  arriva  peu  après  les  Diomandé,  et  les 
aida  à  repousser  les  Diola  et  Nété  qui  occupaient  la  région. 

Son  fils  Bamba  lui  succéda.  Après  s'être  rendu  àGahoué, 
en  passant  par  Koro,  il  songea  à  s'établir  dans  le  pars.  11 
fixa  son  choix  sur  un  emplacement  pittoresque,  sis  à  quel- 
ques kilomètres  à  l'ouest  de  Gahoué,  et  y  construisit  un 
village,  avec  une  mosquée  diamiou.  Ces  faits  ne  doivent 
pas  remonter  au  delà  du  milieu  du  dix-huitième  siècle.  Bam- 
badyan  Bamba  eut  pour  successeurs  Vabirima  Bamba,  puis 
de  père  en  fils.  Va  Senessé  Bamba,  Yssifou  Bamba  Man- 
dibou,  Bamba,  enfin  Gamori  Bamba,  chef  actuel.  Ce  der- 
nier donna  un  appui  efficace  à  Samory  et,  de  concert  avec 
ce  despote,  ravagea  une  grande  partie  des  pays  fétichistes 
des  alentours,  le  Kaoua  particulièrement.  Cette  politique 
eut  pour  résultat  de  créer  une  haine  profonde  et  irréduc- 
tible entre  musulmans  de  Férentéla  et  principalement  leur 
chef,  d'une  part,  et,  d'autre  part,  leurs  anciennes  victimes 
animistes  des  contrées  voisines.  En  dépit  de  quelques  appa- 
rences contraires,  les  musulmans  de  Férentéla  ne  sont  pas 
très  fervents.  C'est  ainsi  que  le  vendredi,  il  n'y  a  pas  de 
grande  prière  à  la  mosquée-diamiou,  et  par  suite  pas  de 
khotba.   Pour  excuser  cette  abstention,   les  habitants  de 


l36  ÉTUDES    SUR    l'islam   EN    COTE   d'iVOIRE 

Férenléla  déclarent  que  le  fondateur  Bambadyan  Bamba  a 
ordonné  qu'il  en  soit  ainsi.  Il  n'y  a  pas  de  muezzin  atti- 
tré ;  il  appartient  à  chacun,  si  bon  lui  semble,  de  lancer 
l'idzân.  En  revanche,  la  ville  s'honore  d'une  vingtaine  d'éco- 
les coraniques,  dont  le  total  d'élèves  va  à  peine  de  60  à  80. 
Mais  ici  il  est  de  bon  ton  de  tenir  une  école,  n'y  eût-ii 
qu'un  ou  deux  enfants.  ^Cette  profession  confère  un  bre- 
vet de  haute  science.  Inutile  de  dire  que  tous  ces  marabouts 
sont  de  la  plus  parfaite  ignorance. 

Gamori  (ou  Kamori)  Bamba  est  né,  vers  i85o,  à  Féren- 
téla.  Tout  jeune,  il  alla  à  Beyia  et  y  fit  de  bonnes  études  au- 
près du  grand  marabout  Va  Moussa  Doukouré.  Revenu  à 
Touba,  il  accompagna  Douga  Diomandé,  chef  de  Gouékan, 
dans  toutes  ces  campagnes  contre  les  Yafoumba  du  Baling 
et  contre  le  Touradougou.  Il  se  rendit  avec  Do  àBankoura, 
auprès  de  Samory,quile  prit  en  qualité  de  chef  de  ses  sofas 
et  l'utilisa,  comme  il  a  été  dit,  dans  toutes  ses  colonnes 
et  jusqu'au  Djmini,  à  Kong  et  à  Boudouko;  l'almamy 
nomma,  vers  ce  temps-là,  Gamori  chef  du  Mahou. 

Dès  lors,  le  pays  fut  partagé  en  deux  camps  :  les  parti- 
sans des  Diomandé  d'un  côté;  ceux  de  Gamori  de  l'autre. 
Avec  l'appui  de  l'almamy,  Gamori  se  maintient  au  pou- 
voir; il  fut  le  seul  chef  du  Mahou  qui  ne  désespéra  pas  de 
la  situation  de  Samory  ;  il  engageait  vivement  celui-ci  à 
marcher  sur  Touba,  alors  faiblement  défendu. 

Après  la  capture  de  l'almamy,  Gamori  vient  se  fixer  à 
Férentéla,  et  les  rivalités  de  commandement  devinrenttout 
à  fait  aiguës. 

Une  reconnaissance,  commandée  par  un  sergent  indi- 
gène, et  partie  de  Beyla,  étant  arrivée  dans  le  Mahou  en 
1896,  les  deux  compétiteurs  portèrent  leur  différend  devant 
le  commandant  de  cercle  de  Beyla,  qui  reconnut  comme 
chef  du  Mahou,  le  chef  légitime  Douga  Diomandé;  Gamori 
ayant  fait  de  la  résistance  fut  envoyé  en  prison  à  Bissan- 
dougou  ;  on  le  dirigea  sur   Kankan,  puis  il  fut  ramené  à 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  iSy 

Bevla,  où  on  lui  conféra  le  commandement  des  villages  de 
Férentélaet  d'Ouaninou,  apanage  des  Bamba  dans  leMahou. 
On  le  jugeait  alors  très  durement.  Une  note  de  1900  re- 
late :  Allure  autoritaire,  intelligent,  figure  énergique,  os- 
seuse, regard  froid,  il  donne  l'impression  d'un  insoumis, 
on  le  sent  non  vaincu.  Correct  en  apparence,  il  vient  au 
poste  quand  on  le  fait  appeler,  paye  l'impôt  régulièrement 
pour  ses  deux  villages,  Férentéla  et  Ouaninou  ;  mais  il  entre- 
tient des  intelligences  avec  des  chefs  insoumis  de  Bafingko 
et  lors  de  notre  occupation  de  ce  pays,  à  Nouantoïlou,  le 
lieutenant  Cenac  acquit  la  certitude  que  Gamori  faisait  pas- 
ser des  armes  et  de  la  poudre  à  nos  ennemis.  C'est  un  mé- 
content à  surveiller  de  près,  que  nous  tiendrons  facilement 
grâce  à  Douga   Diomandé,  son  ennemi,  chef  du  Mahou  .>(>■ 

Les  gens  du  Mahou  n'ont  certainement  pas  oublié  qu'il 
fut  autrefois  leur  chef,  du  moins  de  nom,  et  cet  ambitieux 
serait  fort  à  craindre  pour  eux,  si  notre  présence  n'était  là 
pour  maintenir  au  pouvoir  les  Diomandé,  qui  sont  d'ail- 
leurs les  chefs  légitimes. 

Ses  relations  avec  le  poste  sont  correctes,  mais  il  ne  peut 
oublier  que  ce  sont  les  Français  qui  l'ont  déchu  de  son 
autorité  et  réduit  au  rang  de  chef  de  village, 

«Toutefois,  disait-on  en  1900,  si  l'on  supposait  qu'un  sou- 
lèvement du  Mahou  Diomandé  pût  se  produire,  ce  qui  est 
fort  improbable,  avec  quelques  promesses  nous  aurions 
là  un  allié  sérieux  pour  réprimer  ce  soulèvement.  Kamori 
Bamba  entretient  des  relations  avec  l'arrière-Bafing  et  par- 
ticulièrement le  pays  de  Guonné.  » 

Depuis  ce  temps,  la  situation  s'est  considérablement 
améliorée,  malgré  deux  petits  incidents  où  il  fut  puni  dis- 
ciplinairement  pour  avoir,  été  trouvé  en  possession  de  pou 
dre  de  traite  et  pour  attitude  inconvenante  avec  l'autorité; 
il  a  d'ailleurs  versé  dans  la  cléricature.  En  fin  191 1,  il  s'est 
fait  recevoir  marabout  avec  un  cérémonial  inusité,  qui  at- 
tira à  Férentéla  les  marabouts  de  toute  la  région,  et  depuis, 


l38  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

il  se  consacre  en   grande  partie   à  l'étude  et  à   la   prière. 

Kamori  possède  aussi  une  très  grande  influence,  mi 
politique,  mi-religieuse,  dans  toute  la  région  et  jusqu'à  Beyla. 
Lorsque  son  père,  chef  de  Moribadougou,  fut  assassiné  à 
Guéasso  au  moment  delà  révolte  manou-libérienne,  il  con- 
serva beaucoup  de  sang-froid,  et  ne  modifia  pas  sa  con- 
duite. Cette  hauteur  d'âme  lui  a  valu  une  grande  réputa- 
tion. 

Kamori  est  un  homme  intelligent,  ouvert,  qui,  malgré 
tout,  peut  encore  rendre  des  services  et  qu'à  ce  titre  et  par 
respect  pour  son  passé,  on  doit  traiter  avec  autant  de  dé- 
férence et  de  courtoisie  que  de  fermeté.  Il  se  dit  qadri  de 
l'obédience  des  zaouïa  de  Beyla  (Guinée)  et  à  l'occasion 
fait  l'école  coranique  à  une  demi-douzaine  d'enfants  de  sa 
famille. 

Après  Kamori,  deux  autres  Bamba  sont  à  signaler:  iMo- 
riba  Bamba  fils  de  Souleïman,almamy  et  chef  religieux  de 
Férentéla,  né  vers  i85o  ;  il  est  aujourd'hui  à  peu  près  impo- 
tent et  aveugle,  c'est  un  vieux  brave  homme,  qui  a  ensei- 
gné le  Coran  et  distribué  l'ouird  qadri  à  tous  les 
marabouts  de  Férentéla  et  qui  a  cessé  son  enseignement 
lors  de  la  libération  des  captifs.  Il  n'y  voit  plus  assez  pour 
lire  et  écrire,  mais  préside  aux  funérailles  de  tous  les  ma- 
rabouts du  pays.  C'est  l'homme  le  plus  vénéré  du  village, 
le  saint  local.  Il  se  rattache,  comme  tous  les  marabouts  du 
cru,  à  Moussa  Doukouré,  chef  de  la  zaouïa  qadrïa  de  Dou- 
kouralla  (Guinée).  Samouka  Bamba,  fils  de  Mamadou,  né 
vers  i85o,  est  le  chef  de  Férentéla.  Il  prit  part  dans  sa  jeu- 
nesse aux  colonnes  des  Sakouraka  contre  les  Yafouba  du 
sud  du  Bafing  et  à  la  plupart  des  colonnes  de  Samory,  no- 
tamment à  celles  contre  Séguéla.  Il  fut  condamné  à 
huit  jours  de  prison  par  le  commandant  de  la  première 
colonne  française,  venue  à  Touba,  pour  petits  incidents 
locaux.  Il  vécut  ignoré  à  Férentéla  jusqu'à  la  mort  de  son 
oncle  Gamoé,  chef  du   village,  survenue  le  3i    mars.   Le 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  1 3g 

mois  suivant,  il  lui  succédait.  Samouka  n'a  ni  instruction 
arabe,  ni  influence  religieuse,  mais  chef  d'un  gros  village 
musulman  de  1.600  habitants,  il  est  très  lié  avec  ses  coreli- 
gionnaires de  Moribadougou  (Guinée). 

Les  autres  Bamba,  Moami,  Moussa,  Sidiki,  Yssifou, 
Yatigui,  Mamadou,  Ahmadou,  Kanga  ne  sont  que  des ma- 
raboutaillons,  maîtres  d'école  de  2  à  4  élèves. 

Les  Sérifou  sont  représentés  par  des  personnages  de 
même  envergure:  Moriba,  Matoma,  Goamé  ;  les  Torhoma, 
par  Méba  Toehoma  ;  les  Touré,  par  Moriba  et  Bakari.  Mo- 
riba, almamy  et  chef  en  second  des  marabouts  de  Férentéla, 
est  un  homme  peu  instruit  et  peu  intelligent.  Il  est  né  vers 
1865  et  se  rattache  par  ses  ancêtres  Sidiki  Touré,  Salifou 
Touré  et  Souleïman  Touré  à  Abdoullaye  Touré,  marka  du 
Niger,  venu  ici  au  dix-huitième  siècle.  C'est  le  patriarche 
des  Touré  de  la  région,  et  à  ce  titre  il  donne  les  rudiments 
du  Coran  aux  enfants  de  la  famille. 

Touba,  chef-lieu  de  la  subdivision  de  Touba,  aétéfondée 
vers  1875  par  Youssoufou  Fadiga,  marabout  de  Férentéla. 
Ces  Fadiga  sont  arrivés  dans  le  pays  au  dix-huitième  siècle  ; 
le  chef  de  l'exode  fut  Bakari  Fadiga,  qui  venait  de  Diaka 
sur  le  Niger.  Il  s'installa  à  Ngaoué  près  de  Touba,  et  y 
reçut  le  meilleur  accueil  des  Saramorho,  qui  l'y  avaient 
précédé.  On  lui  donna  une  femme  ;  on  facilitera  l'installa- 
tion de  ses  captifs.  II  fut  ainsi  le  fondateur  de  la  famille 
actuelle.  Les  générations  se  succédèrent  de  père  en  fils. 
Bakari,  Souleïman  Aliou,  Aliou,  ditLakika,  à  cause  de  sa 
remarquable  stature,  né  à  Ngaoué,  s'installa  à  Férentéla  et 
y  mourut  vers  1870.  C'est  lui  l'aïeul  des  Fadiga  actuels,  il 
laissa  deux  fils:  Sidiki  et  Yssifou  ou  Youssoufou.  Les 
deux  frères  vinrent,  quelques  années  plus  tard,  faire  quel- 
ques lougans  sur  l'emplacement  actuel  de  Touba.  Un 
hameau  de  culture  y  naquit;  il  crût  ;  ce  fut  Touba. 


140  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Sidiki  Fadiga,  né  vers  i83o,  est  mort  vers  igoS.  Ce  fut 
un  marabout  d'une  notoriété  considérable.  Son  grand  âge^ 
sa  science,  sa  réputation  de  vertu  et  de  sagesse,  son  titre 
de  moqaddem  tidiani  lui  valurent  une  considération  qui 
n'est  pas  près  de  s'éteindre.  Il  a  élevé  coraniquement  et 
donné  l'ouird  tidiani  à  tous  les  marabouts  du  village.  II 
sut  vivre  en  bons  termes  avecles  premiers  occupants  fran- 
çais du  pays,  et  entretint  par  la  suite  avec  eux  d'excellentes 
relations. 

Parmi  ses  innombrables  petits-fils  ou  petits-neveux,  il 
faut  citer  : 

a)  Bintou  Karamoko  Fadiga,  né  en  i86o,filsd'Amaraetde 
BintouBamba.  Son  père  Amara  enseigna  le  Coran  pendant 
36  ans  à  Kankan  d'abord,  à  Conakry  ensuite.  Il  en  partit 
vers  1889,  pour  se  rendre  à  Bissandougou  (Guinée),  où  il 
comptait  voir  Samory.  Ce  dernier  se  trouvait  alors  à 
Sikasso.  Bintou  lui  fut  envo}é  pour  lui  porter  les  salu- 
tations d'Amara.  A  son  retour,  la  famille  revint  à  Touba 
et  s'y  installa.  Bintou  fut  l'homme  de  Samory;  il  fit 
partie  de  son  Conseil  et  rendit  la  justice  en  son  nom;  il 
était  chargé  de  la  lecture  du  Coran  et  de  la  recherche  des 
plus  beaux  manuscrits  arabes.  Il  prit  part  au  siège  de 
Sikasso,  revint  à  Bissandougou,  puis  partit  à  Conakry.  II 
devait  revoir  Samory  à  Doué,  quelque  temps  avant  sa 
chute.  Bintou  était  à  Touba,  quand  survint  l'occupation, 
française.  II  servit  de  guide  au  commandant  d'une  de  nos 
colonnes  qui  passa  le  Bafing  à  la  poursuite  de  Samory. 
Rentré  chez  lui,  il  fit  désigner  un  membre  de  sa  famille^ 
pauvre  et  sans  influence,  pour  exercer  le  commandement 
à  sa  place.  Il  se  tint  à  l'écart  pendant  plusieurs  années  et 
la  libération  des  captifs  accentua  encore  cette  réserve.  Il  a 
fini  par  se  rallier  à  nous,  a  repris  sa  place  naturelle  de  chef 
du  village  et  du  groupe  de  Touba(7. 000  habitants), en  191 1,. 
non  sans  quelque  défiance  au  début,  puis  s'est  vu  conférer 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I4I 

les  fonctions   de  Président    du    Tribunal   de  subdivision. 

Aujourd'hui,  Bintou  doit  être  considéré  comme  un  de 
nos  meilleurs  agents.  Actif,  zélé,  intelligent,  il  remplit  à 
la  satisfaction  générale  sa  double  charge  de  chef  politique 
€t  de  magistrat.  Peut-être  pourrait-on  lui  reprocher  de  la 
partialité  à  l'égard  des  musulmans.  Sa  réputation  est  con- 
sidérable ;  tout  le  canton  de  Mahou  sait  que  c'est  à  l'amitié 
que  Samory  avait  pour  lui  qu'il  ne  subit  pas  les  dévasta- 
tions accoutumées  des  sofas,  et  on  lui  en  a  gardé  une 
•grande  reconnaissance. 

Bintou  Karamoko  est  relativement  instruit  en  arabe,  plus 
instruit  même  que  les  marabouts  de  carrière;  très  ouvert, 
il  s'intéresse  à  tout  ce  qui  touche  notre  civilisation.  C'est  en 
•somme  un  personnage  remarquable  qu'il  faut  traiter  avec 
beaucoup  de  ménagement,  beaucoup  de  doigté,  dont  il  faut 
respecter  l'orgueil,  et  qui  ne  mérite  d'être  très  surveillé 
que  dans  ses  relations  trop  brutales  avec  ses  administrés, 
•diomandé  animistes.  Il  est  en  excellents  termes  avec  tous 
les  chefs  de  canton  de  la  région  et  leur  sert  un  peu  de 
modèle. 

En  1915,  il  adressait  les  vers  arabes  suivants  à  son  chef 
de  poste  : 

«  Nous  demandons  à  Allah  de  faire  triompher  le  Gou- 
vernement français. 

«  Nos  cœurs  souhaitent  ardemment  la  victoire  des 
Français 

«  Sur  les  Allemands.  Qu'Allah  nous  fasse  rester  à 
l'ombre  du  drapeau  français  !  » 

b)  Lamine  Fadiga,  son  cousin,  est  né  à  Férentéla  vers 
î85o.  C'est  l'almamy  et  le  cheikh  des  marabouts  de  Touba. 
ïl  a  fait  quelques  études  à  Kankan,  mais  les  a  achevées  à 
Touba  même,  et  n'en  est  plus  sorti.  Il  enseigne  le  Coran  à 
une  demi-douzaine  d'enfants.  Il  n'a  pas  de  fortune  et  vit 
du  produit  des  cultures  familiales  auxquelles  sont  employés 


ife 


142  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

ses  élèves.  Il  est  peu  instruit  et  manie  plus  facilement 
les  caractères  arabes  en  langage  malinké  que  la  langue 
arabe  elle-même. 

c)  Katoma  Fadiga,  frère  du  précédent,  est  né  vers  i885, 
à  Sokouralla.  C'est  un  marabout  de  peu  d'envergure,  qui 
vit  tranquille,  partagé  entre  ses  cultures  et  son  ensei- 
gnement. Il  fut  assesseur  du  tribunal  de  cercle,  jusqu'au 
jour  où  le  chef-lieu  du  cercle  fut  transporté  à  Man, 

Les  autres  Fadiga  ne  sont  que  des  maraboutaillons,^ 
plus  occupés  de  leurs  cultures  ou  de  commerce  que 
d'études  et  de  prières.  Ce  sont  tout  de  même  des  notables 
de  la  ville.  Falikou  Fadiga,  iMamadou  Fadiga,  Kamali  Béné 
Fadiga,  Comoé  Fadiga,  Lahana  Fadiga,  Moussa  Fadiga, 
Fatoumata  Fadiga. 

La  famille  qui  vient  immédiatement  après  les  Fadiga 
est  celle  des  Bamba,  dont  l'ancêtre,  Vémo  Bamba,  suivant 
de  Youssoufou  Fadiga,  participa  avec  son  maître  à  la  fon- 
dation de  Touba.  Son  chef  estMamadou  Souraké  est  Bamba, 
né  vers  i85o.C'estun  homme  moyennement  instruit,  mais 
affligé  d'une  cécité  presque  complète. 

Touba  est  pourvue  d'une  mosquée  spacieuse,  dans  le 
style  soudanais.  C'est  une  grande  case  carrée  sans  aucune 
ornementation.  Elle  aété  construite  vers  1892  par  les  fidèles 
locaux  etcontinueà  êtreentretenue  par  eux.  Elle  est  ordinai- 
rement pleine,  et,  par  conséquent,  les  jours  de  grande  fête, 
où  l'on  peut  compter  600  fidèles  à  la  prière  solennelle,  elle 
ne  répond  pas  aux  besoins  de  la  ville.  A  l'intérieur,  un 
compartiment  spécial  est  réservé  aux  femmes.  Tous  les 
marabouts  de  Touba  se  rattachent  au  tidianisme  du  grand 
Sidiki  précité. 

Ce  nom  arabe  de  Touba  paraît  avoir  été  donné  par 
piété  à  la  ville.  Les  Touba  abondent  en  effet  en  pays  isla- 
mique.  Mais  à   l'origine,  le  premier  Touba  fut-il  appelé 


Mosquée  de  Gahoué. 
La  prière    du   vendredi. 


Si'    # 


Mosquée  de  Gahoué. 
La  prière  du    vendredi. 


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Mosquée  de  Gahoué. 
La    prière   du   vendredi. 


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Mosquée  de  Gaiioué. 
La    prière    du    vendredi. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I43 

ainsi  par  réminiscence  du  ciel  de  Mahomet,  dont  un  des 
cercles  porte  ce  nom -là,  ou  bien  simplement  parce  que 
Touba  veut  dire  en  malinké  «  grande  forêt  »  (tou...  forêt, 
Ba...  grand)?  Cette  explication  ne  conviendrait  pas  ici, 
car  Touba  est  sise  en  pleine  savane,  mais  elle  peut  se  jus- 
tifier par  la  surprise  que  les  gens  du  Diakapelé  ont  pu 
avoir  à  la  vue  de  cette  brousse  assez  dense  ?  Grammatici 
certant. 

Sanankoroni  s'honore  de  deux  marabouts  de  peu  d'enver- 
gure: Souaïla  Saranorho,  né  vers  i85o,  et  Mamadou 
Sérifou,  tous  deux  élèves  des  maîtres  de  Sokouralla. 

On  trouve  de  même,  à  Gouékan,  un  Karamoko  Sérifou,  ' 
et  à  Membala,   Mamadi  Kamara  et  Birama  Dousso,  petits 
maîtres    d'école,    dont  la  clientèle  religieuse  oscille  entre 
2  et  6  ou  7  élèves,  suivant  la  saison  et  les  cultures. 

Il  ne  reste  plus  à  citer  dans  cette  région  de  Touba,  centre 
important,  que  Gahoiié. 

Le  premier  musulman  qui  s'établit  en  cette  région  de 
Gahoué  fut  Mahammadou  Saranorho  ;  il  venait  de  Kong. 
C'était  vers  lySo environ.  A  cette  époque,  Wassa  Fanamba 
Diomandé,  fils  de  Kogué  Kan,  était  chef  de  Gahoué.  A 
Mohammadou  Saranorho,  premier  chef  de  la  petite  colonie 
musulmane,  succédèrent  Mamadou  Saranorho,  qui  cons- 
truisit la  mosquée  (diamiou),  puis  Bakari  Fadiga,  venu  de 
Kankan  et  enfin  Kanali  Fadiga,  lequel  quitta  Gahoué  pour 
se  fixer  à  Férentéla.  Samouka  Fadiga  prit  à  Gahoué  la 
place  de  Kanvali  Fadiga;  Samouka  eut  pour  successeurs 
Amara  Fadiga,  puis  Samouka  Fadiga,  chef  actuel  de  '  la 
colonie  musulmane.  Les  Saranorho  et  les  Fadiga  ont  tou- 
jours conservé  les  meilleurs  rapports  et  sont  unis  par  de 
multiples  liens  matrimoniaux. 

Le  chef  du  village,  Douba  Diomandé,  et  les  familles  des 
Diamandé,  soit  le  1/4  du  village,  sont  fétichistes;  tout  le 
reste  de  la  population  du  village  fait  salam. 


144  ETUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

A  Gahoué,  il  existe  une  hostilité  sourde,  mais  vivace, 
entre  les  familles  des  Diomandé,  fétichistes,  conquérante 
du  pays,  d'une  part,  et,  d'autre  part,  les  musulmans  venus, 
mais  qui  grâce  à  leur  astuce,  à  leur  intelligence  plus  vive, 
puis  à  leur  nombre,  ont  pris  une  importance  de  plus  en 
plus  grande.  Par  suite  de  cette  rivalité  il  est  difficile,  sinon 
impossible,  à  Douba  Diomandé  de  remplir  efficacement 
ses  fonctions  de  chef  de  village. 

Gahoué  compte  une  douzaine  de  marabouts,  petits 
maîtres  d'école,  dont  la  clientèle  varie  entre  3  et  6  élèves. 
La  plupart  d'entre  eux  sont  des  Saranorho,  qui  est  la 
famille  dominante  du  village  :  Lansiné  Lamin,  Amara, 
Birahima.  Les  autres  sont  des  Sérifou  Yangona^  Sidiki, 
Salah,  Karimou  ;  ou  des  Fadiga:  Kanvali,  Moami, 
Samouka.  Le  plus  important  d'entre  eux  est  Méma 
Samouka,  né  vers  1845,  Mandé  dioula,  qui  par  ses 
ancêtres,  Mamadou  Sidiki  et  Foumba,  se  rattache  à 
Abdoullaye  Saranorho.  C'est  une  famille  de  marabouts 
cultivateurs  qui  a  toujours  fourni  les  almamys  à  la  mosquée 
de  Gahoué.  C'est  le  cas  pour  Méma,  qui  ne  jouit  d'ailleurs 
d'aucune  influence  spéciale.  Dans  sa  jeunesse,  il  a  fait  des 
voyages  de  commerce  vers  Odienné,  Kankan,  Moussa- 
dougou,  Maninian,  Séguéla.  Puis  il  a  ouvert  une  école 
coranique  etfait  des  lougans,  et  il  s'y  consacre  depuis  40  ans  ; 
C'est  un  qadri  de  l'école  de  Fadiga  de  Touba.  Il  a  toujours 
entretenu  les  meilleures  relations  avec  les  Blancs,  disant, 
dès  le  premier  jour,  «  que  le  chef  du  pays  représentait  tout 
le  monde  et  qu'à  ce  titre  il  faisait  les  aff'aires  de  tous  ». 

Gahoué  a  une  mosquée  ordinaire  en  banco,  dans  le 
style  soudanais.  Elle  peut  contenir  5oo  fidèles  aux  jours 
de  fêtes  solennelles. 

Avec  la  deuxième  subdivision  du  cercle  de  Touba,  la 
subvision  de  Man,  on  se  rapproche  encore  de  la  zone  syl- 
vestre et  même  on  y  pénètre  partiellement.  Il  ne  faut  donc 


GHOUPE.MENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  145 

pas  s'étonner  de  voir  l'islam  diminuer  progressivement 
avec  l'élément  malinké,  pour  s'arrêter  complètement  à  la 
lisière  de  la  forêt.  Il  n'y  a  que  deux  villages  où  l'on  puisse 
trouver  une  petite  communauté  islamique  digne  de 
mention  :  Man  et  Guéfenso.  A  Alan,  le  village  des  autoch- 
tones est  fétichiste,  mais  le  village  des  étrangers,  où  se 
trouve  le  poste  et  le  marché,  est  musulman.  Il  n'y  a  aucune 
vieille  famille  à  Man.  Le  village  n'est  composé  que  d'étran- 
gers, se  livrant  au  commerce,  et  la  population  est  essentiel- 
lement flottante.  A  signalertrois  marabouts  notoires  :  Sého 
Fadiga,  le  plus  important  de  tous,  né  vers  1882,  almamy 
sans  mosquée,  et  maître  d'école  d'une  douzaine  d'élèves. 
Il  a  fait  ses  études  à  Touba  et  se  rattache  par  l'ouird  à  Bintou 
Karamoko  Fadiga.  Moussa  Douklé,  né  vers  1881,  élève  et 
disciple  tidiani  des  marabouts  de  Kankan  ;  Kanvali  Salifou, 
né  vers  i870,élèveetdiscipletidiani  deSaranorhod'Odienné. 

Guéfenso,  qui  a  pris  le  nom  de  son  fondateur,  Guéfé, 
est  un  village  mixte,  où  l'élément  animiste  prédomine 
considérablement.  Il  n'y  a  pas  de  mosquée;  un  marabout, 
Mamadou  Salifou,  né  vers  1872,  venu  de  Gahoué,  fait 
l'école  aux  4  ou  5  enfants  musulmans  du  village. 

En  dehors  de  Man  et  de  Guéfenso,  on  citera  les  villages 
de  Kouroukoro,  Kamalo,  Namalagondo  et  Dotou  comme 
renfermant  quelques  familles  musulmanes,  mêlées  à  la 
masse  fétichiste.  Ces  centres  sont  dépourvus  de  mosquée. 
La  troisième  subdivision  de  Man,  celle  de  Kouibly,  est 
entièrement  fétichiste  et  sylvestre. 


5.  —  Ouorodougou  (i). 

a)  Généralités.  —  Dans  l'Ouorodougou,  comme  dans  la 
région  de  Touba    et   d'Odienné,  subsistent  des  traditions 

(1)  Nous  avons  utilisé  en  plusieurs  endroits  la  monographie  islamique  du 
cercle  de  l'Ouorodougou,  par  l'administrateur  Ripert. 


146  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

orales,  et  mêmes  écrites,  qui  donnent  des  renseignements 
précieux,  non  sur  les  origines  de  l'islamisation  des  familles 
musulmanes  (elles  étaient,  lors  de  la  grande  migration 
Mandingue,  qui  peupla  le  Ouorodougou  et  les  cercles 
voisins,  déjà  musulmanes),  mais  sur  les  origines  et  les 
causes  de  cette  migration,  tout  en  négligeant  de  parler  des 
Mandé  fétichistes,  qui,  certainement,  accompagnèrent, 
peut-être  même,  en  ce  qui  concerne  les  Diomandé.,  précé- 
dèrent les  familles  musulmanes.  Ce  Tarikh  que  Ripert  a 
eu  le  bonheur  de  pouvoir  se  faire  communiquer  et  dont  il 
a  donné  un  résumé  que  nous  utilisons,  a  un  avantage 
précieux:  c'est  qu'il  situe  dans  le  temps,  l'époque  de  ces 
migrations,  avec  toutefois  une  erreur  de  vingt  ans  sur 
l'hégire,  puisqu'il  date  notre  occupation  de  Mankono  de 
l'année  musulmane  i33o,  au  lieu  de  i3io. 

A  la  source  de  toutes  les  légendes  qui  courent  dans  le 
pays  et  dont  un  extrait  a  été  donné  plus  haut  pour  Koro, 
il  y  a  certainement  un  fonds  de  vérité  historique,  et  l'on 
peut  retenir  le  principe  de  la  colonisation  musulmane  de 
ces  hautes  régions  de  la  Côte  d'Ivoire  par  des  pèlerins 
Mandé  de  diverses  branches,  qui  se  seraient  connus  dans 
un  voyage  à  La  Mecque,  et  se  seraient  documentés  les  uns 
les  autres. 

Il  advint  donc  que  les  nommés  Al-Hadji  Salimou  Souaré, 
xMoraba  Kamara,  Iba  Karimou  Cissé,  Yaya  .  Dandigui 
(Yarhabi),  Salimou  Morifîng  Bamba  (ce  dernier  s'étant 
quelque  temps  fixé  à  Sialenda,  près  du  village  Gouro  actuel 
de  Gaouléka  où  se  trouve  sa  tombe),  son  frère  aîné  Aliou 
Morifing  Bamba,  Mahama  Séiorho,  Yssoufou  Kamaraté, 
Oumara  Fofana,  Oussoumana  Sanorho,  Mohamadou 
Barhayorho  (Tombouctou),  Mahamadou  Sarhonorho  de 
Dienné,  allant  à  La  Mecque,  se  rencontrèrent  dans  le  Diaka 
ou  le  Diara,  c'est-à-dire  dans  le  pays  de  Dia,  et  firent 
route  ensemble  vers  les  Lieux  saints.  A  leur  retour,  ils 
furent  charmés  parles  propos  de  Salimou  Morifing  Bamba, 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAiMIQUES  I47 

qui  leur  vanta  les  avantages  du  pays  mystérieux  des  Kolas. 
Le  royaume  Mandé  était   alors  dévasté  par  la  guerre,  et 
l'insécurité  la  plus  profonde  y  régnait.  Les  Bamba,  ancêtres 
des  Sia  actuels,  avaient  eux-mêmes  déjà  dû  quitter  le  pays. 
Ils    décidèrent    les    autres  à   les    imiter.    Sans    doute,  les 
musulmans  ne  partirent  pas  seuls.  Il  est  probable  que  déjà 
ils  vivaient,  comme  à  présent,   sous   la  souveraineté    tem- 
porelle de  familles  fétichistes,  qu'ils  entraînèrent  avec  eux. 
Sans  doute,  également,  des  familles  animistes,  comme  les 
Diomandé,  avaient  dû  également  s'expatrier  comme  les  Sia 
pour    venir  s'installer  dans   le   futur  Ouorodougou.    Les 
pèlerins   et  leurs  familles,  suivant  un  grand  fleuve  (pro- 
bablement le  Bandama)  arrivèrent  en  pays  Baoulé  (proba- 
blement les  Goli).    La   discorde  se  mit  parmi  eux:   ceux 
de  Tombouctou  et    âe    Dienné   rentrèrent  chez  eux  ;   les 
autres  s'égaillèrent  dans  toutes  les  directions  :  les  Kama- 
raté,   dans    le  Dierré  actuel,   les    Bamba  à  Siélonga,   une 
partie  dissidente  des  Barhayorho  à  Koro,  les    Dandigué   à 
Sambatiguila.  Les  Karamorho  à  Faranisso,  entre  Siana  et 
Marala.   Les  Gouaré  à   Diarha  (Yorouiflé)  ;  les  Kamara  à 
Faraba;  les  Fofana,  un  peu  partout,  mais  principalement, 
avec  une  portion    des   Karamorho,   entre  Mandono  et  le 
Sarhala  actuel,  en  un  point  que  l'on  montre  encore,  et  que 
l'on  nomme  «  Béadiénia»  (Tout  est  loin).  Quelques  années 
s'écoulèrent,    mais   une    guerre   entre    les     marabouts    de 
Boron,  et  ceux  de  Béadiénia,  auxquels  s'étaient  joints  leurs 
fétichistes  respectifs,  amena  la  destruction  de  Béadiéna  et 
la  dispersion  de  ses  habitants.  Il  s'écoula,  d'après  le  Tarikh 
précité,    une  période  de  3oo  ans   entre  la  destruction  de 
Béadiénia  et    la    construction   du   Mankono    actuel,   et  il 
s'écoula   une  période   de    120    ans  entre  la    fondation   de 
Mankono  et  notre  installation.  Ce  qui  mettrait  l'invasion 
Mandé  et,  par  suite,  l'arrivée  des  musulmans  dans  le  Ouoro- 
dougou, à  environ  460  ans,  c'est-à-dire  qu'elle  semble  avoir 
eu  vraisemblablement    lieu   vers  le  milieu   du  quinzième 


•148  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

siècle.  C'est  assez  vraisemblable,  si  l'on,  s'en  rapporte  au 
«Tarikh  es-Soudan  ». 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  quelles  que  soient  les  sources 
où  l'on  se  documente,  aussi  bien  dans  les  Tarikh  musul- 
mans que  par  les  légendes  des  fétichistes,  l'islamisation  de 
certaines  familles  était  un  fait  accompli  lors  de  leur 
.migration  dans  ce  pays.  Comment  furent-elles  islamisées 
dans  leur  pays  d'origine,  aucun  document,  aucune  légende 
ne  l'a  conservé  ;  mais  la  chose  pourrait  peut-être  être  éclaircie 
par  des  recherches  en  pays  mandé,  dont  la  plupart  des 
familles  musulmanes  et  fétichistes  proviennent.  Il  est  pro- 
bable, sinon  certain,  que  l'exode  de  nos  dioula  est  dû  à  des 
causes  politiques  et  non  à  Tune  de  ces  vagues  d'expansion 
religieuse,  comme  en  connurent  toutes  les  sociétés  musul- 
manes. C'est  probablement  la  guerre,  et  les  misères  qu'elle 
^entraîne,  peut-être  la  surpopulation,  peut-être  la  perspec- 
tive d'un  mieux-être  dans  cet  Eldorado  soudanais  que  fut 
le  Ouorodougou,  peut-être  tout  cela  ensemble,  qui  furent 
cause  de  cet  exode. 

Unies  à  leur  venue  ici,  les  familles  musulmanes  et  féti- 
chistes le  restèrent  par  la  suite.  Ce  n'est  pas  que  des  guerres 
intestines  nombreuses  n'aient  point  dévasté  ce  pays;-  mais 
elles  ne  furent  jamais  entre  musulmans  et  animistes;  des 
-groupements  mixtes  s'opposèrent  à  des  groupements 
mixtes;  souvent  des  groupements  musulmans  combattirent 
avec  l'aide  des  fétichistes,  des  groupements  musulmans 
également  aidés  par  des  «  Kafir  »,  maisjamais,  semble-t-il, 
il  n'y  eut  de  guerre  religieuse,  de  propagande  armée  des 
sectateurs  du  Prophète  contre  les  incroyants,  jamais  même, 
semble-t-il,  il  n'y  eut,  jusqu'aux  Touré  et  àSamory,  d'anta- 
-gonisme  entre  eux. 


Les    populations    musulmanes  n'occupent  pas  dans   le 
Ouorodougou  un  territoire  bien  déterminé.  A  part  de  rares 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  14g- 

exceptions,  comme  les  villages  de  Madji,  Gomanasso, 
Djidiguibala,  il  n'existe  pas  à  proprement  parler  de  villages 
entièrement  islamisés.  Le  plus  souvent  les  familles  musul- 
manes n'occupent  que  certains  quartiers  de  gros  villages- 
les  familles,  que  l'on  trouve  dans  les  villages  moyens 
et  petits,  n'étant  le  plus  souvent,  que  des  rameaux 
détachés  des  familles  installées  dans  les  grosses  agglomé- 
rations. 

Il  convient  d'ajouter  que  les  musulmans  appartiennent 
tous  à  un  petit  nombre  de  familles  de  «  diamou  »  (nom 
patronymique)  bieii  déterminé,  en  d'autres  termes,  qu'on 
ne  trouve  jamais,  ou  presque  jamais,  de  musulmans  dans 
les  familles  généralisées  de  diamou  fétichiste  (dit  «  Ton- 
tigui  »).  C'est  ainsi  que  les  diamou  musulmans  sont,  par 
ordre  d'importance  ; 

Les  Fofana,  à  Mankono,  Tonhoulé,  Oussoukra,  Aoué- 
togo,  Kani,  Mena,  Djiguibala  Gomanasso,  Kato,  etc.. 

Les  Karamorho  (branche  dérivée  des  Fofana),  à  Man- 
kono, Tonhoulé,  Oussoukra,  Gouaran-massala,  Gouétego^ 
etc.). 

Les  Cissé^  à  Mankono,  Tonhoulé,  Oussoukra,  Goma- 
nasso, Boron,  Sarhala,  Madji,  Djiguibala,  Bohouo,  Babien  , 
Gouétogo,  Guiborosso,  Madina,  etc.. 

Les  Barhayorho,  à  Séguéla,  Gouaran,  Mena,  Barhayo- 
rho,  Toté,  etc.. 

Les  Méié,  à  Kani,  Samoghoso,  Sifié,  Téguéla,  ces  derniers 
étant  en  partie  devenus  fétichistes. 

Les  Xawiar/za/é, à  Tiénigbé,Bouandougou  et  Samaghoso^ 
etc.. 

Les  Touré,  à  Kani,  Kato,  Kangaran,  Madji,  Lesouenso^ 
Boron,  etc.. . 

Les  Sérifou,  à  Kato,  Kangaran,  Kani,  Guémanso,  Man- 
kono Boron,   etc.. 

Les  Seyorho  (diamou  équivalent  à  celui  de  Barhayorho), 
à  Toumono,  Babadougou,  etc.. 


l50  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE   d'iVOIÎIE 

Les  Sogholocho  (équivalent  à  Cissé),  à  Morondo. 

Les  Binante,  à  Séguéla,  et  dans    le  canton  du  Gouaran, 

Les  Timité/sL  Ségaéla,  Marhandala  et  Sarhala. 

Les  Souaré,  à  Guémanso,  Boron,  Kani  et  Sarhala. 

Les  Sarhandorho,  à  Bohouo  et  Madji. 

Les  Silla,  à  Siana. 

Les  Samarhasi  (équivalent  à  Souaré),  à  Guémansso  et 
Kani. 

Les  Drame  à  Kognimarhan. 

Les  Bamba  chez  les  Sia,  à  Toula  et  Kouroukourounga, 
à  Kani  et  Sarhala  (une  partie  des  Bamba  de  Kani  et  de 
Sarhala  est  devenue  fétichiste). 

Les  Karaboué  à  Tonhoulé,  Dantougou,  Kouroukou- 
rounga; la  plus  grosse  partie  de  cette  famille  est  devenue 
fétichiste  ; 

Les  Kanaté  à  Bouandougou,  Djoalla,  Sarhala  (une 
grosse  partie  de  cette  famille  est  devenue  fétichiste). 

On  remarquera  que  parmi  ces  familles,  de  diamou 
musulman,  5  parmi  les  plus  importantes,  les  Mété,  les 
Bamba,  les  Karaboué,  les  Silla  et  les  Kanaté  ont,  en  partie, 
abandonné  l'islam.  Il  convient  d'ajouter  à  ces  familles,  la 
famille  des  Taraoré,  autrefois  entièrement  musulmane, 
qui  tout  entière  a  abandonné  la  foi  coranique  (mis  à  part 
les  Taraoré  de  Boron,  d'ailleurs  d'origine  non  dioula,  qui, 
seuls  de  cette  famille,  ont  conservé  leurs  croyances  isla- 
miques). 

Bien  plus,  des  familles  peul  d'origine  musulmane  et  de 
diamou  «  Dialo  »  et  «  Sidibé  »  sont  devenues  dans  le  Ouoro- 
dougou,  entièrement  fétichistes,  et  ont  «enterré  le  Coran», 
suivant  l'expression  dioula. 

L'on  voit  donc,  à  ce  seul  examen  des  familles  dioula,  ins- 
tallées dans  ce  pays,  que  l'islam  loin  d'avoir  fait  des 
adeptes  parmi  les  familles  fétichistes,  en  a  plutôt  perdu  à 
leur  contact.  En  revanche,  on  cite  comme  une  anomalie 
parmi  les  familles  de  diamou  fétichiste,  un  petit  groupe  de 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  l5l 

la  famille  fétichiste  Soumahoro,  installée  en  Gouaran,  et 
celui  des  Doho,  musulmans  du  Madji.  Les  conversions  à 
l'islam  sont  extrêmement  rares. 

En  résumé,  il  n'y  a  plus,  sauf  8  villages,  que  nous 
verrons  plus  loin,  de  régions  d'islamisation  totale  dans  le 
Ouorodougou.  Il  n'y  a  point  de  cantons,  même  de  vil- 
lages, sauf  les  exceptions  précitées,  qui  soient  entièrement 
musulmans;  ces  derniers,  vivant  toujours  à  l'écart  des  fé- 
tichistes qu'ils  méprisent  généralement,  représentent  tou- 
jours et  partout  une  faible  minorité,  et  Ton  peut  dire  qu'ici 
la  non-islamisation  est  la  règle. 

Il  a  été  dit  plus  haut  que  quelques  familles  (Karaboué, 
Bamba,  Mété,  Silla,  et  Kamaté  partiellement  ;  Taraoré  tota- 
lement), arrivées  dans  le  pays  sous  l'égide  du  Coran,  avaient, 
soit  en  totalité,  soit  en  partie,  abandonné  leur  foi.  Il  s'agit 
de  bien  s'entendre  à  ce  sujet;  si  une  branche  de  ces  familles 
a  conservé  la  foi  islamique,  l'autre  ne  [l'a  point  mitigée, 
comme  on  pourrait  le  croire,  de  superstitions  animistes. 
Sous  l'influence  du  climat  sans  doute  et  de  l'exemple 
donné  par  les  animistes,  elle  a  purement  et  simplement 
«  enterré  le  Coran  »,  telle  est  l'expression  significative 
dioula,  c'est-à-dire  qu'elle  s'est  affranchie  de  toutes  les 
obligations  de  la  loi  du  «  Livre  »  et  qu'elle  est  devenue 
résolument  et  sans  esprit  de  retour  fétichiste.  C'est  le  cas, 
à  Séguéla,  des  gens  de  diamou  Cissé;  les  exemples  ne 
manquent  pas  en  d'autres  villages.  Et  chose  curieuse,  qui 
montre  bien  ce  caractère  tolérant  de  la  race,  et  l'absence  de 
fanatisine  de  l'islam  d'ici,  les  branches  d'une  même  famille, 
de  foi  différente,  cohabitent  souvent  dans  le  mêm.e  village, 
tout  en  vivant  toujours  en  bonne  intelligence  (Sifié,  Siana, 
Sarhala,  Kam)  ;  la  prépondérance  politique  appartenant 
toujours,  dans  ces  villages,  comme  partout  ailleurs,  à 
l'élément  animiste. 

L'islam  s'est  donc  montré  ici  singulièrement  exempt  de 
l'esprit  de  prosélytisme  qu'il   ne  manifeste  d'ailleurs  que 


l52  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

faiblement  en  pays  noir.  Il  s'est  même,  la  chose  est  rare  et 
mérite  d'être  signalée,  amolli  et  laissé  entamer.  De  prosé- 
lytisme aucun  ;  bien  pis,  une  propagande  en  sens  inverse 
s'exerce  à  l'égard  des  animistes  qui,  ne  se  contentant  pas 
de  faire  quelques  vagues  «  Salam  »,  veulent  pousser  plus 
loin  la  connaissance  de  Dieu  et  se  font  remarquer  par  la 
rigidité  des  principes  nouvellement  acquis. 

C'est  ainsi,  raconte  Ripert,  et  le  cas  est  typique,  qu'un 
chef  de  village  Diomandé,  de  famille  par  conséquent  féti- 
chiste et  intelligent,  a  été  vu  rechercher  la  société  des  mu- 
sulmans, ce  qui  est  rare,  et  se  faire  initier  à  la  prière  et 
même  aux  rudiments  de  lecture  du  Coran.  Sa  foi  de  néo- 
phyte, la  rigidité  de  sa  vie,  la  ponctualité  de  ses  actes  reli- 
gieux excitèrent  bientôt  l'attention,  d'abord,  l'inquiétude 
ensuite,  des  musulmans  de  race.  «  Ce  nouveau  converti 
allait-il  par  sa  conduite  édifiante  devenir  dangereux  pour 
eux,  en  les  menaçant  d'une  concurrence  spirituelle,  dou- 
blée naturellement  d'une  concurrence  matérielle?  »  Bien 
vite,  on  avisa  aux  moyens  à  prendre  pour  l'en  empêcher. 
Une  épizootie  de  péripneumonie  ayant  éclaté  sur  le  chep- 
tel et  de  nombreux  cas  de  dysenterie  ayant  fait  plusieurs 
décès  dans  la  population  du  village,  les  marabouts  firent 
venir  notre  homme  :  «  Ne  t'étonne  donc  pas,  lui  dirent- 
ils,  de  voir  le  village  soumis  à  la  colère  d'Allah.  Il  a  bien 
fait  les  choses  et  les  a  mises  chacune  à  leur  vraie  place. 
Tu  as  transgressé  ses  ordres,  et  tu  as  abandonné  la  foi  de 
tes  pères  à  qui  manifestement  Dieu  avait  ordonné  de  boire 
du  vin  de  palme,  de  manger  des  viandes  non  sacrifiées  en 
son  saint  nom,  de  vivre  dans  une  douce  béatitude  en 
n'adorant  que  des  cailloux,  des  montagnes  et  des  arbres. 
Ne  t'étonne  pas  que  tes  aïeux,  et  Dieu  lui-même,  se  ven- 
gent sur  ton  village.  Voilà  ce  que  Dieu  nous  a  révélé.  » 

Le  soir  même,  à  l'heure  de  la  prière  du  xMaghreb,  le 
pauvre  chef  était  ivre-mort  dans  une  rue  du  village. 

11  convient  d'ajouter  que   les   individus,  appartenant  à 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  j53 

des  familles  non  musulmanes,  sont  extrêmement  rares,  qui 
font  «  salam  ».  On  n'en  peut  guère  citer  que  deux  ou  trois 
dans  le  cercle,  et  encore  leur  foi  n'est-elle  pas  bien  profonde. 
Un  dernier  fait  démontrera  la  tolérance  exceptionnelle 
de  l'islam  ;  les  captifs  de  race  animiste  n'étaient  jamais  as- 
treints chez  les  musulmans  à  embrasser  la  foi  du  Prophète. 
Bien  plus,  les  patrons  toléraient  difficilement  les  conver- 
sions, craignant  d'avoir  les  coudées  moins  franches  à  l'égard 
d'un  captif  passé  à  leur  foi,  qu'à  l'égard  d'un  captif  Bam- 
bara.  Ici  donc  l'intérêt  primait  la  religion.  C'est  souvent  le 
cas  chez  les  musulmans  noirs...,  et  chez  les  autres. 

La  population  musulmane  est  beaucoup  plus  dense  au 
Sud  qu'au  Nord,  dans  la  région  de  Séguéla.  A  part  les 
centres  importants  de  Kani  et  de  Madji,  les  plus  grosses 
agglomérations  musulmanes  sont  au  sud  de  la  route  (Mas- 
sala  Niéna)  ou  sur  cette  route  (Siéna,  Séguéla,  Sifié,  Man- 
kono,  Bonondougou,  Marabadiassa).  Il  semble  que  les 
marabouts  venant  du  Nord  aient  été  surtout  attirés  par 
l'appât  des  kolas  (Ouoro)  et  se  soient  pressés  dans  la  région 
du  Ouorodougou  proprement  dit.  C'est  ce  qui  expliquerait 
que  l'on  trouve  des  représentants  des  familles  musul- 
manes chez  les  Lo  (Ténéfero,  Bogologofi,  Mangourougou, 
Danaèye,  Samba,  etc.). 

b)  Séguéla.  —  On  ne  trouve  que  fort  peu  de  musul- 
mans dans  les  trois  cantons  de  Karaniandougou  (sauf 
Madji),  de  Ngalakadougou  et  de  Kéiérola. 

Madji  est  entièrement  musulman  et  peuplé  des  familles 
Cissé,  Touré,  Fofana,  Sarhandogo  et  Dosso.  Elles  sont 
toutes  sur  le  même  pied  social,  sauf  peut-être  celle  des 
Touré,  qui  bénéficie  d'une  considération  un  peu  supérieure 
par  suite  du  souvenir  de  Samory. 

L'almamy  est  Fasri  Cissé,  né  vers  1860,  Mandé-Dioula. 
Sa  famille  est  originaire  de  Samatiguila.  Son  père,    Vas- 


l54  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'i VOIRE 

sanda  Cissé,  vint  le  premier  ici,  s'y  acquit  une  grande 
renommée  de  piété  et  fut  élu  almamy  du  village.  Il  mou- 
rut vers  1890,  laissant  sa  succession  spirituelle  à  son  fils. 
Les  invasions  de  Samory  contraignirent  la  plupart  des  gens 
à  se  réfugiera  Samatiguila,etFasri  avec  eux.  A  leur  retour, 
en  1898,  le  marabout  et  le  chef  de  village,  Mori  Cissé, 
furent  les  principaux  artisans  de  la  reconstitution  du 
centre.  Fasri  a  une  bonne  instruction  arabe;  il  fait  l'école 
coranique  à  une  dizaine  d'enfants.  Son  influence  est 
limitée  au  seul  village,  car  les  environs  sont  fétichistes.  Il 
a  été  affilié  au  tidianisme  par  son  maître  Wassara  Diabi, 
de  Samatiguila.  C'est  un  homme  intelligent  et  timide,  qui 
jouit  d'un  grand  renom  d'honnêteté.  Il  est  tout  à  fait  sym- 
pathique. 

A  signaler  encore,  à  Aladji,  un  marabout  étranger  :  Sa- 
ranorho  de  Faraninka  (Korhogo),  qui  a  reçu  le  turban  à 
Kong  et  profite  de  cette  auréole  pour  se  faire  donner  des 
cadeaux  par  les  fidèles  locaux. 

Le  canton  de  Nafana  ne  contient  pas  de  musulmans, 
sauf  à  Dyoalla,  qui  est  en  voie  de  réformation.  La  famille 
dominante  y  est  les  Konaté,  surtout  fétichistes,  mais  dont 
quelques-uns  sont  musulmans. 

Dans  le  Sud,  les  cantons  de  Béréni,  Tiéma  et  Kangui  ne 
renferment  pas  de  musulmans. 

En  revanche,  le  canton  fétichiste  de  Faniénigli  contient 
deux  centres  musulmans  importants  :  Kani  et  Katogba. 

Kani  est  un  nœud  de  routes  important  au  croisement 
des  voies  commerciales,  qui  de  Sikasso  par  Tombougou  et 
de  Bougouni  par  Odienné  descendent  vers  le  sud,  et  de  Sé- 
guéla  et  de  Mankono  remontent  vers  le  nord.  Il  n'est  donc 
pas  étonnant  d'y  trouver  des  Dioula  musulmans  de  toute 
origine  mandé.  Kani  est  peuplé  des  familles  musulmanes 
Mété,  Touré,  Sérifou,  Souaré,  Samarkassi  et  Fofana.  On  y 
trouve  une  branche  des  Mété  devenue  animiste.  L'almamy 
et  maître  d'école  est  Baba  Sérifou,  né  vers  1870.  Ces  Séri- 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  l55 

fou  de  rOuorodougou  jouissent  d'une  certaine  considéra- 
tion. Cette  famille  prétend  descendre  de  Choga  de  Tom- 
bouctou,  ce  qui  lui  assure  l'auréole  sainle  que,  dans  les 
pays  d'islam  noir  surtout,  on  accorde  aux  descendants  du 
Prophète.  Baba  a  fait  de  bonnes  études  à  Mankono,  chez 
Saidi  Karamorho,  qui  l'a  affilié  au  qadérisme,  et  à  Boron. 
Il  accueillit  très  bien  Samory  et  fut  un  des  agents  les  plus 
actifs  de  sa  venue  dansle  Ouorodougou.  Il  était  fort  intime 
avec  Saranké  Mory  qu'il  accompagnait  partout.  Vers  la  fin 
de  l'aventure,  il  passa  à  notre  service  et  devint  un  de  nos 
bons  agents.  Jadis  riche  et  influent,  il  jouissait  d'une  très 
grande  considération.  La  libération  des  captifs  Ta  ruiné  et  il 
ne  s'est  jamais  relevé.  Il  s'est  endetté  à  partir  de  cette  date 
et  de  ce  jour  harcelé  et  mortifié  par  ses  créanciers,  a  perdu 
toute  vénération  et  presque  tous  ses  élèves.  Il  en  a  une 
dizaine,  qui  viennent  de  Kani,  de  Fortotou  et  de  Soba.  Il 
a  conservé  d'excellentes  relations  avec  les  marabouts  de 
Boron,  chez  qui  il  a  vécu  deux  ans. 

Trois  autres  petites  écoles  coraniques  fleurissent  à  Kani  ; 
celle  de  Falikou  Koné,  Alorhadiembo  Méité,  et  Gouan- 
mourou  Meité,  tous  trois  qadrïa,  et  dont  la  clientèle  scolaire 
varie  entre  6  et  12  élèves. 

Le  village  de  Katogba,  dans  le  même  canton,  n'a  qu'une 
famille  musulmane  :  les  Karaboué. 

Le  canton  du  Ouattaradougou  est  en  grande  majorité  fé- 
tichiste ;  on  n'y  trouve  que  deux  villages  islamisés,  et  en 
partie  seulement:   Kato  et  Kangaran. 

Kato  est  un  village  important  de  la  route  d'Odienné 
àSéguéla.  Il  est  peuplé  de  familles  musulmanes,  de  diamou 
Touré,  Sirifou,  Karaboué  et  Fofana  et  d'un  important  élé- 
ment fétichiste,  les  Dosso.  Trois  maraboutaillons,  dont  les 
écoles  comprennent  de  5  à  8  élèves,  méritent  une  mention; 
deux  portent  le  nom  de  Ladji  Fofana,  et  l'autre  celui  de  Mor- 
ho  Vanli  Salifou,  tous  trois  élèves  des  cheikhs  de  Mankono. 


l56  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE   d'iVOIRE 

Kangaran  est  peuplé  de  musulmans  Touré,  Sérifou  et 
Karaboué  et  d'animistes  Ouattara  (Dosso).  Un  petit  ma- 
rabout, Va  Ladji  Salifou,  qadri  de  la  zaouïa  de  Mankono, 
y  fait  l'école  coranique  à  3  ou  4  enfants. 

Dans  le  canton  de  Bébala,  c'est  à  la  capitale,  Séguéla, 
que  sont  concentrés  les  musulmans,  où  ils  sont  à  égalité 
avec  les  fétichistes.  Les  familles  musulmanes  sont  les  Ba- 
rhayorho,  les  Binante  et  les  Timité.  Les  fétichistes  sont 
les  Diomandé  et  les  Soumahoro.  La  personnalité  la  plus 
remarquable  de  Séguéla  est  Vanzoumana  Barhayorho, 
Mandé-Dioula,  né  vers  1870.  Son  père  Ahmadou  était  assez 
connu  dans  toute  la  Cote  d'Ivoire  soudanaise.  Il  est  décédé 
en  1900  et  c'est  Vanzoumana  qui  lui  a  succédé  comme 
patriarche  des  Barhayorho.  Il  fut  dans  sa  jeunesse  un  par- 
tisan de  Samory,  bien  qu'habitant  Koumana,  dont  les  ha- 
bitants chassèrent  l'almamy.  Au  retour  de  ce  dernier  de 
Boribana,  il  se  déclara  contre  lui  et  fit  bon  accueil  à  nos 
détachements.  Il  nous  rendit  quelques  services,  notamment 
dans  le  pays  Lo,  où  il  jouissait  d'une  certaine  influence  et 
la  mit  tout  entière  à  notre  disposition.  La  libération  des 
captifs,  la  terrible  épizootie  bovine  de  191 1  ont  porté  un 
coup  sensible  à  sa  fortune.  Vanzoumana  eut  une  excellente 
réputation  dans  tous  le  Bebala,  où  il  est  très  connu,  et 
même  dans  les  environs  immédiats  de  ce  canton.  C'est  un 
homme  honnête  et  sérieux,  d'un  tempérament  très  réservé, 
peu  bavard  et  qui  s'est  toujours  tenu  à  l'écart  tant  des  Eu- 
ropéens que  de  sa  famille.  Il  paraît  verser  dans  le  mara- 
boutisme  ;  son  école  coranique  augmente  annuellement  et 
atteint  maintenant  de  chifl're  de  21  élèves.  Il  achète  des 
livres,  en  recopie  et  se  perfectionne  en  arabe,  où  il  est 
d'ailleurs  assez  érudit.  Il  a  été  affilié  au  tidianisme  par 
Khalilou  Sorhologo,  cheikh  de  Kong.  Depuis  1914,  il  est 
juge  au  tribunal  de  subdivision,  mais  les  fonctions  politi- 
ques ou  judiciaires  ne  le  tententpas,  dit-il,  et  il  envie  celles 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITÉS    ISLAMIQUES  \bj 

d'almamy.  Il  a  une  fort  jolie  bibliothèque  d'une  centaine 
d'ouvrages  se  rapportant  tous  à  la  science  sacrée. 

L'almamy  de  Séguéla  est  Baba  Sarhoyorho,  né  vers  i865, 
et  occupant  cette  place  depuis  la  mort  de  son  frère  Oussou- 
mana.  Au  temps  de  Samory,  il  s'enfuit  à  Koumana,  où  il 
avait  des  captifs  et  ne  revint  à  Séguéla  qu'après  notre  occu- 
pation. On  voulait  à  cette  date  l'utiliser  dans  le  Koumana, 
où  il  n'était  pas  sans  influence;  ce  fut  en  vain.  Baba, 
malgré  son  ,âge  et  son  titre,  n'est  pas  sérieux  ;  il  ne  jouit 
d'aucune  considération;  sa  réputation  est  même  fortemient 
entachée  depuis  qu'on  l'a  surpris  en  flagrant  délit  d'adul- 
tère avec  la  femme  de  son  iils.  Il  fait* l'école  coranique  à 
ses  fils  et  neveux  ;  il  n'a  d'ailleurs  qu'une  instruction  arabe 
des  plus  sommaires.  Il  se  rattache  au  tidianisme  de  feu 
Séko  Karamoko,  de  Mankono. 

Un  dernier  Sarhoyorho  mérite  une  mention  :  Vassiafa, 
fils  de  Vassatié  et  cousin  de  Vassia  Soumana  précité,  sur 
les  traces  de  qui  il  marche  d'ailleurs.  Il  est  né  à  Séguéla, 
vers  i865,  et  n'en  n'est  sorti  qu'en  1892-94,  alors  que 
Saranké-Mori,  fils  de  Samory,  régnait  à  Séguéla.  Il  se 
réfugia  chez  les  Lo  et  y  a  conservé  après  son  retour 
d'excellentes  relations,  car  c'est  en  partie  à  ses  bons  offices 
qu'on  doit  la  soumission  du  chef  du  Koumana.  Vassiafa 
paraît  honnête,  un  peu  distant.  Il  a  perdu  à  peu  près  toute 
sa  fortune  avec  la  libération  des  captifs  et  l'épizootie  bovine 
de  191 1.  Vassiafa  n'a  qu'une  petite  instruction  arabe;  jadis 
il  la  distribuait  dans  une  école  coranique  d'une  dizaine 
d'élèves  :  il  l'a  fermée  depuis  plusieurs  années  ;  il  se 
rattache  au  tidianisme  par  son  père  Amadou  Barhoyorho, 
et  par  feu  Diamiatigué  Taraoré,  de  Mankono. 

Les  Binante  de  Séguéla  sont  représentés  par  un  marabout 
notoire,  Ladji,  qui  malgré  son  nom  n'a  pas  fait  le  pèleri- 
nage. Son  père  Amadou  Binante  était  un  cheikh  très 
connu  du  Bébala,  plus  notoire  d'ailleurs  comme  chef  de 
guerre  que  comme    marabout.  C'est  lui  qui  provoqua  la 


l58  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

venue  de  Samory  dans  le  Séguélà  ;  il  fut  ainsi  la  cause 
indirecte  de  tous  les  malheurs  de  ce  canton,  de  notre  occu- 
pation réparatrice  et  de  la  mort  du  capitaine  Ménard.  Il 
mourut  vers  1894.  Son  fils  Ladji  était  né  vers  iSyS;  il 
semble  avoir  bataillé  sous  les  ordres  de  son  père,  lors  des 
guerres  de  Séguéla  contre  les  gens  de  Massala  et  de  Man- 
kono.  Notre  arrivée  dans  le  pays  ne  lui  permit  pas  de 
jouer  le  rôle  important  auquel  il  était  destiné.  Très  orgueil- 
leux, il  resta  longtemps  à  l'écart  du  poste,  sans  avoir  tou- 
tefoisde  difficultés  avec  l'Administration  ;  ilfait  aujourd'hui 
l'école  à  temps  perdu  à  la  demi-douzaine  d'enfants  de  sa 
famille.  La  libération  des  captifs  et  l'épizootie  bovine  de 
191 1  l'ont  quasi  ruiné,  mais  il  trouve  des  ressources  suffi- 
santes dans  le  commerce  local  autour  de  Séguéla.  Ladji  est 
un  homme  très  intelligent,  très  instruit,  de  relations 
agréables,  mais  il  est  extrêmement  orgueilleux,  ce  qui  lui 
a  valu  des  inimitiés  un  peu  partout,  il  a  conservé  quelques 
relations  dans  le  Tiéma.  Il  a  été  affilié  au  qadérisme  par 
Youssoufou  Karamorho  de  Massala. 

Le  canton  fétichiste  du  Assoulou  ne  renferme  qu'un 
village,  Siana,  où  l'on  trouve  des  musulmans,  en  quantité 
inférieure,  d'ailleurs,  aux  fétichistes.  Ce  sont  des  Silla,  dont 
une  branche  s'est  séparée  de  l'islam.  Le  marabout  en  vue 
est  Vazoumana  Silla,  qui  fait  l'école  à  7  ou  8  élèves.  Il  est 
tidiani  de  la  zaouïa  de  Mankono. 

Le  canton  du  Béma  est  partagé  entre  musulmans  et  féti- 
chistes (famille  Mété),  en  proportions  à  peu  près  équiva- 
lentes. Le  chef-lieu,  Sifié,  ne  renferme  aucune  personnalité 
notoire. 

Le  Kounounigbi  n'a  qu'un  village  musulman,  Kohiman, 
mais  là,  les  fils  du  Prophète  forment  la  majorité.  Le  mara- 
bout du  village  est  Amadou  Daramé,  petit  maître  d'une 
école  de  10  élèves. 

Le  Diokala  est  également  fétichiste,  mais  au  village  de 
Massala,    musulmans  (Karamorho)  et  animistes  (Taraoré) 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  iSg 

se  font  tête.  Le  marabout  notoire  est  Vakoulayé  Kara- 
morho,  dont  l'école  ne  dépasse  guère  une  demi-douzaine 
d'enfants  et  dont  l'influence  est  circonscrite  aux  limites 
du  village. 

Le  Gouaran  n'est  pas  très  islamisé  en  soi  ;  mais  il  ren- 
ferme une  grande  quantité  de  dioula  de  passage,  partant 
beaucoup  de  musulmans  d'occasion.  A  Gouaran,  Massala 
les  musulmans  sont  les  Karamorho  et  les  Karaboué.  Les 
animistes  sont  les  Koné;  à  Souétogo,  les  musulmans  sont 
les  Karamorho,  les  Fofana  et  les  Bamba  ;  les  animistes, 
les  Dosso  et  les  Koné. 

c)  Avec  leKoyaradougou  nous  sortons  de  la  subdivision  de 
Séguéla  pour  entrer  dans  celle  de  Mankono.  Ce  canton  est 
fétichiste,  sauf  les  deux  centrées  très  importants  d'islam  de 
Mankonono  et  de  Tonhoulé. 

Mankono  comprend  une  majorité  de  musulmans  où 
dominent  les  Cissé,  les  Bamba  et  les  Sérifou,  mais  surtout 
les  Barhayorho  et  les  Fofana.  Les  Fofana  sont  la  famille 
la  plus  nombreuse  et  la  plus  turbulente  du  Ouorodogou  qui 
a  été  islamisé  par  les  Barhayorho,  il  y  a  un  siècle;  ils  se  sont 
détachés  avec  le  temps  de  cette  obédience  et  notamment  de 
leur  maître  Yousoufou  Barhayorho,  de  Séguéla,  qui 
les  a  dirigés  spirituellement  au  cours  du  dix-neuvième 
siècle. 

L'almamy  de  Mankono  est  Gbouaké  ou  Bokéri  Fofana, 
Mandé-Dioula,  né  vers  i856.  Son  père  Ahmadou  Fofana, 
ancien  almamy,  a  laissé  une  renommée  considérable  dans 
toute  la  région.  11  avait  remplacé  Ahmadou  Karamorho 
dans  cette  charge  d'almamy  de  Mankono  et  avec  lui  s'est 
établie  la  tradition  qu'elle  ne  devait  pas  sortir  de  la  famille 
Fofana.  Ahmadou  mourut  vers  iSyS,  un  de  ses  frères  ou 
cousins,  Mfalli  Tiérékoni,  né  vers  1825,  lui  succéda  et  se  fît 
aussi  une  grande  réputation  de  sagesse  et  de  science. 
Ahmadou   laissait  deux  fils:  Vakouali  et  Bokéri.  Vakouali 


l60  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

joua  un  rôle  avec  Samory  que,  comme  tous  les  musulmans, 
il  accueillit  avec  joie.  Il  mourut  en  1898,  laissant  la  place 
d'almany  à  son  frère,  Bokéri  qui,  à  celte  même  date,  deve- 
nait aveugle.  Bokéri,  alors  très  influent,  nous  aida  beau- 
coupàramenerlecalme  dans  la  région.  Aujourd'hui  sa  cécité 
l'a  rejetécomplètement  à  l'écart  ;  il  se  confine  dans  sa  charge 
d'almamy  et  dans  son  enseignement  coranique  (i5  à 
20  élèves),  et,  si  l'on  a  toujours  pour  lui  une  grande  véné- 
ration, on  ne  l'écoute  plus  guère.  Son  nom  est  connu  dans 
toute  la  Haute  Côte  d'Ivoire.  C'est  au  demeurant  un  vieil- 
lard très  sympathique  et  intelligent,  qui  se  replie  peu  à 
peu  sur  lui-même  et  se  fait  suppléer  par  son  fils  Vanzou- 
mana.  Il  est  le  disciple  qadri  de  son  père  et  l'élève  coranique 
de  Lassana  Karamorho  d'Oussoukra.  Il  a  une  jolie  biblio- 
thèque de  120  à  i3o  ouvrages  arabes. 

Un  autre  Fofana,  également  fort  intelligent,  instruit  et 
estimé,  est  Vanli  Oulé  Fofana,  né  vers  1860,  à  Mankono, 
et  élève  de  Saïdi  Karamorho.  Son  père  Moussa  Fofana,  très 
connu  dans  la  région  de  Kong,  mourut  vers  1870.  Son 
frère  aîné,  Béma  Oulé,  représentant  la  famille,  Vanli 
n'avait  aucun  rôle  à  jouer;  il  se  livra  donc  au  commerce, 
restant  souvent  et  longtemps  absent  de  Mankono,  visitant 
tous  les  marchés  du  Sud,  trafiquant  avec  une  habileté  qui 
lui  a  acquis  une  grosse  fortune.  Il  lui  arriva  en  1901,  une 
histoire  désagréable.  Il  fut  nettement  accusé  d'avoir  entre- 
tenu des  relations  hostiles  à  notre  cause  avec  les  popu- 
lations rebelles  de  Diorolé,  de  Dantougou  et  du  Koumana, 
du  sud  de  Séguéla-Mankono,  et  d'avoir  averti  les  habitants 
de  ces  villages  de  nos  projets  à  leur  égard  et  des  mouve- 
ments offensifs  dirigés  contre  eux.  Il  fut  alors  envoyé  en 
résidence  obligatoire  à  Dabakala.  Deux  ans  plus  tard,  sur 
la  sollicitation  de  ses  coreligionnaires,  on  lui  fît  grâce 
sous  le  prétexte  assez  amusant  qu'il  n'avait  pas  agi  par 
hostilité  personnelle  à  notre  égard,  mais  pour  sauvegarder 
les  intérêts  de  son  commerce.  Le  chef  du  Koyaradougou 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  l6l 

consulté  avait  simplement  répondu  :  «  L'homme  n'a  pas 
deux  tètes  ;  il  n'en  n'a  qu'une  et  tient  à  la  conserver.  Falli 
a  juré  sur  le  Coran  de  servir  la  France,  de  m'obéir,  et 
d'appuyer  mon  autorité  ;  il  n'a  pas  du  faire  cela  à  la 
légère.  » 

Revenu  à  Mankono,  Vanli  a  repris  avec  ardeur  ses  opé- 
rations commerciales.  Aujourd'hui  encore  il  emploie  ses 
huit  femmes  au  trafic  des  kolas. 

En  19 12,  son  frère  Béma  fut  dépossédé  de  ses  fonctions 
de  chef  de  famille  par  suite  de  ses  exactions,  et  fut  remplacé 
par  Vanli.  C'est  donc  lui  qui  dirige  aujourd'hui  les  desti- 
nées de  la  famille.  Il  a  une  très  bonne  instruction  arabe, 
ne  pratique  pas  l'enseignement,  est  assesseur  au  tribunal 
de  subdivision  de  Mankono.  Son  habileté  ne  va  pas  sans 
quelques  intrigues.  En  1914-1915,  il  se  mita  la  tête  d'une 
cabale  de  musulmans  de  Mankono  pour  renverser  le  chef 
du  Koyaradougou  et  mettre  un  des  leurs  à  sa  place.  Cette 
campagne  qui  n'aboutit  pas  causa  quelque  perturbation 
dans  le  canton. 

La  famille  Mandé-Dioula  des  Karamorho  de  Mankono, 
bien  que  ne  fournissant  pas  les  almamy  du  village,  a  tou- 
jours compté  parmi  les  plus  religieuses  du  pays  mandé. 
Elle  est  représentée  par  deux  personnages  de  valeur:  Saidi 
et  Kansana.  Saidi,  dit  Mamadi  Karamorho,  du  nom  de  sa 
mère  Mama,  est  né  vers  1868.  Il  est  le  fils  d'un  très  grand 
marabout  local,  Falikou,  dit  Ahmadou,  mort  à  Kani  vers 
1878.  On  venait  de  tous  les  points  de  la  région,  et  jusque 
de  Kankan,  poursuivre  ses  leçons.  Saidi,  élevé  dans  ce 
milieu,  a  hérité  partiellement  de  cette  infîuence  et  l'a  déve- 
loppée par  ses  propres  moyens.  Il  a  fait  de  très  bonnes 
études,  tant  auprès  des  marabouts  locaux,  que  du  célèbre 
Kafoumba  Kong,  marabout  de  Beyla,  venu  à  Mankono.  11 
fit  un  excellent  accueil  à  Samory,  à  son  premiers  passage, 
et  lui  plut  beaucoup  ;  Samory  voulut  faire  de  lui  son  con- 
seiller et  l'emmener  à  Kong,  mais  Saidi  refusa,  etse  confina 

II 


l62'  ÉTUDES    SUR    LISLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

volontairement  dans  une  attitude  effacée.  Il  reçut  les 
Français  avec  sympathie  et  contribua  puissamment  à 
ramener  le  calme  dans  la  région,  en  faisant  rentrer  la 
famille  Karamorho  qui  s'était  enfuie  du  village.  II  a 
continué  par  la  suite  ces  excellentes  relations  avec  les 
Européens.  On  l'a  souvent  vu  au  poste,  aidant  par  sa  grande 
influence  à  la  solution  des  difficultés  locales,  ou  nous  assis- 
tant dans  la  pénétration  de  la  forêt.  En  igiS,  il  nous 
adressait  la  salutation  suivante  en  arabe  :  «  Oui,  je  salue 
votre  drapeau,  O  Français  1...  Oui,  votre  drapeau  est  notre 
drapeau.  Nous  ne  cessons  pas  de  vivre  à  l'ombre  de  votre 
drapeau.  Nous  vous  aimons,  O  Gouvernement  français. 
Nous  sommes  sous  votre  domination  et  n'en  sortirons 
jamais.  » 

C'est  aujourd'hui  un  personnage  riche,  considéré,  le 
marabout  le  plus  connu  et  probablement  le  plus  influent 
du  Ouorodougou  ;  on  le  représente  comme  le  futur 
almamy.  Intelligent,  très  ouvert,  curieux  de  toutes  choses, 
extrêmement  sympathique,  c'est  vraiment  un  esprit 
remarquablement  doué.  Ses  qualités  se  développent  aussi 
bien  dans  le  domaine  moral,  car  chefs  et  administrés, 
musulmans  et  fétichistes,  ont  recours  souvent  à  lui,  à  ses 
conseils,  à  sa  bourse,  que  dans  le  domaine  matériel:  on 
le  voit  en  effet  dans  les  champs,  dirigeant  lui-même  les 
travaux  de  ses  lougans  et  surveillant  tout  de  près.  Ses  con- 
naissances d'arabe  dépassent  la  moyenne;  il  a  été  affilié  au 
qadérisme  par  son  oncle  Soumaila  Karamorho,  disciple 
du  père  de  Saidi.  Il  en  a  aussi  reçu  le  turban.  Il  est  lui- 
même  moqaddem  qadri  et  a  distribué  l'ouird,  à  la  date  de 
1917,  à  23  talibés,  dont  12  de  Mankono,  3  de  Séguéla, 
4  de  Kanjaran  et  du  Ouattaradougou,  3  de  Kamiéné,  i  de 
Marhandela. 

Son  école  comprend  de  26  à  60  élèves,  qui  viennent  de 
tous  les  points  de  la  subdivision,  mais  surtout  de  Mankono. 
Il' est  généralement  assisté  de  2  ou  3  moniteurs.  Lui-même 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  l63 

fait  parfois  un  petit  cours  de  grammaire  ou  de  théologie 
aux  plus  âgés.  Sa  bibliothèque  est  certainement  la  plus  belle 
de  la  Côte  d'Ivoire.  Elle  dépasse  200  volumes.  Aux  beaux 
jours  de  l'islam,  Saidi  Karamorho  fût  certainement  devenu 
un  grand  homme  soudanais. 

Le  second  Karamorho  notoire  de  Mankono,  Kansana, 
est  beaucoup  plus  effacé.  Il  est  considéré  comme  un  excel- 
lent maître  local  et  donne  l'enseignement  coranique  à  une 
vingtaine  d'enfants.  Il  a  aussi  une  jolie  bibliothèque  : 
5o  volumes  environ.  Comme  son  cousin  Saidi,  il  relève  du 
qadérisme  d'Ahmadou  Karamorho. 

En  somme,  Mankono  semble  actuellement  par  le  nombre 
et  la  valeur  de  ses  personnages,  tenir  le  rôle  de  métropole 
d'islam  de  la  haute  Côte  d'Ivoire;  on  ne  voit  guère  que 
Bondoukou  qui  puisse  lui  tenir  tête.  Ce  sont  ses  marabouts 
qui  donnent  le  ton;  c'est  à  leurs  lumières  qu'on  a  recours 
dans  les  discussions  théologiques,  cultuelles  ou  rituelles; 
ils  indiquent  le  début  et  la  fin  du  jeûne,  le  processus  des 
fêtes,  le  choix  des  lectures,  les  sujets  de  prône  ;  c'est  à  eux 
qu'on  s'adresse  pour  élucider  un  hadith  obscur.  Mankono 
possède  une  élégante  mosquée-cathédrale  (Diamiou)  dans 
le  style  soudanais.  En  voici  les  origines  d'après  Ripert. 
Lorsque  le  village  de  Mankono  fut  construit,  le  nommé 
Ladri  Kassama,  venu  du  Fouta  Djallon,  et  qui  avait  déjà 
désigné  l'emplacement  où  devait  être  bâti  le  village, 
demanda  à  des  gens  de  Mankono,  qui  étaient  allés  le  con- 
sulter à  Koro  :  «  Les  cases  du  village  ont-elles  atteint  la 
crête  du  plateau?  —  Pas  encore,  répondirent  les  fidèles. 
—  Construisez  une  mosquée,  répliqua  Ladri  Kassama,  et 
votre  village  deviendra  prospère  et  s'accroîtra.  »  Il  désigna 
un  certain  Kanraséko  Karamorho  pour  être  le  premier 
al^namy  du  village.  La  mosquée  fut  construite  par  ledit 
Kanraséko  et  par  Yamissa  Fofana  sur  le  modèle  de  la 
mosquée  de  Dienné  indiqué  par  Ladri  Kassama.  Tous  les 
marabouts  du  pays  y  travaillèrent,  aidés  même  par  les  féti- 


164  ÉTL'DES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

chistes.  Cette  mosquée  compte  aujourd'hui  un  siècle. 
L'autre  mosquée  de  Mankono,  celle  du  quartier  de  Morio 
(Diamiou  Karamorho),  fut  édifiée  en  janvier  191 1  par  les 
seuls  gens  du  quartier  de  Morio.  Elle  donna  lieu  à  une 
curieuse  discussion  dogmatique  entre  musulmans,  sous  le 
prétexte,  exact  d'ailleurs,  qu'il  est  de  tradition  consacrée 
par  les  jugements  de  nombreux  jurisconsultes  musulmans 
qu'il  ne  doit  y  avoir  qu'une  seule  mosquée-cathédrale  dans 
une  communauté  musulmane.  De  plus,  les  Fofana,  gar- 
diens de  la  grande  mosquée,  pensaient  que  les  gens  de 
Morio  abandonneraient  lamosquée  cathédrale  le  jour  où  ils 
posséderaient  une  mosquée  aussi  considérable.  Les  choses 
menaçaient  de  mal  tourner  :  des  disputes  incessantes  écla- 
tèrent entre  les  deux  quartiers.  Après  maints  palabres, 
l'autorité  française  réussit  à  les  mettre  d'accord  ;  tous  se 
mirent  alors  avec  fureur  à  la  construction  de  cette  mosquée, 
qui  fut  terminée  en   un  mois;  les  fétichistes  s'abstinrent. 

A  To7z/20u/é,  on  retrouve  les  familles  musulmanes  Mandé- 
Dioula  :  Fofana,  Karamorho  et  Cissé,  ainsi  que  les  féti- 
chistes Dosso  et  Karabuoé. 

Trois  marabouts  sont  à  signaler,  qui  réunissent  une 
population  scolaire  d'une  soixantaine  d'enfants. 

Le  plus  connu  est  Lancina  Cissé,  né  vers  i865,  fils  de 
Morombo.  Ce  dernier,  mort  vers  1870,  était  l'almamy 
local  ;  il  laissa  sa  charge  à  son  fils  aine  Bekono,  qui,  à  sa 
mort  vers  1890,  la  laissa  à  son  tour  à  son  frère  Lancina. 
Ces  Cissé  de  Tonhoulé  proviennent  des  Cissé  de  Djigui- 
bala(Séguéla),  et  par  delà,  suivant  la  légende,  du  Ouassou- 
lou.  Lancina,  qui  était  allé  faire  ses  études  à  Kong,  en 
revint  avant  l'arrivée  de  Samory.  Il  ne  fut  pas  inquiété 
par  l'almamy,  lors  de  son  passage  ;  il  s'enfuit  au  Soudan 
par  la  suite,  ne  revint  au  pays  que  lorsque  la  chute  de 
l'almamy  fut  imminente,  et  comme  tous  les  Dioula  de 
Ouorodougou,  il   se    montra    très  réservé  pendant  sa  re- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  l65 

traite.  Depuis  1898,  il  s'est  consacré  à  l'enseignement  et 
y  a  réussi.  Il  a  une  vingtaine  d'élèves  et  une  quinzaine  de 
talibés.  Lui-même  a  reçu  l'affiliation  qadrïa  de  Saidi  Kara- 
morho  de  Mankono;  mais  c'est  de  Kong  qu'il  a  rapporté 
son  turban.  Ce  fut  Karambo  Saranorho  qui  le  lui  conféra. 
Lancina  est  riche  de  femmes,  d'enfants,  de  bœufs  et  de 
lougans.  Il  jouit  d'une  excellente  renommée  dans  la  région 
de  Mankono  ;  c'est  un  excellent  homme  et  qui  semble 
dévoué. 

Lancina  Karamorho  est  le  chef  de  cette  famille  à  Ton- 
houlé  et  l'almamy  alterné  du  village  avec  Lancina  Cissé.  Il 
est  né  vers  1862;  son  frère,  Bélékoro  Oulé,  est  mort 
vers  1890.  Cette  famille  est  une  branche  cadette  des  Kara- 
morho de  Mankono;  elle  serait,  d'après  la  tradition,  origi- 
naire de  Tombouctou.  A  l'arrivée  de  Samorv,  Lancina  se 
réfugia  chez  les  fétichistes  Mona  de  la  forêt,  et  n'en  revint 
qu'après  l'occupation  française.  Il  s'est  toujours  montré 
réservé  à  notre  égard,  mais  a  toutefois  rendu  des  services, 
lors  de  notre  pénétration  chez  les  Sia  et  les  Mona,  en  1902. 
C'est  un  homme  intelligent,  ouvert,  fort  instruit  en  arabe 
littéraire.  Nommé  juge  au  tribunal  de  cercle,  il  y  rend  de 
réels  services  et  s'acquitte  de  sa  tâche  avec  un  tact  et  une 
équité  tout  à  fait  louables.  Il  a  reçu  le  turban  et  l'affilia- 
tion qadrïa  du  marabout  Bakari  Soghologho  de  Kong.  Il 
fait  l'école  à  une  vingtaine  d'enfants  du  pays.  Sa  biblio- 
thèque comprend  une  cinquantaine  de  volumes. 

A  signaler  encore  à  Tonhoulé  un  marabout  de  moindre 
envergure,  Va  Souleymana  Karamorho,  maître  d'une 
école  d'une  quinzaine  d'enfants.  C'est  un  qadri  de  l'école 
locale. 

Oussow/tou/a  (ou  Oussouhoura)  renferme  des  musulmans 
Cissé,  Karamorho  et  P'ofana;  des  fétichistes  Dosso,  et  des 
branches  des  Karamorho  et  Fofana  revenues  à  l'animisme. 
L'enseignement  est  entre  les  mains  de  trois  membres  de  la 


l66  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

famille  Karamorho  ;  Tili,  le  plus  notoire,  avec  une  tren- 
taine d'élèves;  Mamadouavec  une  vingtaine,  Oussoumana 
avec  une  dizaine  d'élèves.  Ils  sont  tous  trois  qadrïa  et 
relèvent  de  Lancina  KaramorJio. 

Le  canton  Dierré,  en  majorité  fétichiste,  renferme  deux 
centres  d'islam  ;  Bouandougou  et  Marabadiassa. 

Bouandougou,  étape  importante  sur  la  route  de  Mankono 
à  Marabadiassa,  est  peuplé  de  Kamarhaté  et  de  quelques 
Seiorho  et  Karamorho,  tous  musulmans  Mandé  Dioula. 
On  n'y  trouve  pour  ainsi  dire  pas  de  fétichistes. 

Cette  famille  des  Kamarhaté,  comme  celle  des  Barhayo- 
rho,  est  originaire  de  Tombouctou.  Les  deux  familles  y 
entretenaient,  disent-elles,  des  relations  suivies,  qui  ont 
cessé,  lorsqu'elles  sont  venues  dans  la  région.  On  cite  un 
Kamarhaté,  mort  et  enterré  à  Tombouctou,  qui  aurait  fait 
le  pèlerinage  de  la  Mecque. 

Les  Kamarhaté  fondèrent  le  village  de  Sendou,  à 
proximité  de  Bouandougou,  et  en  furent  chassés  par  les 
fétichistes.  Ils  vinrent  alors  demander  asile  aux  Kandé,  an- 
cêtres du  chef  de  canton  actuel,  et  s'installèrent  à  Bouan- 
dougou. Cet  établissement  remonterait  à  treize  générations, 
soit  au  seizième  siècle. 

Bouandougou  a  une  jolie  mosquée,  de  style  soudanais, 
de  i3  mètres  de  long  sur  8  de  large.  Il  existe  aussi,  en 
dehors  du  village,  un  tombeau,  entouré  d'un  mur  en  terre 
bien  entretenu.  C'est  celui  d'un  Kamarhaté,  resté  cé- 
lèbre par  sa  douceur  et  sa  science.  On  y  va  en  pèlerinage, 
mais  la  tradition  ne  relate  rien  de  miraculeux  à  son  sujet. 

Le  plus  connu  des  marabouts  actuels  est  Bakandian  (ou 
Vakandiaye)  Kamarhaté,  dont  l'école  comprend  en  per- 
manence de  3o  à  5o  élèves.  Né  vers  1860,  il  est  le  fils 
d'un  marabout  connu  de  la  région,  Daoudou,  mort  vers 
1860.  Il  laissa  deux  fils  :  Ahmadou,  mort  vers  1890,  et 
Bakandian.  Celui-ci  a  été  l'élève  et  le  disciple  qadri  de  son 


GROUPEMENTS    ET    INUIVIUUALITÉS    ISLAMIQUES  1 6/ 

frère  et  lui  a  succédé  à  sa  mort,  vers  1890.  Il  possède  une 
belle  bibliothèque  de  5o  volumes.  Son  instruction  est  fort 
étendue,  et  il  passe  pour  le  marabout  le  plus  instruit  du  can- 
ton et  des  cantons  voisins.  Il  s'occupe  beaucoup  d'élevage 
et  de  plantations,  et  possède  des  richesses  considérables. 

L'almamy  du  village,  depuis  plus  d'un  quart  de  siècle, 
est  Bamaoulé  Kamarhaté  (ditBamouroullaye),  né  vers  i85o. 
Son  père  Vassiafa  jouissait  d'une  certaine  réputation  et  fut 
jusqu'à  sa  mort,  vers  1870,  almamy  de  Bouandougou. 
Cette  charge  est  d'ailleurs  héréditaire  dans  la  famille, 
depuis  trois  ou  quatre  siècles  que  les  Kamarhaté  sont  venus 
du  pays  mandé  s'installer  ici.  Lors  des  guerres  de  Samory, 
ni  Bamouroullaye  ni  lessiens  ne  furent  inquiétés  ;  ce  furent 
les  fétichistes  qui  firent  les  frais  des  razzias.  Lorsque  Sa- 
mory se  fut  installé  à  Boribana,  les  gens  de  Bouandougou 
et  leur  almamy  fréquentaient  le  nouveau  centre  et  l'appro- 
visionnaient d'armes  de  traite  et  de  poudre,  achetées  à 
Bondougou  et  à  Krinjabo.  Lors  de  l'arrivée  de  nos  troupes, 
ils  s'enfuirent  tous  et  ne  revinrent  qu'après  avoir  été  remis 
en  confiance.  Le  rôle  de  médiateur  échut  d'ailleurs  à 
Bakandian,  beaucoup  plus  qu'à  Bamouroullaye,  qui,  d'in- 
telligence médiocre,  semble  se  désintéresser  des  affaires  de 
la  communauté  musulmane.  Il  a  à  son  école  une  ving- 
taine d'élèves  coraniques. 

A  signaler  un  dernier  Karamorho,  maître  d'école  de 
moindre  envergure.  Va  Fémourou,  qui  n'a  qu'une  dizaine 
d'élèves.  Il  est  aussi  qadri  et  se  rattache  à  l'école  de  Kong. 

Marabadiassa  est  un  centre  important  d'islam,  sis  sur  le 
Bandama  Blanc,  à  la  limite  exacte  des  cercles  de  l'Ouoro- 
dougou,  des  Tagouana  et  de  Bouaké.  Aussi  a-t-il  relevé 
tantôt  de  l'un,  tantôt  de  l'autre  de  ces  cercles.  Bien  qu'au- 
jourd'hui il  relève  de  Bouaké,  c'est  dans  le  cercle  de  l'Ouoro- 
dougou  qu'il  sera  étudié,  car  c'est  de  l'islam  général 
Mandé-Dioula  qu'il  relève.  C'est  le  dernier  coin  islamique 
dans  la  masse  des  Senoufo  et  Tagouana. 


k 


l68  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

Sept  ou  huit  marabouts  mandé-dioula  se  partagent  une 
clientèle  scolaire  de  60  à  80  enfants.  Ce  sont  :  Abdoullaye 
Haidara,  Mori  Touré,  Saguidi  Kamarhaté,  le  plus  réputé 
de  tous;  Ahiba  Kamara,  tous  qadrïa;  Baba  Cissé,  Adama 
Barhayorho,  Bamako  Touré^,  Youssoufou  Touré,  tous  tidia- 
nïa.  Le  village  possède  une  mosquée  de  banco  au  toit  de 
chaume  dont  la  construction  est  assez  ancienne. 

Toumono  est  un  petit  village,  peuplé  mi-partie  de  féti- 
chistes, mi-partie  de  Seyorho,  musulmans.  Un  seul  mara- 
bout mérite  une  mention  :  Va  Féma  Seyorho,  qui  dirige  une 
école  coranique  d'une  dizaine  d'enfants.  C'est  un  qadri,  élève 
et  disciple  d'un  marabout  local,  Youssoufou  Seyorho.  Ce 
village  s'est  fait  remarquer,  lors  de  la  réfection  de  sa  mos- 
quée, par  une  querelle  religieuse  analogue  à  celle  de 
Mankono.  Ce  même  différend,  relate  Ripert,  fut  rendu  plus 
curieux  encore  par  l'attitude  de  la  population  fétichiste, 
qui  épousa,  sous  couleur  de  dogme,  la  querelle  du  descen- 
dant du  fondateur  de  la  première  mosquée,  actuellement 
en  ruines.  Elle  prétendait  imposer  à  la  communauté  l'obli- 
gation de  reconstruire  la  mosquée  sur  les  ruines  de  l'an- 
cienne, en  se  basant  exactement,  d'ailleurs,  sur  des  déci- 
sions de  jurisconsultes  célèbres.  Après  de  multiples 
querelles,  qui  déchirèrent  le  village,  l'autorité  française 
offrit  ses  bons  offices.  Elle  réunit  à  son  tour  des  «  fetoua» 
de  jurisconcuites  aussi  célèbres,  et  contredisant  les  pre- 
miers. Bref,  l'accord  se  fit,  et  la  mosquée  fut  bâtie  sur  un 
nouvel  emplacement,  sur  le  modèle  de  celle  de  Mankono, 
avec  l'aide  de  tous  les  musulmans  locaux.  Les  fétichistes 
s'abstinrent^  encore  de  tout  travail.  Cette  mosquée  fut  ter- 
minée en  fin  de   1910. 

Dans  le  canton  de  Yoronighi,  on  trouve  au  milieu  d'une 
population  fétichiste  deux  centres  musulmans,  Gouame- 
nasso  et  Tiéningoué. 

Le  premier,  dit  aussi   Gbamanasso,  est  peuplé  de  Cissé, 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  1 69 

de  Touré,  de  Fofana  et  de  Daw  musulmans.  II  y  a  fort 
peu  de  fétichistes,  deux  noms  méritent  une  mention  :  Séko 
Touré  et  Sék.o  Gissé. 

Séko  Touré,  ciief  du  village  Mandé-Dioula,  est  né  vers 
1870.  Il  est  le  fils  de  Vasoumana  Touré,  chef  et  almamy 
de  Gbamanasso,  qui  est  mort  vers  1892,  laissant  une  cer- 
taine réputation.  Son  fils,  dont  la  grand'mère  était  Senoufo, 
lui  a  succédé,  au  moment  du  passage  de  Samory. 

Il  vit  son  village  rasé,  fut  pris  et  envoyé  comme  captif  à 
Kankan,  où  il  perfectionna  ses  études.  De  retour  dans  le 
pays,  il  prit  nettement  parti  pour  notre  cause  et  partit  lui- 
même  à  Mankono  à  la  rencontre  des  premiers  tirailleurs 
qui  occupèrent  le  village.  Depuis  ce  temps,  il  a  montré  le 
plus  grand  loyalisme.  C'est  un  homme  fort  intelligent,  qui 
vit  retiré  dans  son  village  et  l'administre  d'une  façon  par- 
faite. Séko  s'est  enrichi  dans  les  cultures  et  l'élevage  des 
bovins.  Il  n'a  qu'une  instruction  médiocre,  encore  que  les 
marabouts  de  Kong,  et  notamment  Karamoko  Ahmadou 
Salifou,  lui  aient  solennellement  conféré  le  turban  et  l'aient 
affilié  au  tidianisme.  11  fait  l'école  coranique  à  une  dou- 
zaine d'enfants,  soit  du  village,  soit  de  Sarhala.  Il  est  en 
réalité  plus  comnierçant  que  marabout.  Il  jouit  d'une  excel- 
lente réputation  et  entretient  de  bonnes  relations  avec 
les  chefs  voisins,  surtout  ceux  du  nord  de  l'Ouoro- 
dougou. 

Séko  Gissé,  Mandé-Dioula,  son  collègue,  a  beaucoup 
moins  d'influence.  G'est  un  petit  maître  d'école,  qui  fait  la 
classe  à  une  dizaine  d'enfants;  il  est  qadri  par  son  père 
Alioun  Gissé.  Il  est  almamy  du  village. 

Tiéningoué  (ou  Tienigbé)  est  peuplé  à  peu  près  unique- 
ment de  Kamarhaté  musulmans.  Leur  chef  et  almamy  est 
Ba  Kongoué  Kamarhaté,  qui  fait  l'école  à  une  vingtaine 
d'enfants.  Il  a  reçu  le  turban  et  a  été  affilié  au  qadérisme 
sur  place  par  Mandjiana  Kamarhaté.  Il  n'est  pas  sans  une 
petite  instruction  et  possède  une  caisse  de  20  ou  25  livres. 


IJO  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

Le  canton  de  Sarhala,  à  peu  près  fétichiste,  ne  renferme 
qu'un  centre  musulman,  Sarhala  même;  et  encore  les  ani- 
mistes (familles  Kanaté,  qui  est  une  branche  infidèle  à 
l'islam,  Bamba  et  Kamarholo)  prédominent-ils.  Les  musul- 
mans appartiennent  aux  famille  Kanaté,  Touré,  Timité, 
Bamba,  et  Cissé.  Un  seul  nom  émerge,  Laminé  Bar- 
hayorho,  qui  a  fait  ses  études  chez  Va  Sindou  Timité,  à 
Séguéla,  et  en  a  reçu  le  turban.  Il  a  une  dizaine  d'élèves 
environ. 

Le  canton  de  Sia,  fétichist-e  dans  son  ensemble,  renferme 
un  centre,  Toulé,  peuplé  de  Bamba  tous  musulmans. 

Le  Kaniénié^  fétichiste  aussi,  ne  renferme  que  quelques 
musulmans  de  famille  Kamarhaté,  à  Kaniénié  même. 
Aucune  personnalité  ne  mérite  de  mention. 

Le  canton  de  Boron  est,  chef  et  administrés,  à  peu  près 
entièrement  musulman  (familles  Touré,  Sérifou,  Cissé, 
Souaré,  Taraoré,  Sarhandorho,  Bamba,  Karissi,  Daw).  A 
peine  trouve-t-on  quelques  fétichistes  vers  le  nord,  vers 
Kadioka,  mais  l'on  est  déjà  sur  le  territoire  de  Korhogo 
(famille  Ouattara  et  Koné). 

Boron,  le  chef-lieu,  centre  important  de  la  route  de 
Mankono  à  Korhogo  et  au  Soudan,  est  une  métropole 
d'islam,  où  depuis  plusieurs  générations,  on  vient  achever 
et  perfectionner  ses  études.  La  mosquée  de  Boron  passe 
pour  la  plus  ancienne  du  pays.  C'est  la  «  Diouma  »  du 
canton.  Elle  mesure  12  mètres  sur  6,  et  4  de  hauteur.  Le 
cloisonnement  classique  la  partage  en  nefs.  Elle  est 
blanchie  à  la  chaux  intérieurement  et  extérieurement.  Elle 
est  entourée  d'une  enceinte  de  2  m.  5o  de  hauteur.  Sa 
construction  remonte  certainement  à  plusieurs  siècles. 
Elle  a  toujours  été  maintenue  en  excellent  état,  et  on  la 
réfectionne  dès  la  fin  des  pluies.  On  voit  à  côté  de  cet 
édifice  le  tombeau  d'un  saint  homme,  Al-Hadji  Saranorho, 
né  vers  i855,  mort  à  la  fin  du  siècle,  en  son  vivant 
almamy  de  Boron  et  grand  chasseur  de  captifs. 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I7I 

Deux  personnages  méritent  une  mention  à  l'heure 
•actuelle  :  Ba  Fétigué  Touré,  maître  de  l'école  la  plus  floris- 
sante (i5  élèves),  et  Ba  Fétigué  Taraolé,  l'almamy,  plus 
-connu.  Celui-ci,  mandé-dioula,  né  vers  i858  à  Boron,  est 
d'une  famille  de  marabouts.  Son  père  Konalé  et  son 
grand-père  ont  laissé  une  certaine  réputation.  Son  frère, 
Alfa  Taraoré,  fut  almamy  avant  lui  et  était  très  connu 
dans  toute  la  région.  Ba  Fétigué  est  intelligent,  mais  peu 
instruit;  il  lit  péniblement  l'arabe  et  fait  la  classe  pour  rire 
à  deux  enfants!...  Il  est  surtout  commerçant  et  gagne  lar- 
gement sa  vie  dans  le  trafic  des  kolas.  Il  a  reçu  l'ouird 
de  Vamourou  Touré,  marabout  de  Boron,  mort  vers 
J905. 

Citons  enfin  pour  terminer  les  villages,  peuplés  de 
musulmans  et  de  fétichistes,  mêlés,  et  où  l'islam  subit  de 
singulières  déformations  :  Guémanso,  familles  musulmanes 
Souaré  et  Serifou  ;  animistes  Dosso  et  Koné  ;  Toté,  musul- 
mans, Barhayorho  ;  animistes,  Koné  et  Diomandé  ; 
Dioalla,  musulmans,  Kanaté  (rares)  ;  animistes  Kanaté. 
Les  Kanaté,  jadis  musulmans,  aujourd'hui  fétichistes, 
semblent  revenir  depuis  notre  occupation  à  la  religion 
du  Prophète  ;  Lesounso,  musulmans,  Cissé  et  Touré  ; 
-animistes,  Bamba  ;  Guiboî^osso,  musulmans,  Cissé  et  Dosso 
r(famille  détachées  de  celle  de  Madji)  ;  animistes,  Diomandé, 
Koné  et  Dosso  ;  Kongoasso,  quelques  musulmans  Bamba 
et  Karaboué  ;  animistes  Baghaté  et  Bamba;  Marhandala^ 
musulmans,  Timité;  animistes,  Tioulé.  Ce  centre,  jadis 
très  fréquenté,  tend  à  disparaître  depuis  le  passage  des 
bandes  de  Samory.  Plus  de  mosquée.  Une  petite  école  seule 
•subsiste  encore;  Morondo,  Musulmans,  Saghologho  ;  ani- 
mistes Koné.  Aucun  nom  dans  toutes  ces  familles  n'est 
digne  de  mention,  sauf  peut-être  celui  de  Ahmadou  Sogho- 
logho,  de  Kong  par  la  naissance  et  le  turban,  mais  fixé  à 
demeure  à  Morondo. 


172  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIBE 


6.  —  Korhogo. 

La  subdivision  de  Korhogo,  incluse  actuellement  dans 
le  cercle  de  Kong,  le  chef-lieu  du  cercle  étant  d'ailleurs  à 
Korhogo,  comprend  iio.ooo  imposés,  soit  160.000  habi- 
tants environ.  Les  trois  quarts  sont  Senoufo  et  animistes.  Un 
quart,  soit  40.000  âmes,  est  musulman  et   Mandé-Dioula. 

Korhogo  comprend  deux  agglomérations  :  Korhogo-ville 
et  Koko.  Celle-ci,  dont  le  sens  est  :  «  derrière  le  marigot  », 
est  le  véritable  centre  islamique  avec  d'ailleurs  des  quartiers 
sénoufo.  Korhogo-ville,  dont  le  sens  est  :  «  l'endroit 
déboisé  »,  est  le  village  Senoufo  et  animiste,  le  siège  de 
Gbon  Koulibaly,  chef  de  canton  qui,  lui,  se  dit  musulman. 
Les  deux  agglomérations  ont  leur  mosquée  :  Koko,  la 
mosquée  des  Mandé-Dioula  qui  est  en  môme  temps  la 
mosquée-cathédrale  (Diouma)  ;  Korhogo-ville,  la  chapelle 
de  Gbon. 

La  chapelle  de  Gbon  n'a  qu'une  minime  importance  ; 
mais  la  mosquée  de  Koko  est  une  grande  bâtisse  de 
20  mètres  de  côté,  dans  le  modèle  des  mosquées  souda- 
naises, avec  contreforts  de  pisé.  Elle  est  beaucoup  trop 
grande  pour  le  nombre  et  le  zèle  de  ses  habitants,  et  on  ne 
se  sent  plus  le  courage  de  relever  tout  un  côté  qui  tombe 
en  ruines.  On  va  donc  la  réduire  à  des  proportions  plus 
modestes.  On  rappelle  avec  satisfaction  dans  le  pays  que 
c'est  à  Maurice  Delafosse,  dont  le  souvenir  est  resté  très 
vivant  dans  toute  la  région,  qu'est  due  l'initiative  de  cette 
construction. 

Korhogo,  fondé  comme  poste  administratif  en  février- 
mars  1903,  devint  le  chef-lieu  de  la  circonscription  de 
Bandana  le  i"""  mai  suivant  et  le  chef-lieu  du  cercle  de 
Kong,  ce  qu'il  est  toujours,  le  i^""  juin   igoS. 

L'agglomération,  qui  comprenait  2.000  habitants,  en 
comprend  aujourd'hui  3. 000  environ. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  IjZ 

La  subdivision  de  Korhogo  compte  un  certain  nombre 
de  personnages  notoires: 

A  tout  seigneur  tout  honneur  :  la  personnalité  en  vedette 
est  Gbon  Koulibaly,  chef  du  canton  de  Korhogo,  dit  Kiem- 
bara.  Il  est  né  vers  1868  et  a  succédé  vers  1892  dans  son 
commandement  à  son  père,  Soubakano,  décédé.  Il  dut 
presque  aussitôt  prendre  la  fuite  devant  les  bandes  de 
Samory,  se  réfugia  à  Sikasso,  auprès  de  Babemba,  et 
revint  chez  lui,  en  iSgS,  lors  de  l'arrivée  des  Français.  Il  fut 
aussitôt  confirmé  dans  son  commandement  et  rendit  de 
précieux  services  pour  la  reconstitution  du  pays.  Gbon 
possède  en  effet  une  très  grande  autorité  dans  son  canton 
de  112  villages  et  de  ig.3oo  imposés  dont  17.600  Senoufo 
animistes  et  1.700  Mandé  Dioula  musulmans.  Quant  à 
ses  voisins,  s'il  n'exerce  sur  eux  aucun  droit  de  suzeraineté 
effectif,  il  est  tout  de  même  leur  guide;  il  donne  le  ton  et 
sert  d'exemple.  Il  a  eu  maintes  fois  l'occasion  de  nous 
rendre  des  services  auprès  de  tel  ou  tel  chef  Senoufo  et  ne 
demande  qu'à  mettre  son  influence  à  notre  disposition. 
Gbon  a  montré,  dès  le  début  de  la  guerre,  qu'il  s'agisse  de 
fournitures  de  graines  ou  de  coton,  ou  de  recrutement  de 
tirailleurs,  la  meilleure  volonté;  aussi  a-t-il  reçu  succes- 
sivement le  Mérite  agricole  et  la  Légion  d'honneur. 

C'est  avec  une  grande  surprise  qu'on  a  appris,  il  y  a 
quelques. années,  que  ce  chef  Senoufo  tendait  vers  l'islam. 
Aujourd'hui  il  se  dit,  non  sans  quelque  hésitation,  musul- 
man. Il  est  de  fait  qu'avec  son  ignorance  complète  des 
choses  de  l'islam,  y  compris  la  prière  élémentaire,  qu'il  ne 
fait  que  rarement  et  mal,  avec  son  inobservance  du  jeûne, 
avec  ses  vingt-cinq  femmes  il  n'a  rien  d'un  musulman, 
même  médiocre.  Il  préside  au  surplus  le  tribunal  de  sub- 
division animiste  et  juge  au  point  de  vue  de  la  coutume. 
Cette  situation  a  attiré  bien  à  tort  des  observations  d'un 
inspecteur  des  Colonies.  La  religion  de  Gbon,  si  on  peut 
appeler  religion  ses  velléités  islamiques,  importe  peu;  c'est 


174  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

l'application  de  la  coutume  senoufo  qui  doit  tout  primer  et 
il  faut  simplement  veiller  à  ce  que  les  marabouts,  ses  con- 
seillers et  chapelains,  n'appliquent  pas  sous  son  couvert, 
aux  Senoufo  animistes  le  droit  coutumier  islamisé  des 
mandé-dioula. 

L'exemple  de  Gbon  est  troublant;  il  a  pu  séduire  quel- 
ques-uns de  ses  administrés  et  les  amener  avec  lui  au  «  sa- 
lam  ».  Qu'adviendra-t-il  ?  l'islam  gagnera-t-il  le  peuple 
senoufo  par  ses  chefs? 

C'est  dans  la  famille  desSoumaré  qu'on  trouve  les  mara- 
bouts les  plus  distingués  et  les  plus  instruits  de  Korhogo  et 
même  de  la  région.  L'ancêtre,  Ibrahima,  Sarakollé  de  Bakel, 
né  vers  i836,  vint  ici  en  1860  pour  y  commercer  ;  après  di- 
verses pérégrinations,  il  finit  par  s'installer  à  Nambigné  et 
y  ouvrit  une  école  coranique.  Il  y  est  mort  en  1918.  Dequis 
plusieurs  années,  il  était  suppléé  par  son  fils  Mamadou. 
Mamadou  Soumaré,  né  vers  1882,  s'est  installé  à  Korhogo 
et  y  commerça.  C'est  un  arabisant  des  plus  distingués,  le 
seul  à  vrai  dire  de  toute  la  haute  Côte  d'Ivoire  qui  puisse 
soutenir  facilement  une  conversation  en  arabe  littéraire,  et 
qui  possède  une  culture  islamique  très  générale.  C'est,  de 
plus,  un  homme  intelligent  et  dévoué.  Il  se  rattache  au  tidia- 
nismeomari  par  son  père,  son  oncle  Fodé  Ladji  Daramé  de 
Bakel,  Cheikh  Ibrahima  Diallo  de  Kaédi,  et  Fodé  Mamadou 
Ane  de  Bakel,  disciple  du  grand  Torodo.  Souleyman  Sou- 
maré, cousin  de  Mamadou,  est  interprète  au  bureau  du 
cercle.  C'est  aussi  un  bon  arabisant  et  un  serviteur  dévoué. 

Anzoumana  Souaré,  Dioula,  né  vers  i83o,  mort 
le  26  mars  1910,  était  une  des  vieilles  et  plus  sympathiques 
figures  de  Korhogo,  dont  il  était  l'almamy  depuis  un  quart 
de  siècle.  Son  grand-père,  Ladji  Souaré,  était  originaire  du 
Kiaka  (Macina).  A  son  retour  du  pèlerinage,  à  la  fin  du 
dix-huitième  siècle,  il  s'installa  à  Kong,  s'y  maria  y  fit 
souche.  Son  fils  aîné,  Karamoko  Abou,  fut  un  personnage 
connu   de  Kong.  Anzoumana,  fils  de  Karamoko,   fit  ses 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  lyS 

études  à  Kong,  voyagea  beaucoup,  et  finalement  s'installa 
vers  1870  à  Korhogo.  Son  enseignement  coranique,  très 
renommé  chez  les  Dioula  du  cercle,  sa  petite  bibliothèque, 
sa  connaissance  relative  de  l'arabe  lui  avaient  valu  une  ré- 
putation de  savant  dans  toute  la  région.  Il  n'était  plus 
appelé  que  «  Ségué  »,  le  cheikh.  C'est  par  lui,  semble-t-il, 
que  Gbon  a  été  attiré  à  l'islam.  Anzoumana  a  laissé  deux 
fils  :  Fadibi,  né  vers  1870,  et  Mori  Ba,  né  vers  1872.  Grands 
dioula  tous  les  deux,  ils  sont  le  plus  souvent,  surtout  le 
second,  sur  les  routes  du  Soudan  ou  de  la  Côte  d'Ivoire. 
Fadibi  dirige  depuis  20  ans  l'école  coranique,  que  son  père 
âgé,  quasi  aveugle,  lui  avait  abandonné.  C'est  lui  qui,  après 
son  père,  remplit  les  fonctions  de  chapelain  de  Gbon.  Cette 
famille  relève  du  qadérisme  de  l'école  de  Kadicha. 

Karamoko  Ali  Fofana,  Dioula,  né  vers  1869,  était  un 
marabout  considéré  de  Koko,  originaire  de  Faraninga,  sans 
grande  instruction  ;  il  dirigeait  une  école  d'une  demi- 
douzaine  d'élèves,  insuflisante  d'ailleurs  à  le  faire  vivre, 
car  c'était  son  frère,  tisserand,  qui  pourvoyait  à  ses  besoins. 

En  191 3,  à  la  mort  de  Ségué  Soumaré,  il  fut  élu  par  ses 
coreligionnaires  almamy  de  la  diouma  locale.  Malade,  quasi 
aveugle,  il  dut  se  retirer  en  1916  et  ne  tarda  pas  à  mourir. 
Il  n'avait  pas  d'affiliation. 

Anzoumana  Diani,  vers  1872,  à  Bobo  Dioulasso,  est 
d'une  famille  Dioula,  originaire  de  Kong.  Son  père  Ouma- 
rou  Diani  était  un  marabout  de  renom.  Dans  le  lointain, 
Mohamdi  Diani,  père  de  Ibrahima,  père  d'Anzoumana, 
père  d'Oumarou  était  un  marka  de  Dia,  venu  s'établir  à 
Kong  au  dix-huitième  siècle.  Anzoumana  a  beaucoup 
voyagé  dans  sa  jeunessse;  c'est  ainsi  qu'au  cours  d'un  de 
ces  voyages,  il  reçut  à  Dienné  l'affiliation  qadrïa  d'un  ma- 
rabout marka  du  cru.  Cheikh  Omar.  Celui-ci,  par  Almamy 
Hamadou  de  Ségou,  Almamy  Qassim  de  Ségou,  et  Cheikh 
Abdoul-Qadir  se  rattachait  au  Cheikh  Bekkaï  des  Kounta 
(f  i865),   dont  le    souvenir  est  encore   si   vivace  dans   la 


176  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'ivOIRE 

moyenne  vallée  du  Niger.  Anzoumana  s'est  tassé  sur  ses 
vieux  jours.  Il  cultivée  ses  lougans,  ou  emploie  ses  servi- 
teurs à  faire  du  colportage;  il  dirige  à  temps  perdu  une 
petite  école  coranique  ;  sa  science  arabe,  médiocre  d'ail- 
leurs, lui  a  valu  d'être  longtemps  le  coadjuteur  des  deux 
derniers  almamvs  de  Korhogo,  que  leur  âge  et  leur  état  de 
santé  tenaient  écartés  des  cérémonies.  Il  a  fini  par  les  rem- 
placer en  1916.  Il  jouit  de  l'estime  générale.  C'est  un 
homme  sympathique.  Son  filsBa  Sirima,  né  vers  1870,  est 
venu  avec  son  père  à  Korhogo  en  1884.  Il  fait  le  cultivateur 
et  le  commerçant.  Il  n'a  pas  d'affiliation  et  déclare  n'en  avoir 
pas  besoin  pour  l'instant.  Il  est  assesseur  au  tribunal  de  sub- 
division. Amara  Diani,  cousin  de  Ba  Sirima,  né  vers  1875, 
fils  d'Ibrahima,  est  cultivateur  et  commerçant;  il  s'affi- 
liera bientôt  au  qadérisme  de  son  oncle. 

Al-Hadji  Konaté,  Dioula  de  Koko,  né  vers  1860,  est  tour 
à  tour  commerçant,  cultivateur  et  maître  d'école.  C'est  un 
personnage  secondaire  de  la  suite  spirituelle  d'Anzoumané. 

Mostafa  Cissé,  Dioula,  né  vers  1870,  à  Koko,  est  l'almamy 
des  jours  de  fêtes  de  la  diouma  depuis  191 7.  Il  se  dit  fils 
de  Mori,  fils  de  Mostafa,  fils  de  Ba  Karamoko,  fils  de  Cissé 
Koro,  qui  fut  le  premier  qui  vint  du  Ouagadou  soudanais, 
au  milieu  du  dix-huitième  siècle.  Mostafa  a  reçu  l'ouird 
qadri  d'un  certain  Al-Hadji,  Haoussa  de  passage  ici,  et  qui 
paraît  un  missionnaire  de  l'école  Poullo  de  Sokoto. 

Ba  Fatigui  Koulibali,  Dioula,  maître  d'école  de  Koko 
(7  élèves),  est  aussi  un  émigré  de  Kong.  Il  fait  encore  de 
temps  en  temps  un  voyage  commercial.  Il  se  rattache  à  la 
vieille  école  qadrïa  de  Kong  par  son  père  Mostafa,  par 
Oumara,  parlbrahima,  par  Almamy,  par  Anzoumana,  par 
Oumara  et  par  Ba  Mori,  tous  Koulibali  et  Mandé-Dioula  de 
Kong. 

Balé  Koulibali,  Dioula,  maître  d'école  de  Koko  (6  élèves), 
né  vers  i855,  se  rattache  aussi  au  qadérisme  des  gens  de 
Kong.  Il  a  reçu  l'ouird  de  son  père  Sélima,  disciple  d'An- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I77 

zoumana  Kamaraté,  de  Bouandougou.  Celui-ci  était  dis- 
ciple de  Karamoko  Sidiki  Saranorho  de  Kong.  Il  est  asses- 
seur au  tribunal  de  cercle. 

A  citer  enfin,  pour  être  complet  avec  la  gent  marabou- 
tique  de  Korhogo-Koko  :  Souleyman  Koulibali  et  Oasman 
Ouattara,  tous  deux  maîtres  d'école,  dioula,  morts 
en  1911  et  1918,  et  qui  ont  laissé  quelque  renom,  et  Ab- 
douUaye  Tamba  Bakari,  Toucouleur,  missionnaire  tidiani 
de  Ségou,  qui  à  la  suite  de  démêlés  avec  les  habitants  a  dû 
partir  vers  Sikasso. 

Sur  le  même  pied  que  Korhogo-Koko,  il  faut  au  point  de 
vue  islamique  mettre  le  centre  de  Kadioha  qui  s'enor- 
gueillit de  ses  quatre  mosquées,  dont  une  diouma,  de  ses 
douze  écoles  coraniques  et  de  ses  notables  musulmans.  Les 
mosquées,  toutes  de  banco  avec  contreforts  et  piliers,  sont 
bien  entretenues. 

L'école  de  Kadioha  a  été  mise  en  honneur  par  la  haute 
valeur  et  la  sainteté  du  grand  Ba  Karamoko  Keita,  dit  Al- 
mamy  Saranorho,  pôle  islamique  de  la  région  pendant 
plus  d'un  demi-siècle. 

Ba  Karamoko  était  né  à  Kadioha  vers  i835.  Il  était  de 
famille  maraboutique  fort  ancienne  et  son  père  était  déjà 
chef  des  marabouts  locaux.  Fort  intelligent,  d'une  mora- 
lité irréprochable  et  en  bons  termes  avec  les  Français,  ce 
petit  vieillard  à  l'œil  vif  fut  toute  sa  longue  vie  le  véritable 
maître  de  Kadioha,  dont  les  chefs  successifs  s'inspirèrent 
toujours  de  ses  conseils. 

Pendant  l'occupation  du  Sano  par  les  bandes  de  Samory, 
il  vécut  en  bons  termes  avec  les  représentants  du  despote, 
auxquels  il  procura  des  vivres,  mais  il  se  défendit  toujours 
par  la  suite  d'avoir  été  dévoué  à  Samory,  alléguant  n'avoir 
agi  ainsi  que  par  contrainte. 

L'influence  morale  de  Ba  Karamoko  ne  s'étendit  guère 
au  delà  du   Sano,  du  Boron  et  du  Diédougou,  où,  en  rap- 


lyS  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

ports  constants  avec  les  chefs,  il  exerça  sur  eux  une  action 
sensible.  Il  étendait  particulièrement  cette  sorte  de  domi- 
nation sur  Cissé  Saouaté,  chef  de  Kadioha.  Il  fut  le  chef 
reconnu  des  marabouts  de  la  région  et  l'almamy  en  titre 
pendant  plus  d'un  demi-siècle  de  la  grande  mosquée  de 
Kadioha.  Cette  mosquée  fut  d'ailleurs  l'œuvre  de  son  père 
et  fut  édifiée,  puis  maintes  fois  restaurée  depuis  avec  le 
concours  et  les  aumônes  des  musulmans  et  même  des  féti- 
chistes de  Kadioha. 

A  Ba  Karamoko,  mort  vers  1908,  succéda  son  frère  Ban- 
soumana  Keita;  né  vers  1840,  Bansoumana,  dit  aussi  Kara- 
moko Ba,  n'avait  pas  l'envergure  de  son  frère  aîné.  Il  se 
contenta  de  diriger  modestement  les  talibés  de  la  région, 
mais  en  vertu  delà  force  acquise  la  zaouïa  continua  à  pro- 
gresser et  a  fait  sous  sa  direction  des  adeptes  dans  le  Kiem- 
bara  et  le  Kanogoba. 

Bansoumana  a  disparu  vers  191 5.  Ce  sont  ses  deux 
neveux  qui  président  maintenant  aux  destinées  de  la  zaouïa 
qadrïa  de  Kadioha,  Babou  Keita  et  Batiguibou  Keita. 

Babou  (ou  Babourou)  Keita,  d'origine  dioula,  est  né 
vers  1867  et  prétend  se  rattacher  dans  le  lointain  à  une  fa- 
mille de  Ségou.  Il  a  été  mêlé,  malgré  lui,  aux  événements 
qui  ont  précédé  notre  arrivée.  Il  suivit  le  chef  du  Sono  et 
Tiémorho  Bilali  dans  la  colonne  dirigée  par  les  sofas  de 
Samory  contre  les  habitants  du  Kanogoba.  Depuis  cette 
date,  il  est  revenu  à  la  vie  plus  digne  d'homme  d'étude  et 
de  prières.  Intelligent,  pieux,  instruit,  très  digne  dans  ses 
attitudes,  Babou  proteste  de  son  amitié  à  la  cause  française 
et  rien  ne  permet  d'en  douter.  Il  entretient  des  relations 
avec  toutes  les  personnalités  de  la  région  et  même  du  bas 
Soudan.  Il  jouit  d'une  très  grande  considération  et  exerce 
les  fonctions  d'almamy  à  la  grande  mosquée  de  Kadioha. 
C'est  un  personnage  intéressant  et  à  ménager. 

Batiguibou  Keita,  né  vers  i865,  petit  maître  d'école,  est 
beaucoup  moins  notoire. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I79 

Il  suffit,  semble-t-il,   de    donner   les  noms  des   person- 
nages notoires,  tous  dioula,  et  la  plupart  maîtres  d'école 
professionnels    ou     occasionnels    de    Kadioha.    Ce    sont 
des  personnages   de   second    plan  :   Sidi    Saranorho,    né 
vers  1870,  Alfa  Moussa  Cissé,   né  vers  i865;    Bakassoum 
Keita,  né  vers  i865  ;    Farikou   Saranorho,   né  vers    i863 
Badji  Haidara,  né  vers  1870;  Bemba  Dembélé;  né  vers  1871 
Seidou  Cissé,  né  vers  1869;  Saïdou  Touré,  né  vers  1860 
Seidou  Taraoré,    né   vers    1868  ;    Karamoko    Fofana,   né 
vers  1868  ;  Karamoko  Fofana,  né  vers  i855;  Tahadi  Cissé, 
né  vers    i858.  Ils  sont  tous  les  élèves   coraniques  et  les 
disciples  qadrïa  de  l'Almamy  Sarahorho. 

Voici  cette  chaîne  qadrïa  de  la  zaouïa  de  Kadioha  :  Al- 
mamy  Saranorho;  Labassou  Saranorho,  de  Kadioha;  Ba 
Samba  Saranorho,  de  Kadioha;  Fa  Sidiki  Saranorho  de 
Kong;  Fa  Al-Hadji-Saranorho  de  Kong;  Qassouma  Sara- 
norho de  Kong.  A  ce  nom  la  chaîne  se  lie  à  celle  des  Sara- 
norho de  Kong,  et  se  rattache  aux  Kounta  du  seizième 
siècle,  comme  on  le  verra  sous  le  titre  de  Kong. 

Le  canton  de  Kadioha  se  partage  entre  Mandé  Dioula 
musulmans  (1.400  imposés)  et  Sénoufo  animistes  (i.ioo). 
Le  chef  du  canton  est  Ba  Karamoko  Ouattara,  qui  ne  jouit 
pas  d'une  grande  influence  personnelle,  mais  qui  bénéficie 
de  l'application  que  mettent  et  mettront  toujours  les  Ouat- 
tara et  les  Keita  à  conserver  leur  candidat  au  pouvoir. 

Kapélé  est  un  centre  islamique  de  quelque  importance. 
On  y  trouve  plusieurs  écoles  fort  renommées  dans  la  région. 
Les  personnages  notoires  sont  : 

Labassou  Saranorho,  d'origine  Dioula  de  Kong,  né  à 
Samatiguila  au  cours  d'un  voyage  de  son  père  vers  1878. 
Son  père  s'étant  finalement  retiré  à  Kapélé,  Labassou  y 
est  resté.  11  a  une  petite  instruction  arabe  et,  vu  sa  biblio- 
thèque de  huit  volumes,  passe  pour  le  marabout  le  plus 
lettré  du  canton.  Son  école  est  fréquentée    par  une  demi- 


i8o  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

douzaine  d'enfants.  Labassou  est  qadri,  de  l'obédience  de 
i-,ansana  Saranorho,  dit  Karamoko  Bissi,  de  Kong,  qu'on 
verra  plus  loin.  Labassou  a  deux  frères,  Ba  Saouté,  qui  le 
seconde  et  le  remplace  à  l'école,  et  Sabama  Saranorho, 
beaucoup  plus  occupé  du  commerce  des  kolas  et  des  bes- 
tiaux que  de  maraboutisme.  Tous  trois  sont  intelligents  et 
ouverts  et  paraissent  dévoués. 

Baba  Touré,  Dioula  de  Kong,  né  vers  1860,  est  établi  à 
Kapélé  depuis  1890  ;  il  y  fait  du  commerce,  et  à  l'occasion 
-donne  l'enseignement  coranique  à  trois  enfants  de  sa 
famille.  Il  n'a  pas  d'ouird.  Les  Touré  sont  originaires  du 
pays  mandé.  C'est  Ibrahima  Touré,  père  de  Sidi  Kara- 
jnoko,  père  deMaandiou,  père  de  Gaoussou,  père  d'Amara, 
père  de  Baba  qui  vint  le  premier  chercher  fortune  dans  la 
région  de  Kong. 

Ba  Sanassi  Saranorho,  né  vers  i85o,  appartient  à  une 
vieille  famille  maraboutique  de  Kong.  Son  père,  Alfa  Sou- 
ieimana,  y  a  laissé  un  nom  ;  son  grand-père  Al-Hadji 
Saranorho  fit  le  pèlerinage  des  Lieux  Saints  vers  1840,  et 
revenu  à  Kong,  y  a  acquis  le  prestige  d'un  saint.  Ba  Sanassi 
s'est  installé  à  Kapélé  au  cours  d'un  voyage  commercial. 
Jl  a  renoncé  avec  l'âge  au  négoce  et  vit  du  produit  de  ses 
'lougans,  qu'il  fait  travailler  par  ses  enfants  et  serviteurs. 
C'est  un  homme  simple,  de  peu  de  valeur  intellectuelle, 
pacifique.  Son  école  compte  4  à  5  élèves. 

Les  Dembélé  ont  donné  deux  noms  à  la  gent  marabou- 
tique de  Kapélé  :  BaBoukari,  né  vers  i85o,  mort  vers  1914, 
qui  n'a  laissé  qu'un  souvenir  eff"acé  ;  Bakari,  né  vers  1870, 
qui  exerce  le  double  métier  de  tisserand  et  de  maître  d'école. 
Il  est  certainement  meilleur  tisserand  que  lettré  arabe. 
Avec  ses  yeux  clignotants  et  malades,  il  n'a  pas  une  mine 
sympathique.  Bakari  n'a  pas  encore  d'ouird,  mais  se  fera 
affilier  au  tidianisme  «  quand  il  aura  le  temps  ».  Il  ira  dans 
ce  but  à  Bamako  et  à  Ségou,  où  il  a  des  parents  qui  y 
commercent  et  qui  le  guideront  dans  cette  voie. 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  I^E' 

Les  Dembélé  ne  sont  établis  à  Kapélé  que  depuis  la  des- 
truction de  K-ong.  Leur  père,    Sori,  fils  de  Bakari,  fils  de 
Pondo^  fils  de  Youssoufou,  fils  d'Ibrahima,  fils  de  N'Fallï 
(Al-Fadhil),  fils  de  Mori  K.ounadi,  y  a  vécu  et  y  est  mort. 
C'est  ce  Mori  qui  le  premier  vint  du  pays  Mandé,  vers  la 
un  du  dix-septième  siècle,   et  s'installa  dans  la  région  de 
Kong.  Pour   en   finir  avec    Kapélé,   citons    les    noms    de- 
quelques   maraboutaillons,   plus  avisés  commerçants   que 
lettrés  arabes,  et  qui  de   temps  à  autre  apprennent  à  deux: 
ou  trois  enfants  de  leur  famille  les   rudiments  du  Coran  r 
Ali  Mori  Saranorho,  né  vers  1895  ;   Bambi  Touré,  né   vers 
i865  ;   Gaoussou  Sogodogo,  né  vers  1872  ;    Baba  Taraoré, 
né  vers  1875  ;  ils  relèvent  tous  des  marabouts  précités,  soit^ 
comme  élèves,  soit  comme  adeptes. 

Le  canton  de  Sinématiali,  riche  et  populeux  avec  ses 
200  villages,  ne  renferme  pas  plus  de  5oo  Mandé-Dioula 
musulmans,  sur  plus  de  i5. 000  habitants.  Le  fond  de  la 
population  est  Sénoufo  et  fétichiste,  comme  son  chef 
Tiéguélé  Koulibali,  qui  avec  ses  40  femmes  et  ses  beuve- 
ries, n'est  nullement  prêt  à  passer  à  l'islam.  Tiéguélé  avait 
été  choisi  comme  chef  avant  l'arrivée  des  Français  par  son* 
oncle,  le  lépreux  Kolonioungo;  il  a  été  maintenu  en  foncr- 
tions.  Très  influent  dans  son  canton,  très  considéré  aix 
dehors,  Tiéguélé  s'est  complètement  rallié  à  nous.  Il  est 
riche  et  emploie  son  activité  dans  le  commerce,  dans  l'élève- 
des  troupeaux  et  dans  de  vastes  plantations.  Sinématiali, 
première  et  importante  étape  de  la  grande  route  soudanaise^ 
Korohogo  Bobo-Dioulasso,  renferme  naturellement  quel- 
ques marabouts  et  dioula  Mandé.  Ils  y  ont  construit 
collectivement  une  des  plus  belles  et  des  plus  gracieuses 
mosquées.  Les  deux  plus  remarquables  sont  :  Caouchoa 
Saranorho  (Qaoussou)  et  Bobo  Saranorho,  tous  deux: 
Dioula,  nés  à  Kong  vers  1864,  ^^  Q'-'i  ^^  partirent  sans 
esprit  de  retour  lors  de  l'invasion  de  Samory.  En  relations 


l82  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

avec  ses  congénères  de  Korhogo  et  de  Kapélé,  Gaouchou  a 
rompu  tous  rapports  avec  Kong.  Il  vit  en  excellents  termes 
avec  Tiéguélé,  dont  il  se  dit  le  marabout,  et  qui  à  ce  titre 
et  pour  la  rémunération  des  prières  dites  pour  lui,  lui  fait, 
au  moment  de  la  récolte,  des  cadeaux  de  mil  et  de  maïs. 
Gaouchou  a  une  petite  école  de  5  à  6  élèves,  fils  de  dioula. 
Elle  occupe  ses  loisirs,  pendant  que  ses  femmes  fabriquent 
ou  vendent  des  galettes  de  mil  sur  le  marché,  et  que  ses 
serviteurs  parcourent  le  pays  avec  la  pacotille  ordinaire 
des  dioulas. 

Il  est  qadri,  de  l'obédience  de  Ba  Amara  Saranorho  de 
Kong.  Quanta  Baba  Saranorho,  né  à  Faraninga,  il  habite 
le  village  de  Ouolo,  où  il  vit  en  excellents  termes  avec  le 
chef  sénoufo  fétichiste,  Karayé,  dont  il  se  dit  le  marabout. 
Baba  fut  jadis  une  grande  figure  commerciale.  Avec  ses 
cinquante  serviteurs,  il  entretenait  de  perpétuelles  cara- 
vanes entre  la  basse  Côte  et  le  Soudan.  La  libération  des 
captifs  a  porté  un  coup  sensible  à  sa  fortune  ;  quelques-uns 
seulement  sont  restés  auprès  de  lui  et  lui  continuent  leurs 
services.  Il  s'est  rabattu  sur  les  cultures  et  y  emploie 
femmes,  enfants,  neveux,  boys.  C'est  un  homme  intel- 
ligent et  ouvert,  mais  arabisant  plus  que  médiocre.  Depuis 
quelques  années,  il  se  déplace  moins  et  ses  derniers 
voyages  à  Sikasso  ou  à  Banaké  remontent  à  plusieurs 
années.  Au  point  de  vue  religieux,  il  dépend  de  Caouchou 
sus-nommé. 

Falkessédougou  (ou  Ferkassédougou)  est  la  deuxième  et 
importante  étape  de  la  route  Korhogo-Bobo.  On  y  trouve, 
depuis  la  disparition  du  vieux  marabout  Dioula,  Karamoko 
Torona  Souaré,  deux  personnages  intéressants  ;  Séko  (ou 
Chékou)  Taraoré  et  son  frère  Adama,  d'origine  dien- 
néenne.  Séko,  chef  de  la  famille,  est  né  vers  1860.  Il  était 
installé  chez  les  Dafing,  quand  l'invasion  de  Samory  le 
contraignit  à  prendre  la  fuite.  Il  est  installé  depuis  26  ans 
à  Ferkessédougou  et  y  a  très  bien  réussi  comme  cultivateur. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  1 83 

Il  montre  avec  orgueil  de  grosses  mains  calleuses.  Il  fait 
l'école  coranique  à  une  demi-douzaine  d'élèves,  dont  ses 
enfants  et  neveux,  et  les  enfants  de  Karamoko  Souaré. 
C'est  un  vieux  brave  homme,  qui  ne  fait  aucun  prosély- 
tisme et  à  qui  les  bonnes  relations  avec  le  chef  de  canton 
valent,  au  moment  de  la  récolte,  des  cadeaux  de  maïs,  de 
riz  et  d'ignames.  Ferkessédougou  était  jadis  le  point  de 
réunion  et  de  départ  des  pèlerins  de  La  Mecque.  On  estimait 
ce  groupement,  à  la  fin  du  siècle  précédent,  à  i5o  pèlerins 
dont  10  pour  le  village  même.  Ces  chiffres  sont  très 
exagérés. 

A  Sirhasso,  deux  noms  méritent  une  mention  :  Ouamis- 
sio  Kondé,  né  vers  i865,  chef  de  canton  depuis  191 3.  C'est 
un  homme  intelligent,  dévoué,  qui  traite  avec  égards  les 
25o  Mandé  musulmans  de  son  canton.  Il  est  d'ailleurs  féti- 
chiste endurci;  Babafi  Cissé,  né  vers  i865,  maître  de  la 
petite  école  locale,  almamy  de  la  prière  et  chapelain  offi- 
cieux d'Ouamessio. 

Kaouara,  sur  la  routedirecte  Korhogo-Léraba-Bobo,  est 
un  petit  centre  où  les  dioula  soudanais  sont  venus  s'ins- 
taller en  grand  nombre,  ce  qui  donne  à  cette  agglomération 
sénoufou  et  animiste  un  cachet  islamique.  Ces  musulmans, 
surtout  commerçants  et  maîtres  d'école  familiaux,  sont  : 
Boumana  Tounkara,  né  vers  i85o  ;  Babou  Silla,  né  vers 
i855  ;  Souleyman  Diawara,  né  vers  1876;  Fa  Figuiri,  né 
vers  1874;  Babou  Cissé,  né  vers  i855;  Babou  Taraoré,  né 
vers  1870.  Aucun  d'eux  n'a  d'instruction,  d'affiliation,  ni 
de  bibliothèque. 

Le  petit  canton  de  Katiali  se  partage  à  parts  égales 
entre  Sénoufo  animistes  (5oo  imposés)  et  Dioula  islamisés 
(450  imposés).  Le  chef  de  canton,  Kapéna  Kowdé,  né  vers 
i865,  traite  fort  impartialement,  quoique  fétichiste,  les  uns 
et  les  autres.  Le  marabout  le  plus  important  est  Ba  Fatigui 


l'84  ÉTUDES   SUR    l'islam   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Taraoré,  Dioula,  né  vers  i85o;  son  cousin  Lazarani 
Taraoré  dirige  une  petite  école  de  3  à  5  élèves.  C'est  leur 
troisième  ancêtre,  Karanîoko  Mo  Siré,  père  de  Bou  Fitigui, 
père  de  Souleiman,  père  de  Ba  Fatigui,  qui  de  la  vallée 
du  Niger  est  venu  le  premier  ici,  à  la  fin  du  dix-huitième 
sièle,  et  y  apporté  l'ouird  qadri,  qui  de  père  en  fils  s'est 
maintenu  dans  la  famille.  A  citer  encore  la  famille  Silla 
dont  le  chef  Lanciné,  né  vers  1860,  est  mort  en  1919 
et  a  été  remplacé  comme  almamy  et  maître  d'école  par  son 
frère  Ba  Bokari.  Ces  Silla  sont  originaires  de  Kémemba 
(Sikasso);  c'est  legrand'père  des  deux  marabouts  précités; 
Bagbéma,  père  de  Ismaila  Silla,  qui  vint  le  premier  ici 
au  début  du  dix-neuvième  siècle.  Ces  marabouts  de  Katialî 
sont  très  ignorants  des  choses  d'islam  ;  ce  sont  surtout  des 
commerçants.  Leur  mosquée  est  une  grande  construction 
de  banco,  dans  le  goût  soudanais  et  semblable  à  celle  de 
Korhogo. 

Le  canton  de  Mbeiigué  renferme  600  imposés  senoufo 
animistes  et  i.3oo  Dioula  musulmans,  dont  aucun  nom 
ne  mérite  une  mention  ;  ils  relèvent  des  marabouts  voisins 
de  Katiali  et  de  Korhogo.  Le  chef  de  canton,  Zié  Koulibali, 
est  un  excellent  Senoufo,  dont  l'animisme  représenté  par 
ses  dix  femmes  est  à  l'abri  de  toute  atteinte  islamique. 

Le  petit  canton  de  Ngandana,  quoique  composé  de 
900  Senoufo  animistes  et  de  25o  Mandé-Dioula  musul- 
mans, est  commandé  par  un  Dioula  Alanéfa  Konaté,  dit 
Béma,  né  vers  i865.  C'est  un  excellent  chef,  qui  vise  à 
garder  la  neutralité  qui  convient. 

Karajigui  s'honore  de  la  présence  deBassiré  Saranorho, 
Dioula,  né  vers  1860;  il  y  dirige  la  petite  école  locale, 
qui  compte  de  5  à  10  élèves,  et  y  préside  à  la  prière.  Il  est 
l'élève  de  son   père  Anzoumana,  fils  de  Sirimana,  fils  de 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITÉS    ISLAMIQUES  l85 

Sitafa.  C'est  ce  Sitafa,  d'origine  mandé,  qui  vint  le  premier 
dans  le  Boron  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle. 

A  Karakoro,  le  personnage  islamique,  almamy  et  maître 
d'école  (lo  élèves)  est  Sori  Tounkara,  né  vers  1870.  Il  est 
l'élève  et  le  disciple  tidiani  de  son  père  Mori  Ba.  Il  n'y  a 
d'ailleurs  pas  de  musulmans  dans  ce  canton  de  4.000  con- 
tribuables sénoufo,  animistes,  dont  le  chef  est  Naouélé 
Ouattara. 

A  Niangharasso,  Morifiri  Koulibali,  Dioula,  né  vers 
1862,  dirige  une  petite  école  de  5  élèves.  Il  passe  pour 
nourrir  des  sentiments  hostiles  à  l'égard  des  chrétiens. 

Niellé  est  un  bourg  important,  mi-Sénoufo  mi-Dioula, 
sur  la  route  de  Korhogo  à  Sikasso.  On  y  rencontre  un  cer- 
tain nombre  de  dioula  musulmans,  plus  occupés  de  leur 
commerce  que  d'étude  ou  de  piété.  Le  seul  Mori  Siré  Kou- 
libali mérite  une  mention.  C'est  un  élève  et  un  disciple  de 
l'école  de  Karamoko  Amadou  Saranorho  de  Kong.  Il 
enseigne  les  rudiments  du  Coran  à  une  demi-douzaine 
d'enfants.  Le  chef  de  canton  Bilangolo  Ouattara  est  féti- 
chiste ;  on  le  constate  au  premier  coup  d'œil,  quand  on 
voit  son  harem  de  44  femmes,  ce  qui  au  surplus  fait  hon- 
neur à  ses  67  ans.  Bilangolo  était  avant  notre  arrivée  le  chef 
guerrier  de  Pigué,  son  prédécesseur.  Au  moment  de  l'inva- 
sion de  Samory,  Bilangolo  fît  alliance  avecl'almamy  contre 
les  gens  de  Sikasso,  qui  par  la  suite,  sous  la  conduite  de 
leur  chef  Babemba,  vinrent  détruire  Niellé  en  représailles. 
Les  habitants  se  réfugièrent  dans  le  Niarhafolo.  Pigué 
mourut  pendant  l'exil  et  fut  remplacé  par  Bilangolo.  Celui- 
ci  a  commandé  avec  une  grande  brutalité  son  canton  et 
c'est  bien  à  regret  qu'assagi  par  les  temps  nouveaux  il  est 
devenu  pacifique.  Il  dirige  assez  bien  un  canton  de 
37  villages,  dont  beaucoup  tendent  à  s'émanciper.  Sur  les 


l86  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

10.800  imposés  que  compte  le  canton,  4.000  sont  Mandé- 
Dioula  islamisés  ou  se  disant  tels,  les  autres  sont  des 
Senoufo  animistes. 

Il  faut  donner  en  terminant  le  nom  de  quelques  chefs 
sénoufo  dont  l'un  est  musulman,  les  autres  fétichistes,  et 
qui  commandant  tous  à  des  cantons  mixtes,  entretiennent 
les  meilleures  relations  avec  les  Dioula  musulmans.  Ils 
acceptent  en  général  que  l'un  d'eux  soit  leur  chapelain 
officiel,  en  quelque  sorte  leur  représentant  officiel  auprès 
d'Allah,  et  à  ce  titre  lui  font  des  cadeauxde  mil,  de  maïs  et 
d'ignames  au  moment  des  récoltes.  La  dévolution  du  pou- 
voir se  fait  chez  ces  chefs  d'après  les  règles  classiques  des 
peuplades  soudanaises.  L'ordre  de  succession  est  le  suivant  : 
1°  les  frères  consanguins  ou  utérins  ;  20  le  fils  aîné  du  frère 
aîné;  3"  le  parent  le  plus  proche.  Dans  cet  ordre,  le  chet 
en  exercice  choisit  son  successeur  que  souvent  il  associe 
au  pouvoir  de  son  vivant.  Jadis  les  notables  ratifiaient  ce 
choix  à  sa  mort.  Aujourd'hui  ils  présentent  simplement  le 
nom  de  l'élu  à  l'autorité  française,  c'est  elle  qui  prononce 
la  nomination  définitive  du  chef,  mais  il  est  évident  qu'elle 
ne  fait  à  peu  près  toujours  que  confirmer  l'élection 
populaire. 

Sanoussi  Ouattara,  chef  de  la  fraction  des  Pallaka, 
Senoufo,  est  musulman  ou  se  dit  tel.  Il  est  né  vers  1872, 
exerça  jadis  les  fonctions  de  représentant  des  Pallaka  à 
Korhogo  et  a  succédé,  le  11  juin  1919,  comme  chef  à  son 
père  Séminian  Yéo,  destitué  à  la  suite  d'une  condamnation 
pour  escroquerie  et  abus  de  pouvoir.  Séminian  avait  été 
choisi  par  les  Pallaka  comme  chef  en  remplacement  de  son 
oncle  Kobi  avant  l'arrivée  de  Français  dans  la  région. 
Son  mauvais  esprit  et  ses  exactions  furent  une  des  causes 
de  l'hostilité  que  de  tout  temps  l'autorité  française  ren- 
contra chez  les  Pallaka,  tribu  très  arriérée,  si  arriérée  que 
les  autres  Senoufo,  qui  ne  sont  pourtant  pas  des  gens  bien 
avancés,  en  ont  honte  en  quelque  sorte  et  disent  quelque- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  1 87 

fois  qu'ils  ne  sont  pas  Senoufo.  Ancien  élève  de  l'école  de 
Korhogo,  Sanoussi  parle  et  écrit  un  peu  le  français.  C'est 
un  homme  intelligent,  très  écouté,  et  qui  fera  un  bon  chef, 
îl  tendrait  volontiers  vers  l'islam,  ce  qui  peut  être  gros  de 
conséquences  pour  les  3.ooo  Pallaka  animistes,  ses  admi- 
nistrés. 

Le  canton  de  A^î'q/bin'n  renferme,  à  côté  de  i.5oo  Senoufo 
fétichistes,  288  Dioula  islamisés  (contribuables).  Il  a  pour 
chef  depuis  igiS,  Mandé  Bongo-Sorho,  né  vers  1867,  culti- 
vateur et  commerçant. 

Le  Canton  de  Niarhafolo  ne  renferme  aucun  musulman 
au  milieu  de  ses  8.872  contribuables  Senoufo.  Son  chef, 
Oualo  Koumé  Koné,  né  vers  1867,  possède  un  harem  de 
26  femmes,  qui  garantit  sa  résistance  à  toute  emprise 
islamique. 

Lecanton  de  Napiéolédougou  ne  renferme  que  200  Dioula 
musulmans  contre  g. 600  Senoufo  fétichistes.  Le  chef,  Omar 
Diarassouba,  fétichiste  malgré  son  nom,  flirte  avec  les 
maraboLits.  C'est  un  homme  intelligent  et  plein  d'acti- 
vité. 

7.  —  Kong. 

Kong,  l'antique  métropole  islamique  du  bas  pays  souda- 
nais, Kong  qu'ont  célébré  tous  les  docteurs  noirs  pendant 
plusieurs  siècles,  et  où  des  milliers  d'enfants  et  de  jeunes 
gens  sont  venus  sucer  la  science  coranique  et  la  haute  ins- 
truction arabe,  Kong  n'est  plus  !  Elle  ne  s'est  jamais  rele- 
vée des  ruines  de  Samory.  Pourquoi  le  terrible  almamyqui 
bâtissait  son  empire  sur  la  race  mandé  et  sur  l'élément  is- 
lamique détruisit-il  cette  vieille  cité  qui  devait  être  le  plus 
beau  fleuron  de  ses  territoires?  11  est  difficile  de  le  savoir  : 


l88  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

sans  doute  céda-t-il  à  un  de  ces  accès  de  fureur,  qui  agitaient 
de  temps  en  temps  ce  grand  primitif,  et  qui  provoquaient 
riiumeur  frondeuse  et  railleuse  de  gens  de  Kong. 

Les  gens  racontent  aujourd'hui  qu'il  voulut  faire  arrêter 
le  grand  marabout,  dont  la  puissance  lui  portait  ombrage. 
Celui-ci,  qui  s'attendait  à  cette  mesure,  prit  la  fuite  et  ne 
put  être  retrouvé,  ce  qui  mit  les  citadins  de  Kong  en  joie  t 
provoqua  des  épigrammes.  Doublement  furieux,  Samory 
envahit  la  ville,  la  rasa,  ne  laissant  pas  pierre  sur  pierre^ 
fit  passer  au  fil  de  l'épée  tous  les  lettrés,  qui  n'avaient 
pas  eu  le  temps  de  prendre  la  fuite,  et  ruina  le  pays.  Du 
jour  au  lendemain,  Kong  et  ses  habitants  avaient  disparu 
(1897).  On  conserve  encore  et  l'on  montre  les  ruines  de  la 
mosquée,  où  quarante  des  lettrés  les  plus  notoires  du 
pays  furent  massacrés.  Binger,  Monnier,  qui  l'ont  vue 
avant  sa  destruction,  en  ont  fait  une  description  enthou- 
siaste. «  La  ville,  dit  Monnier,  surtout  vue  du  nord-ouest,, 
dorée  par  le  soleil  couchant,  avec  les  minarets  pyramidaux 
de  ses  cinq  mosquées,  les  palmiers  détachant  leur  fine 
silhouette  sur  le  ciel,  les  terrasses  superposées  où  des 
groupes  de  fidèles  apparaissent  à  l'heure  de  la  prière,  est 
une  vision  inoubliable.  »  Quantum  mutatus!... 

Aux  troupes  françaises  échut  l'honneur  de  venger  la 
vieille  cité.  L'occupation  définitive  est  de  janvier  1898  ;  elle 
fut  brusquée,  ce  qui  permit  de  faire  main  basse  sur  les 
traînards  de  l'almamy.  Samory  fuyait  alors  sur  Dabakala, 
et  lassé  de  cette  course,  s'installait  sur  le  Bandama.  Son 
campement  en  prenait  le  nom  de  «  Bori  bana  »  :  «  c'est  fini 
de  fuir  ».  Ce  n'était  pas  fini,  car,  traqué,  il  commençait  peu 
après  ses  courses  eff'rénées  de  Gold  Coast  au  Libéria  et  ne 
devait  être  pris  que  le  29  septembre  1918,  à  Guélimou. 

L'autorité  française  a  fait  au  début  tout  ce  qu'elle  a  pu 
pour  reconstituer  Kong.  Tous  les  fuyards  ont  été  ramenés, 
encouragés,  aidés  de  toutes  manières.  Avant  la  fin  du 
siècle,  elle  s'était  reconstituée  avec  2.000  habitants,  alors 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  189 

qu'on  n'en  avait  trouvé  que  3oo  le  jour  de  l'occupation, 
mais  cette  revivification  n'était  qu'artifîciellle.  La  déchéance 
n'a  pas  tardé  à  reprendre,  inéluctable.  C'est  aujourd'hui 
un  pauvre  village  d'un  millier  d'habitants,  coupé  de  grands 
espaces  vagues  et  nus,  et  dont  l'abandon  n'a  fait  qu'accen- 
tuer la  détresse.  Il  n'y  a  un  peu  de  vie  qu'au  marché  le 
matin,  par  l'affluence  des  dioula  de  passage. 

La  population  de  la  subdivision  tout  entière  ne  dépasse 
pas  10.000  habitants,  dont  une  bonne  partie  est  en  perpé- 
tuelle errance  commerciale.  Tous  sont  Mandé-Dioula  et 
musulmans,  sauf  deux  cantons,  Nafana  etSikola,  qui  sont 
peuplés  de  2.000  Senoufo  animistes,  soit  au  total  8.000  mu- 
sulmans environ.  Il  est  vrai  que,  par  une  tradition  assez 
ancienne,  les  deux  chefs  de  canton  sont  musulmans,  mais 
ils  le  sont  si  peu  qu'on  se  demande  ce  qui  les  distingue,  à 
ce  point  de  vue,  de  leurs  administrés.  Les  Mandé  ont 
essayé  d'amener  à  eux  ces  villages  sénoufo,  isolés  numéri- 
quement dans  leur  pays;  leurs  prédications  comme  leurs 
menaces  de  châtiments  divins  sont  restés  sans  effet  sur  ces 
frustes  paysans.  Ils  paraissent  y  avoir  renoncé. 

On  trouve  7  mosquées  dans  la  subdivision  de  Kong; 
deux  à  Kong  même,  dont  l'une  est  la  mosquée  diouma  de 
la  région  ;  une  dans  chacun  des  cinq  centres  les  plus  po- 
puleux du  pays  :  Tindalla,  Nassian,  Bilémono,  Kongolo 
et  Nafana.  Ce  sont  toutes  de  petites  constructions  en  banco 
avec  des  angles  de  soutènement  et  une  sorte  de  couronne- 
ment, qui  simule  le  minaret.  La  mosquée-cathédrale  de 
Kong,  édifiée  ces  dernières  années,  est  plus  respectable. 
C'est  un  grand  bâtiment  carré  de  20  mètres  de  côté  envi- 
ron, étayée  par  de  nombreux  contreforts  de  terre  battue. 
On  ne  trouve  pas  de  maçons  dans  le  pays  pour  construire 
des  édifices  de  cette  envergure  :  mosquée,  maisons  de  chef  ; 
il  faut  y  employer  des  maçons  de  Dienné  qu'on  se  passe  de 
village  en  village.  Aux  quatre  coins  de  la  mosquée  on 
aperçoit  des  lampes-tempêtes,  soudées  dans    le   banco,   et 


igO  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

qu'il  est  naiurellement  impossible  d'allumer.  C'est  un 
simple  ornement  qui  remplace  les  œufs  d'autruche  du  Sou- 
dan ou  les  vases  de  nuit  droits  ou  renversés  d'autres  pays 
Dioula. 

La  déchéance  intellectuelle  de  Kong  va  de  pair  avec  sa 
décadence  économique.  Il  est  difficile  d'imaginer  à  quel 
point  le  niveau  spirituel  est  bas.  J'ai  vu  tout  ce  que  la  ville 
compte  de  plus  lettré  et  de  plus  pieux  ;  impossible  de  trou- 
ver un  seul  marabout  avec  qui  on  puisse,  au  moyen  de 
cette  misérable  langue  littéraire  usitée  chez  les  noirs,  en- 
tretenir une  petite  conversation  courante.  J'ai  pu  me  passer 
d'interprète  à  Bouaké,  à  Dabakala,  à  Korhogo,  à  Odienné^ 
villes  sans  réputation  islamique  :  je  ne  l'ai  pas  pu  à  Kongy. 
l'universitaire. 

C'est  dire  qu'il  n'y  a  aucun  établissement  d'enseigne- 
ment supérieur  :  pas  un  de  ses  cheikhs  n'est  capable  de 
donner  une  petite  leçon  de  catéchisme  de  persévérance  ou 
de  commentaire  des  saints  livres  ou  de  grammaire.  Les 
écoles  coraniques  sont  au  nombre  de  six  ou  huit  au  plus^ 
dont  plusieurs  sont  fermées  par  suite  des  voyages  commer- 
ciaux du  maître.  La  plus  importante  a  25  élèves,  et  le 
total  de  la  population  scolaire  de  la  ville  ne  dépasse  pas 
100  enfants.  Encore  faut-il  compter  dans  ce  nombre  plu- 
sieurs enfants  des  villages  voisins,  notamment  de  Nafa- 
na,  qui  vivent  à  Kong  chez  des  correspondants.  C'est  en 
effet  une  coutume  fort  en  honneur  chez  les  noirs,  et  no- 
tamment chez  les  Mandé-Dioula,  que  de  se  prêter  ses  en- 
fants de  famille  à  famille,  et  même  de  village  à  village. 
C'est  une  marque  de  déférence  ou  d'aflection  au  chef  de 
famille.  Les  villages  voisins  de  Kong  n'y  manquent  pas^ 
et  cette  coutume  leur  sert  en  outre  à  faire  donner  un  peu 
d'instruction  à  leurs  enfants,  beaucoup  de  villages  étant  en 
effet  dépourvus  de  maîtres  d'école. 

Malgré  tout,  il  est  facile  de  constater  à  Kong  une  grande 
indifférence  intellectuelle  ;  les  enfants  ne  vont  pas  tous  à 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  IQI 

l'école  coranique  ;  ceux  qui  y  vont  n'y  apprennent  pas 
grand'chose;  et  c'est  sans  doute  cette  inappétence,  ce 
manque  de  goût  qui  plus  que  toute  autre  cause,  a  amené 
la  déchéance  islamique  de  Kong.  Monnier  signalait  déjà 
en  1892,  aux  derniers  jours  de  la  splendeur  de  Kong,  cette 
indifférence  spirituelle.  «  Ici  pas  plus  qu'à  Bondoukou,  le 
sentiment  religieux  n'est  exalté.  C'est  un  islamisme  à  fleur 
de  peau,  pour  la  convenance,  par  ce  que  le  fait  d'être  mu- 
sulman constitue  une  supériorité.  Cela  ne  va  pas  plus  loin. 
On  fait  salam,  mais  on  boit  du  dolo.  Toute  cette  race 
Dioula,  âpre  et  travailleuse,  dont  les  caravanes  arpentent 
la  route  du  Niger,  a  l'esprit  trop  absorbé  par  son  négoce 
pour  s'attarder  dans  l'idéal.  » 

En  revanche,  comme  Bondoukou  sa  sœur  de  race,  de 
mœurs  et  de  langue,  elle  est  toujours  une  ville  de  com- 
merce et  de  réjouissances,  les  tamtams  y  résonnent  à  peu 
près  tous  les  soirs  et  les  Dioula  de  passage  savent  par 
expérience  qu'on  y  gagne  de  l'argent  le  jour  et  qu'on  le 
perd  avec  entrain  la  nuit. 

Kong  porte  localement  le    nom  de  Kpon  et  s'écrit  dans 

l'arabe  du  cru  p-   yz.  soit  Gho,  Rho. 

Ali  Mori  Sogodogo,  Mandé  Dioula,  est  la  personnalité 
la  plus  importante  de  Kong.  Ce  petit  vieillard  timide  se 
révèle  plein  d'esprit  et  de  souvenirs,  quand  sa  défiance  est 
,1  dissipée.  Sa  famille  est  originaire  de  Boron.  Ce  fut  son 
cinquième  ancêtre,  Abdoullaye  Sogodogo,  qui  arriva  au 
début  du  dix-huitième  siècle  du  village  de  Kong.  Ils  s'y  suc- 
cédèrent de  père  en  fils,  commerçants,  marabouts  réputés; 
Anzoumana  Souleyman,Mostafa,  Abdouilaye.  Celui-ci  père 
d'Ali  Mori,  habita  quelque  temps  la  région  de  Séguéla 
comme  dioula.  C'est  là,  à  Kani,  que  naquit  Ali  Mori, 
vers  i855.  Revenu  à  Kong,  il  y  lit  ses  études  et  commerça 
jusqu'au  moment  où   les  massacres  de  Samory  le  contrai- 


1-92  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE. 

gnirent  avec  beaucoup  d'autres  à  prendre  la  fuite.  Il  revint 
chez  lui,  au  lendemain  delà  débâcle  du  grand  conquérant 
(1897),  et  comme  il  comptait  déjà  parmi  les  notables,  il 
fut  élualmamy  de  la  grande  mosquée  par  ses  compatriotes. 
Il  exerce  ses  fonctions  depuis  cette  date  à  la  satisfaction 
générale.  Il  est  incontestable  qu'Ali  Mori  est  la  figure  la 
plus  vénérée  de  la  région,  encore  que  son  instruction  arabe 
soit  des  plus  médiocres  et  qu'il  soit  incapable  de  converser 
dans  le  petit  arabe  littéraire  qu'on  peut  généralement  em- 
ployer avec  les  marabouts  noirs  de  quelque  valeur.  Ali 
Mori  est  tidiani.  Il  a  reçu  Touird  d'un  pouUo  de  Dienné, 
Anzoumana  Cissé,  qu'il  a  rencontré  à  Niellé,  où  tous  deux 
étaient  en  tournée.  Ali  xMori  dirigeait  jusqu'à  ces  temps 
derniers  une  école  coranique  d'une  quinzaine  d'enfants; 
sa  vue  faiblissant  de  jour  en  jour,  il  a  dû  laisser  la  place 
à  ses  frères  Ismaïla  et  AbdouUaye.  L'école  est  tombée  au- 
jourd'hui à  une  dizaine  d'enfants. 

Ya  Mori  Oualtara,  Dioula,  né  vers  i85o,  fils  de  Bakari 
Songoutigui,  fils  de  Samafi,  fils  de  Sékou,  fils  de  Tiéba, 
fils  de  Marha,  est  le  chef  du  canton  de  Kong.  C'est  ce 
Marha  qui  émigra  le  premier  du  pays  mandé  des  bords  du 
Niger,  alla  résider  quelque  temps  à  Dé  (Bandiagara),  puis 
vint  ici.  Ya  Mori  s'enfuit  à  Bobo  Dioulasso,  lors  de  l'inva- 
sion de  Samory.  Il  revint  au  pays  en  fin  iSgS,  lors  de  notre 
apparition  dans  la  région,  et  remplaça  dans  le  commande- 
ment du  canton,  son  oncle  Ba  Kombi,  mis  à  mort  par  les- 
sofas.  Ya  Mori,  vieux,  usé,  très  considéré,  n'a  aucune  in- 
fluence. Il  est  complètement  illettré  et  au  surplus  avec  ses 
six  femmes  ne  fait  pas  figure  de  musulman  bien  fervent. 
Il  se  déclare  disciple  tidiani  de  Mandiou  Touré,  Bobo  Dafing 
qui  de  passage  ici  y  habita  plusieurs  années.  Il  se  ratta- 
chait par  son  maître  Siriki,  Dafing,  à  l'école  nigérienne 
d'Al-Hadj  Omar.  Reparti  au  Soudan  en  1918,  ce  xMandiou 
est  tombé  malade  en  route  à  Pallaka  et  y  est  resté. 

Dien  Mori  Ouaf /ara,  Dioula,  né  vers  1880,  fils  de  Bafa- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  1  g3 

tigui,  est  le  chef  du  village  de  Kong.  Il  n'a  pas  d'ouird,est 
complètement  illettré,  et  ne  mérite  une  mention  que  par 
les  fonctions  qu'il  exerce. 

Balé  Ouattara,  né  vers  1877  à  Kong,  est  un  des  notables 
de  la  ville.  C'est  un  musulman  ignorant,  besogneux,  et 
dont  les  six  femmes  fétichistes  démontrent  que  sa  piété  est 
minime. 

An^oumana  Toiiré,  Dioula,  né  vers  1867.  Sa  famille 
habite  Kong  depuis  une  dizaine  de  générations  et  a  perdu 
le  souvenir  de  l'ancêtre,  le  premier  immigrant.  Ils  ont  été 
marabouts  et  colporteurs,  comme  la  tradition  l'exige.  En 
ce  qui  concerne  Anzoumanaen  particulier,  on  le  voit  par 
les  grands  chemins  de  Bamako  à  Bobo  et  à  la  Côte.  Peit- 
dant  de  temps,  son  école  de  3  à  4  élèves  reste  fermée.  Il  sait 
tout  au  plus  quelques  versets  du  Coran,  et  n'a  aucune  ins- 
truction, mais  c'est  un  homme  intelligent  et  ouvert.  Il  se 
réclame  de  l'ouird  qadri,  qui  lui  fut  donné  par  son  père, 
feu  Sabati  Saranorho. 

Baba  Koulibali,  Dioula,  est  né  vers  1878.  Il  appartient 
à  une  famille  de  marabouts-colporteurs.  Baba  a  une  petite 
instruction  arabe,  dont  il  tire  parti  en  enseignant  le  Coran 
à  l'une  des  écoles  les  plus  achalandées  de  Kong;  22  élèves. 
Il  lui  est  impossible  d'ailleurs  de  converser  en  arabe  litté- 
raire courant.  Il  a  reçu  l'ouird  qadri  d'un  marabout  dioula 
de  Kong,  Karamoko  Bissiri.  Ce  Karamoko,  de  son  vrai 
nom  Al-Hassen  Al-Bisri  ibn  Al-Hadj,  est  en  perpétuelle 
errance  du  Soudan  à  la  Côte  d'Ivoire.  Il  paraît  être  le  mo- 
qaddem  actuel  des  qadrïade  Kong  et  se  rattache  au  grand 
Sidi-1-Mokhtar  des  Kounta  (f  181 1)  par  Mahmoudou  Ab- 
dour-Rahman,  Sidi-Al-Hadji  Ishaqa,  Salihou,  Moussa  Ibra- 
hima  et  Souleyman  Tafsirou, 

Sorika  Konaté,  Dioula,  né  vers  i858,  fils  de  Soualifou, 
fils  d'Abou  Bakar  Sidiki,  fils  de  Lanzana  Konaté,  fils 
d'Al-Hadji  Ba,  fils  de  Dakrou,  filsde  Dakrou,  fils  de  Fétigué 
Mori,    était    le    troisième    maître    d'école    de    Kong   avec 

i3 


194  ÉTUDES    SUR   l'islam    EN    COTE    D  IVOIRE 

ses  12  élèves.  Il  en  a  aujourd'hui  deux.  C'est  ce  Fétigué  le 
musulman,  qui  vint  le  premier  du  pays  Mandé  vers  la  fin 
du  dix-septième  siècle,  et  depuis  on  a  de  père  en  fils  tou- 
jours été  marabout  et  colporteur  dans  la  famille.  Sorika 
est  un  homme  intelligent  et  déférent  qui  a  petite  instruc- 
tion arabe.  Connu  et  apprécié  dans  son  village,  où  son  zèle 
peut  rendre  quelques  services,  il  n'a  aucune  influence  au 
dehors.  Il  dit  avoir  reçu  l'ouird  qadri,  il  y  a  une  trentaine 
d'années  d'un  marabout  de  Dia,  Moriarha  Diane,  qu'il  ren- 
contra à  Bobo.  Il  n'en  sait  pas  plus  sur  ses  origines  mys- 
tiques. 

Sanoussi  Saranorho,  né  vers  1878,  Dioula,  jadis  à  Tié- 
méné,  aujourd'hui  à  Kong,  où  il  fait  le  colporteur  et  entre 
temps  le  maître  d'école.  Sanoussi  se  dit  qadri  et  présente 
une  chaîne  mystique  qui,  sans  sortir  de  la  famille  Sara- 
norho,  aboutit  au  grand  cheikh  Omar  le  Kounti  (seizième 
siècle).  C'est  la  première  fois  qu'on  trouve  ce  cas  d'islami- 
sation dans  la  société  mandé  de  la  haute  Côte  d'Ivoire  et  il 
n'est  pas  commun.  L'apostolat  islamique  et  qadri  des 
grands  cheikhs  Kounta  du  seizième  siècle  avait  bien  laissé 
des  traces  en  eff'et  dans  la  vallée  du  Niger  et  dans  le  Sahel 
soudanais,  mais  paraissait  s'être  eff'acé  plus  au  sud.  Il  est 
curieux  d'en  retrouver  des  vestiges  à  Kong.  Voici  donc  la 
chaîne  des  auteurs  mystiques  de  Sanoussi  :  Son  père  Ma- 
kama  Saranorho,  Ousma  Fa,  Fa  Karamoko  Saidou,  Lebbas- 
sou,  Mostafa,  Man  Daouda,  Anzoumana,  Moktatou,  Sou- 
leimana,  Al-Hadji,  Mahmoudou,  Ahmadou,  Ibrahima  Al- 
Bissiri,  Ali  Abdour-Rahman,  tous  Saranorho.  Abdour 
Rahman  est  le  disciple  d'Oumarou  Kentissi,  disciple  lui- 
même  d'Ahmadou  Al-Feirmi.  On  n'a  pas  de  peine  à  recon- 
naître les  grands  noms  Kounta  d'Omar  et  d'Ahmed  Al- 
Feirem.  D'ailleurs,  au  delà,  la  chaîne  de  Sanoussi  n'est 
autre,  avec  les  déformations  de  noms  qui  conviennent,  que 
la  chaîne  qadrïa-bekkïaa  des  Kounta. 

Sitafa  Saranorho,  né  vers  1884,  est  un  métis  de  Mandé 


GROUPEMENTS   ET   INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  igS 

et  de  femme  Sénoufo.  Colporteur  de  métier,  comme  ses. 
congénères  de  Kong,  il  s'est  transformé  en  professionnel 
de  la  quête  islamique  et  a  eu  de  ce  fait  diverses  aventures 
qui  paraissent  closes  pour  l'instant.  Il  quittait  Kong,  vers 
igio,  pour  aller  rendre  visite  en  Sierra  Leone  à  un  de  ses 
frères  qui  y  résidait.  En  1912,  il  arrivait  dans  le  cercle  de 
Faranah  (Guinée)  et  y  fit  connaissance,  à  la  suite  de  circon- 
stances bizarres,  d'une  femme  dans  laquelle  il  prétendit 
reconnaître  sa  sœur.  Cette  femme,  du  nom  de  Bintou 
Saranorho,  était  l'épouse  d'un  dioula  de  Faranah,  qui 
quitta  sa  maison  pour  vaquer  à  son  commerce.  Bintou  le 
suivit  jusqu'à  Mamou,  mais  soit  qu'elle  eût  trouvé  la  route 
trop  longue,  soit  pour  tout  autre  motif,  elle  l'abandonna  et 
s'enfuit  au  Sierra  Leone  avec  un  ami.  C'est  à  son  retour 
de  Sierra  Leone  que  se  produisit,  au  village  deDentibia,  la 
rencontre  au  cours  de  laquelle  Sitafa  et  Bintou,  frère  et: 
sœur,  tombèrent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  Sitafa  était 
dans  une  situation  irrégulière.  Invité  à  regagner  son  pays,, 
il  était  allé  se  réfugier  dans  l'entourage  de  Famoro  Samoura,. 
chef  de  la  province  de  Soliman,  et  y  vivait  en  qualité  de 
marabout  et  de  parasite  du  chef.  Quand  Famoro  fut  incar- 
céré, l'enquête  fit  découvrir  Sitafa,  qui,  vivant  avec  sa  sœur, 
venait  de  la  marier  à  un  garde-cercle  de  la  brigade  de 
Faranah.  Invité  une  seconde  fois  à  retourner  à  Kong  et  à 
n'en  revenir  qu'avec  des  papiers  réguliers  auprès  du  chef  de 
village  de  Biri  (province  du  Sankaran).  Arrêté  alors  et 
expulsé  du  cercle  de  Faranah,  il  fut  conduit  manu  militari 
à  Kong  (fin  1912).  C'est  un  individu  sournois,  dont  l'ins- 
truction arabe  est  limitée,  mais  qui  est  suffisamment 
retors  pour  exploiter  tout  le  monde,  partout  où  il  passe. 
Il  est  absent  de  Kong  la  plupart  du  temps.  Sitafa  se  dit 
disciple  qadri  de  Sidiki  Saranorho  son  père. 

Ladji  Koulibali,  Dioula,  né  vers  1 855,  est  mort  en  191 7. 
Il  fit  pendant  toute  sa  jeunesse  le  colporteur,  et  on  le  vit  de 
Dienné    à   la   Côte.    Depuis  quelques  années,    fatigué  dit 


igÔ  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

négoce,  il  tournait  au  marabout  quêteur  et  au  charlatan 
d'islam.  Comme  il  était  bien  connu  à  Kong,  c'est  dans 
les  parages  qu'il  opérait  et  notamment  dans  la  région  de 
Korhogo,  où  existent  de  nombreux  Koulibali  Senoufo. 
Ladji  ne  manquait  pas  de  mettre  à  profit  cette  parenté,  pré- 
tendue ou  réelle.  C'est  ainsi  qu'on  le  vit  opérer  à  plusieurs 
reprises  à  Felkessédougou,  et  à  Korhogo  même.  Dans  cette 
dernière  ville,  il  fut  surpris,  en  1912,  dans  l'entourage  de 
Gbon  Koulibali,  chef  de  canton,  vivant  d'expédients  plus 
que  douteux.  Invité  à  justifier  sa  présence,  il  explique 
qu'une  de  ses  filles  captive  à  Bendéguéla  (Touba)  lui  avait 
fait  dire  de  l'envoyer  chercher  et  de  la  racheter.  Il  lui  avait 
alors  dépêché  un  boy  avec  une  somme  de  200  francs.  Mais 
ce  serviteur  de  confiance  s'en  fut  trouver  à  Dakala  un  ami 
de  son  maître,  lui  emprunta  encore  200  francs  en  son  nom 
et  se  transforma  en  dioula.  Ladji  explique  que  ce  boy  était 
fort  adroit  et  qu'il  ne  doutait  pas  qu'au  bout  de  2  ou  3  ans 
il  n'eût  fait  fortune  et  racheté  la  fille,  non  oubliée  certes. 
C'est  pourquoi  lui,  Ladji,  n'avait  pas  porté  plainte  contre 
lui,  mais  s'était  contenté  de  se  mettre  à  sa  recherche  pour 
reprendre  l'argent  et  ravoir  ainsi  sa  fille.  Tout  ceci  en 
somme  était  bien  ;  mais  on  apprit  pendant  l'enquête  que 
Ladji  colportait  des  bruits  insidieux,  tels  par  exemple  que 
les  Blancs  ayant  assez  gagné  d'argent,  se  préparaient  à 
rentrer  en  France  et  que  c'étaient  les  marabouts  qui  devaient 
prendre  le  commandement  du  pays.  Quoique  les  Senoufo 
fétichistes  ne  crussent  pas  à  ces  déclarations,  ils  ne  laissèrent 
pas  d'en  être  troublés.  Aussi  Ladji  fut-il  condamné  disci- 
plinairement  à  i5  jours  de  prison  et  renvoyé  à  Kong.  Il  ne 
fit  plus  parler  de  lui,  se  montra  au  contraire  fort  empressé 
à  visiter  le  poste,  et  mourut  en  191 5.  Il  avait  été  affilié  au 
tidianisme  par  un  marabout  de  Kong,  Birahima  Taraoré. 
Seidou  Saranorho,  né  vers  i865,  maître  de  l'école  la 
plus  achalandée  de  Kong  (26  élèves)  est  qadri,  de  l'obé- 
dience de  Karamoko  Bissiri  précité. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  igj 

Al-Kali  Saranorho,  né  vers  1876,  maître  d'une  école  de 
10  élèves,  disciple  tidiani  de  Karamoko  Sidiki  Saranorho, 
de  Diénaba  (Dabakala). 

Karamoko  Konaié,  né  vers  1860,  maître  d'une  école  de 
5  élèves.  lia  reçu  l'ouird  tidiani  du  cheikh  Abd  Er-Rahman 
Diakité,  de  Dienné,  qu'il  vit  à  son  passage  dans  cette  ville. 
Ce  cheikh  se  rattache  par  Youssoufou  Cissé  et  Ibrahima 
Fofana  à  Mohammed  Al-Rali,  cheikh  de  la  zaouïa  tidjanïa 
de  La  Mecque  et  disciple  direct  du  fondateur  de  la  Voie. 
Ces  trois  maîtres  d'écoles  sont  tous  cultivateurs,  et  même 
commerçants  à  l'occasion.  Ils  sont  de  race  mandédioula. 

Depuis  la  mort  de  Ladji  Koulibali,  il  n'y  a  plus  que  deux 
pèlerins  à  Kong  :  Al-Hadji  Diabaraté,  et  Al-Hadji  Mandiou, 
tous  deux  dioula.  Le  premier,  né  vers  1860,  d'une  famille 
originaire  de  Bégho,  près  Bondougou,  a  fait  le  pèlerinage 
en  1917-1918  avec  une  caravane  de  Haoussa  de  Kano, 
qu'il  rejoignit  à  Coomassie.  Ils  s'embarquèrent  à  Accra, 
et  transbordèrent  à  Las  Pal  mas,  à  Tanger,  et  à  Alexandrie. 
Un  vapeur  local  les  conduisit  à  Djeddah.  Après  un  séjour 
de  deux  mois  à  La  Mecque,  ils  s'en  furent  à  Médine,  et 
revinrent  par  la  voie  ferrée  s'embarquer  à  Beyrouth  pour 
Alexandrie.  Le  chemin  du  retour  fut  le  même  qu'à  l'aller. 
Son  frère  Ba  Siriki,  aujourd'hui  décédé,  avait  déjà  fait  le 
pèlerinage.  Al-Hadji  Diabaraté  est  disciple  tidiani  de  Kara- 
moko Bissiri  précité.  Le  second  pèlerin,  Al-Hadji  Mandiou, 
dioula  aussi,  est  né  vers  1875.  Il  a  suivi  le  même  chemin 
que  Diabaraté  vers  1906.  Ces  deux  Mandé-Dioula  sont  à 
la  fois  commerçants  et  cultivateurs. 

En  dehors  du  village  de  Kong,  il  y  a  quelques  agglomé- 
rations mandé-dioula,  dont  la  population  musulmane  suit 
les  directives  d'un  marabout  notoire  de  plus  ou  moins  de 
valeur,  de  plus  ou  moins  d'influence. 

A  Tindalla,  dans  le  canton  de  Kobakoko,  le  marabout 
en  vedette  est  Baro  Saranorho,   dit  Bamassa  SaranorhOy 


îgS  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

né  vers  1870,  dioula,  almamy  et  maître  d'école  du  village. 
Il  a  une  quinzaine  d'enfants,  à  qui  il  apprend  ce  qu'il  sait, 
un  peu  de  Coran.  Intelligent,  ouvert,  dévoué,  Ba  Massa 
310US  a  rendu,  dès  les  premiers  joursde  l'occupation  (1900), 
ies  plus  distingués  services,  tant  à  Léraba  qu'à  Kong.  Il  a 
toujours  servi  d'intermédiaire  entre  les  gens  de  son  village 
€t  les  autorités.  Il  est  très  écouté  dans  la  région,  moins 
comme  marabout  que  comme  conseiller:  les  chefs  de 
Tindalla  et  de  Diambala  notamment  ne  font  rien  sans  le 
■consulter.  Nous  trouvons  avec  Ba  Moussa  une  chaîne  mys- 
tique qadrïa  qui  seperddansla  nuit  des  temps,  se  rattachant 
sans  doute  comme  celle  de  Sanoussi  Saranorho  aux  premiers 
Kounta  du  seizième  siècle.  Voici  cette  chaîne  :  Ba  SanaSsi 
son  père,  Ba  Amara  son  père  ;  Ba  Anzoumana  son  père  ; 
-Béma-1-Kali  ;  Ibrahima;  Abdour-Rahman  ;  Féré  Mori  Fi  ; 
Sendou  ;  Saranorho  Al-HadjiBa;  Bakari;  Al-Mostafa;  Ban- 
sékédou  ;  Al-Hadji  Anzoumana;  VVali  BaAnzoumana;  Ba 
Amara,  tous  Saranorho.  Tindalla  (ou  Tintalla)  renferme 
une  petite  mosquée  en  banco  du  modèle  classique  sou- 
danais. 

A  Nafana,  la  famille  des  Saranorho  fournit,  de  père  en 
fils,  le  marabout  et  l'almamy.  L'almamy  actuel  est  Bamori 
Ba  Saranorho,  né  vers  1870,  maître  d'une  petite  école  de 
3  ou  4  enfants.  Mais  parti  en  1906  à  Bondokou  pour  com- 
mercer, il  n'est  pas  encore  revenu.  Son  frère  Mahmoudou 
le  remplace.  Ni  l'un  ni  l'autre  ont  d'affiliation,  et  leur 
science  islamique  est  plus  que  modeste. 

A  Yondolo,  du  canton  de  Tabouroukoko-sud,  le  maître 
"d'école  (7  élèves)  et  almamy  était  Sidi  Fofana,  né  vers 
.i865,  intelligent  et  ouvert,  mais  peu  lettré.  Il  est  mort  en 
.1914,  et  a  été  remplacé  par  son  fils  Sinali,  né  vers  1890, 
personnage  insignifiant.  Le  chef  de  canton  Badiori  Ouat- 
iara,   dit  Bouna,  né   vers    1860,  a  une  personnalité  bien 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  I99 

plus  accentuée,  malgré  qu'il  ne  soit  qu'un  musulman  à  la 
manière  mandé-dioula  avec  ses  sept  femmes,  mi-fétichistes 
mi-musulmanes.  Il  a  succédé,  en  1910,  à  son  oncle  Badioula 
à  la  tête  du  canton.  C'est  un  beau  parleur,  obséquieux 
et  malgré  tout  intéressant,  cultivateur  de  profession  plus 
que  dioula. 

A  Bilémono,  du  canton  de  Faraninka,  deux  noms 
méritent  une  mention  :  Anzoumana  Kamaraté,  né  vers 
1862,  maître  d'une  école  de  6  élèves,  qadri;  et  Ali  Kandé, 
né  vers  1876,  intelligent  et  quelque  peu  instruit.  Il  dirigeait 
une  école  d'une  douzaine  d'enfants,  il  l'a  fermée  en  1917, 
pour  aller  commercer  dans  la  région  de  Bondougou.  Il 
est  qadri. 

A  Nasian,  Talmamy  et  maître  d'école  est  Karamoko 
Ouattara,  né  vexs  1882,  qadri.  Il  dirige  sans  grande  com- 
pétence une  école  de  10  enfants.  Nasian  est  un  très  vieux 
village,  qui  a  eu  à  souffrir  des  incursions  des  rois  Abron. 
Bowdich  la  mentionne  sous  le  nom  de  Nasia.  Binger  la 
visitait  le  27  décembre  li 


A  Koniéné^  le  marabout  en  vue  était  Abou  Daw,  né  vers 
1872,  qadri.  Il  est  mort  en  1917  et  n'a  pas  été  remplacé. 
Le  pèlerin  de  La  iMecque,  originaire  de  Dienné,  et  qui  ins- 
tallé à  Koniéné,  y  fit  à  Binger  le  3  janvier  1889  un  si  cor- 
dial accueil,  a  disparu  du  village.  L'islam  n'est  ici  que 
faiblement  représenté. 


8.  —  Dabakala. 

Dabakala  est  le  chef-lieu  du  cercle  actuel  des  Tagouana, 
qui  comprend  deux  subdivisions  :  Dabakala  proprement 
dite  et  les  Tagouana. 


200  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

La  première  subdivision,  étudiée  sous  ce  titre,  est  for- 
mée par  les  deux  provinces  fétichistes  senoufo  du  Djimini 
et  du  Diamala  et  par  le  canton  musulman  mandé-dioula 
de  Darhala.  On  y  trouve  aussi  quelques  Ngan,  dont  les 
origines  sont  mal  déterminées.  Chartier  en  fait  desAgni. 
Delafosse  avance  qu'ils  sont  un  peuple  métis,  issu  des 
autochtones  de  la  lisière  de  la  forêt  dense  et  des  migrations 
Diallonké  (Mandé  du  Sud).  Ils  sont  fétichistes  comme  les 
tribus  de  la  forêt. 

Chez  les  Senoufo  Diamala,  l'islam  commence  à  pénétrer 
sous  l'influence  de  la  propagande  ou  simplement  de 
l'exemple  mandé-dioula.  Deux  personnalités  de  cette  race 
sont  à  citer,  encore  que  fort  peu  ferventes  :  Karamorho  Ali 
Ouattara  et  Kongodé  Ouattara. 

Le  premier,  Karamorho  Ali,  est  né  vers  1860.  Il  est  le 
chef  du  canton  de  Diamala-Ouest  et  réside  en  cette  qualité 
à  Satama-Sokoro.  Réfugié  à  Kodiokofî,  à  la  suite  de  l'inva- 
sion de  Samory,  il  devint  le  chef  des  fugitifs.  Les  Diamala 
de  la  région  occidentale  le  choisirent  comme  chef  en  1900, 
au  retour  des  émigrés.  L'autorité  française  le  reconnut 
d'autant  plus  facilement  qu'il  lui  avait  rendu  de  réels  ser- 
vices en  1895,  en  ravitaillant  la  colonne  Monteil  et  l'avant- 
garde  Marchand.  Il  y  a  gagné  une  médaille  d'honneur.  Ce 
chef,  intelligent  et  dévoué,  sait  fort  bien  se  faire  obéir,  mal- 
gré son  grand  âge.  Il  a  un  canton  assez  difficile,  où  s'en- 
tremêlent Dioula  musulmans  et  Diamala  et  Bambara  fé- 
tichistes, et  même  deux  petits  villages  Baoulé,  au  total 
3.400  âmes.  Riche  pasteur,  grand  cultivateur,  Karamorho 
Ouattara  avec  ses  neuf  femmes  aux  cultes  variés  et  les 
334  personnes  de  sa  case  fait  plutôt  figure  de  patriarche 
fétichiste  que  de  marabout  islamique. 

Le  second,  Kongodé  Ouattara,  né  vers  1870,  est  le  chef 
du  canton  du  Diamala-Est.  Il  a  succédé  en  1906  à  son  frère 
Kourou  Mory,  qui  était  fétichiste.  Cette  famille  a  toujours 
commandé    le  pays.   Kongodé  l'ancien  était    un  puissant 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  201 

chef  dont  l'autorité  s'étendait,  avant  Samory,  sur  tout  le 
Diamala.  Il  ne  voulut  pas  se  plier  aux  ordres  du  conqué- 
rant et  fut  supplanté  dans  son  commandement  par 
l'almamy  Saranorho  Fofana,  qui  sut  se  rallier  à  Samory. 
Sur  ces  entrefaites,  Kongodé  mourut  et  les  Diamala  prirent 
la  fuite.  A  leur  retour  en  fin  1899,  Kourou  Mory  fut  élu 
chef  par  les  gens  de  l'Est.  Jusqu'à  lui  les  chefs  Diamala  sont 
fétichistes.  C'est  avec  Kongodé  le  jeune  que  l'islam  a  pénétré 
dans  la  famille  princière.  C'est  un  chef  mou,  peu  intelligent, 
craintif,  qui  commande  difficilement  à  2.5oo  personnes  où 
aux  Dioula  et  métis  de  Dioula  s'entremêlent  des  Diamala, 
des  Bambara,  et  des  éléments  Baoulé.  La  mort  de  Logocina, 
son  adversaire  religieux,  lui  a  rendu  quelque  autorité  sur 
les  Dioula  de  Fatama  Sokoura,  qui  jusque-là  lui  avaient 
échappé. 

La  province  Djimini  est  restée  jusqu'à  présent  intacte. 
On  y  rencontre  bien  des  petits  groupements  Dioula  mu- 
sulmans, mais  la  masse  Sénoufo  prédominante  et  les  élé- 
ments Bambara  et  Baoulé  qui  s'y  entremêlent  sont  complè- 
tement rebelles  à  l'islam. 

Les  quatre  cantons  senoufo  sont  : 

à)  Djimini-Ouest,  le  plus  important  avec  sesii.5oo  habi- 
tants; le  chef  est  Kitara  Sara  Ouattara,  de  la  famille  prin- 
cière du  pays.  L'ordre  de  succession  est  traditionnellement 
le  suivant  :  c'est  le  chef  en  titre  qui  désigne  son  successeur 
dans  la  famille  princière;  cette  nomination  doit  être  ap- 
prouvée par  l'assemblée  des  chefs  de  village  et  les  notables, 
et  aujourd'hui  ratifiée  par  l'autorité  française. 

h)  Djimini-Est  a  8.200  personnes.  Sinassigué  Ouattara, 
chef  depuis  1899,  a  ramené  en  place  les  Djimini  qui,  battus, 
par  Samory,  avaient  été  contraints  de  se  réfugier  près  des 
postes  français  du  Baoulé  :Kodiokofi  etToumodi.  A  signa- 
ler quelques  petits  groupements  Dioula. 

c)  Djimini-Nord,  900  personnes,  dont  une  centaine  de 
Dioula.  Le  chef,  Dendiougou   Ouattara,  fait  captif  par  les 


202  ETUDES   SUR   L  ISLAM    EN   COTE   D  IVOIRE 

sofas  de  Samory,  fut  vendu  àMankono,  cequi  n'est  pas  fait 
pour  lui  inspirer  de  la  sympathie  pour  les  musulmans.  Il 
est  assesseur  animiste  au  tribunal  de  subdivision  de 
Dabakala. 

d)  Dabakala,  760  personnes,  toutes  Senoufo  animistes. 
Ce  canton  est  de  création  récente  et  comprend  le  village 
même  et  les  hameaux  de  culture  voisine;  il  a  été  détaché 
du  Djimini-Nord.  Le  chef,  non  Ouattara,  né  vers  1860,  est 
intelligent  et  ouvert.  Il  est  aussi  assesseur  non  musulman 
au  tribunal. 

Ces  cantons  Djimini  sont  fort  étendus;  ils  comprennent 
chacun  plusieurs  groupes,  ayant  des  chefs  à  leur  tête;  les 
chefs  de  cantons  commandent  eux-mêmes  le  groupe  où  ils 
résident.  Cette  organisation  est  antérieure  à  notre  installa- 
tion dans  le  pays. 

Les  principales  agglomérations  musulmanes  de  ces  can- 
tons senoufo  sont  les  deux  Dabakala,  les  deux  Satama, 
Nborla-Dioulasso,    Ouandarama  et   Tintinkan-Dioulasso. 

Dabakala-Dioulasso  et  Dababala-Koro,  dont  la  réunion 
forme  le  centre  de  Dabakala,  renferme  une  population 
mandé  musulmane  de  près  de  400  âmes,  4  marabouts 
maîtres  d'école,  et  2  mosquées,  dont  l'une  est  diouma. 

La  personnalité  en  vedette  est  Sanoussi  Diabi,  dont  la 
famille  est  Marka,  originaire  de  Kiba,  dans  le  Banamba 
(Bamako);  son  père  Al-Hadji  Mokhtar  était  né  à  Sananko- 
rou.  Il  partit  en  pèlerinage  à  La  Mecque  vers  i865,en  revint 
vers  1870  et  à  son  passage  à  Bondoukou,  sollicité  parle  roi 
du  pays  Ardjouma  de  rester  près  de  lui,  acquiesça  à  ses 
propositions  et  le  fixa  à  Bondoukou.  Il  racontait  par  la 
suite  qu'il  avait  été  le  marabout  et  l'instituteur  de  Samory, 
ce  qui  est  bien  possible,  car  Samory  était  de  Sanankourou. 
Il  mourut  à  Bondoukou.  Il  y  commit  des  exactions  sans 
nombre,  quand  Samory  eut  été  vaincu,  ses  bandes  se  dis- 
persèrent, et  Sanoussi  vint  se  réfugier  à  Dabakala.  Il  se 
signala  au  début  par  quelque  opposition  à  notre  pouvoir, 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  '203 

puis  finit  par  se  rallier  franchement.  Il  a  donc  été  nommé 
en  19 12  chef  des  Dioula  Dabakala  et  peu  après  assesseur 
musulman  au  tribunal  de  cercle.  Il  a  marié  en  1914  une 
de  ses  filles  à  l'interprète  Souleyman  Soumaré.  C'est  un 
homme  actif,  intelligent,  qui  aime  à  causer  du  passé  où  il 
a  joué  un  rôle  ;  il  est  relativement  lettré  et  fait,  depuis  le 
début  de  notre  occupation,  l'école  à  une  vingtaine  d'enfants, 
tous  de  sa  famille.  La  chute  de  Samory  et,  plus  tard,  la 
libération  des  captifs  l'ont  ruiné  ;  il  vit  aujourd'hui  de  ses 
cultures  et  de  ses  troupeaux.  II  est  tidiani  par  un  disciple 
de  son  père  Karamoko  Marna,  de  Korhogo.  Quant  à  Hadji 
Mokhtar,  il  avait  été  affilié  à  cette  voie,  à  la  zaouïa  de  La 
Mecque,  lors  de  son  pèlerinage.  Il  a  plusieurs  frères  qui 
sont  plus  commerçants  que  marabouts. 

Karamoko  Salia,  Baba  Béma  et  Béma  Bama,  tous  trois 
cousins,  nés  tous  trois  vers  1880,  sont  des  personnalités 
mandé  dioula  de  quelque  envergure.  La  famille  est  origi- 
naire de  Foulboula  dans  la  Gold  Coast.  L'ancêtre  Idrassa 
fut  arrêté  à  Bondoukou  par  les  besoins  de  son  commerce 
€t  s'y  installa.  Il  eut  quatre  fils,  qui  se  sont  dispersés  entre 
Bondoukou,  Dabakala  et  Kong,  et  dont  la  nombreuse  pro- 
géniture est  perpétuellement  sur  les  grands  chemins  en 
quête  de  gains  commerciaux. 

Idrissa  Bama. 

[ 

I  I  i  I 

Ishaka.  Sidiki.  Amoro.  Bagui, 

I  I  I  I 

Karamoko  Salia.  Baba.  Béma.  disperses. 

La  famille  Bama  est  à  Dabakala  depuis  1898  avec  l'auto- 
risation de  Samory.  Les  trois  cousins  sont  surtout  com- 
merçants, quelque  peu  cultivateurs  et,  à  temps  perdu, 
maîtres  d'école.  La  clientèle  scolaire  de  chacun  d'eux 
ne  dépasse  guère  la  demi-douzaine  d'élèves.  Ils  n'ont  qu'une 


204  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

très  minime  instruction  arabe,  même  Karamoko  Salia  qui 
paraît  le  plus  lettré,  et  dont  on  a  fait  un  juge  au  tribunal 
de  subdivision.  Leur  instruction  s'est  faite  à  Bondoukou, 
auprès  de  Karamoko  Lassana.  Ils  ont  reçu  Touird  qadri 
d'un  missionnaire  de  Bou  Kounta  de  Tivaouane,  Ahma- 
dou  Kounta,  aujourd'hui  disparu  du  pays.  Ce  sont  des 
jeunes  gens  tranquilles  et  corrects. 

Nous  trouvons  ici  le  premier  représentant  de  l'islam 
chez  les  Senoufo  :  Bamori  Koulibali.  Il  est  vrai  que  ce 
n'est  pas  lui  qui  s'est  converti  à  l'islam,  mais  son  arrière- 
grand-père  Amoro,  qui  paraît  bien  avoir  été  un  captif. 
C'est  son  patron,  on  dit  aujourd'hui  son  maître  spirituel, 
Amoro  Diabaraté,  qui  l'aurait  amené  à  l'islam  et  l'aurait 
marié  à  une  jeune  Mandé.  Son  fils  Karamoko  Mori,  élevé  par 
une  mère  Dioula  au  milieu  de  Dioula,  se  dioulisa  complè- 
tement, si  j'ose  dire.  Ses  descendants,  Karamoko  Sékou  et 
Bamori  Koulibali,  font  aujourd'hui  partie  intégrante  du 
peuple  dioula  et  ne  veulent  plus  rien  avoir  de  commun 
avec  les  Senoufo  animistes.  C'est  môme  avec  peine  qu'ils 
avouent  leur  ascendance  senoufo,  parce  que  sans  doute 
elle  évoque  le  souvenir  de  la  servitude  ancestrale.  Bamo- 
rin  chef  du  village  de  Babakala-Koro,  est  né  vers  i855,  au 
hameau  voisin  de  Bokala;  il  a  fait  des  études  médiocres, 
dont  il  ne  lui  est  resté  absolument  rien.  Il  a  eu  la  préten- 
tion d'instruire  ses  fils  ;  il  y  a  renoncé.  Il  n'est  sorti  deDaba- 
kala  que  pour  se  réfugier  à  Bondoukou,  lors  du  passage  de 
Samory.  Il  y  revint  au  départ  de  l'almamy.  C'est  un-  excel- 
lent homme,  mais  mou,  apathique,  et  qui  n'est  pas  capable 
de  diriger  son  village.  Il  a  reçu  l'ouird  qadri  d'un  Bobo 
Dafing,  Hadji  Adama,  venu  de  Conakry,  missionnaire 
d'islam  et  commerçant  ambulant,  mort  en  igi5  dans  le 
Baoulé.  Cet  Adama  disait  avoir  été  affilié  à  la  voie  qadri, 
à  la  zaouïa  même  de  La  Mecque  par  un  Hadji  Mori  (?). 

La  mosquée  de  Dabakala,  sise  au  centre  de  la  place,  est 
un  joli  bâtiment  de  banco  bien  entretenu,  dans  le  goût  des 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  205 

mosquées  soudanaises.  Elle  a  pour  almamy  Soumaïla 
Touré,  né  vers  1860  à  Dienné.  Il  vint  à  Boudoukou 
vers  1895  dans  un  but  de  commerce,  et  s'installa  tinalement 
à  Dabakala,  auprès  de  Karamoko  Salia.  Il  avait  femme  et 
enfants  à  Dienné;  il  les  a  abandonnés  et  ne  les  a  jamais 
revus. 'Il  s'est  remarié  ici.  Il,  raconte  que  ses  ancêtres 
étaient  originaires  de  Tombouctou,  mais  qu'à  la  suite  de 
disputes  avec  les  Meiga,  ils  durent  s'expatrier  et  vinrent 
alors  à  Dienné.  Il  a  reçu  l'ouird  qadri  de  son  père  Abdour- 
Rahman,  qui  l'avait  reçu  du  cheikh Sidi-1-Bekkaï  lui-mèmiC 
{f  i865),  lors  de  ses  guerres  contre  les  Omariens  tidia- 
nistes.  Il  se  rattache  directement  à  la  voie  des  Kounta.  Sans 
instruction,  sans  école,  sans  livres,  Soumaïla  est  un  almamy 
de  fortune.  Il  ne  fait  aucun  prône  le  vendredi. 

Mamadou  Sékélé  Diabi  est  d'origine  Diakanké  de  Touba 
(Guinée).  Son  père  Al-Hadji  Issahakay  était  né.  Étant  allé 
à  La  Mecque,  il  s'arrêta  à  son  retour  à  Bondoukou,  vers  1 8go, 
et  s'y  fixa.  Son  fils  est  venu  s'installer  à  Dabakala  après  la 
mort  de  son  père.  Il  dirige  sans  grande  science  une  petite 
école  de  5  enfants.  Il  a  reçu  l'ouird  tidiani  de  son  père,  qui 
le  reçut  lui-même  à  La  Mecque,  de  Tahar  Mounteili.  Par 
Mohammed  Amor-l-Ain,  et  Al-Hadj  Ali  on  arrive  au 
cheikh  Tidjani,  fondateur  de  la  Voie.  La  plupart  des  affilia- 
tions tidjanïa  de  Tombouctou  dérivent  de  cet  Hadji 
Issahaka. 

A  signaler  enfin  à  Dabakala-Koro  un  autre  descendant 
du  Senoufo  Karamoko  Youssoufou,  dont  le  sixième  ancêtre 
a  été  converti  à  l'islam  par  son  maître  spirituel,  ou  plus 
vraisemblablement  par  son  patron,  Ahmadou  Diabaraté.  11 
est  aujourd'hui,  et  depuis  plusieurs  générations,  nationa- 
lisé Mandé-Dioula.  Il  est  qadri  de  l'obédience  de  Karamoko 
Féré  Mori,  qu'on  verra  ci  après. 

Satqma- Sokoura  est  un  gros  bourg  dont  la  population 
est  fort  mêlée.  «  Les  types  de  races   les  plus  diverses,  dit 


206  ÉTUDES    SUR   l'iSLAM   EN    CÔTE   d'iVOIRE 

Monnier  en  1892,  Dioula,  Agni,  Apolloniens,  Gannes,  y 
vivent  dans  une  harmonie  parfaite.  Un  certain  nombre  de 
musulmans,  à  qui  Ton  doit  l'introduction  de  quelques  in- 
dustries, l'usage  du  vêtement,  le  métier  à  tisser.  A  cela  près^ 
un  islamisme  des  plus  accommodants  qui  s'est  superposé 
aux  pratiques  anciennes  du  fétichisme  sans  entrer  en  lutte 
avec  elles.  On  y  compte  700  Mandé-Dioula  musulmans,. 
3  écoles  et  i  jolie  mosquée  de  style  soudanais,  plus 
spacieuse  même  que  celle  de  Dabakala.  Elle  est  «  Diouma  » 
pour  la  région  et  a  été  construite  par  Logocina  Fofana 
qui  dirige  les  destinées  religieuses  du  centre.  » 

Le  chef  de  la  génération  précédente, Ba  Saranorho  Fofana, 
était  déjà  un  marabout  de  renom,  fervent  adepte  de  qadé- 
risme.  Originaire  du  village  voisin  de  Satama  Sokoro,  il 
vint  s'installer  à  Satama  Sokoura,  lors  de  sa  fondation.  A 
sa  mort  vers  1889,  il  laissa  trois  fils,  imbus  de  sa  piété  et 
de  son  affiliation  :  Logocina,  Ali  et  Koutoukou.  Logocina, 
né  vers  i85o  et  qui  est  mort  en  1913,  était  un  homme 
extrêmement  intelligent  et  adroit,  qu'on  a  soupçonné,  à  tort,, 
semble-t-il,  à  cause  de  son  passé  et  de  son  esprit  d'intrigue, 
d'un  machiavélisme  dangereux.  Dès  le  début  de  la  carrière 
de  Samory,  il  était  allé  le  saluer,  et  devenu  son  ami,  fut 
nommé  conseiller  de  l'almamy  et  chef  de  village  de  Satama 
Sokoura.  Il  lui  fournit  de  la  poudre  et  des  armes  en 
échange  de  nombreux  captifs.  Grâce  à  ces  relations  ami- 
cales, il  put  éviter  la  destruction  du  village  qui  resta  intact 
au  milieu  de  la  ruine  générale.  Son  prestige  date  de  ce 
jour.  D'ailleurs  il  adorait  en  même  temps  le  soleil  levant 
et  accompagnait  avec  son  frère  Ali  le  capitaine  Binger  à 
Bassam.  Son  influence  était  très  grande,  non  seulement  au 
village  même,  mais  dans  le  Mango  et  le  Baoulé,  où  il  fai- 
sait le  dioula  et  achetait  des  captifs.  Cette  sorte  de  com- 
merce lui  valut  à  plusieurs  reprises  des  amendes.  L'occu- 
pation française  remit  chacun  à  la  place  :  Logocina,  dans 
son  rôle  de  marabout  et  le  chef  héréditaire  du  Diamala 


GROUPEMENTS   ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  20/ 

dans  son  commandement.  Logocina  garda  la  richesse  : 
champs,  commerce,  cheptel,  serviteurs,  et  l'influence  mo- 
rale, même  parmi  les  animistes.  Ses  cases  comprenaient  un 
quartier  important  de  la  ville.  Il  mourut  en  igiS,  laissant 
son  école  de  12  élèves,  sa  charge  d'almamy  et  son  autorité 
spirituelle  à  son  dernier  frère  Koutoukou;  Ali,  le  cadet 
étant  mort  antérieurement. 

Koutoukou,  né  vers  1860,  avait  toujours  vécu  quelque 
peu  à  l'écart,  encore  qu'élève  et  disciple  de  son  frère  Lo- 
gocina. Sa  personnalité,  complètement  eff'acée  derrière 
celle  de  son  frère,  a  pris  un  peu  de  vigueur  à  sa  mort.  Il 
exerce  avec  assez  de  prestige  la  fonction  d'almamy  et  dirige 
l'école  fraternelle  qui  avec  lui  a  perdu  la  moitié  de  ses 
élèves.  C'est  un  brave  homme,  sans  grande  instruction,  et 
à  qui  il  ne  faut  pas  reprocher  d'être  le  frère  de  Logocina. 

Bamori  Ba,  né  vers  i865,  représente  le  tidianisme  en  face 
des  Fofana,  adeptes  du  qadérisme.  Il  est  l'élève  et  le  dis- 
ciple de  son  père,  Ladji  Touré  qui  était  originaire  de 
Kong,  mais  vint  s'établir  vers  1860  à  Satama  Sokoura,  et 
n'en  est  plus  sorti.  Bamori  n'a  pris  aucune  part  aux  aven- 
tures de  Samory.  Il  alla  se  réfugier  à  Kodiokofî  auprès  de 
nos  troupes,  lors  de  la  dernière  invasion  de  l'almamy.  C'est 
un  marabout  de  petite  influence,  pauvre,  bien  disposé,  et 
qui  fait  l'école  à  une  dizaine  d'enfants. 

Satama  Sokoro,  mère  de  Satama  Sokoura,  est  un  village 
important  à  la  bifurcation  de  la  route,  qui  de  Bouaké,  monte 
vers  Dabakala  ou  versGroumaniaet  Bondoukou.  11  compte 
un  millier  d'habitants,  tous  ou  à  peu  près  mandé-dioula  et 
musulmans.  Une  jolie  mosquée,  diouma  pour  la  région, 
deux  écoles  et  plusieurs  personnalités  de  marque  ont 
l'honneur  du  village.  Ce  sont  les  Touré  qui  sont  les  plus 
considérés. 

Fa  Moriba  Touré,  mort  le  27  septembre  igiS,  était  né 
vers  i865  au  village  même,  d'un  père    Karamoko  Fana  qui 


208  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

avait  abandonné  sa  ville  natale  de  Kong  pour  venir  s'ins- 
taller à  Satama  Sokoro.  Fa  Moriba  suivit  l'exode  de  beau- 
coup de  ses  compatriotes  à  Kodiokifî,  revint  chez  lui  avec 
nos  troupes,  et  fut  à  ce  moment-là  choisi  comme  almam}-. 
Il  exerça  ses  fonctions  jusqu'à  sa  mort,  intelligent,  fidèle, 
dévoué,  il  nous  rendit  des  services.  Il  avait  été  affilié  au 
tidianisme  par  son  père  Karamoko,  et  faisait  l'école  à  une 
dizaine  d'enfants. 

Ladji  Touré,  né  vers  i865,  lui  succéda  comme  almamy, 
il  dirige  une  école  de  lo  à  i5  enfants.  En  1917,  la  faveur 
de  ses  concitoyens  s'est  reportée  sur  Siriki  Touré,  qui  a 
été  élu  almamy  et  qui  fait  aussi  le  petit  maître  d'école  ;  ils 
n'ont,  l'un  et  l'autre,  qu'une  faible  valeur  intellectuelle  et 
aucune  instruction. 

Ouandarama,  village  de  3oo  habitants,  dont  la  majorité 
est  islamisée,  compte  une  mosquée,  simple  case  ronde  sans 
prétention,  et  une  école.  L'almamy  et  maître  d'école 
(5  élèves)  est  Ba  Boroma  Tendossoma,  né  vers  1875,  d'une 
famille  originaire  de  Kong  et  installée  depuis  plusieurs 
générations  ici.  Ba  Boroma  se  réfugia  avec  les  siens  à  Kong, 
lors  de  l'invasion  de  Samory;  il  ne  joua  aucun  rôle  dans 
l'aventure,  et,  à  son  retour  chez  lui,  en  1898,  son  père  étant 
mort,  il  fut  élu,  malgré  son  jeune  âge,  almamy  de  Ouanda- 
rama. D'une  instruction  fort  limitée,  il  s'occupe  beaucoup 
plus  de  commerce  que  de  prosélytisme  ;  il  a  été  affilié  au 
tidianisme  par  son  père.  Monnier  qui  passant  à  Ouanda- 
rama, en  1892,  disait  de  lafraction  dioula  :  «C'est  elle  qui 
occupe  la  situation  prépondérante.  Le  chef  lui-même, 
Péminian,  vieux  brave  homme  assez  insignifiant,  subit 
cette  influence  qu'exerce  sur  lui  notre  hôte  Karamoko 
Sirifi,  un  musulman.  C'est  un  commencement  de  prise  de 
possession.  A  la  mort  de  ce  chef  actuel,  Ce  Karamoko  aura 
quelque  chance  de  prendre  sa  place,  auquel  cas  les  Dioula 
de  Kong  compteraient  en  fait  une  colonie  de  plus.  »  C'était 
très  justement  vu.  Toutefois,  par  la  destruction  de  l'autorité 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  209 

politique  de  Kong,  en  1895-1896,  la  prédiction  ne  s'est  pa 
réalisée. 

Mborla-Dioulasso  est,  après  Satama-Sokoro,  le  village 
musulman  le  plus  important  du  cercle  ;  il  a  800  âmes,  deux 
écoles  et  une  mosquée-diouma,  rebâtie  en  1919.  On  trouve 
ici  quelques  descendants  de  Senoufo,  convertis  à  l'islam 
dans  les  conditions  précédemment  exposées.  Les  destinées 
religieuses  du  village  sont  depuisdeux  siècles  entre  les  mains 
des  Grambouté,  famille  d'origine  senoufo,  dont  l'ancêtre, 
Karamoko  Mamadou,  se  convertit  à  l'islam  au  dix-septième 
siècle  par  la  grâce  d'un  marabout  mandé-dioula  de  la 
famille  des  Kamaraté,  qui  vint  de  Kong  et  s'installa  chez 
eux.  Ses  descendants  Karamoko  Ali,  Féré  Mori  Grambouté, 
Karamoko  Yahia,  Féré  Mori  (Mamadi),  Yahia,  Féré  Mori, 
Yahia,  ont  été  de  père  en  fils  les  dirigeants  de  la  commu- 
nauté islamique  locale,  minime  au  début  et  qui  a  grandi 
avec  les  générations.  Féré  iMori  Grambouté,  qui  est 
mort  en  janvier  1920,  était  né  vers  i85o.  11  était  déjà 
almamy  et  maître  d'école  lors  de  l'invasion  de  Samory,  et 
dut  s'enfuir  à  Kong  avec  ses  gens.  Il  revint  à  Mborla  avec 
nos  troupes  et  reprit  ses  fonctions  ;  il  faisait  l'école  à  une 
dizaine  d'enfants  et  vécut  dans  les  mêmes  termes  avec  le 
chef  de  canton  fétichiste,  qui  lui  faisait  des  cadeaux.  C'était 
un  excellent  homme,  dont  le  fils  Yahia  Grambouté  a  pris 
la  succession.  Il  est  né  vers  1880.  C'est  un  homme  intel- 
ligent, ouvert,  instruit,  sympathique.  Il  possède  une 
bibliothèque  d'une  douzaine  de  livres,  où  l'on  trouve  avec 
2  ou  3  Corans,  les  auteurs  juridiques  musulmans  (Khalil, 
Rissala,  Tohfat),  les  Dalaïl  al-Khairat  et  le  Diwan  des 
poètes  arabes.  Il  se  rattache  par  son  père  au  qadérisme 
du  marabout  missionnaire  LansanaBoussiri,  vu  à  Kong. 

Yahia  Grambouté  a  un  cousin  et  homonyme,  plus  connu 
sous  le  nom  de  Yahia  Ba  Moro.  Il  fait  l'école  à  5  élèves  ; 
comme  il  part  souvent  en  voyage  commercial,  il  les  passe 

H 


210  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

à  son  cousin.  Il  est  qadri  de  l'obédience  de  Féré  Mori 
Grambouté,  son  oncle. 

Les  Diabaraté  sont  d'une  famille  dioula,  qui  se  dit  ori- 
ginaire du  pays  mandé,  et  dont  l'ancêtre  serait  venu 
ici,  il  y  a  23  générations,  soit  approximativement  7  siècles. 
La  chose  est  difficile  à  croire. 

C'est  Amoro  Diabaraté  qui  serait  venu  le  premier  ici, 
ses  descendants  ont  été  de  père  en  fils  :  Fadifoni,  Yssoufou, 
Ba  Kiémorho,  Amoro,  Ibrahima,  Ba  Kiamorho,  Yssifou, 
Fassina,  Barama,  Ba  Dioulo,  Amoro  Ba,  Fadibbi,  Fassina, 
Yahia,  Ba  Kiémorho,  Bamara,  Yssifou,  Fassina,  Yssifou, 
Souleyman,  Allé,  Ba  Kiémorho.  Ba  Kiémorho,  chef  actuel 
de  la  famille,  est  un  commerçant  et  un  notable.  Il  se  rat- 
tache au  qadérisme  de  Féré  Mori  Grambouté  par  Baïmana 
de  Bouandougou  (Séguéla). 

Son  cousin,  Bamara  ou  Amara  Diabaraté,  est  né  vers 
1878.  Il  a  7  élèves,  à  qui  il  distribue  un  peu  de  Coran  et 
prétend  enseigner  les  Dalaïl  et  un  peu  de  Coran  ;  il  est  en 
réalité  à  peu  près  illettré.  Il  se  rattache  au  qadérisme  du 
cheikh  Sidi-1-Bekkaï  par  la  chaîne  suivante  :  Karamoko 
Sidiki,  marabout  de  Bouna,  de  passage  ici,  et  qui  est  allé 
s'installer  à  Marabadiassa  ;  Amoro,  père  du  précédent; 
Anzoumana  Touré,  marabout  venu  du  Niger  et  installé 
à  Bouna,  où  il  est  ;  Omar  Cissé  de  Dienné,  disciple  de  Sidi- 
1-Bekkaï. 

Souleyman  Baïkoro,  né  vers  1870,  autre  représentant  de 
Senoufo  converti.  Il  dit  que  c'est  son  sixième  ancêtre  qui 
vint  à  l'islam  par  la  prédication  d'Ishaga,  mandé-dioula 
de  Kadiaoulé,  dont  la  descendance  a  aujourd'hui  disparu. 
Il  est  qadri  par  Féré  Mori  Grambouté.  Il  donne  les  rudi- 
ments du  Coran  à  une  demi-douzaine  d'élèves  et  les  passe 
ensuite  à  Yahia  Grambouté. 

Tintinkan  Dioulasso  possède  pour  ses  io5  musulmans 
2  petites  écoles  de  3    à   5   élèves;     celle    de    Karamoko 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  211 

Touré  et  celle  de  Farikou  Kouibali,  tous  deux  mandé- 
dioula  aujourd'hui,  mais  de  lointaine  origine  senoufo.  Le 
premier,  né  vers  i865,  est  qadri  par  l'affiliation  de  Kara- 
moko  Béma  de  Darhala  qu'on  verra  à  sa  place.  Farikou, 
né  vers  1888,  est  l'almamy  du  village,  il  relève  de  la 
même  affiliation. 

Le  chef  du  village,  Siaka  Koulibali,  est  assesseur  au 
tribunal  de  cercle  de  Dabakala. 

Quelques  autres  villages  de  ces  provinces  senoufo  du 
Djimini  et  du  Diamala  renferment  encore  des  colonies 
mandé-dioula  et  musulmanes;,  mais  elles  ne  possèdent  ni 
école,  ni  personnages  notoires.  A  citer  parmi  ces  colonies 
musulmanes  :  Natoplé,  avec  289  âmes;  Dangbouasso,  avec 
196  âmes;  Kafardougou,  avec  81  âmes;  Takana-Dioulasso, 
avec  172  âmes;  Broubou  avec  85  âmes  ;  Kaolo  Dioulasso, 
^vec  97  âmes;  Natéré  Dioulasso,  avec  128  âmes  ;  Kpana 
Oulasso,  avec  122  âmes;  Babadougou,  avec  62  âmes; 
Yaoussedgou  Dioulasso,  avec  41  âmes;  Kankirasso,  avec 
60  âmes. 

Au  total  on  compte,  y  corhpris  Darhala,  que  nous 
allons  voir,  20  villages  musulmans  ou  partiellement 
islamisés  et  4.800  musulmans  dans  la  subdivision  de 
Dabakala. 

En  dehors  des  deux  provinces  senoufo  animistes,  par- 
semées de  taches  d'islam  mandé-dioula,  deux  villages  de 
cette  dernière  origine  ont  été  groupés  en  un  canton  et 
peuvent  ainsi  conserver  leur  personnalité  islamique  :  c'est 
le  canton  de  Darhala,  dont  Bassori  Ouattara  est  le  chef.  Sa 
famille  commande  traditionnellement  le  village  de  Darhala. 
En  1889,  c'est  Domba  Ouattara,  qui  était  chef  et  signa  le 
traité  de  Protectorat  avec  Binger.  Il  laissa  deux  fils: 
Bamori,  l'aîné,  qui  le  remplaça  et  se  réfugia  à  Kong  avec 
tous  les  siens  lors  de  l'invasion  de  Samory  ;  Bassori,  né  vers 
1870,  a  succédé  en  1915  à  Bamori,  vieilli  et  inapte  au  com.- 


2  12  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

mandement.  Bassori  fait  preuve  de  bonne  volonté  vis-à-vis 
de  nous  comme  à  l'égard  de  l'islam  ;  assez  actif  et  dévoué, 
il  essaye  de  nous  donner  satisfaction  sans  toutefois  y 
réussir,  car  les  gens  de  Darhala,  se  déplaçant  constamment, 
échappent  à  l'autorité.  Comme  musulman  il  était  canoni- 
quement  en  règle  avec  ses  trois  femmes,  mais  ses  frères 
décédés  lui  en  ont  laissé  trois  autres  que  par  la  coutume  il 
a  été  obligé  de  prendre.  Le  voilà  donc  avec  six  femmes 
légitimes,  ce  qui  n'est  plus  canonique,  mais  ce  qui  ne 
Pémeut  pas.  Son  carré  comprend  3oo  personnes,  mais  les 
familles  sont  indépendantes.  Il  a  une  fortune  moyenne; 
des  petites  plantations,  un  commerce  sans  prétentions,  du 
bétail.  Il  est  secondé  par  son  cousin  Bakari  Ba,  qui  comme 
lui  a  quelques  rudiments  d'arabe  ;  Bassori  exerce  les 
fonctions  d'assesseur  suppléant  au  tribunal  de  cercle. 

Le  marabout  en  vedette  de  Darhala  est  Bamori  Kou- 
libali.  Il  est  né  vers  1840,  d'une  famille  mandé,  venue  du 
moyen  Niger,  il  y  a  fort  longtemps.  Son  père  Bagui  Kou- 
libali  a  fait  son  éducation.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'avaient 
d'affiliation  ;  Bamori  n'est  sorti  de  son  village  que  pour  se 
réfugier  à  Kong  lors  des  invasions  de  Samory.  C'est  un 
bon  vieillard,  aussi  simple  que  les  4  ou  5  enfants,  auxquels 
il  apprend  les  rudiments  du  Coran.  Les  autres  marabou- 
taillons  ont  encore  moins  d'importance  que  Bamori. 

Darhala  avec  ses  55o  musulmans,  ses  4  écoles,  sa' 
jolie  mosquée  soudanaise,  son  prestige  de  chef-lieu  de 
canton  indépendant,  a  un  certain  prestige  d'islam  dans  la 
région.  Un  marabout,  qui  vient  de  mourir  ses  dernières 
années,  Ka'ramoko,  dit  Koro  Béma,  a  laissé  un  certain 
renom  de  sainteté.  Il  était  le  chef  d'une  zaouïa  qadrïa,  qui 
par  Al-Hadji  Mamaet  Al-Hadji  Issiaka  se  rattachait  aux 
chefs  même  de  cette  voie  à  La  Mecque.  Elle  a  essaimé  dans 
la  région  et  notamment  à  Darhala,  à  Telinkan,  et  à 
Mborla.  Un  autre,  Dougoutigui  Bagui,  fut  longtemps  le 
conseiller  de  Mamourou,  ex-chef  du  Djimini. 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  213- 

C'est  à  juste  titre  que  dans  cette  subdivision  de  Dabakala,. 
en  très  grande  majorité  animiste  et  senoufo,  on  a  laissé  la 
présidence  du  tribunal  à  un  chef  de  cette  race  et  de  cette 
croyance  :  Penyara  Ouattara,  né  vers  1862,  chef  du  village 
des  représentants  à  Dabakala  ;  il  s'en  tire  d'ailleurs  à  mer- 
veille. 11  suffit  qu'il  y  ait  des  assesseurs  mandé-dioula  et 
musulmans  pour  les  justiciables  de  cette  catégorie.  Ce  sont  ; 
Karamoko  Salia,  titulaire  ;  Mamourou  Ouattara,  Bemba 
Bamba  et  Sibiri  Ouattara,  suppléants.  Le  tribunal  du  cercle 
renferme  aussi  un  assesseur  titulaire  et  trois  suppléants 
musulmans  mandé-dioula,  vus  antérieurement. 


9.  —  Les  Tagouana. 

La  subdivision  des  Tagouana  (dans  le  cercle  du  même 
nom)  a  pour  chef-lieu  Darakolondougou.  Elle  est  peuplée 
entièrement  par  la  branche  Senoufo  qui  lui  a  donné  son 
nom. 

On  ne  trouve  parmi  eux  aucun  élément  musulman  fixe, 
mais  en  revanche  une  quantité  invraisemblable  de  dioula 
de  passage.  La  grande  route  du  Soudan,  celle  qui  de 
Bouaké,  terminus  de  la  voie  ferrée,  monte  vers  Korhogo 
et  Sikasso,  vers  Bobo,  vers  le  Mossi,  traverse  de  long  en 
large  cette  province  des  Tagouana  ;  elle  est  suivie  par  de 
véritables  grappes  humaines,  qui  surtout  Mandé-Dioula^ 
mais  aussi  Bobo  et  Soninké,  sont  à  peu  près  toutes  musul- 
manes. Il  est  vrai  qu'ils  n'ont  pas  le  temps  de  faire  du 
prosélytisme,  et  que  le  souci  du  négoce  prime  toute  autre 
considération. 

On  ne  rencontre  dans  toute  la  subdivision  aucune  école 
coranique,  aucune  mosquée,  aucun  village,  ou  même  quar- 
tier de  village  musulman. 

Les  10  cantons  tagouana  sont  commandés  par  dix  chefs 
fétichistes,  qui  sont  complètement  rebelles  à  l'islam  dioula. 


I 


214  ETUDES    SUR   L  ISLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

Un  seul  mérite  une  citation  particulière,  c'est  Nandiaplé 
Kamara,  né  vers  i852,  chef  du  canton  de  Katiola,  qui 
comprend  2  villages  et  3. 660  âmes.  Nandiaplé  n'est  ni 
riche  ni  influent,  et  il  a  bien  de  la  peine  à  se  faire  obéir  de 
ses  chefs  de  ville.  Il  a  besoin  d'être  constamment  soutenu. 
Ces  deux  chefs  vivent  en  fort  bons  termes  avec  la  station 
■des  Missions  africaines  de  Lyon,  installée  à  Katiola.  Il  est 
à  prévoir  que  cette  mission,  qui  débute  à  peine,  et  qui 
compte  déjà  quelques  succès,  sera  une  pierre  d'achoppement 
pour  l'islamisation  des  Tagouana. 

Les  tribus  Tagouana,  comme  les  tribus  voisines  Djimini 
€t  Diamala,  sont  toutes  d'origine  senoufo,  mais  ici,  en  bor- 
dure des  tribus  Baoulé  (d'origine  agni),  elles  ont  subi  de 
nombreux  métissages.  Dans  le  sud  du  cercle  et  notamment 
au  nord  de  Bouaké,  le  fond  de  la  population  est  bien 
Tagouana  (ou  tagbana  comme  on  dit  aussi),  mais 
l'influence  baoulé  (agni)  est  visible  dans  la  constitution 
physique  des  habitants  comme  dans  leur  langue,  leurs 
mœurs  et  leurs  coutumes  juridiques. 

Au-dessous  de  ces  peuples  senoufo  et  des  infiltrations 
mandé-dioula,  qui  s'y  sont  glissées,  il  y  aurait  une  couche 
humaine  bien  antérieure,  les  autochtones  sans  doute,  les 
Diéli.  C'est  aux  missionnaires  de  Katiola  que  revient  l'hon- 
neur d'avoir  découvert  ce  peuple  primitif,  qui  aurait  des 
ressemblances  physiques  techniques  et  dialectales  avec 
certaines  fractions  de  la  Côte,  et  sans  doute  aussi  de  la 
forêt;  ils  auraient  ajouté,  s'ils  avaient  mieux  connu  les 
gens  de  la  zone  sylvestre,  les  femmes  s'adonnent  toutes 
à  la  poterie.  Les  hommes  sont  cultivateurs,  mais  ne 
plantent  que  du  maïs  et  des  ignames  pour  éviter  à  leurs 
femmes  l'interminable  pilage,  qui  accompagne  toute  cui- 
sine à  base  de  graines,  et  leur  permettre  ainsi  de  travailler 
sans  arrêt  à  leur  poterie.  Les  Diéli,  souvent  mélangés  de 
Senoufo,  sont  encore  plus  attachés  qu'eux  si  possible 
à  leurs    croyances    et   coutumes    animistes,     les   uns    et 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  2l5 

les  autres  sont  pour  les  Mandé-Dioula  des   «  Bambara  ». 

On  ne  peut  enregistrer  que  fort  peu  de  sympathie  entre 
les  Mandé  musulmans  et  lesSenoufo  :  Tagouana,  Djimini, 
Diamala  fétichistes.  Le  souvenir  de  Samory  musulman  et 
de  ses  monstrueuses  cruautés  est  encore  trop  vivant  et 
plane  toujours  dans  l'air,  encore  que  la  main  du  terrible 
almamy  s'abattit  aussi  souvent  et  avec  autant  de  dureté 
sur  les  Mandé-Dioula  que  sur  les  Senoufo.  Mais  il  est  cer- 
tain que  le  principe  de  son  empire  était  musulman  et  en 
outre  que  les  Mandé  furent  toujours  de  cœur  avec  lui, 
priant  pour  lui,  s'enrôlant  dans  ses  sofas,  lui  facilitant 
ses  conquêtes  par  des  renseignements,  des  subsides,  des 
approvisionnements  et  des  volontaires,  rêvant  par  lui  d'une 
domination  despotiquement  musulmane  sur  ces  «  Bam- 
bara »  païens  qui  les  environnaient.  Aussi  firent-ils  très 
généralement  preuve  de  défection,  de  trahison  et  d'infamie 
envers  les  malheureux  Senoufo.  Si  Samory  ne  fut  pas  un 
chef  selon  leur  cœur,  ce  n'est  pas  la  faute  des  Mandé- 
Dioula.  On  conviendra  que  les  Senoufo,  qui  ont  vécu 
ces  dures  heures,  aient  quelque  raison  de  se  tenir  sur  la 
réserve. 

Tout  cette  région  de  Dabakala  et  des  pays  en  bordure, 
tant  du  Baoulé  que  de  Bondoukou,  est  parcourue  par  les  ma- 
rabouts, les  charlatans  et  les  faméliques  de  Kong.  Ce  ne 
sont  pas  les  musulmans  notoires  de  cette  ville  qui  se  ren- 
dent dans  les  cercles  voisins  pour  abuser  de  la  crédulité  des 
indigènes  ;  ils  trouvent  dans  Kong  même  assez  d'adeptes 
et  de  talibés  qui  de  bon  gré  subviennent  à  leurs  besoins.  Ce 
sont  les  marabouts,  qui  n'avant  aucun  prestige  à  Kong  et 
ne  pouvant  par  suite  s'y  enrichir  aux  dépens  d'autrui, 
profitent  du  renom  de  sainteté  qui  auréole  encore  celte 
cité  pour  aller  visiter  les  cercles  voisins  et  s'y  faire  donner 
des  cadeaux,  Moins  instruits  et  habitués  à  moins  de 
considération,  ils  n'ont  aucun  scrupule,  et  la  répression  à 
leur  égard  doit  être  impitoyable. 


2l6  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 


10.  —  Bondoukou. 

Le  cercle  de  Bondoukou  comprenait  jusqu'à  ces  temps 
derniers  l'angle  nord-est  de  la  colonie.  La  Volta  les 
séparait  de  la  Gold  Coast  anglaise.  En  1919,  on  a  détaché 
provisoirement  la  subdivision  de  Bouna. 

L'actuel  pays  de  Bondoukou  est  formé  de  l'ancien 
Royaume  indigène  des  Abron.  Ceux-ci,  d'origines  achanti, 
paraissent  être  arrivés  dans  la  région  vers  le  quinzième 
siècle  ;  leur  suprématie  s'y  est  maintenue  jusqu'à  nos  jours. 
Le  roi  actuel,  Tan  Daté,  né  vers  i855,  fils  d'Apaho 
Sakamé,  est  le  chef  héréditaire  et  traditionnel.  Il  est  le  suc- 
cesseur de  16  rois,  qui  «  se  sont  assis  sur  la  chaise  ».  A  ce 
titre,  il  jouit  d'un  réel  prestige;  ses  qualités  personnelles,  à 
part  son  loyalisme,  ne  peuvent  guère  entrer  en  ligne  de 
compte.  Il  a  26  femmes  et  9  enfants,  dont  l'un  est  institu- 
teur à  Korhogo. 

Après  les  Abron,  maîtres  politiques,  et  même  avanteux, 
il  faut  parler  des  Kparhalla  ou  Koulango,  qui  sont,  sinon 
les  autochtones,  au  moins  les  plus  anciens  habitants  du 
pays  et  à  ce  titre  «  les  maîtres  de  la  terre  »  dans  le  Nord. 
On  les  trouve  dans  tout  le  cercle,  quoique  en  fort  petit 
nombre  dans  le  Bondoukou  actuel,  mais  partout,  sauf  dans 
le  Nasian,  leurs  villages  sont  mélangés  à  ceux  des  autres 
races.  Ils  paraissent  être  de  lointaine  origine  Mandé. 

En  contact  avec  les  Abron  et  Koulango  fétichistes,  vivent 
les  Mandé-Dioula  musulmans.  Ils  sont  originaires  de  Bégho 
ou  Berho,  jadis  très  grande  cité,  située  au  nord-est  de 
Bondoukou,  non  loin  du  coude  de  la  Volta  noire,  en  Gold 
Coast.  Ces  Dioula  ne  vivent  pas  dispersés  par  petits 
villages  et  même  pas  par  quartiers  de  villages  comme  dans  la 
région  voisine  de  Korhogo,  de  Kong,  de  Séguéla,  etc..  Ils 
sont  à  peu  près  tous  groupés  dans  deux  cantons  qui  ont 
leur  autonomie  :  canton  de  l'almamy,  canton  de  Barako. 


La  mosqiée  de  Vokobadi. 
(Bondoukou.) 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  217 

En  résumé,  les  musulmans  ne  forment  dans  le  cercle 
de  Bondouicou  qu'une  petite  minorité  :  7.000  environ  sur 
sur  40.000  âmes;  ils  sont  réunis,  comme  il  a  été  dit,  dans 
20  villages  autour  de  Bondoukou  (canton  de  l'almamy) 
et  dans  le  Barabo.  On  en  trouve  à  peine  quelques-uns  dans 
plusieurs  villages  plus  éloignés  :  on  les  verra  ci-après.  Il 
est  à  noter  que  le  Barabo  est  traversé  par  la  route  Bondou- 
kou  à  Dabakala.  De  même,  les  villages  musulmans  du 
Nassian  sont  sur  la  route  de  Kong  à  Bondoukou.  Comme 
nous  l'avons  signalé  à  plusieurs  reprises,  et  comme  Binger 
l'avait  déjà  fait  remarquer,  c'est  toujours  sur  les  grandes 
routes  commerciales  qu'on  trouve  les  villages  musulmans 
et  dioula. 

C'est  assez  imprudemment  que   Binger  attribue  à  Bon- 
-»  -»  /  -»-»-' 

doukou    ou   Bitougou    {kS^,   Boutougho,     -j^,  Ghotogho) 

une  origine  plus  ancienne  que  celle  de  Dienné,  et  assure 
que  sa  fondation  est  antérieure  à  1043.  On  n'en  sait  rien 
en  réalité.  Les  traditions  les  plus  authentiques,  celles  des 
musulmans,  énoncent  seulement  que  la  plupart  des  ha- 
bitants sont  originaires  de  Bégho  (Gold  Coast)  et  que 
cette  ville  ayant  été  abandonnée  à  la  suite  de  querelles  de 
femmes  qui  divisèrent  les  gens,  l'émigration  se  produisit 
vers  le  petit  village  de  Bondoukou,  qui  devint  du  coup 
une  grande  ville.  Conquise  par  les  Abron  fétichistes,  elle 
vécut  dans  une  demi-indépendance,  grâce  aux  excellentes 
relations  que  ses  marabouts  surent  entretenir  avec  les  rois 
Abron  ;  ils  ne  purent  pas  toutefois  arriver  à  les  convertir. 
La  conquête  de  Samory  clôt  le  passé.  Un  an  après,  les 
Anglais  (1896-1897),  puis  les  Français  s'installèrent  à 
Bondoukou,  que  Binger  avait  d'ailleurs  visitée  en  1888 
et  1892. 

La  géographie  urbaine  de  Bondoukou  a  été  faite  de  main 
de  maître  par  Gaston  Joseph  dans  \e  Bulletin  de  l'Afrique 
française  (d'octobre-décembre    igiS).  On  en  retiendra  que 


2l8  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM   EN    COTE   d'iVOIRE 

la  population  fixe  de  Bondoukou,  évaluée  à  2.800  habitants 
(statistique  1920),  comprend  des  éléments  des  races  les 
plus  diverses,  où  dominent  nettement  les  Mandé-Dioula, 
au  nombre  de  1.600  environ. 

Les  Gbein  forment, un  groupement  de  80  individus  et 
paraissent  être  les  vrais  autochtones.  On  en  trouve  aussi 
quelques-uns  dans  le  Barabo. 

-  Les  Gan  ou  Wandara,  dont  le  nombre  ne  dépasse  pas 
i5o,  occupent  de  petits  campements  de  culture,  aux  envi- 
rons de  la  ville.  Ils  ont  un  dialecte  propre  et  leur  chef, 
Bandara  Massa,  ou  Sié  Coffri,  est  le  maître  de  la  terre.  Il 
veille  à  ce  qu'elle  ne  soit  pas  souillée. 

Chaque  souillure  (adultère,  vol,  etc..)  donne  lieu  à  un 
sacrifice  au  fétiche  de  la  terre.  La  population,  même 
musulmane,  est  soumise  envers  lui  à  certaines  obligations 
coutumières.  C'est  ainsi  que  les  bouchers  dioula  ne 
peuvent  tuer  un  bœuf  ou  tout  autre  animal  domestique 
(mouton,  cabri),  sans  remettre  au  boy,  envoyé  par  Sié 
Gofi'ri,  une  pièce  de  viande,  que  celui-ci  distribueaux  gens 
de  sa  cour. 

A  ce  propos,  il  convient  de  constater  que  l'almamy, 
mais  à  titre  de  chef  religieux  des  musulmans,  a  lui  aussi 
une  part  obligatoire  de  tout  animal  tué,  de  préférence  un 
morceau  de  cou  et  de  foie. 

Les  Gorombo,  avec  leur  chef  Kri  Coffri,  disparaissent 
peu  à  peu  et  ne  sont  plus  qu'une  trentaine.  Ils  parlent  gan 
et  sont  apparentés  aux  Wandara. 

Vient  ensuite  Vêlement  musulman  qui  est  le  plus  impor- 
tant (2.100  âmes),  appartient  en  grande  partie  au  groupe 
Mandé.  (1.600  âmes),  et  comprend  les  tribus  suivantes  : 

Les  Noumourou  ou  forgerons,  les  Ligbi  partis  presque 
tous  à  Dabakala  avec  leur  chef  Sanoussi,  après  la  conquête 
de  Samory,  et  surtout  les  Dioula  proprement  dits  (Kari 
Dioula  et  Wattara)  ;  enfin  les  Marala  ou  Haoussa 
(338  âmes)  et  les  Huéla  (134  âmes). 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  219 

Les  musulmans  sont  répartis  en  neuf  quartiers  :  Timité, 
Donzo,  Koumala,  Malara,  Kari  Dioula,  Koumraya,  Koko, 
Nénéya,  et  Huéla. 

Au  nord  de  la  ville,  non  loin  du  plateau  de  Farako,  se 
trouve  une  agglomération  de  paillottes,  qu'habitent,  au 
nombre  de  3oo  environ,  des  gens  de  tous  lescours  du  Soudan 
méridional  et  de  la  haute  Côte  d'Ivoire,  Djimini  et 
Diamala  de  la  région  de  Dabakala,  butin  des  bandes  de 
Samory,  vendus  en  Gold  Coast  et  venus  par  la  suite  à 
Bondoukou  trouver  la  liberté,  Pallaka,  Tagba  et  Senoufo, 
de  la  région  de  Korogho.  Isolés,  minables,  craintifs,  agri- 
culteurs laborieux,  fétichistes  en  majorité,  ils  sont  méprisés 
des  Dioula  et  vivent  sous  notre  protection,  ainsi  que  dans 
un  village  de  liberté. 

«  Les  Dioula  de  Bondoukou,  dit  Joseph,  montrent  assez 
peu  de  disposition  pour  le  travail.  A  toute  heure  du  jour, 
on  les  trouve  nombreux  accroupis  le  long  des  murs  en 
contemplation  du  néant  ou  occupés  béatement  à  égrener 
leur  chapelet.   » 

Les  professions  les  plus  recherchées  sont,  sans  conteste, 
celles  du  pédagogue  près  des  écoles  coraniques  et  de  mar- 
chand o-u  colporteur.  Du  karamoko  et  du  commerçant 
quel  doit  être  le  plus  considéré?  C'est  là  l'objet  de  discus- 
sions fréquentes.  Le  premier  prétend  qu'Allah  lui  saura 
gré  d'avoir  passé  son  existence  à  prier  et  à  enseigner  la 
prière,  le  second  déclare  que  les  bénéfices  qu'il  réalise  lui 
permettront  d'avoir  des  funérailles  convenables,  qui  lui 
assureront  un  Au-delà  merveilleux. 

On  peut  évaluer  à  près  de  200,  le  nombre  des  bambins, 
fillettes,  mais  garçons  surtout,  qui  fréquentent  les  huit 
écoles  coraniques  élémentaires  de  la  cité. 

Une  école  coranique  d'enseignement  supérieur  se  trouve 
dans  chacun  des  quartiers  de  Donzo,  Koumbala  et  Timité, 
ce  dernier  étant  la  pépinière  des  marabouts  de  renom, 
celui  où  sont  choisis  les  «  Almam}'  ».  Les  études  y  sont 


220  ETUDES   SUR   L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

poussées  assez  à  fond  par  des  karamoko,  qui  ont  été  com- 
pléter leur  instruction  arabe  en  Gold  Goast,  à  Douia. 

Bondoukou  compte  en  plus  de  sa  mosquée-cathédrale 
2  mosquées  de  quartier. 

Pour  Marcel  Monnier  (1897)  Bondoukou  rappelle  Biskra  : 
«  Le  vieux  Biskra  moins  les  dattiers,  mais  un  vieux  Biskra 
croulant,  vermoulu,  fétide,  émergeant  à  peine  de  la  couche 
d'immondices  accumulée  par  les  siècles.  La  perfection  dans 
le  délabrement,  tout  ce  que  l'Islam  si  riche  en  guenilles,  en 
vermine  éparse  dans  la  poussière  dorée,  nous  fait  entre- 
voir ailleurs,  semble  atteindre  ici  son  apothéose.  L'incurie 
poussée  à  ce  point  touche  au  sublime.  L'ordure  ainsi  mise 
en  valeur  tient  du  génie. 

«Au  demeurant,  tous,  du  petit  au  grand,  importuns, 
loquaces  et  sans  gêne  à  l'égal  de  leurs  congénères  des  pays 
voisins,  avec  un  air  de  supériorité  prétentieuse,  un  parler 
onctueux,  des  gestes  bénisseurs  dont  on  se  lasse  vite.  » 

«Attirer  l'étranger,  dit  encore  Joseph,  l'amener  à  sta- 
tionner le  plus  longtemps  possible  chez  lui,  paraît  être  le 
plus  grand  souci  du  Dioula  de  Bondoukou.  C'est  ce  qui 
explique,  en  dehors  de  l'influence  de  la  nature  et  du  milieu 
son  goût  tout  particulier  pour  les  réjouissances  à  tout  pro- 
pos, en  dehors  même  des  beaux  clairs  de  lune  et  des  fêtes 
annuelles  des  Pintades,  de  l'Eau,  du  Ramadan,  des  Jeunes 
Filles,  des  Mariages,  du  Mouton,  etc..  Cette  misère  dorée 
saisit  toutes  les  occasions  pour  s'endimancher,  s'affubler  de 
boubous  sensationnels,  esbrouff'er  sa  clientèle  de  pas- 
sage... » 

Bondoukou  était  un  gîte  d'étapes  important  pour  le  cara- 
vanier du  Soudan,  soit  que  celui-ci  se  rendît  dans  l'Achanti 
anglaise  pour  vendre  du  bétail  ou  des  pagnes,  soit  qu'il  en 
revînt  avec  des  kolas,  de  la  poudre,  du  sel  ou  d'autres  pro- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  221 

duits  d'importation  européenne.  Dans  cette  ville  de  plaisir, 
où  les  fêtes  coutumières  se  succèdent  et  où  naturellement 
les  occasions  de  dépenses  sont  nombreuses  les  Noirs  étran- 
gers aimaient  à  stationner,  après  avoir  traversé  des  villages 
habités  par  des  indigènes  de  races  différentes  et  parlant 
d'autres  dialectes.  Les  caravaniers  arrivaient  à  Boudoukou 
et  descendaient  dans  l'un  des  quartiers  comme  dans  un 
hôtel.  Amenaient-ils  un  troupeau,  ils  payaient  à  leur  hôte 
I  fr.  25  par  tête  de  bœuf  et  o  fr.  60  par  tête  de  mouton. 
Ils  payaient  leur  nourriture  et  celle  de  leurs  bergers  ou  de 
leurs  porteurs.  L'hôte  dioula  se  chargeait  souvent  lui-même 
de  la  vente  du  bétail  à  Wanchi,  à  Sikassiko,  ou  à  Coom- 
assie.  Et,  pendant  ce  temps  le  marchand  demeurait  à 
Bondoukou,  où  avant  son  départ  on  s'entendait  à  lui  faire 
dépenser,  par  les  femmes  et  par  le  jeu,  le  plus  clair  de  ses 
bénéfices.  Cet  état  de  choses  subsiste  toujours. 

De  nombreuses  personnalités  sont  à  signaler  :  la  plus 
importante  paraît  être  Kounandi  Timité,  almamy  de  la 
grande  mosquée,  chef  du  canton  urbain  dioula,  dit  «  de 
l'almamy  »,  auteur  au  nom  de  ses  coreligionnaires, 
en  191 5,  d'une  adresse  de  loyalisme,  donnée  en  annexe,  et 
auteur  de  ce  compliment  versifié  au  drapeau  français  : 

«  Salut  au  drapeau  qui  fait  triompher  les  armées.  Puis- 
sent tes  troupes  ne  pas  cesser  de  vaincre  les  nations. 

«  Nous  nous  réjouissons  de  ta  victoire  sur  tes  ennemis. 
Nous  sommes  joyeux  de  la  victoire  de  nos  troupes  magna- 
nimes... » 

Koumandi,  de  race  mandé-dioula,  est  né  vers  i858.  II 
appartient  à  la  famille  des  Timité,  depuis  longtemps  isla- 
misée, et  dans  laquelle  sont  pris;  depuis  plusieurs  généra- 
tions, les  almamys  de  Bondoukou.  Cette  famille  est  origi- 
naire de  Bégho  (Gold  Coast). 

Son  père,  l'almamy  Malik,  marabout  influent  de  la 
région,  mourut  le  laissant  en  bas  âge.  Il  fut  élevé  par  ses 
trois  oncles,  Almamy  Séidoré,  Almamy  Brahima,  Almamy 


22a  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

Ismaïla,  qui  furent  tout  trois  successivement  chefs  de  la 
mosquée  de  Bondoukou.  Il  acheva  ses  études  avec  Kara- 
moko  Marna,  qui  lui  conféra  l'ouerd  qadri. 

Kounandi  Timité  est  très  attaché  à  la  France.  Il  l'a 
montré  au  début  de  l'occupation  lors  des  troubles  des 
Abron,  il  nous  l'a  maintes  fois  manifesté  depuis  ce  jour,  et 
pourtant  ceci  ne  l'a  pas  empêché,  au  début' de  1914,  d'aller 
faire  une  fugue  de  deux  mois  au  poste  de  Sunyani  (Gold 
Coast).  Sous  le  prétexte  d'acheter  des  kolas,  il  allait  se 
rendre  compte  de  la  valeur  des  propositions  du  district 
càmmissionner  de  l'Ouest  Achanti,  qui  depuis  longtemps 
essayait  de  l'attirer  dans  le  Begho  pour  lui  faire  reconsti- 
tuer le  village.  C'est  de  là,  en  effet,  que  sont  originaires 
quelques  groupements  dioula  de  Bondoukou  et  des  envi- 
rons. Les  sollicitations  de  ses  parents  et  amis  le  rappelèrent 
à  Bondoukou. 

Kounandi  est  un  marabout  intelligent  et  lettré,  qui  lit  et 
écrit  assez  correctement  l'arabe  littéraire,  et  n'est  pas  sans 
connaissances  théologiques  sur  sa  religion.  Il  a  tenté  d'ap- 
prendre le  français,  mais  après  8  ou  9  séances  au  cours  du 
soir,  a  dû  y  renoncer.  Il  préside  régulièrement  la  prière 
solennelle  du  vendredi  à  la  grande  mosquée  de  Bondoukou, 
et  aussitôt  après,  vient  faire  visite  au  commandant  de 
cercle. 

Il  fait  le  commerce  de  kolas  et  de  bœufs.  Il  jouit  d'une 
grande  influence,  non  seulement  dans  la  communauté 
musulmane  Mandé-Dioula  de  Bondoukou  et  de  la  région, 
tant  française  qu'anglaise,  mais  même  parmi  les  popula- 
tions fétichistes  de  la  région,  Abron  et  Koulango,  chefs  et 
sujets,  qui  viennent  lui  demander  des  consultations.  Celte 
influence  est  due  en  grande  partie  à  notre  présence,  encore 
que  notre  aide  ait  été  purement  négative,  mais  on  constate 
une  fois  de  plus  qu'après  une  période  de  stagnation,  l'islam 
retire  toujours  de  notre  occupation  les  bénéfices  les  plus 
grands  dans  le  monde  fétichiste.  Pour  Koumandi  Timité, 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  22*3 

le  roi  des  Abron  lui  disait  «  en  1898  »  :  «  Si  les  Français 
n'étaient  pas  là,  tu  n'aurais  déjà  plus  ta  tête  sur  tes 
épaules.  »  Les  temps  sont  bien  changés. 

On  tient  si  fort  à  l'heure  actuelle,  au  moins  dans  la  com- 
munauté musulmane,  à  Kounandi,  qu'ayant  appris  qu'il 
projetait  d'abandonner  Bondoukou  pour  aller  s'établir  en 
Gold  Coast,  les  notables  de  la  communauté  musulmane  lui 
mirent  le  marché  en  main  :  ou  résilier  immédiatement 
ses  fonctions  d'almamy  ou  s'engager  sur  le  Coran  à 
rester  dans  la  ville.  Kounandi  dut  céder  à  cette  sorte  de 
chantage  et  fit  la  promesse  demandée.  On  raconte  aussi  que 
les  notables  des  quartiers  dioula,  beaucoup  plus  routiniers 
que  lui,  lui  avaient  interdit,  il  y  a  quelques  années,  de  fré- 
quenter l'école  française  et  de  porter  des  sandales,  brodées 
d'or,  sous  prétexte  que  la  coutume  ne  le  prévoyait  pas.  Il 
est  le  seul  marabout  de  la  Côte  d'Ivoire  à  posséder  un 
harem  fermé,  ou  du  moins  tenu  demi-fermé,  inaccessible 
au  public  et  gardé  par  un  vieux  captif,  qui  remplit  sans 
sévérité  les  fonctions  d'eunuque  du  sérail. 

Koumandi  a  une  belle  bibliothèque  de  60  à  80  volumes, 
très  mêlés,  mais  ayant  trait  à  peu  près  tous  à  l'islam. 

Il  dirige  une  école  coranique  d'une  vingtaine  d'élèves, 
surtout  originaires  de  Bondoukou  (quelques-uns  viennent 
de  Sorhobango)  ;  et  fait  de  temps  en  temps  un  petit  cours 
d'enseignement  supérieur. 

II  a  pour  gendre  son  cousin,  Salia  Ba  Timité.  Kounandi 
a  été  affilié  au  qadérisme  par  son  oncle  Karamoko  Ibra- 
hima.  Il  est  aujourd'hui,  en  vertu  des  mêmes  pouvoirs,  le 
moqaddem  decette  voie  dans  la  région.  La  chaîne  mystique 
de  Karamoko  Ibrahima  s'établit  ainsi  :  Almamy  Seidou, 
Almamy  Qadiri,  Mamadou  Konaté,  Dioula  de  Kong,  Aliou, 
Mamadou  Konaté,  et  enfin  Mohammadi,  missionnaire  blanc 
du  Nord,  indéterminé,  sans  doute  un  Kounti.  Karamoko 
Salia,  cousin  et  gendre  de  Kounandi,  est  aussi  une  des 
gloires  de  la  région  après  Kounandi.  Il  est  né  vers  1854,  et 


224  ÉTUDES    SUR   l'iSLAM   EN   CÔTE   d'iVOIRE 

a  suivi  le  processus  d'études  et  d'affiliation  de  son  cousin; 
il  le  remplace  d'ailleurs  à  la  mosquée  quand  celui-ci  est 
malade  ou  absent.  C'est  un  bon  lettré,  mais  qui  a  rompu 
avec  l'enseignement.  Il  a  été  riche  jadis;  il  possédait  des 
captifs,  faisait  le  commerce  de  la  poudre  et  des  kolas,  etc.. 
Aujourd'hui  ses  ressources  sont  tout  à  fait  réduites  et  il  vit 
du  produit  de  ses  plantations.  Il  est  en  relations  avec  tous 
les  chefs  de  la  subdivision,  musulmans  ou  fétichistes,  qui 
viennent  le  consulter, 

Karamoko  Timité,  névers  1882,  est  le  dernier  marabout 
de  la  famille  qui  mérite  une  mention.  C'est  un  maître 
d'école  renommé,  qui  a,  en  permanence  au  moins,  une 
vingtaine  d'élèves.  Il  est  qadri  de  l'obédience  précitée. 

Toutes  les  autres  personnalités  de  marque  de  Bondoukou 
sont  tidiana,  mais  d'obédiences  diverses.  La  plus  notoire  est 
Alagui  Sakalio,  dont  la  famille  originaire  de  Bobo  Diou- 
lasso,  est  Dafing.  Son  père  s'était  établi  à  Diennéné  (Gold 
Coast).  C'est  là  qu'Alagui  est  né.  Petit-fils  d'Ansoumana 
Soualio,  qui  s'était  fait  à  Safani,  dans  le  Dafing,  une 
grande  réputation  maraboutique,  fils  de  Karamoko  Mama, 
qui  a  passé  jusqu'au  début  du  siècle  pour  le  plus  grand  mara- 
bout de  la  région  et  est  mort  à  Bouna  en  odeur  de  sainteté, 
Alagui  a  renforcé  ce  pieux  héritage  par  la  dignité  de  sa 
vie,  la  pureté  de  ses  mœurs,  la  charge  de  moqaddem,  le 
prestige  de  son  instruction  arabe,  qui  est  réelle,  et  enfin  la 
vertu  du  pèlerinage  à  La  Mecque,  efi"ectué  vers  1910.  Aussi 
ne  faut-il  pas  s'étonner  qu'il  ait  acquis  une  très  grosse  in- 
fluence, non  seulement  chez  les  musulmans  de  Bondoukou, 
mais  encore  parmi  les  populations  fétichistes  du  cercle,  qui 
le  préfèrent  à  leurs  chefs,  ivrognes,  querelleurs  et  brutaux. 
Il  a  notamment  gagné  la  confiance  de  Tan  Daté,  roi  des 
Abron  fétichistes,  dont  il  est  le  fournisseur  officiel  de  gris- 
gris,  et  qui  lui  fait  des  cadeaux  considérables.  Les  relations 
d'Alagui  débordent  la  cité*   il  voit  beaucoup  de   Haoussa, 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  225 

les  tribus  de  Salaga,  les  villages  de  Gold  Coast.  C'est  un 
homme  intelligent,  ouvert,  éveillé,  qu'on  a  eu  le  tort  de 
persécuter  gratuitement,  sous  prétexte  qu'il  n'avait  pas  de 
ressources  avouées,  et  qu'il  recevait  des  cadeaux.  Qui  n'en 
reçoit  pas  en  Afrique?  On  voulut  même  l'expulser  de  Bon- 
doukou,  mais  le  roi  des  Abron  et  les  chefs  de  quartier, 
c'est-à-dire  fétichistes  et  musulmans,  demandèrent  avec 
tant  d'insistance  sa  grâce  qu'il  fallut  bien  la  lui  accorder. 
C'est  ainsi  qu'on  manque  trop  souvent  d'esprit  de  suite  ; 
persécutant  les  uns  comme  Alagui  et  élevant  sur  un  pavois, 
au  moins  inutile,  les  autres,  tel  Kounandi,  qui  en  profite 
pour  tenter  la  conversion  des  fétichistes.  Alagui  fait  l'école 
à  une  vingtaine  d'enfants,  originaires  soit  de  la  ville  soit 
duDiennéné  et  de  Fougoula  (Gold  Coast).  Il  continue  la  voie 
tidianade  ses  ancêtres  précitées.  Aux  dernières  nouvelles, 
Alagui  Soualio,  craignant  des  tracasseries,  s'est  retiré  à 
Diennéné. 

Un  autre  disciple  de  Karamoko  Mama,  c'est  YahiaKama- 
rhaté.  Sa  famille  est  originaire  de  Bégho  (Gold  Coast)  et 
n'est  pas  de  lignée  maraboutique.  Le  père  de  Yahia,  Moro 
Kamarhaté,  vivait  de  son  commerce  et  de  plantations.  C'est 
Yahia  qui,  à  la  suite  d'excellentes  études  auprès  de  Kara- 
moko Ali  Barré,  grand  marabout  local,  s'est  mué  en 
homme  de  Dieu.  Il  a  peu  de  relations,  peu  d'influence,  et 
ne  voit  guère  que  le  chef  de  canton,  Yao  Krah.  C'est  un 
homme  intelligent  et  instruit,  qui  distribue  les  rudiments 
du  Coran  à  12  ou  i5  enfants. 

Une  seconde  obédience  tidiana  est  celle  des  Ouattara. 
Kounandi  Ouattara  fut  un  grand  marabout  local,  qui  mou- 
rut vers  1860,  laissant  sa  succession  à  son  fils  Karamorho 
Ibrahima.  Celui-ci  a  continué  le  bon  exemple  paternel  et 
]'a  transmis  avecsa  Voie,  à  son  fils  Karamorho  Lagazané. 
Né  vers  1860,  Lagazané  (Hassan)  est  un  marabout  très 
écouté  à  Bondoukou  et  qui  entretient  les  meilleures  rela- 
tions avec  les  chefs  fétichistes,  tels  Tan  Daté,  roi  des  Abron, 

i5 


220  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

et  le  chef  du  Nasian.  Il  n'a  que  peu  de  fortune  et  vit  sur- 
tout du  produit  de  ses  plantations.  Intelligent' et  lettré,  il  a 
une  des  écoles  les  plus  florissantes  de  Bondoukou  :  une 
trentaine  d'élèves  en  moyenne. 

Le  tidianisme  Omari  est  représenté  par  Alagui  Abou 
Bakari,  qui  a  reçu  l'ouird  de  cette  voie  à  Ségou,  où  il  est 
né  en  1874.  Sa  famille  est  d'ailleurs  originaire  de  Ségou, 
où  son  père  Kalilou  et  son  grand-père  Abou  Bakari  étaient, 
assure-t-il,  des  marabouts  connus.  Il  a  fait  le  pèlerinage  à 
La  Mecque  vers  1909-1910,  ce  qui  n'a  pas  peu  contribuer  à 
exalter  son  esprit,  déjà  quelque  peu  déséquilibré;  il  vit 
complètement  seul  et  n'a  pas  de  femme.  Ce  sont  ses  voisins 
de  case  qui  lui  portent  à  manger.  Il  ne  sort  de  chez  lui  que 
pour  aller  à  la  prière  solennelle  du  vendredi,  ou  de  temps 
en  temps  pour  se  jeter  à  la  tête  des  passants  et  les  exhorter 
à  la  piété.  Il  reçoit  quelques  visites  de  ses  collègues.  C'est 
un  homme  certainement  douteux.  Il  ne  semble  pas  avoir 
des  talibés  et  en  tout  cas  ne  fait  pas  l'école. 

Une  autre  branche  tidianïa  est  celle  des  Bané,  introduite 
dans  le  pays  il  y  a  un  demi-siècle  par  Aboudou  Bané, 
grand  marabout  de  Bondoukou,  mais  qui  était  originaire 
de  Bégho.  Son  fils  Ali  Bané  recueillit  sa  succession  spiri- 
tuelle et  la  passa  à  son  tour  à  son  fils  aîné,  Mamadou  Bané. 
Depuis  la  mort  de  ce  dernier,  c'est  le  cadet  Biaboudou,  né 
vers  1860,  qui  dirige  le  groupement.  C'est  un  excellent 
homme,  très  apprécié  par  les  indigènes,  qui  lui  demandent 
des  gris-gris  et  qui  envoient  en  foule  les  enfants  à  son  école 
coranique  (45  à  5o)  et  par  l'Administration  même,  malgré 
qu'elle  l'ait  puni  disciplinairement,  vers  1908,  pour  avoir 
contrevenu  aux  règlements  sanitaires.  Sa  moralité  n'est 
pas  toutefois  à  l'abri  de  tout  soupçon.  On  l'accuse  d'une 
légèreté  de  mœurs,  qui  fait  tort  à  sa  dignité  marabouiique. 
Il  aurait  eu  entre  autres  des  relations  avec  une  femme  de 
l'almamy,  qui  le  chassa  de  sa  case  et  se  brouilla  avec  lui, 
et  plus  tard  avec  une  femme  de  son   frère.  Peu  fortuné,  il 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  227 

vit  d'aumônes  et  du  produit  de  ses  plantations,  Biaboudou 
est  le  moqaddem  tidiani  de  la  région  par  Karamoko  Mama, 
son  frère;  Ali  Bané,  leur  frère;  Aboudou,  le  grand-père; 
et  Alagui  Siaka,  toucouleur,  qui  avait  reçu  les  pouvoirs  à 
La  Mecque  de  Tahir,  chef  de  la  Zaouïa  tidjanïa. 

Il  n'est  pas  jusqu'au  tidianisme  d'Al-Hadj  Malik,  le  cé- 
lèbre marabout  sénégalais  deTivaouane,  qui  ne  soit  repré- 
senté ici  :  Alagui  Bakari  Sidiki,  né  vers  1868  à  Kong  et 
disciple  de  son  frère  aîné  Alagui  Ali,  jadis  à  Bondoukou, 
aujourd'hui  à  Kong.  Il  a  fait  le  pèlerinage  vers  1890  et  a 
séjourné  trois  ans  à  La  Mecque.  Il  était  le  disciple  de  leur 
père  commun,  Alagui  Fofana,  qui  avait  reçu  l'ouird  à  son 
retour  de  La  Mecque,  en  passant  au  Sénégal.  C'est,  comme 
on  le  voit,  une  famille  de  pèlerins.  Atagui  a  fait  son  pèle- 
rinage en  1906.  C'est  un  homme  sérieux,  qui  fait  très  peu 
d'enseignement,  mais  surtout  du  commerce.  Il  voyage  sou- 
vent dans  la  direction  de  Kong.  A  Bondoukou,  il  jouit  d'une 
excellente  réputation  et  ne  s'est  signalé  que  par  quelques 
difficultés  avec  l'almamy  en  igiS.  Il  voulait  prendre  une 
femme,  dont  le  mari  était  parti  en  voyage  de  négoce.  L'al- 
mamy le  lui  défendit.  Ils  se  sont  réconciliés  par  la  suite. 

Les  autres  villages  musulmans  du  «canton  de  l'Almamy  » 
sont  : 

Banakani;  on  y  voit  une  mosquée,  et  trois  écoles  diri- 
gées par  des  marabouts  de  peu  d'importance  :  Anzoumana 
Dengo,  Dioulasso  Baba,  et  Ali  Kali,  né  vers  1872,  le  plus 
connu  (12  élèves). 

Bondo-Dioula  (526  âmes)  ;  une  mosquée  et  trois  écoles. 
Le  marabout  en  vedette  estMamadou  Domba,névers  i85o; 
il  enseigne  le  Coran  à  une  quinzaine  d'enfants.  Il  y  a,  à 
côtéde  Bondo-Dioula,  un  Bondo-Koulango,  qui  ne  contient 
que  des  Koulango  fétichistes. 

Sorhobango,  gros  village  de  i.i 32 âmes  (446  musulmans, 
687  fétichistes),  où  Ton  voit  une  mosquée  de  deux  écoles, 


223  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

mais  dont  la  plupart  des  enfants  viennent  faire  leurs  études 
à  Bondoukou  voisine.  Le  personnage  en  vedette  est  Kara- 
noghoma  Ouattara,  dit  Almamy  Marna,  né  vers  i855,  d'une 
famille  originaire  de  Bégho  (Gold  Coast)  ;  mais  qui  est  fixée 
depuis  longtemps  dans  le  pays  et  qui  a  toujours  fourni  les 
almamys  au  village.  Almamy  Mama  fait  l'école  à  une 
dizaine  d'enfants,  il  est  très  vénéré  à  Sorhobango,  mais  ne 
paraît  pas  jouir  d'une  bien  grande  influence.  C'est,  en  efl"et 
à  Bondoukou  que  les  musulmans  viennent  faire  régler  leurs 
différends.  Il  a  été  affilié  au  tidianisme  par  son  père  Sou- 
leiman  Ouattara.  A  signaler  encore,  à  Sorhobango,  le 
Karamoko  Dabila,  petit  maître  d'école. 

Sorhobango  veut  dire,  en  koulango,  village  (bango)  mu- 
sulman (Sorho  ou  plutôt  Sorhobo).  Il  est  peuplé  par  les 
Huéla  ou  Vuéla,  tribu  mandé,  qui  se  difierencie  sensible- 
ment de  leurs  cousins  dioula.  On  les  trouve  aussi  à  So- 
ghobo,  à  Ndamisso,  et  plus  partiellement  à  Bondoukou  et 
à  Assafoumo.  Ils  sont  en  partie  musulmans  et  en  partie 
païens.  «  Les  musulmans,  dit  Delafosse,  portent  le  boubou, 
ont  des  cases  à  terrasse,  et  outre  leur  dialecte,  parlent  tous 
le  dioula.  Les  Huéla  païens  s'habillent  de  pagnes,  ont  des 
cases  à  toiture  de  paille,  comme  leurs  voisins  Koulango  ou 
Nafana,  et  parlent  presque  tous,  outre  leur  dialecte,  le 
Koulango  dans  l'Ouest  ou  le  Nafana  à  l'Est.  On  prétend 
que  l'islamisme  avait  été  introduit  à  Bégho,  patrie  des 
Huéla,  vers  le  onzième  siècle,  par  un  des  leurs,  qui  avait 
fait  le  pèlerinage  de  La  iMecque.  Les  Huéla  musulmans 
sont  beaucoup  plus  fervents  que  les  Dioula,  bien  que  l'is- 
lamisme soit  bien  moins  répandu  chez  eux  que  chez  ces 
derniers.  »  Delafosse,  qui  visitait  le  village  huéla  deGuénéné 
(février  igoS),  sis,  il  est  vrai,  en  pays  anglais,  dit  :  «  C'est 
la  plus  pieuse  des  communautés  musulmanes  que  j'aie  vues 
jusqu'ici  en  pays  nègre;  la  prière  publique  s'y  fait  sans 
interruption  de  l'aurore  à  la  nuit,  devant  une  petite  mos- 
quée rectangulaire,  couverte  d'un  toit  conique  en  paille.  » 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES   ISLAMIQUES  229 

Dara-Fakaye  (83  âmes),  peuplé  de  Huéla  musulmans, 
sorte  de  hameau  de  culture  du  quartier  Huéla  de  Bon- 
doukou. 

Pougoubé,  189  habitants,  tous  Mandé-Dioula  musul- 
mans; I  école  coranique.  Une  personnalité  bien  effacée 
d'ailleurs  :  Alama  Kamarhaté,  né  vers  1880,  tidiani. 

Syé-Koyo,  78  habitants,  tous  Mandé-Dioula  musulmans  ; 

I  école  coranique. 

Le  canton  du  Barabo  est  beaucoup  moins  riche  en  per- 
sonnages notoires  que  celui  de  Bondoukou.  Le  chef  du 
canton  est  Lamin  Ouattara,  né  vers  1870,  qui  a  succédé  en 
1916  a  son  père  Abou  Ba.  Il  disposa  d'une  autorité  essen- 
tiellement temporelle  et  rend  hommage  au  roi  des  Abron. 
Ce  canton  contient  29  villages,  tous  dioula  et  musulmans, 
mais  à  cause  de  la  proximité  des  Koulango  tout  le  monde 
y  parle  leur  langue.  Les  villages  notoires  par  leurs  écoles 
et  leur  mosquée  sont  :  Bandakiani,  Sandiewi,  Talakini  et 
Kouroumambila. 

Bandakiami-Sokoura  (706  âmes)  renferme  le  marabout 
le  plus  influent  de  tout  le  Barabo;  Alagui  Ali,  né  vers  1875. 

II  est  de  caste  maraboutique,  et  son  père  Souleyman  Kara- 
rhaté  et  son  grand-père,  Abou  Bakari,  ont  laissé  un  certain 
renom.  11  a  fait  ses  études  auprès  de  son  père  et  en  a  reçu 
l'ouird  tidiani.  Il  a  accompli  le  pèlerinage  à  La  Mecque  en 
1907- 1908.  C'est  un  homme  d'une  réelle  valeur  intellec- 
tuelle et  morale.  Il  entretient  les  meilleures  relations  avec 
Tan  Daté,  roi  des  Abron,  et  avec  les  principaux  chefs  féti- 
chistes. Il  a  une  quinzaine  d'élèves,  fils  des  cultivateurs  des 
environs. 

L'autre  maître  d'école  est  Karamoko  Ali  Kali  Saranorho, 
né  vers  1868,  issu  des  Saranorho,  famille  célèbre  de  Kong. 
Son  père  Sidiki  et  son  grand-père  Béma  Sindou  y  ont  laissé 
un  nom  estimé.  Ali  Kali  a  conservé  des  relations  avec  les 
gens  de  Kong  et  même  avec  ceux  de  Bobo  Dioulasso,  d'où 


230  ÉTUDES    SUP    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

sa  famille  est  venue,  vers  le  dixième  siècle.  Plusieurs  de 
ses  élèves  sont  des  enfants,  mis  ici  en  pension  par  leurs 
parents,  suivant  la  coutume  mandé-dioula.  L'influence 
d'Ali  Kali  dans  le  village  et  aux  environs  est  réelle,  mais 
elle  tient  peut-être  plus  à  sa  réputation  et  à  ses  pratiques 
de  sorcier  qu'à  sa  science  et  à  ses  vertus  islamiques.  Il  est 
connu  de  tout  le  canton,  où  il  se  déplace  fréquemment;  il 
fait  du  commerce  soit  personnellement,  soit  par  ses  servi- 
teurs. Ses  relations  avec  l'Administration  sont  correctes; 
elles  n'ont  subi  qu'un  accroc,  le  jour  où  l'on  s'aperçut  qu'il 
dissimulait  les  imposables  de  sa  case. 

A  côté  de  Bandakani-Sokoura,  Bandakani-Tamoura  ren- 
ferme 177  Dioula  musulmans;  le  personnage  notoire  y  est 
Mohammadou  Taraoré,  Marka,  né  à  Koo,  dans  le  cercle  de 
San,  vers  1880,  qadri,  élève  d'un  bambara  converti  de 
Ségou.  Il  était  à  Bouna  en  voyage  de  commerce  avec  ses 
captifs  en  [897,  quand  il  fut  pris  dans  le  remous  des  luttes 
de  Samory  ;  ses  captifs  lui  furent  enlevés;  lui-même,  em- 
mené par  Samory,  put  s'échapper  pendant  la  fuite  de  l'al- 
mamy  et  revint  à  Bouna,  où  il  a  toujours  vécu  depuis  ce 
temps  en  cultivateur  paisible.  11  a  de  petites  connaissances 
arabes. 

A  Sandiéwi,  deux  marabouts  méritent  de  retenir  l'atten- 
tion :  Amadou  Ouattara  et  Massa  Aboudou.  Amadou  Ouat- 
tara,  fils  et  petit-fils  de  marabouts,  originaires  de  Bobo 
Dioulasso,  est  né  à  Sandiéwi  en  1882.  Son  père  Alagui 
Ouattara  avait  fait  le  pèlerinage  et  a  laissé  un  nom  à  Bobo; 
il  a  affilié  son  fils  au  tidianisme.  Amadou  est  très  connu 
dans  toute  la  région  et  jouit  d'une  grande  considération,  il 
reçoit  de  nombreuses  visites  de  Bobo  et  de  Bouna  et  son 
influence  contre-balance  celle  d'Alagui  Ali.  Peu  fortuné,  il 
vit  du  produit  de  ses  plantations.  Son  école  comprend  une 
dizaine  d'élèves.  Il  est  intelligent  et  ouvert;  c'est  de  plus 
un  lettré  distingué.  Massa  Aboudou,  l'autre  marabout  du 
Sandiéwi,  n'a  aucune  envergure;    il   est  né  vers  1870,  se 


GROUPEMENTS    ET   INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  23 1 

dit  tidiani  et  fait  l'école  à  une  demi-douzaine  d'enfants. 
Sandiéwi  est  peuplé  de  604  Dioula  musulmans  ;  il  ren- 
ferme une  mosquée  ;  c'est  de  plus  la  résidence  du  chef  de 
canton,  qui  est  un  Dioula.  11  y  a  lieu  de  signaler  un  léger 
mouvement  d'islamisation  dans  le  Barabo  qui  est,  à  l'heure 
actuelle,  à  peu  près  partagé  par  moitiés  entre  musulmans 
et  fétichistes.  Avant  notre  occupation,  les  Abron,  maîtres 
du  pays,  interdisaient  les  conversions.  Aussi,  et  par  esprit 
de  réaction  sans  doute,  dès  que  cette  interdiction  fut  levée, 
c'est-à-dire  avec  notre  occupation,  un  certain  nombre  de 
Koulango  se  rangèrent-ils  sous  la  bannière  de  l'islam.  Ce 
mouvement  s'est  considérablement  ralenti. 

On  signalera  donc  parmi  les  autres  villages  musulmans 
de  Barabo  : 

Anoualiokoro,   25o   Dioula,  tous    musulmans;    i  école 
coranique,  i  mosquée; 

Bangbo,  81  Koulango,  tous  islamisés,  pas  de  mosquée; 
un  simple  touron  (maqam)  ; 

Déléwaré,  76  Koulango,  dont  20  islamisés,  i  touron  ; 

Tébagoro,  48  Dioula,  tous  musulmans;  ils  font  salam  à 
l'ombre  d'un  arbre; 

Kamélé,  264   Koulango,  dont  les  trois  cinquièmes  sont 
islamisés  ;  i  touron  ; 

Kiéti,  61  Koulango,  dont  40  sont  islamisés  ;  i  touron; 

Kimassi,  68  Koulango,  dont  20  islamisés,  i  touron. 

Kohotadougou,  280  Dioula,  tous   musulmans;  2  écoles 
coraniques,  i  mosquée  en  construction,  i  touron. 

Kondourou-Bango,    140   Koulango,    dont   3o   islamisés  ;. 
I  touron  ; 

Kouadiodimabango,  169  Koulango,  dont 20  islamisés; 

Kouadio  Koto,  i3o  Koulango,  dont  80  islamisés;  i  touron; 

Kouékrou-Koukourou,  36  Koulango,  dont  10  islamisés; 

Kouassikrou, 21 3 Koulango,  dont 40  islamisés;  i  touron; 

Logotan  (ou  Loratan),  93  Koulango,  dont  3o  islamisés  ; 
1  touron  ; 


232  ÉTUDES  SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

Mandamou,  ii8  Koulango,  dont  i5  islamisés;  i  touron  ; 

Namassi,  298  Koulango,  dont  20  islamisés  ;  i  touron  ; 

Pala,  i85  musulmans,  dont  10  islamisés;  i  touron; 

Lalo,  126  musulmans,  dont  16  islamisés;  i  touron; 

Sandigué,  48  Koulango  dont  10  islamisés; 

Séguéti,  5o  Koulango,  dont  14  islamisés; 

Les  deux  Télahini  :  Sokoura  164  âmes,  et  Tomoura  209, 
sont  Dioula  et  musulmans;  ils  renferment  chacun  une 
école  coranique  et  i  mosquée.  Le  plus  connu  de  ses  deux 
personnages  est  KaramokoTaroua,  né  vers  1870,  tidiani. 

Yorobadi  est  aussi  un  village  musulman  dioula  de 
35o  âmes.  Il  renferme  i  belle  mosquée  et  i  école  coranique. 

Si  l'on  veut  être  complet  il  conviendra  de  citer  en  dehors 
des  deux  cantons  de  l'almamy  et  du  Barabo  : 
Dans  le  canton  de  Ayen  Effyé: 

a)  Tabagne,  où  sur  406  âmes,  Abron  fétichistes,  on 
trouve  i5  Dioula  musulmans  venus  de  Bouna  ; 

b)  Tamoroné,  où  sur  les  1 14  Nafana  fétichistes,  on  trouve 
20  Dioula  musulmans. 

Dans  le  canton  de  Bini  : 

a)  Dekokrou  ;  44  âmes,  10  Dioula  musulmans  de  Kong, 

b)  Kanakourou-Bouranso,  où  à  côté  des  53  Agni  féti- 
chistes, on  trouve  40  Dioula  musulmans  ; 

c)  Takikrou-Bouranso,  48  âmes,  où  à  côté  de  33  Agni 
fétichistes,  on  trouve  10  Dioula  de  Kong. 

Dans  le  canton  de  Foumassa: 

Sogui,  où  à  côté  de  53  Koulango  fétichistes,  on  trouve 
20  Dioula  musulmans. 

Dans  le  canton  de  Bouna-Abradé,  N'dakrou,  dont  les 
66  âmes  se  partagent  par  moitiés  entre  Agni  fétichistes  du 
Bouna  et  Dioula  musulmans  de  Korodougou. 

Dans  le  canton  de  Nasian  : 

a)  Douroubila,  36  Dioula  Ouattara  musulmans  ;  i  touron  ; 

b)  Kâpin,  où  à  côté  de  io5  Koulango  fétichistes,  on  trouve 


kV'-     - 


NdaIU    OlATTARA, 

roi  de  Bouna  (Bouna  Mansa) 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  233 

73  musulmans,  dont  58  Dioula  et    i5  Huéla  ;    i   touron  ; 

c)  Paradhi,  gros  village  de  SyS  Koulango,  où  Ton  compte 
une  vingtaine  de  Noumou  islamisés; 

d)  Sidiki  Bango,  90  âmes  partagées  entre  Dioula  musul- 
mans et  Koulango  fétichistes; 

e)  Laminasse,  72  âmes  de  même  répartition; 
/)  Zamou,  126  âmes  de  même  répartition. 
Dans  le  canton  de  Pénango: 

Sissié,  iSy  âmes,  se  décomposant  en  3/5  Nafana, 
1/5  Abron,  tous  fétichistes,  et  i/5  Dioula  musulmans  ; 
I  touron. 

Dans  le  canton  de  Syendi  Anpounou,  80  âmes,  se  parta- 
geant en  Koulango  fétichistes  et  Huéla  musulmans,  venus 
de  Bondoukou. 

Au  total,  l'actuel  cercle  de  Bondoukou  comprend 
7.000  musulmans  et,  à  leurs  côtés,  vivent  dans  les  mêmes 
villages  4.100  animistes.  On  y  trouve  27  écoles  coraniques 
et  12  mosquées. 

II.  —  Bouna. 

Le  cercle  de  Bouna,  connu  jadis  sous  le  nom  d'États  de 
Bouna,  est  resté  attaché  jusqu'en  191g  au  cercle  de  Bon- 
doukou. 11  a  repris  à  cette  date,  et  sans  doute  provisoire- 
ment, à  cause  d'opérations  de  police,  nécessaires  chez 
les  Lobi,  son  indépendance  administrative.  Il  est 
peuplé  d'indigènes  de  race  Koulango  ou  Kparhala, 
essentiellement  fétichistes,  dont  le  chef,  ou  Bouna  Mansa, 
commande  territorialement  tout  le  pays. 

Il  ne  peut  disposer  à  son  gré  de  la  propriété  du  sol, 
mais,  d'après  une  tradition  remontant  au  premier  Mansa 
de  Bouna,  il  possède  le  droit  de  prélever  une  dîme  sur  les 
produits  de  la  chasse  et  sur  l'or  recueillis  dans  ses  États. 
Ce  sont  les  chefs  de  canton  et  de  villages  qui  donnent  les 
concessions  rurales. 


234  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

Les  musulmans  y  ont  accès,  comme  les  autres,  mais  les 
terrains  ne  peuvent  pas  devenir  leur  propriété  personnelle. 

Le  pays  Koulango  est  parsemé,  comme  tout  le  Nord  de 
la  Côte  d'Ivoire,  de  groupements,  soit  villages,  soit  quar- 
tiers de  villages,  Mandé-Dioula  et  musulmans.  Au  nord  du 
cercle,  en  bordure  du  Soudan  et  del  a  Gold  Coast,  on  trouve 
des  peuplades  fétichistes,  Birifon,  Lobi,  Dagaré,  qui  inté- 
ressent surtout  les  colonies  voisines.  L'autorité  du  Bouna 
Mansa  sur  ces  derniers  est  nulle. 

La  légende  ou  l'histoire  attribue  au  Dagomba  Bounkani 
le  peuplement  du  pays.  11  était  originaire  de  Sansanné 
Mango  (Togo)  et  émigra  de  son  pays,  vers  le  début  du  dix- 
septième  siècle.  Après  un  premier  établissement  à  Lankara, 
à  4  kilomètres  nord-est  de  Bouna,  il  s'installa  à  Bouna 
même,  et  y  créa  la  ville  actuelle.  D'autres  Dagomba  le 
rejoignirent,  puis  des  Mandé-Dioula  musulmans.  Les  pre- 
miers, restant  fétichistes  et  sans  apport  de  sang  étranger, 
puisque  les  Dioula  refusaient  de  leur  donner  leurs  filles 
en  mariage,  sont  devenus  le  peuple  Kparhala,  c'est-à-dire, 
à  les  en  croire,  «  ceux  qui  ne  font  pas  salam  ».  Il  est  bien 
vrai'  qu'ils  sont  rebelles  à  l'islam.  Moins  farouches,  les 
Kparhala  ont  donné  leurs  filles  aux  Dioula  et  les  enfants 
métis,  fondus  dans  le  peuple  mandé,  ont  été  acquis  à 
l'islam. 

Le  pays  de  Bouna  a  vécu  relativement  tranquille  jusqu'à 
la  fin  du  dix-neuvième  siècle.  Ses  principaux  ennemis 
étaient  les  Dioula  musulmans  et  les  Abron  fétichistes  de 
Bondoukou,  souvent  coalisés  entre  eux,  et  qui  vinrent 
plusieurs  fois  jusqu'à  la  capitale. 

A  l'apparition  de  Samory  et  après  la  destruction  de 
Dabakala,  Bouna  comprit  que  les  hostilités  s'imposaient. 
Le  chef  Diébango  envoya  son  marabout  Salia  Cissé,  à 
Mango,  pour  acheter  de  la  poudre,  mais  les  Dioula  de  Kong 
écrivirent  à  la  fois  à  Bondoukou  et  à  Bouna  pour  leur  faire 
connaître  la  puissance  de  Samory  et  l'inutilité  de  la  résis- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  235 

tance   (fin   iSgS).    On  trouvera  en  annexe  le  texte  de  cette 
lettre  dont  ci-dessous  la  traduction  : 

«  Invocation  du  nom  de  Dieu.  Cette  lettre  est  portée  par 
un  envoyé  de  Dieu  et  écrite  sous  la  dictée  de  Dieu. 

«  Nous,  hommes  de  Kong,  nous  envoyons  cette  lettre  à 
notre  famille  qui  est  à  Bouna.  Moi,  Bakari  ould  Ouatta'ra, 
fils  de  Lokonso  Barou,  roi  des  D.ioula  de  Kong,  j'ai  écrit 
cette  lettre,  sous  la  dictée  de  Dieu,  pour  l'envoyer  aux 
hommes  de  Bouna.  J'envoie  mon  salut  au  roi  de  Bouna,  et 
fais  des  vœux  pour  que  Dieu  le  sauve  et  tous  les  habitants 
de  Bouna,  ainsi  que  ses  fils.  Samory  vient  de  faire  la 
guerre  dans  le  Djimini  et  m'a  fait  dire  qu'il  ne 
veut  pas  faire  la  guerre  aux  hommes  de  Kong  et 
à  leur  famille,  qui  sont  à  Bouna,  et  qui  sont  des  cama- 
rades. Les  hommes  de  Kong  font  cette  lettre  et  l'envoient 
à  Bouna.  Samory  dit  qu'il  faut  lui  obéir.  » 

Diébango  et  les  gens  de  Bouna  acquiescèrent  à  ces  judi- 
cieux conseils. 

A  Bondoukou,  au  contraire,  les  rois  Ardjoumani  et  Papi 
se  préparèrent  à  la  résistance.  Le  premier  se  porta  au 
devant  de  l'almamy  qu'il  rencontra  près  de  Comoé,  entre 
Barobo  et  Koulousan.  Les  Dioula  furent  battus  ;  Samory 
les  poursuivit  jusqu'à  Bini  où  il  leur  infligea  une  seconde 
défaite;  il  fut  encore  victorieux  devant  Bondoukou. 

Il  s'installa  dans  cette  ville  et  échangea  avec  Diébango 
de  nombreux  cadeaux  et  témoignages  d'amitié.  Les  habi- 
tants de  Bondoukou  n'osaient  quitter  la  brousse,  où  ils 
s'étaient  cachés;  Samory  leur  promit  de  ne  pas  détruire 
leur  ville,  s'ils  lui  remettaient  «  mille  pépites  d'or  grosses 
comme  le  poing»,  dit  Saléa  Cissé,  messager  de  Diébango 
auprès  de  l'almamy.  Quand  ce  marabout  rentra  à  Bouna, 
il  était  accompagné  par  deux  envoyés  de  Samory,  qui 
réclamèrent  à  Diébango  les  captifs  de  Tiéba.  Le  roi  refusa. 


236  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

Il  devait  finir  par  céder,  et  même  par  perdre  son 
royaume  et  la  vie,  sous  les  coups  répétés  de  Saranké  Mori, 
fils  de  Samory. 

«  Centre  des  incursions  de  Samory,  au  temps  de  sa  splen- 
deur, dit  le  capitaine  Chaudron,  Bouna  s'acquit,  dès  le 
début  de  notre  occcupation,  une  triste  célébrité,  car  c'est 
aux  portes  mêmes  de  la  ville  que  le  capitaine  Braulot  et 
ses  compagnons  d'armes  furent  massacrés  par  Saranké 
Mori,  fils  de  Samory.  Cet  acte  de  trahison  eut  lieu,  le 
20  août  1897,  et  tous  les  Français  qui  passent  dans  cette 
localité  se  font  un  devoir  d'aller  faire  à  Kiriba,  au  monu- 
ment élevé  en  commémoration  de  ces  braves,  un  pieux 
pèlerinage.  » 

La   ville,  que    les   Dioula   écrivent    jj,    et   prononcent 

Gbouna,  est  très  grande,  elle  l'était  bien  plus  encore  jadis, 
avant  sa  destruction  par  Saranké  Mori  ;  les  anciens  disent 
qu'elle  possédait  10.000  habitants,  ce  qui,  pour  une  ville 
noire,  est  considérable.  Aujourd'hui,  les  ruines  sont  nom- 
breuses, les  mosquées  sont  en  partie  abattues;  les  deux 
fîéaux  dévasteurs,  l'incendie  et  l'esclavage,  sont  passés  par 
là  et  les  habitants  n'ont  pas  encore  eu  le  courage  de  faire 
disparaître  toutes  les  traces  de  leurs  désastres.  La  ville 
compte  à  l'heure  actuelle  2.000  habitants,  dont  les 
deux  tiers  sont  Dioula  et    un    tiers  est  Koulango. 

C'est  encore  un  marché  important,  il  s'y  fait  un  grand 
mouvement  d'échanges  avec  la  Gold  Coast,  qui  est  proche, 
et  qui  à  cet  endroit  est  séparée  de  notre  possession  par  le 
cours  supérieur  de  la  Volta  noire.  Toutefois,  beaucoup  de 
caravanes  délaissent  Bouna  pour  emprunter  la  voie  de 
Kong-Dabakala. 

Les  quartiers  dioula  sont  :  Sissera,  Ouattara-Soura, 
Touréra,  Kambara  Soura.  Nibi-Soura  Bamba,  Soukoulia- 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  287 

soura,  Taraoréra,  Granbouté-Soura,  Kouroubari-Soura, 
Kalédioura-Soura,  soit  lo  sur  14  que  comprend  la  ville  ; 
les  quatre  quartiers  fétichistes  Kparhala  sont;  Gago-lo^ho, 
Kounga-logho,  Piawari-logho,  Bankouani  Mbesse. 

Les  maisons  sont  basses  et  plates,  elles  sont  construites 
en  une  sorte  de  pisé  qui  s'effrite  fréquemment  à  la  saison 
des  pluies  et  des  tornades;  seule,  la  grande  mosquée 
domine  l'ensemble  de  ses  deux  minarets  massifs,  dont  la 
blancheur  contraste  singulièrement  avec  le  gris  uniforme 
qui  l'environne.  Les  mosquées  sont  les  seuls  bâtiments 
blanchis.  Le  badigeon  est  fait  avec  une  mixture  de  cendre 
et  de  terre  spéciale  calcinée,  commune  dans  le  pays, 
délayées  dans  Teau.  Tout  autour  des  murs  des  quartiers  se 
trouvent  des  cases  en  paille,  basses  et  coniques,  si  com- 
munes en  Afrique. 

Le  centre  de  Bouna  est  occupé  par  la  case  du  roi,  le 
marché  et  la  grande  mosquée  (Missira  Ba).  En  certains 
endroits  se  remarquent  des  places  abritées  par  des  arbres 
assez  élevés,  des  écoles  de  talibés  et  des  puits.  Il  existe  en 
outre  5  petites  mosquées,  ou  bourou,  espacées  à  peu  près 
régulièrement  au  milieu  des  maisons,  et  auprès  desquelles 
les  Noirs  se  réunissent  pour  palabrer.  Elles  sont  de  recons- 
truction récente. 

«  Bouna,  dit  encore  Chaudron  en  1908,  obéit  à  un  roi, 
Bouna  Mansa,  de  race  Kparhala,  composant  en  majeure 
partie  la  population  de  la  ville  et  ses  environs  immédiats.» 
Ce  n'est  plus  exact  aujourd'hui.  Ce  sont  les  musulmans 
qui  forment  le  principal  élément  de  la  population  de  Bouna. 

«Ces  indigènes  se  reconnaissent  à  première  vue  les  uns 
des  autres  par  la  diversité  des  tatouages  de  la  face. 

«  Le  roi  est  un  autocrate  paresseux  et  ivrogne,  menteur 
comme  les  noirs,  quand  son  intérêt  est  en  jeu;  il  est  tou- 
tefois sympathique  aux  Français  et  il  se  soumet  assez  volon- 
tiers à  nos  ordres. 


238  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

«  La  ville  en  ruines  qu'il  habite  et  gouverne  présente, 
comme  toutes  les  villes  noires,  un  certain  nombre  de 
groupements  ou  quartiers,  renfermant  les  membres  d'une 
même  famille,  les  captifs,  obéissant  tous  au  même 
chef. 

«  Tous  ces  quartiers  sont  enclos  de  murs,  pour  en 
défendre  l'entrée  aux  fauves  la  nuit  et  jadis  aux  voleurs 
d'enfants,  spécialité  où  les  dioula  étaient  passés  maîtres. 
11  en  résulte  que. dans  cette  ville,  bâtie  irrégulièrement, 
dont  les  maisons  renferment  une  cour  intérieure  souvent 
assez  vaste,  où  l'on  rencontre  des  arbres  fruitiers,  ainsi 
que  des  dattiers,  des  fious,  des  baobabs,  des  fromagers 
et  des  finsans,  les  rues  sont  étroites  et  tortueuses. 

«  Le  roi,  Bouna  Mansa,  bien  que  commandant  à  tous 
ces  quartiers  et  à  leurs  chefs  respectifs,  et  quoique  jeune 
encore,  puisqu'il  n'a  que  40  ans  environ,  se  livre  tellement 
à  la  boisson  qu'il  ne  peut  nous  être  d'aucun  secours  ;  bien 
plus  il  nous  faut  surveiller  les  exactions  auxquelles  il  peut 
se  livrer,  quand  il  est  ivre. 

«  Dans  ces  moments-là,  et  c'est  à  peu  près  l'état  normal 
du  roitelet  noir,  non  seulement  il  peut  lui  prendre  fantaisie 
de  faire  exécuter  à  propos  de  rien  ses  serviteurs,  mais 
encore  il  menace  de  terribles  vengeances  les  gens  des 
villages  voisins,  s'il  croit  avoir  à  se  plaindre  d'eux.  » 

N'dari  Ouattara  est  mort  en  19 16.  La  coutume  dynas- 
tique, qui  répartissait  successivement  le  commandement 
entre  les  trois  familles  Piawari,  Kounga  et  Gago,  a  été 
abolie  à  sa  mort.  Il  était  Gago.  Ce  devait  être  un  Piawari 
qui  devait  le  remplacer.  Les  grands  électeurs  ont  fait  por- 
ter leur  choix  tout  simplement  sur  Koffi  Ouattara,  son 
frère,  par  conséquent  de  la  même  famille  Gago.  Kofïi,  né 
vers  1889,  ne  manque  pas  de  prestige,  au  moins  au  point 
de  vue  héréditaire,  mais  mou  et  apathique,  il  ne  rend  que 
peu    de    services.    Il    a     5   femmes    et    2  enfants.  Il  est 


GROUPEMENTS    ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  289 

foncièrement  fétichiste  et  bien  qu'entretenant  d'excellentes 
relations  avec  les  marabouts,  il  ne  paraît  pas  susceptible  de 
céder  à  leur  prosélytisme.  On  l'accuse  de  faire  secrètement, 
à  l'occasion,  le  trafic  des  captifs.  Il  n'est  pas  le  seul 
d'ailleurs. 

La  grande  mosquée  de  Bouna  existait  depuis  fort  long- 
temps. Détruite  par  Saranké  Mori  en  1897,  elle  a  été  cons- 
truite, en  1901,  sous  la  direction  de  l'almamy  Saléa  Cissé, 
par  les  musulmans  de  Bouna,  aidés  par  quelques  Kou- 
lango.  Elle  est  entretenue  et  réparée  annuellement  par  eux 
sur  les  ordres  de  l'almamy.  Ses  dimensions  sont  les  sui- 
vantes :  largeur  10  mètres  ;  longueur  25  mètres  ;  hauteur 
6  mètres.  L'intérieur  est  divisé  par  des  cloisons  formant 
compartiments.  Au  fond  d'un  de  ces  compartiments  se 
trouve  l'escabeau  du  muezzin.  A  droite  de  la  porte  d'entrée, 
un  escalier  donne  accès  sur  la  terrasse.  Les  pièces  sont 
complètement  nues,  sans  aucun  ornement  ;  le  sol  est 
sablonneux. 

Saléa  Cissé,  qui  est  mort  en  novembre  1918,  était 
le  personnage  le  plus  important  du  cercle  de  Bouna.  Il 
appartenait  à  une  famille  établie  depuis  plusieurs  généra- 
tions à  Bouna  (deux  siècles  environ),  et  qui  a  toujours 
fourni  les  almamys  à  la  communauté  musulmane  et  des 
conseillers  aux  chefs  fétichistes  Koulango  de  Bouna.  Saléa 
était  né  vers  1870;  il  n'avait  qu'une  instruction  moyenne 
et  son  école  de  5  à  6  élèves  n'était  guère  brillante,  mais 
-c'était  un  homme  droit,  ouvert,  et  qui  jouissait  d'une 
grande  autorité  à  la  cour  du  chef  Koulango,  Koffi  Ouattara, 
et  jadis  à  celle  de  son  père  Ndari.  Chaudron  le  jugeait  en 
1903  «  actif,  intelligent,  ouvert  et  qui  fait  très  peu  de  prosé- 
lytisme »  ;  il  n'en  fit  pas  plus  par  la  suite.  Il  n'avait  aucune 
fortune  et  vivait  du  produit  de  ses  plantations.  Il  eut  en 
191 1  des  velléités  de  partir  à  La  Mecque;  il  en  demanda  et 
en  obtint  l'autorisation  ;  malheureusement  il  ne  put  jamais 
arriver  à    réunir  les  fonds    nécessaires.  Sa  réputation  ne 


240  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'ivOIRE 

dépassait  pas  les  limites  du  cercle.  C'est  sous  sa  présidence 
et  par  son  zèle  que  depuis  20  ans  la  mosquée,  dont  la  cons- 
truction remonte  au  delà  d'un  siècle,  a  été  réfectionnée, 
chaque  fois  que  les  intempéries  des  saisons  le  réclamaient; 
Saléa  Cissé  avait  reçu  Touird  tidiani  de  son  père  Diarra 
Ouaré  ;  celui-ci  le  tenait  de  Karamok.0  Saliho  ;  par  son 
maître  Sano  iMoïn,  venu  de  Dienné,  la  chaîne  se  rattache 
aux  zaouïa  de  cette  ville  et  à  celle  de  Tombouctou. 

L'almamy  actuel  de  Bouna,  Moro  xMoussa  Cissé,  est  né 
à  Kong  vers  i865  ;  c'est  le  propre  frère  de  Saléa.  Il  ne 
s'occupe  que  de  ses  fonctions  religieuses  et  ne  jouit  en  dehors 
de  la  ville  d'aucune  influence.  Son  attitude  est  correcte 
et  témoigne  de  beaucoup  de  bonne  volonté  à  notre  égard. 
Il  n'a  que  peu  de  ressources  ;  son  casuel  est  maigre.  Il  vit 
surtout  du  revenu  de  ses  travaux  agricoles.  Son  école  cora- 
niquene  comprend  pas  plus  d'une  demi-douzained'enfants, 
et  sa  science  est  juste  suffisante  pour  leur  apprendre  les 
rudiments  du  Coran.  Il  est  tidiani  de  l'obédience  de  son 
frère. 

Le  tidianisme  est  encore  représenté  par  un  marabout 
de  quelque  importance:  Karamoko  Diarra,  né  vers  i85o, 
disciple  d'un  marabout  toutcouleur,  nommé  Bakari, 
venu  du  Fouta  Toro  et  évidemment  Omarien.  Les  Diarra 
se  disent  originaires  de  La  Mecque  (?),  et  établis  à  Bouna 
depuis  trois  siècles.  Ils  sont,  de  père  en  fils,  marabouts  et 
cultivateurs.  Karamoko  est  un  vieillard  dont  les  facultés 
déclinent  et  qui  perd  le  peu  de  science  et  d'influence 
qu'il  avait. 

Pour  la  première  fois  en  Côte  d'Ivoire,  on  rencontre  sur 
son  chemin  des  marabouts  d'obédience  chadelïa.  Ils  se 
rattachent  à  la  zaouïa  de  cette  Voie  de  Bobo  Dioulasso,  par 
l'intermédiaire  d'un  de  ses  missionnaires,  Alagui  Adama. 
Les  représentants  les  plus  qualifiés  de  cet  ordre  à  Bouna 
sont  : 


GROUPEMENTS   ET    INDIVIDUALITES    ISLAMIQUES  34! 

a)  Katourouma  Ouattara,  né  vers  i865,  de  race  Bégho- 
Dioula.  Son  grand-père  AbdouUaye  vint  de  Bégho  (Gold 
Coast)  comme  colporteur  au  début  du  dix-neuvième  siècle, 
et  s'établit  à  Bouna  ;  Katourouma  n'a  aucune  valeur 
intellectuelle  :  il  sait  manier  les  caractères  arabes  pour 
écrire  le  dioula,  mais  ne  connaît  pas  l'arabe  lui-même. 
Il  fait  l'école  à  5  enfants,  mais  s'occupe  beaucoup  plus  de 
son  commerce  et  se  rend  souvent  pour  les  besoins  de  so.n 
négoce  à  Bolé  (Gold  Coast)  et  à  Bobo  Dioulasso. 

b)  AbdouUaye  Diabakaté,  né  vers  1870,  descendant  d'un 
colporteur  originaire  de  Bégho  et  installé  depuis  le  début 
du  dixième  siècle  à  Bouna.  C'est  un  commerçant  pour 
qui  les  affaires  de  ce  bas  monde  priment  toute  préoccu- 
pation religieuse  ;  il  lit  et  écrit  aussi  le  mandé-dioula  en 
caractères  arabes,  mais  ne  connaît  pas  l'arabe;  c'est  un 
homme  ouvert  et  sympathique. 

Les  autres  marabouts  de  Bouna  sont  des  personnalités 
sans  grande  importance:  Amadou  Bamba,  né  vers  i858; 
Malou  Kaouté,  né  vers  1870;  Marna  Ouattaré,  né  vers 
1880;  Kasourouma  Ouattara,  né  vers  1862;  Gaoussou 
Karissia,  né  vers  1882,  tout  qadrïa.  Ces  maraboutaillons 
ne  sont  jamais  sortis  de  Bouna  ;  ils  ont  reçu  sur  place  leur 
instruction  élémentaire  et  leur  affiliation  ;  ils  s'honorent 
d'être  en  possession  de  4  à  5  ouvrages  :  Coran,  Rissala, 
Dalail  al-Khairat  ;  leur  école  comprend  3  à  5  enfants  à 
la  morte-saison,  8  à  9  quand  les  champs  sont  au  repos. 

En  dehors  de  la  cité  de  Bouna,  peu  de  centres  méritent 
une  mention.  D'abord  Yérégo,  qui  comprend  une  vingtaine 
de  musulmans  et  où  IbrahimaTaraoré,  d'affiliation  qadrïa, 
préside  à  la  prière  du  village  et  fait  l'école  à  5  ou  6  enfants. 
Ensuite  Kinta,  étape  de  la  route  de  Bouna  à  Bondoukou, 
non  loin  de  la  rive  droite  de  la  Volta;  Bakari  Bamba,  né 
vers  1868,  fait  l'école  aux  2  ou  3  enfants  des  25  Mandé- 
Dioula  du  village;  Kalamou  a  3o  musulmans  et  pas 
d'école;  Vafali   40  musulmans  et  pas  d'école;  Dansa  une 

16 


242  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

dizaine  de  musulmans  à  peine.  Enfin,  à  l'autre  extrémité 
du  cercle,  en  arrière  du  Koulansogho,  des  monts  Lobi,  du 
Mombaye,  on  trouve  dans  le  Nzan  les  villages  à  colonies 
Mandé-Dioula  Tighéta,  Loveta  et  Sapouta  ;  Tighéta  et 
Loveta  sont  de  modestes  hameaux  de  20  à  26  cases,  rondes 
ou  carrés,  et  recouvertes  de  paille,  où  les  musulmans  ne 
comptent  pas. 

Sapouta,  sur  la  grand'routede  Bounaà  Bobo-Dioulasso, 
comprend  un  petit  centre  de  commerce  mandé-dioula.  Il 
a  pour  almamy  et  marabout  maître  d'école  (3  à  8  élèves), 
Mama  Kaouté,  né  vers  1867,  d'affiliation  qadrïa  et  qui  a 
fait  ses  études  à  Bouna.  Il  a  peu  d'envergure. 

En  résumé,  il  n'y  a,  dans  toute  l'étendue  du  ter- 
ritoire de  Bouna,  aucun  village  entièrement  musul- 
man. 

Eloignés  des  centres  importants  de  la  région,  ces  indi- 
gènes sont  en  même  temps  forgerons,  tisserands,  agri- 
culteurs. 

Leur  religion  est  un  mélange  de  fétichisme  et  de  cou- 
tumes musulmanes  :    ils  boivent  notamment  du  dolo. 


CHAPITRE    II 
MOSQUÉES,  SANCTUAIRES    ET   LIEUX  DE  PRIÈRE 

I .  —  Les  Edifices . 

La  haute  Côte  d'Ivoire  est  parsemée  de  nombreuses 
mosquées,  d'importance  et  de  dimension  différentes.  On 
peuten  évaluer  le  nombre  à  3oo  environ. 

Il  y  en  a  une  cinquantaine  dans  la  subdivision 
d'Odienné,  autant pourTouba,  autant  pour  TOuorodougou, 
une  vingtaine  dans  la  subdivision  de  Boundiali,  60  au 
moins  dans  le  cercle  de  Kong,  une  vingtaine  dans  le 
Dabakala  musulman,  40  dans  le  Bondoukou.  3o  dans  les 
États  de  Bouna. 

Le  nombre  des  «  diamiou  »,  ou  mosquées-cathédrales, 
affectées  à  la  prière  solennelle  duvendredi,  est  du  huitième 
environ  pour  un  canton,  soit  une  quarantaine. 

Les  célèbres  sont  celles  d'Odienné,  de  Samatiguila  et  de 
Tiéné,  en  Odienné  ;  celles  de  Touba,  de  Koro,  de  Sokourala, 
de  Férentéla,  en  Touba;  celles  de  Mankono,  de  Bouan- 
dougou,  de  Boron  et  de  Gomanako,  en  Ouorodougou  ;  de 
Korhogo-Koko,  Sinamatiali,  Kadioha,  Katiali,en  Korhogo  ; 
celles  des  Dabakala,  Darhala,  M'borla  Dioulasso, 
Sokoura  et  Sokoro,  aux  Tagouana  ;  celles  de  Bondoukou 
et  Yorobadi,  en  Bondoukou  ;  celles  de  Bouna,  dans  le  cercle 
du  même  nom. 


244  ÉTUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

Elles  ne  diffèrent  guère  entre  elles  que  par  leur  étendue 
et  par  le  nombre  de  leurs  minarets. 

On  peut  partager  les  mosquées  en  trois  sortes  d'édifices  : 
Les  grandes  mosquées-diamiou,  construites  entièrement 
en  terre  avec  minaret,  dans  un  style  imité,  toutes  propor- 
tions gardées,  de  la  grande  mosquée  du  Soudan  ;  les  mos- 
quées ordinaires,  dites  Miséjidi,  et  plus  vulgairement  mis- 
séri  ou  missiri.  Enfin,  les  lieux  de  conversations  pieuses, 
de  lectures  de  textes,  de  méditations,  de  prières  de  la  jour- 
née... et  de  sieste;  les  séritongo  (litt.   hangars  à  prières). 

«Les  mosquées-diamiou,  dit  Ripert,  sont  construites  en 
pisé  :  elles  constituent  des  parallélépipèdes  de  maçonnerie 
grossière  à  base  carrée,  généralement  de  i5  à  25  mètres 
de  côté  ;  les  murs,  hauts  de  6  à  8  mètres,  au  sommet 
crénelé,  dentelé  ou  pointé,  à  la  mode  nègre,  sont  sou- 
tenus par  de  lourds  contreforts  en  pisé,  atteignant  le 
sommet  du  mur  et  reliés  entre  eux  par  des  morceaux  de 
bois  horizontaux,  qui  servent  en  même  temps  d'écha- 
faudages permanents,  d'échelles  et  de  barres  de  conso- 
lidation. 

La  toiture  est  constituée  par  une  très  épaisse,  mais  très 
lourde  argamasse,  soigneusement  battue,  à  deux  pans  prin- 
cipaux, divisés  eux-mêmes  en  un  certain  nombre  de  pans 
secondaires,  dont  les  intersections  inférieures  aboutissent 
chacune  à  une  gouttière  ou  gargouille,  en  poterie  grossière 
ou  en  bois,  perçant  le  mur  et  servant  à  l'écoulement  des 
eaux  pluviales. 

L'argamasse  est  supportée  par  quatre  rangées  de  piliers 
à  base  rectangulaire,  disposés  perpendiculairement  à  la 
qibla,  divisant  par  suite  l'édifice  en  cinq  compartiments. 
Le  sommet  des  piliers  soutient  les  poutres  sur  lesquelles 
viennent  s'appuyer  les  lattes  épaisses  d'un  bois  spécial 
(somo),  léger  et  imputrescible.  Ces  lattes  sont  très  réguliè- 
rement diposées  en  arête  de  poisson  et  l'effet  produit  est 
assez  agréable  à  l'œil. 


La    MOSQI'ÉE    DE    GfENTÉGUEI.A. 


Cl .    Le  Carupion. 


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i  ^.''■. 


La  Mosquée  de  Sa.matiguila. 


Cl .   Le  Campion  . 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE    PRIERE  245 

Les  minarets  sont  généralement  au  nombre  de  deux  ou 
de  trois,  dont  un  au-dessus  du  mihrab  et  les  deux  autres 
le  flanquant  au  nord  et  à  l'est.  Lorsqu'il  n'existe  qu'un 
seul  minaret,  celui-ci  surmonte  le  mihrab  et  indique  par 
suite  la  direction  de  la  qibla.  Les  minarets  sont  rarement 
de  forme  carrée,  mais  plutôt  d'une  forme  pyramidale, 
trapue  et  massive. 

Le  minaret,  placé  au  sud-est  du  minaret  central,  est 
évidé  atin  de  permettre  au  Mouadjinou  (muezzin)  l'accès 
de  la  terrasse  au  moyen  d'une  grossière  échelle.  Cet  escalier 
ne  donne  accès  qu'à  la  terrasse,  d'où  le  Mouadjinou  lance 
l'appel  à  la  prière.  En  eff"et,  les  minarets  se  terminent  en 
ogive:  ils  sont  hérissés  de  poutrelles  et  de  rondins  de  bois 
dur,  disposés  régulièrement,  servant  d'escaliers  et  d'écha- 
faudages permanents.  Les  minarets  sont  surmontés  tou- 
jours d'un  œuf  d'autruche,  mais  pour  éviter  le  ruissel- 
lement intensif  au  sommet  des  eaux  pluviales,  cet  œuf 
d'autruche  est  prosaïquement  précédé  ou  surmonté  d'une 
cuvette,  servant  de  capuchon  à  l'ogive  du  minaret  ou 
même  plus  simplement  encore  de  vases  de  nuit.  On  retrouve 
le  même  ornement  décoratif  au  sommet  des  coins  de  la 
mosquée.  Une  enceinte  en  pisé  cerne  l'édiiice,  ménageant 
ainsi  une  sorte  de  cour  circulaire. 

Les  mosquées  sont  grossièrement  enduites  à  l'intérieur 
de  bouse  de  vache.  A  l'extérieur,  un  revêtement  plus  épais 
de  bouse  de  vache,  mélangée  d'argile  grasse,  sufht  le  plus 
souvent  à  éviter  les  érosions  pluviales.  Aucun  ornement  ne 
vient  récréer  l'œil  dans  ces  salles  obscures  que  la  dimen- 
sion des  piliers  rend  exiguës  et  mal  commodes.  Point 
d'ex-voto,  point  d'inscriptions,  point  de  tableaux.  Trois 
portes  percent  les  murs  qui  ne  contiennent  pas  le  mihrab. 
Elles  sont  plus  ou  moins  mal  fermées  au  moyen  de  simples 
clayonnages  en  bambou.  «  11  convient  pourtant,  rapporte 
Riperl,  de  citer  l'ornementation  assez  originale  des  portes 
des    mosquées   du     Dierré    dans    l'Ouorodougou    (Bouan- 


246  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

dougou,  Tiénigbé  et  Ouédala),  constituées  par  des  cloisons 
de  fromager  bien  dressées  ;  ces  portes  sont  couvertes  de 
dessins  géométriques  assez  réguliers  et  d'une  conception 
originale  assez  agréable.  Elles  présentent  même  des 
traces  d'ornementation  picturale  à  demi  effacées  par  les 
pluies. 

Le  mihrab  est  constitué  par  une  petite  niche  percée  dans 
le  mur  situé  vers  la  qibla  au-dessous  du  minaret  central. 
Il  contient  une  «  fitina  »,  lampe  grossière  indigène,  simple 
coupe  en  fer,  portée  par  une  tige  acérée  permettant  de  la 
fixer  dans  le  mur.  Du  beurre  de  karité  y  est  brûlé  au 
moyen  d'une  mèche  en  coton  tressé.  Par  mesure  d'économie 
et  parce  que  l'entretien  en  serait  pénible,  car  il  exigerait 
auprès  de  la  lampe  la  présence  continuelle  d'un  veilleur, 
la  lampe  n'est  allumée  qu'au  moment  des  prières  du  cré- 
puscule et  de  la  nuit  et  éteinte  aussitôt.  La  chose  est  du 
reste  peu  importante  ici.  En  effet,  les  prières  surérogatoires 
sont  rarement  faites  à  la  mosquée,  mais  le  plus  souvent 
dans  les  cases.  Et  si,  par  hasard,  un  musulman  zélé  se 
hasarde  la  nuit  à  la  mosquée,  l'exiguïté  de  celle-ci,  le  paral- 
lélisme des  grandes  faces  des  piliers  par  rapport  au  mur 
du  mihrab  lui  font  suffisamment  connaître  la  qibla  sans 
aucune  chance  d'erreur. 

Le  mur  contenant  le  mihrab  est  légèrement  convexe,  de 
manière  que  la  travée  précédant  immédiatement  le  mihrab 
soit  de  forme  trapézoïdale.  C'est  au  sommet  de  la  convexité 
que  se  trouve  le  minaret  central. 

Face  au  mihrab  se  trouve  une  plate-forme  en  terre  battue, 
où  se  tient  l'imam  pour  la  prière  et  le  prône:  cette  plate- 
forme constitue  le  minbar  ou  chaire;  il  est  naturellement 
recouvert  d'une  natte.  Dans  les  grandes  prières  du  Rama- 
dan, cette  natte  est  remplacée  par  une  «  kassa  »  ou  cou- 
verture du  Macina.  Derrière  le  minbar  et  dans  la  même 
travée,  à  droite  et  à  gauche  de  celui-ci,  se  trouvent  égale- 
ment des  nattes  :  c'est  là  que  se  placent,  immédiatement 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE   PRIERE 


247 


derrière  l'imam,  les  chefs  de  familles  musulmanes,  eux- 
mêmes  almamys  dans  leurs  propres  quartiers  (al-Kali)  et 
les  musulmans  notables  de  passage,  que  l'on  veut  honorer. 
Dans  les  trois  travées  suivantes,  garnies  de  nattes, 
placées  perpendiculairement  à  laqibla,  à  droite  et  à  gauche 
de  l'allée  centrale,  se  trouvent  également  des  nattes  réser- 
vées aux  hommes.  La  cinquième  et  dernière  travée,  la 
plus  éloignée  du  mihrab,  est  réservée  aux  femmes  ayant 
passé  l'âge  où  leur  présence  pourrait  distraire  les  regards 
ou  les  pensées  et  troubler  la  prière. 

A  noter  que  si  la  plupart  des  mosquées  ont  deux  ou  trois 
minarets,  toujours  de  section  horizontale-circulaire  et 
verticale-ogivale,  certaines  mosquées,  comme  celles  du 
Dierré  (Bouandougou,  Tiénigbé,  Ouédala)  ei  même 
Marabadissa,  qui  dépend  techniquement,  spirituellement 
et  politiquement,  sinon  administrativement,  de  l'Ouoro- 
dougou,  n'ont  qu'un  seul  minaret  au-dessus  du  mihrab, 
à  base  carrée  et  à  section  ogivale,  suivant  un  plan  vertical. 
Leur  construction  diffère  également  en  ce  que,  au  lieu 
d'être  construites  en  pisé  ordinaire,  elles  sont  entièrement 
édifiées  en  briques  cylindriques  du  pays. 

La  mosquée  n'est  jamais  précédée  d'une  midha,  ou  édi- 
cule  à  ablutions.  Chacun  fait  ses  ablutions  chez  soi,  car 
rien  n'est  disposé  dans  ce  but  aux  environs  immédiats  des 
mosquées.  A  proximité  des  grandes  mosquées,  on  trouve 
souvent  une  case  ronde  réservée  aux  vieilles  femmes,  fai- 
sant salam  ;  cette  case  est  désignée  sous  le  nom  de  «  mousso- 
missiri  ».  Les  centres  musulmans  ne  possédant  pas  de 
grandes  mosquées  possèdent  généralement  des  «  missiri- 
mousso  ».  Ces  modestes  édifices  ont,  non  un  toit  plat  en 
terre  battue  comme  les  grandes  mosquées,  mais  une  cou- 
verture en  chaume  ;  ils  ne  diffèrent  des  autres  cases  indi- 
gènes que  par  leur  grandeur  et  leur  forme,  généralement 
carrée. 


248  ÉTUDES    SUR   l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

Les  mosquées  ordinaires  de  quartier  ou  de  village  (mis- 
siri)  sont  de  simples  cases  circulaires,  un  peu  mieux  cons- 
truites que  les  cases  d'habitation  ordinaires,  plus  vastes 
aussi  et  plus  élevées.  Comme  les  cases  ordinaires,  elles  sont 
couvertes  d'un  toit  conique  en  paille.  Les  murs  sont  le 
plus  souvent  percés  d'ouvertures  prismatiques  à  section 
triangulaire,  afin  de  rendre  l'édifice  plus  clair  et  plus  aéré. 
Dans  la  direction  de  la  qibla,  une  petite  niche  est  pratiquée 
dans  le  mur.  On  y  pose  la  fitina  ou  lampe  à  karité  pour 
les  prières  du  soir.  Plusieurs  rangées  de  nattes  sont  dispo- 
sées sur  le  sol,  perpendiculairement  à  la  direction  de  la 
qibia.  L'alimamou  de  la  mosquée  de  quartier,  appelé  ici. 
al-kali,  se  place  en  face  de  la  niche  qui,  à  elle  seule,  cons- 
titue le  mihrab,  sur  une  natte,  placée  à  même  le  sol. 

L'officiant,  s'il  veut  parler  aux  fidèles,  se  tient  simple- 
ment sur  sa  natte.  A  signaler  que  les  toitures  des  cases 
servant  de  mosquées  sont  souvent  fort  bien  ornées  de  des- 
sins géométriques  tressés  au  moyen  de  jeunes  feuilles  de 
raphia. 

Les  oratoires,  dits  Rbatou  en  arabe  du  pays,  de  l'arabe 
«  Ribat  »,  suppléent  aux  mosquées,  là  où  elles  manquent. 
On  y  fait  la  prière  aux  heures  chaudes  et  les  jours  de  pluie  : 
celle  du  matin  et  celle  du  soir  se  font,  en  effet,  générale- 
ment dehors.  On  y  lit  des  livres  religieux,  on  y  cause,  on  y 
mange  et  surtout  on  y  dort  beaucoup.  Ce  sont  de  simples 
hangars  à  toit  circulaire  conique,  vastes,  fort  bien  aména- 
gés et  décorés  (ribatou  des  Fofana  à  Mankono,  des  Timité 
à  Bondoukou),  mais  sans  le  moindre  caractère  sacré.  Les 
poules  et  les  chiens  y  vont  et  viennent.  Souvent  même  un 
griot  y  coud  ses  peaux,  pourtant  impures;  on  y  fait  la 
prière  au  milieu  des  raclures  de  peaux,  de  débris  de  nour- 
riture, des  déchets  d'ignames  et  des  cosses  d'arachides.  Le 
soir  venu,  une  lampe  en  fer  est  simplement  placée  dans  la 
direction  de  la  qibla,  si  l'on  fait  la  prière  à  l'intérieur.  Cha- 
cun y  apporte  sa  natte  ou  sa  peau  de  mouton.  Ce  n'est 


MOSQUEES,    SANCTUAIRES   ET    LIEUX    DE   PRIERE  249 

jamais  le  ribatou,  au  sens  propre  du  mot,  l'oratoire,  le  lieu 
d'oraison  et  de  méditation  pieuses,  le  lieu  du  silence.  On 
nomme  ces  édicules  aussi  Madjilissou  (cénacle),  et  plus 
vulgairement  Séri-tongo  (hangars  à  prière). 


2.  —  Le  personnel  religieux. 

Dans  une  agglomération  musulmane,  on  compte  géné- 
ralement autant  de  mosquées  que  de  familles  marabou- 
tiques  ou  de  quartiers  islamiques.  Chacune  de  ces  mosquées 
est  régie  par  un  alimamou  ou  almamy  (imam).  Cependant, 
une  mosquée  est  toujours  réservée  à  la  prière  du  vendredi, 
faite  en  commun  par  toute  la  population  musulmane. 

Cette  mosquée-cathédrale  est  régie  par  un  imam  pris, 
conformément  à  la  coutume,  toujours  dans  la  même  fa- 
mille; au  début  de  l'installation  des  musulmans  dans  le 
pays,  les  fonctions  étaient  électives,  et  les  Alimamou, 
choisispar  l'ensemblede  la  population  musulmane  parmi 
les  plus  dignes...  ou  les  plus  intrigants  de  chaque  famille. 
L'élection  est  maintenant  localisée  dans  la  famille  ayant 
fourni  depuis  plusieurs  générations  les  alimamou  du  vil- 
lage, quelle  que  soit  l'opinion  que  les  autres  musulmans  en 
■puissent  avoir.  Les  principales  sont  : 

Famille  Fofana,  quartier  Mamina  à  Mankono  ;  famille 
Barayorho  à  Séguéla  ;  famille  Cissé  à  Oussoukra  ;  famille 
Cissé  à  Bouna  ;  famille  Timité  à  Bondoukou,  etc..  Dans  la 
famille  généralisée  l'alimamou  n'est  d'ailleurs  pas  forcé- 
ment choisi  dans  la  même  cellule  familiale,  mais  pris 
parmi  les  musulmans  les  plus  en  vue  de  la  famille  généra- 
lisée. Il  y  a  cependant  des  exceptions.  11  arrive  qu'un  mara- 
bout de  passage,  admiré  par  sa  science  ou  sa  piété,  est  prié 
de  s'installer  définitivement  au  village,  ou  bien  est  conduit 
à  cette  solution  par  ses  affaires.  Si  une  vacance  se  produit 
il  est  porté  à  l'imamat  de  l'assentiment  général.  C'est  le  cas 


25o  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

de   Soumaila  Touré,  de  Dabakala  et  de  plusieurs  autres. 

Les  fonctions  d'alimamou  sont  gratuites  en  principe. 
Cependant,  il  est  admis  qu'il  reçoit  des  cadeaux  divers  de 
la  part  des  fidèles  et  en  surplus,  il  se  sert  sans  aucune  gêne 
dans  les  dons  faits  à  la  communauté  musulmane. 

Le  suppléant  de  l'alimamou  est  appelé  «  naibou  »,  en 
arabe  local,  et«seri  korotala»  en  langue  du  pays.  Il  est  tou- 
jours pris  dans  la  famille  généralisée  ;  c'est  le  naibou  qui, 
en  cas  d'indisposition  ou  d'empêchement  de  l'alimamou 
régulier,  fait  les  prières  et  tient  la  Khotbatou  du  vendredi. 

Les  autres  jours  de  la  semaine,  les  imams  de  chaque 
quartier  font,  dans  leurs  mosquées  particulières,  ou  à  la 
diamou,  les  prières  et  quelquefois  le  prône.  Ils  sont  dénom- 
més «  al-kali  ».  Ils  n'officient  jamais  le  vendredi  à  la 
mosquée-diamou. 

Chaque  mosquée  possède  un  et  souvent  deux  et  trois 
muezzin  et  quelquefois  comme  à  Odienné,  six  muezzins 
(Mouadjinou),  en  arabe  local,  «seri  k.irila»ou  «ouranikila» 
en  langue  du  pays,  désignés  par  les  membres  de  la  famille. 
Cependant,  les  muezzins  de  la  diamou  sont  choisis  par 
toute  la  communauté,  généralement  hors  de  la  famille  de 
l'imam.  Ce  sont  eux  qui  appellent  à  la  prière  du  vendredi 
et  qui,  à  chaque  prière  de  la  journée,  donnent  aux  autres 
muezzins  de  quartiers  ou  familiaux  le  signal  de  TAdhan. 
Dans  les  petites  mosquées,  le  muezzin  est  un  des  disciples 
préféré  de  l'almamy,  souvent  un  ancien  captif  de  case, 
attaché  à  son  maître,  et  qui  est  resté  volontairement  avec 
lui  lors  de  la  libération  des  esclaves. 

Comme  on  le  voit,  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  point  ici  de 
clergé  officiel.  Tous  les  turbannés  sont  appelés  Karamorho. 
Lorsqu'ils  font  leurs  études,  les  plus  grands  sont  appelés 
Talibou  (talibé)  ;  lorsqu'ils  sont  jeunes  et  étudient  encore 
les  rudiments,  ils  sont  appelés  Caribou  ou  plus  vulgaire- 
ment Karamorho  Den  (petits  karamorho).  Mais  toujours, 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE    PRIERE  25  I 

sauf  de  très  rares  exceptions,  les  fonctions  religieuses  sont 
exercées  simultanément  avec  les  fonctions  d'enseigne- 
ment. 

N'importe  quel  musulman,  même  non  turbanné,  peut 
ouvrir  une  école.  Elle  sera  plus  ou  moins  fréquentée,  sui- 
vant sa  plus  ou  moins  grande  réputation  de  science. 

Les  élèves  sont,  la  plupart  du  temps,  fournis  par  leurs 
familles,  qui  font  des  cadeaux  à  cekaramorho  qui  leur  sert 
en  même  temps  de  magisteretde  nourricier.  Mais  il  arrive 
quelquefois  que  des  enfants,  séduits  par  l'autorité  d'un  ma- 
rabout, quittent  leur  famille  et  le  suivent  d'eux-mêmes. 
Dans  ce  cas,  il  est  de  règle  que  le  marabout  considère 
l'enfant  comme  envoyé  par  Dieu,  et  refuse  tout  don  de  sa 
famille.  Quelquefois  des  enfants  fétichistes  sont  donnés 
comme  élèves  à  des  marabouts  influents  par  des  familles 
animistes,  soucieuses  de  procurer  à  leur  fils  des  avantages 
matériels  sérieux.  Le  cas  est  extrêmement  rare  aujourd'hui. 
Il  l'était  moins  au  temps  des  grandes  guerres,  où  un  tur- 
ban dans  une  famille  était  souvent  une  sauvegarde.  Défait 
s'est  encore  produit,  en  1912,  à  Mankono,  où  un  jeune 
homme  fétichiste,  de  diamou  Kouroubali,  a  été  turbanné 
par  le  principal  marabout  du  village. 

Il  n'y  a  pas  de  mufti  proprement  dit,  mais  nombre  de 
personnages  des  écoles,  jadis  ou  actuellement  célèbres, 
d'Odienné,  du  Touba,  de  Mankono,  de  Kong,  de  Bondou- 
kou,  sont  consultés  de  fort  loin  sur  des  points  litigieux  de 
dogme,  de  doctrine  et  de  pratique  religieuses.  Ils  passent 
pour  les  gardiens  de  l'orthodoxie  musulmane,  malgré  les 
nombreuses  entorses  qu'ils  lui  donnent.  Ces  docteurs  ne 
sont  autres  d'ailleurs  que  les  almamys  ou  maîtres  d'école 
qui  «  disent  le  droit  »,  sans  cesser  d'exercer  chez  eux  leurs 
fonctions  sacerdotales  et  pédagogiques  habituelles. 

L'almamy  est  presque  toujours  l'assesseur  du  tribunal  de 
cercle  ou  le  juge  du  tribunal  de  subdivision  des  juridic- 
tions indigènes.  C'est  évidemment  cette  habile  souplesse  de 


252  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

notre  Administration  quia  assuré  à  ces  tribunaux  un  suc- 
cès aussi  complet. 


3.  —  Le  service  cultuel. 

Les  mosquées  demeurent  ouvertes  tout  le  jour,  toujours 
prêtes  à  recueillir  les  prières  des  fidèles,  mais  elles  ne  sont 
guère  fréquentées  qu'à  la  prière  du  crépuscule,  les  jours 
ordinaires,  et  le  vendredi,  à  la  grande  prière  du  midi.  Aux 
prières  du  Ramadan,  en  revanche,  et  pour  les  grandes  fêtes 
religieuses,  elles  sont  littéralement  pleines, 

(faillie  avait  déjà  remarqué,  il  y  a  un  siècle,  cette  indiffé- 
rence religieuse,  quand  la  piété  n'est  pas  fouettée  par 
quelque  circonstance  exceptionnelle. 

«  J'allai  avec  mon  hôte  visiter  la  mosquée  (de  Tengrella). 
Elle  est  faite  en  terre,  et  dominée  par  plusieurs  petites 
tours  massives.  C'est  un  édifice  informe  et  construit  sans 
goût;  l'intérieur  en  est  sale,  et  il  y  fait  une  chaleur  étouf- 
fante. Les  musulmans,  encore  plus  paresseux  que  zélés 
pour  leur  religion,  n'ont  pas  pris  la  peine  de  déblayer  les 
terres,  qui  sont  tombées  pendant  la  construction,  il  est 
vrai  qu'ils  n'y  vont  pas  souvent,  car  ils  font  leurs  prières 
chez  eux,  » 

En  ces  jours  de  fête,  sur  l'appel  plus  vibrant  du  muezzin, 
les  hommes,  après  avoir  procédé  en  leurs  demeures  aux 
ablutions  prescrites,  certains  tenant  à  lamain  le  chapelet, 
la  lance  ou  le  long  bâton,  le  chef  ceint  de  plusieurs  étages 
de  turbans,  le  corps  enveloppé  de  manteau  en  forme  de 
chape  se  rendent  à  la  mosquée,  à  pas  dignes  et  lents.  Géné- 
ralement les  vieux,  les  marabouts  turbannés,  entrent  dans 
le  saint  lieu.  Les  autres  demeurent  dehors  sur  la  place  de 
la  mosquée,  la  peau  de  mouton,  tapis  de  prière,  étendue  à 
leurs  pieds. 

L'imam  fait  son  prône  très  réguhèrement.  Cette  allocu- 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE    PRIERE  233 

lion  est  prononcée  en  arabe  littéraire,  quand  l'officiant  a 
une  connaissance  suffisante  de  cette  langue  ;  sinon  elle  con- 
sisteen  une  simple  lecture  morale,  tirée  des  Dalail,  de  la  Ris- 
sala,  du  Fotiba,  etc.  La  traduction  de  ce  prône  (Khotbatou), 
ou  plutôt  la  paraphrase  en- langue  du  pays,  malinké  ou 
mandé-dioula,  suit  immédiatement,  à  Tusage  des  fidèles. 
C'est  généralement  phrase  par  phrase  que  se  fait  cette  tra- 
duction. Quelquefois  c'est  à  la  fin  de  l'allocution  arabe 
qu'elle  est  donnée.  L'objet  de  la  «  Khotbatou  »  consiste 
généralementdans  le  développement  d'un  point  du  dogme, 
dans  des  explications  de  théologie  courante,  dans  des 
exhortations  morales,  etc..  C'est  en  somme  à  peu  près  le 
sermon  du  curé  de  campagne,  sans  grande  unité,  ni  suite, 
ni  prétention  littéraire.  Voici  par  exemple  un  de  ces 
prônes  : 

«  Vous  avez  le  devoir  de  faire  le  bien.  Ainsi  vous  serez 
peut-être  sauvés.  Mohammed  a  dit  :  «  Que  Dieu  me  protège 
au  Paradis  !  Laissez  le  monde.  Ceux  qui  sont  passés  avant 
vous  ont  trop  cherché  leur  intérêt  sur  terre.  Ils  l'ont 
regretté  une  fois  morts.  Vous  qui  êtes  en  vie  actuellement, 
si  vous  recherchez  trop  votre  intérêt  ici-bas,  le  monde  vous 
quittera,  comme  il  a  quitté  ceux  qui  sont  venus  avant  vous. 

«  A  cause  de  cela,  cherchez  votre  intérêt  dans  les  cinq 
choses  permises,  avant  les  cinq  choses  défendues.  Quand  on 
est  jeune,  il  faut  se  débrouiller  avant  d'être  vieux;  quand 
on  se  porte  bien,  on  envisage  l'avenir;  on  se  prépare  pour 
la  maladie  avant  d'être  à  nouveau  bien  portant;  quand  on 
est  heureux  on  se  prépare  pour  l'avenir  avant  d'être  mal- 
heureux. Tant  que  l'on  vit,  il  faut  faire  ce  que  Dieu  dit,  il 
faut  le  faire  avant  sa  mort,  car  après,  toutest  lini.  Que  Dieu 
me  pardonne  et  vous  pardonne  pour  le  mal  que  nous  avons 
fait;  que  Dieu  nous  empêche  d'être  malheureux  avant  la 
mort,  que  Dieu  vous  protège,  lorsque  vous  protégez  la 
religion  des  musulmans.  Amin.  » 


254  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

Ce  mot  de  Amin,  comme  les  phrases  essentielles  de  la 
prière,  est  répété  dans  la  salle  par  un  moniteur  appelé 
Moudirissou  (Mouderres)  et  désigné  à  l'avance  par 
l'imam. 

Dans  quelques  mosquées,  on  récite  l'invocation  en 
faveur  du  Sultan  :  «  Que  Dieu  protège  le  Sultan  de  tout 
mal  !  »  Quel  est  ce  sultan?  11  n'est  pas  plus  spécifié  dans 
le  texte  que  dans  l'esprit  des  gens.  Au  fond  je  ne  serai  pas 
éloigné  de  croire  que  les  indigènes  pensent  simplement  à 
l'autorité  de  fait  et  à  leur  situation  présente  et  qu'ils  prient 
Dieu  de  protéger  de  tout  mal  le  maître  de  l'heure,  ce  qui 
est  une  autre  façon  de  les  protéger  eux-mêmes.  Et  le  maître 
de  l'heure,  comme  pour  les  catholiques  qui  chantent  le 
Domine  salvam  fac  repiiblicam,  c'est  celui-là  même 
qui  tient  en  main  la  «  chose  publique  »,  indépendamment 
de  toute  conception  ou  politique  ou  constitutionnelle.  A 
Bondoukou  et  ailleurs,  on  récite  une  prière  en  faveur  du 
chérif  de  La  Mecque,  le  jour  de  la  fête  pascale. 

La  prière  rituelle  n'offre  rien  de  spécial,  si  ce  n'est  qu'elle 
est  faite  en  un  arabe  pitoyable,  et  qu'elle  est  incomprise 
de  ceux  qui  la  récitent.  Allah  doit  être  certainement  plus 
miséricordieux  encore  que  ne  le  disent  les  Arabes  pour 
accueillir  avec  mansuétude  des  prières  aussi  peu  canoniques 
par  le  fond  et  par  la  forme. 

Les  femmes  assistent  à  la  prière  au  dernier  rang  des 
fidèles,  dans  une  travée  qui  leur  est  réservée,  mais  elles  ne 
peuvent,  suivant  les  prescriptions  rituelles,  entrer  à  la 
mosquée  que  «  lorsqu'elles  ne  sont  plus  femmes  »,  c'est-à- 
dire  lorsqu'elles  ont  cessé  de  ressentir  les  troubes  mens- 
truels. Avant  cet  âge,  aucune  femme  n'est  admise  dans  les 
mosquées,  même  entre  les  prières.  Elles  sont,  eneffet,  con- 
sidérées comme  en  état  constant  d'impureté,  pouvant 
souiller  la  mosquée.  La  femme  musulmane,  ici  comme 
ailleurs,   ne    fait  point  ses    prières    aux    époques    de  ses 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE    PRIERE  255 

menstrues;  elle  est,  en  effet,  considérée  alors  comme  en 
un  état  d'impureté,  impossible  à  effacer  par  les  ablu- 
tions. 

Les  femmes  d'âge  suffisant  ne  sont  admises  aux  prières 
rituelles  des  mosquées  que  nu-pieds,  la  tête,  les  épaules 
et  le  buste  couverts  d'un  épais  pagne  blanc. 

Dans  plusieurs  régions,  les  femmes  ne  sont  même  jamais 
admisesàla  mosquée  ;onleurconstruità proximité  dutemple 
une  case  où  elles,  les  vieilles  bien  entendu,  peuvent 
entendre  la  voix  de  l'imam  et  se  joindre  aux  prières  des 
fidèles.  Dans  le  cas  où  cette  case  fait  défaut,  on  les  autorise 
alors  à  se  prosterner  pendant  le  salam  à  l'huis  de  la  mos- 
quée, dans  la  cour  circulaire. 

Les  enfants  sont  admis  aux  mosquées  à  partir  de  i5  ans, 
étant  considérés  avant  cet  âge  comme  généralement  mal- 
propres, incapables  de  concevoir  et  d'obtenir  la  pureté,  et 
surtout,  en  raison  de  leur  caractère  turbulent  et  espiègle, 
comme  pouvant  troubler  la  solennité  des  offices,  et  induire 
en  erreur  les  fidèles. 

Quant  aux  femmes,  il  est  facile  de  concevoir  la  vraie, 
la  seule  raison  de  leur  non-admission,  avant  leur  âge  cri- 
tique, dans  les  mosquées  ;  c'est  d'ailleurs  la  raison 
rituelle  :  leur  présence  serait  évidemment,  la  question  de 
leur  impureté  congénitale  mise  à  part,  une  source  de  dis- 
tractions de  la  part  des  fidèles,  de  pensées  où  Dieu  aurait 
la  moindre  part,  et  par  suite,  d'erreurs  dans  l'exécution 
des  rites. 

Les  offices  se  développent  fort  simplement,  suivant  une 
tendance  évidente  à  suivre  exactement  le  rituel  régulier. 
Les  mosquées  obscures,  toutes  en  piliers,  et  par  ailleurs  fort 
exiguës,  ne  se  prêtent  pas  aux  pompes  modernes  des  mos- 
quées d'Orient.  Une  simplicité  patriarcale  y  règne,  certai- 
nement voisine  des  rites  voulus  par  le  Prophète.  Aucun 
lustre,  aucun  bois  précieux,  pas  de  dentelles  de  stuc,  pas  de 
mihrab  en  bois  découpé  ni  ajouré  ;  pas  de  chaire  finement 


256  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

travaillée,  point  de  soieries,  ni  de  tapis  précieux;  pas  de 
murs  ni  de  colonnes  en  marbre,  point  de  verrières  écla- 
tantes de  lumière.  Des  murs  de  terre,  sans  ornements 
d'aucune  sorte,  sans  soieries  ou  étendards  rutilants,  mais 
simplement  passés  à  la  bouse  de  vache  qui  donne  au  local 
un  aspect  encore  plus  sombre,  une  simplemarche  comme 
chaire,  une  simple  niche  dans  le  mur  comme  mihrab,  avec 
dans  l'intérieur  une  humbe  lampe  en  fer  au  karité,  comme 
celles  dont  on  se  sert  journellement  partout,  et  aux  pieds 
de  simples  nattes  (missiri  dibi),  comme  celles  sur  les- 
quelles on  dort  et  dont  beaucoup  ont  déjà  servi  de  linceul 
à  des  musulmans.  L'imam  lui-même  ne  se  distingue  de  la 
foule  des  fidèles  que  par  un  grossier  burnous,  en  drap 
rouge  ou  vert,  bordé  d'un  liséré  jaune,  acheté  dans  les 
boutiques,  et  aussi  généralement  par  un  turban  à  plusieurs 
tours. 

Emanant  d'une  foi  qui,  pour  être  superficielle  et  igno- 
rante, ne  saurait,  comme  on  le  fait  souvent,  être  mise  en 
doute,  la  simplicité  de  ces  prières  est  réellement  très  belle. 
Rien  n'est  d'ailleurs  plus  impressionnant  et  d'une  aussi 
réelle  beauté  que  les  offices  de  nuit  du  Ramadan,  en  plein 
air,  à  la  clarté  de  la  lune,  en  raison  de  la  simplicité  du  rite, 
de  la  gravité  de  cet  acte  de  foi  et  de  la  beauté  des  attitudes, 
exemptes  de  toute  pose. 


4.  —  L'organisation  matérielle. 

Les  mosquées  sont  construites  par  la  main-d'œuvre 
gratuite  et  par  les  fonds  recueillis  dans  la  communauté 
musulmane.  Elles  sont  confiées  par  la  suite  aux  soins  et  à 
la  garde  soit  de  l'almamy,  soit  d'un  chef  de  case,  choisi 
parmi  les  notables. 

Les  mosquées  n'ont  aucune  ressource.  Sur  invitation 
de    l'almamy   les    travaux  d'entretien    et    de   réparations 


! 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE    PRIERE  25j 

incombent  aux  fidèles,  mais  à  considérer  l'état  de  vétusté 
et  de  délabrement  de  certaines  mosquées,  il  faut  avouer 
qu'ils  s'acquittent  bien  médiocrement  de  ce  pieux  devoir; 
beaucoup  sont  mal  entretenues,  d'autres  demeurent  ina- 
chevées, quelques-unes  sont  tombées  ou  tombent  en 
ruines. 

Prompt  à  s'enthousiasmer,  le  Noir,  en  quelques  semaines, 
au  prix  d'un  labeur  énorme,  est  capable  de  faire  jaillir  du 
sol  une  mosquée  et  ses  clochetons,  mais  son  ardeur,  parce 
que  trop  violente,  est  de  courte  durée.  Que  l'enthousiasme 
du  premier  instant  vienne  à  faiblir,  les  travaux  se 
ralentissent  ;  c'est  le  déclin  ;  la  fortune  de  l'édifice  est  désor- 
mais bien  compromise. 

Les  biens  habous  n'existant  pas  dans  ce  pays,  où  la  terre 
est  sans  valeur  comme  les  immeubles,  les  mosquées,  qui 
sont  par  ailleurs  des  constructions  rudimentaires,  à  peu 
près  sans  mobilier,  n'ont  donc  pas  de  ressources  régulières 
et  n'en  ont  au  surplus  pas  besoin. 

Les  nattes  servant  pour  la  prière  appartiennent  cependant 
à  la  mosquée.  Elles  sont  fournies  par  des  donateurs  béné- 
voles. Sont  aussi  données  aux  mosquées  toutes  les  nattes 
ayant  servi  de  linceul  à  des  musulmans,  nattes  que  l'on 
remplace,  au  moment  de  l'ensevelissement  par  une  natte 
usagée,  la  natte  primitive  étant  laissée  à  la  mosquée. 

Le  karité  pour  la  lampe  du  mihrab  est  également  fourni 
par  des  gens  de  bonne  volonté,  qui  alimentent  la  lampe  au 
fur  et  à  mesure  des  besoins. 

Le  balayage,  le  nettoiement  et  le  crépissage  à  la  bouse 
de  vache  des  murs  des  mosquées,  sont  faits  par  six  vieilles 
femmes,  choisies  dans  une  famille  différente  de  celle  de 
l'alimamou. 

Les  imams  des  mosquées  diamiou,  comme  les  imams 
secondaires,  n'ont  aucune  rétribution  régulière.  Chacun 
leur  donne  ce  qu'il  peut,  mais  toujours  fort  peu.  Pendant 
le  Ramadan  on   leur  fait  des  cadeaux  après  les    prières. 

'7 


258  ÉTUDES    SUR   l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Quelquefois  il  leur  est  remis  du  bétail  même  par  des  féti- 
chistes (Diomandé  fétichiste  à  l'imam  Barhayorho  de  Sé- 
guéla  ;  chef  malinké  à  l'imam  d'Odienné,  à  celui  de  Touba, 
etc.;  chefs  Tagouana,  Djimini,  Diamala,  aux  imams  de 
Dabakala,  Darhala,  Satama  Mborla  ;  chefs  Abrou  à  l'imam 
de  Yorobadi  et  à  l'imam  de  Bondoukou  ;  chef  Koulango  à 
l'imam  de  Bouna,  etc.).  Ce  bétail  n'est  pas  considéré 
comme  haboussé.  Il  devient  l'entière  propriété  de  l'imam, 
qui  en  dispose  à  sa  guise. 

On  conçoit  que  les  revenus  des  personnages  religieux 
soient  en  général  fort  restreints.  Les  plus  importants  leur 
viennent  des  fêtes  du  Ramadan,  qu'ils  vont  diriger  dans 
des  cantons  voisins.  Ils  en  retirent  surtout  des  denrées 
vivrières,  des  soumb  (monnaie  locale),  rarement  de  l'argent 
et  du  bétail.  On  conçoit  également  que  ces  revenus  varient 
en  fonction  du  marabout,  de  son  caractère,  de  sa  réputation, 
et  aussi  de  son  sens  commercial.  Certains,  insinuants, 
flatteurs  et  adroits,  tout  en  étant  remplis  d'orgueil,  excel- 
lent à  se  faire  donner  par  une  flatteuse  persuasion  des 
quantités  de  cadeaux,  là  où  un  autre  marabout  tout  aussi 
renommé,  mais  maladroit  ou  trop  franc,  n'aura  rien 
recueilli.  Le  muezzin  n'a  pas  plus  de  ressources  régulières 
que  l'almamy.  Les  fidèles  généreux  lui  font  des  cadeaux 
de  mil,  d'ignames,  de  manioc,  de  riz,  etc.,  aux  jours  de 
fête. 

A  signaler  que  les  marabouts  étrangers  sont  en  général 
assez  mal  accueillis  dans   les  milieux  musulmans  locaux. 


5.  —  Sanctuaires  et  lieux  de  pèlerinages. 

Ici  comme  dans  les  autres  pays  noirs,  on  n'a  pas  une 
dévotion  particulière  pour  les  pieux  ancêtres  disparus.  Le 
constraste  est  frappant  avec  les  pays  maures  et  sahariens, 
•où  cette  dévotion  est  poussée  à  un  point  qui  frise   l'anthro- 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE   PRIERE  259 

polâtrie.  Ici,  pas  ou  peu  de  canonisation  par  la  voie  popu- 
laire, pas  de  souvenir  et  de  culte  au  delà  d'une  génération, 
pas  ou  peu  de  visites  et  de  pèlerinages,  pas  ou  peu  de 
reliques.  Ce  n'est  pas  pour  les  Noirs  qu'un  grand  saint 
africain  disait,  il  y  a  dix-sept  siècles  :  Africa  sanctorum 
corporibus  plena  est...  «  LAfrique  est  pleine  de  re- 
liques. » 

On  n'a  donc  à  relever  que  quelques  sépultures  de  saints 
personnages  : 

Koro,  dans  le  cercle  de  Touba,  offre  à  la  vénération  des 
fidèles  le  tombeau  de  Moussa  Barhayorho.  Des  musulmans 
et  parfois  des  fétichistes,  naïfs  solliciteurs,  se  rendent  en 
ces  lieux  sanctifiés  par  de  saintes  dépouilles. 

A  Odienné,le  tombeau  de  Va  Kaba  Touré  se  trouve  au 
milieu  d'une  avenue  de  la  ville  et  n'est  marqué  que  par 
une  grosse  pierre.  Les  Touré  se  déchaussent  en  passant 
devant  cet  endroit  ;  c'est  la  seule  marque  de  respect  qu'ils 
lui  donnent.  Un  chef  de  poste  d'Odienné  avait  proposé  le 
transfert  de  ces  restes  en  dehors  de  la  ville,  en  offrant  sa 
collaboration  pour  l'édification  d'un  tombeau;  les  gens 
d'Odienné  refusèrent  à  l'unanimité. 

Dans  rOuorodougou,  le  seul  qui  subsiste  encore,  vénéré 
en  temps  de  Ramadan  seulement,  se  trouve  à  Bouandougou. 
Toutes  les  prières  du  temps  de  jeûne  sont  faites  en  ce  sanc- 
tuaire, dont  l'emplacement  est  voisin  de  la  tombe  de 
Youssoufou  Kamarhaté,  et  l'on  vient  y  prier  de  plusieurs 
kilomètres  à  la  ronde. 

Les  Sidia  et  les  Bamba  de  la  même  région  vont  visiter 
le  tombeau  de  leur  ancêtre,  Salimou  Morifong  Bamba,  à 
Sialenga,  près  de  Gaouléka  (cercle  des  Gouro).  Ce  pèleri- 
nage est  effectué  à  des  dates  très  différentes  et  sans  aucune 
régularité.  Les  gens  de  diamou  Bamba  (dont  les  Sia 
musulmans  et  fétichistes)  s'y  rendent  à  jour  fixé,  en  grande 
affluence.  Mais  ce  n'est  pas  à  proprement  parler  une  fête 
religieuse,  car  elle  ne  donne  pas   lieu   à  des   cérémonies 


-200  ÉTUDES    SUR   l'iSLAM    EN    CÔTE    d'i VOIRE 

rituelles,  ni  à  des  prières  spéciales  ;  on  fait  sur  le  tombeau 
des  sacrifices  d'animaux,  on  mange  beaucoup,  les  féti- 
chistes boivent  encore  plus  ;  des  tam-tams  enragés  durent 
plusieurs  jours.  Mais  Dieu  et  la  mémoire  du  Saint,  qui  intro- 
duisit en  somme  l'Islam  dans  le  pays,  n'y  ont  aucune  part. 

A  noter  que  les  enfants  et  hommes  réputés  bâtards  se 
voient  impitoyablement  refuser  la  participation  au  pèle- 
rinage. 

Ces  pratiques  de  pèlerinage  sont  d'ailleurs  désavouées  par 
la  plupart  des  musulmans,  ou  tout  au  moins  ne  sont  pas 
«n  honneur  chez  eux.  La  plupart  réprouvent  cette  vénéra- 
tion post-mortelle.  Le  plus  souvent,  les  tombes  sont  res- 
pectées, sans  qu'on  voie  en  elle  une  source  de  biens  surna- 
turels. Quelquefois  mais  rarement,  les  tombes  vénérées 
sont  débroussaillées  et  nettoyées. 

A  Bouna,  on  trouve  cinq  tombeaux  où,  à  certaines 
époques,  les  musulmans  de  la  localité  vont  faire  des 
prières.  Ils  renferment  :  i°  Kamara,  marabout  dont  la 
famille  venait,  dit-on,  de  La  Mecque,  mort  vers  iSgS  ; 
2"  Sandakora,  né  à  Bouna,  devenu  marabout  influent  dans 
toute  la  région,  mort  vers  1890;  3°  Karfa,  né  vers  1880; 
4°  Karamoko  Baba  né  à  Bouna,  mort  vers  1880  ;  5°  Kara- 
moko  Gassouma,  né  à  Bouna,  mort  vers  1888. 

On  trouve  de-ci  de-là  quelques  rochers,  quelques  arbres, 
quelques  marigots,  auxquels  est  attaché  par  de  pieuses 
légendes  le  souvenir  de  marabouts  éminents  par  leur 
sainteté,  leurs  vertus  ou  leur  science. 

Enfin,  en  périodes  graves  ou  critiques  :  longues  séche- 
resses, trop  fortes  pluies,  mortalité  anormale,  épidémie, 
€tc.,  on  fait  dans  les  mosquées  des  grands  centres  des 
prières  surérogatoires.  On  implore  la  pitié  et  la  clémence 
d'Allah  ;  de  leur  côté,  les  enfants  des  écoles  se  répandent 
^dans  les  ruelles  du  village,  demandant  miséricorde  à  la 
Divinité,  et  frappant  en  cadence  avec  des  baguettes  leurs 
planchettes  à  sourates. 


MOSQUÉES,    SANCTUAIRES    ET    LIEUX    DE    PRIERE  20 L- 

Le  cimetière  est  commun  à  toute  l'agglomération  musul- 
mane ;  il  est  toujours  situé  à  l'est  ou  au  sud  du  village; 
c'est  un  vaste  emplacement  non  limité  par  clôture  ;  il  n'est 
pas  un  lieu  de  vénération  ou  de  pèlerinage  local,  il  n'est 
même  pas  l'objet  d'un  entretien  particulier,  car  l'herbe  et 
les  broussailles  y  croissent  librement. 

Une  fois  par  an,  le  i"  vendredi  du  mois  d'Aradiaba 
(Rejeb),  jour  de  la  fête  des  morts  pour  les  musulmans,  ils 
nettoient  le  cimetière  et  allument  pour  la  nuit  des  lampions 
au  beurre  de  karité  sur  les  plus  importants  des  tombeaux. 
Ce  jour-là,  ils  font  la  prière  publique  le  matin,  et  passent 
le  reste  de  la  journée  en  bonnes  œuvres. 


CHAPITRE  III 
L'ENSEIGNEMENT    ISLAMIQUE     (i) 

I.  —  Les  écoles. 

L'enseignement  islamique  comprend  en  quelque  sorte 
deux  séries  d'écoles  :  les  unes,  primaires,  où  l'enfant  est 
dégrossi,  apprend  les  rudiments  de  la  langue,  de  l'écriture, 
et  du  catéchisme  musulman. 

La  plupart  des  fidèles  l'ont  fréquentée,  et,  à  moins  de 
se  vouer  toute  leur  vie  au  Coran,  en  restent  là. 

Les  autres,  supérieures,  que  l'enfant  fréquente  à  sa 
sortie  de  Pécole  primaire,  dans  le  but  bien  déterminé  de 
devenir  un  lettré  (karamorho)  un  turbanné  (namoutigui). 
Souvent  quand  les  maîtres  en  ont  le  pouvoir  et  la  science, 
ces  deux  écoles  sont  réunies  en  une  seule.  Mais,  les  plus 
nombreuses  sont  évidemment  les  écoles  inférieures,  que 
l'on  trouve  dans  tous  les  villages  possédant  une  famille 
musulmane,  et  dont  le  maître  est  souvent  le jt?a^er /amzVms 
du  groupe. 

Le  turban,  qui  correspond  ici  à  l'Idjaza  arabe,  est  le 
couronnement  de  l'enseignement  reçu  par  les  talibés.  Il  se 
confère  de  deux  façons  différentes: 

La   façon    normale,    où    le    talibé   ne  se  voit  proclamé 


(i)    Plusieurs  notes    de   ce  chapitre  ont  été  extraites    des   monographies 
islamiques  de  Ripert  [Ouoi-odougou)  et  de  Le  Campios  (routa  Odienné). 


l'enseignement  islamique  263 

dignus  intrare  qu'après  le  cycle  complet  de  ses  études; 
c'est  le  cas  général. 

D'une  façon  exceptionnelle,  le  turban  peut  être  conféré 
à  l'élève  dès  qu'il  a  connaissance  du  Coran,  sans  avoir 
passé  par  le  cycle  complet  des  études  ;  cette  faveur,  ou 
bien  se  paie  très  cher  par  les  familles  intéressées,  au  mara- 
bout professeur,  ou  bien  est  réservée  aux  fils  de  ces 
mêmes  marabouts,  lorsque  ceux-ci  sont  âgés  et  craignent 
de  ne  pouvoir  mener  leur  enfant  jusqu'au  bout  de  ses 
études,  jusqu'à  la  cérémonie  du  Turban.  Il  convient  de 
dire  que  c'est  là  la  grande  exception. 

La  remise  du  turban  donne  lieu  à  des  fêtes  et  à  des 
cadeaux,  faits  par  l'intéressé  au  marabout  qui  l'intronisa. 
Le  nouvel  investi  prononce  des  sortes  de  vœux;  il  promet 
d'être  adepte  fidèle  du  Coran  et  renonce  à  prendre  part 
aux  danses,  aux  manifestations  bruyantes. 

En  réalité  parmi  ces  vœux,  les  plus  faciles  seuls 
semblent  être  bien  observés. 

Dans  les  réjouissances  publiques,  les  namoutigui  font 
cortège  à  part.  Revêtus  de  grands  manteaux  d'apparat  en 
forme  de  chapes,  la  tête  ornée  de  plusieurs  étages  de 
turbans,  le  chapelet  à  la  main,  ils  récitent,  le  visage  demeu- 
rant impassible,  des  sortes  de  psaumes  scandés  par  le  son 
triste  et  grave  du  «  tabéli  ».  Ces  cortèges,  à  la  fois  mornes 
et  solennels,  contrastent  étrangement  avec  les  bonds  désor- 
donnés, les  éclats  de  rires,  les  cris  et  clameurs  d'allégresse 
des  musulmans  non  investis  et  des  populations  féti- 
chistes. 

Les  namoutigui,  parce  qu'incarnant  l'état  d'esprit  des 
musulmans  de  vieille  race,  constituent  le  rempart  le  plus 
solide  contre  la  pénétration  de  nos  idées  et  de  notre 
influence. 

A  s'en  tenir  au  sens  des  mots,  on  appelle  «  karamoko  » 
ou  «   Karamorho  »,  un    homme,  «  karaden  »  un  enfant, 


264  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

connaissant  la  lecture.  En  réalité,  il  est  fait  bien  souvent 
un  emploi  abusif  de  ces  deux  appellations,  principalement 
la  première,  qui  est  devenue  en  quelque  sorte  un  terme 
de  politesse. 

L'enseignement  ne  se  donne  à  peu  près  jamais  dans  les 
mosquées  diamiou,  uniquement  réservées  au  culte.  Par 
contre,  les  mosquées  de  quartier,  les  ribat,  souvent  aussi 
les  cases  elles-mêmes  du  marabout,  sont  presque  toujours 
utilisées  dans  ce  but.  Enfin  dans  les  centres  maraboutiques, 
lorsque  la  fréquentation  scolaire  est  importante,  les  Kara- 
morho  font  édifier  une  ou  plusieurs  cases  spéciales,  l'École, 
du  type  indigène  ordinaire,  mais  la  leçon  ne  s'y  donne 
guère  que  lorsqu'il  pleut  ;  c'est  généralement  en  plein  air 
que  les  enfants  ânonnent  en  chœur  sur  leurs  planchettes. 

Le  matériel  scolaire  est  des  plus  simples  :  l'écorce  d'un 
arbuste,  réduite  en  cendres,  produit,  après  préparation 
convenable,  de  l'encre  à  profusion  ;  un  roseau  taillé  sert  à 
la  fois  de  plume  et  de  porte-plume  ;  le  papier,  dans  les 
débuts  tout  au  moins,  est  remplacé  par  une  planchette 
soigneusement  polie,  sur  laquelle  on  inscrira  les  sourates 
du  Coran.  Au  sein  delà  classe,  nulle  discipline,  nulle  orga- 
nisation ;  les  élèves  les  moins  ignares  demeurent  en  contact 
avec  les  élèves  débutants  ;  il  en  résulte  que  les  progrès  sont 
d'une  lenteur  décourageante. 


2.  —  L'enseignement. 

L'enseignement  inférieur  comprend  d'abord: 
1°  Etude  des  caractères  arabes,  lecture  et  écriture,  récita- 
tion de  la  Sourate  de  la  Fatiha. 

2"  Etude  de  la  prière,  tant  dans  ses  prostrations  et  génu- 
flexions (rekaa)  que  dans  son  texte,  que  dans  ses  conditions 
de  validité  (ablutions  rituelles,  lieu  de  la  prière,  nature  de 
la  natte,  etc.). 


NWK'I    101  (.1    1    si:    i.'I  XbAN'T    A    LA    MOSQUÉE. 


Na.movtolgli  sortant  de  la  mosqiée. 


^ 


l'enseignement  islamique  203 

3"  Lorsque  l'enfant  sait  épeler,  on  lui  fait  d'abord  lire 
les  sourates  les  plus  connues  et  les  plus  indispensables  du 
Coran,  puis  le  Coran  tout  entier,  dont  il  apprend  certains 
chapitres  par  cœur. 

Aces  débuts,  il  faut  ajouter  comme  enseignement  inter- 
médiaire entre  le  cours  primaire  et  le  cours  supérieur 
quelques  leçons  de  grammaire  (Adjarroumiya),  et  de 
catéchisme  de  persévérance  (Borhan,  les  trois  livres  de 
Sanoussi). 

Les  enfants  quittent  alors  l'école  et  rentrent  dans  leurs 
familles;  ils  sont  dits  talibou  saghirou,  (Karamorho  den) 
ou  par  abréviation  :  karaden.  Les  autres,  qui  se  destinent 
à  la  vie  universitaire  et  religieuse,  continuent  à  fréquenter 
l'école  où  ils  se  trouvent,  si  le  maître  est  capable  de  leur 
distribuer  l'enseignement  supérieur  ;  sinon,  ils  vont  cher- 
cher une  autre  école. 

Ils  reprennent  et  complètent  les  livres  précités  et  y 
ajoutent  la  Rissala,  la  Tohfa,  les  Maqamat,  Molhat  al- 
Irab,  quelquefois  Khalil,  mais  cet  enseignement  est  donné 
sans  ordre,  sans  programme  et  sans  discipline.  Rares  sont 
d'ailleurs  les  musulmans  qui  peuvent  dispenser  l'enseigne- 
ment contenu  dans  ces  derniers  livres.  La  plupart  des 
maîtres  d'école  ne  sont  pas  turbannés,  et  s'en  sont  tenus 
aux  seuls  livres,  cités  précédemment,  et  ce  sont  les  seuls 
qu'ils  enseignent,  plutôt  mal  que  bien. 

Il  n'y  a  guère  plus  de  3  ou  4  écoles  supérieures  de  quel- 
que valeur  par  cercle,  et  en  général  dans  les  chefs-lieux, 
qui  sont  les  agglomérations  les  plus  importantes. 

En  résumé,  l'enseignement  supérieur  extrêmement' 
faible,  et  j'avance  sans  crainte  de  me  tromper  qu'il  n'y  a 
pas  un  seul  namoutigui  qui  soit  capable  de  comprendre 
d'un  bout  à  l'autre,  les  ouvrages  classiques  du  droit,  de  la 
théologie  ou  de  l'exégèse  coraniques. 


206  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'IVOIRE 


3.  —  La  langue  arabe. 

La  langue  arabe  est  considérée,  et  enseignée  ici,  comme 
une  langue  morte,  à  l'égal  du  latin  dans  le  catholicisme. 
La  langue  fait  du  reste  l'objet  de  nombreuses  études,  et, 
si  la  majorité  des  musulmans  du  pays  n'arrivent  guère 
qu'à  la  connaissance  de  ses  rudiments,  sans  syntaxe  et  sans 
étude  des  racines,  quelques-uns  au  contraire  parviennent 
à  une  connaissance  réellement  remarquable  de  cette  langue, 
qu'ils  ont  apprise  par  des  moyens  d'un  empirisme  extraor- 
dinaire. On  peut  en  citer  quelques-uns  qui  sont  vraiment 
remarquables  à  cet  égard.  Mamadou  Soumaré,  de  Korhogo  ; 
Kounandi  Timité  de  Bondougou  ;  Saléa  Cissé  de  Bouna; 
Mamadi  Karamorho  de  Mankono,  et  Lanzana  Cissé  de 
Tonhoulé  ;  ces  marabouts  sont  arrivés  à  une  connaissance 
très  réelle  delà  langue,  de  sa  syntaxe,  de  son  esprit,  allant 
même  jusqu'à  une  explication  rationnelle  des  textes,  une 
recherche  remarquable  des  racines  et  une  véritable  exégèse. 
Ils  en  arrivent  à  parler  très  correctement  cette  langue, 
mais  en  lui  faisant  subir  dans  la  prononciation  une  mons- 
trueuse déformation.  On  remarquera  que  les  finales  sont 
toujours  suivies  dans  la  prononciation,  de  voyelles  ou  de 
diphtongues:  a,  i,  ou  ;  que  le  kh  guttural  est  prononcé 
comme  le  k,  que  la  lettre  q  est  prononcée  le  plus  souvent 
g  ;  que  le  ou  à  l'intérieur  d'un  mot  est  souvent  pro- 
noncé comme  u,  et  même  comme  i  ;  que  le  gh  est  prononcé 
comme  g  dur  ;  que  l'indigène  du  pays  ne  tient  pas  compte 
du  ouesla,  et  ne  peut  admettre  dans  sa  prononciation  deux 
lettres  dures  ou  sifflantes  à  la  suite,  malgré  qu'elles  soient 
surmontées  du  ouesla,  et  qu'il  les  sépare  toujours  par  une 
voyelle  (ex.  Mesjid  se  prononce  Masiguidi  ;  saghir  se  pro- 
nonce, saguiri;  kabir  se  prononce  kabirou,  Bismillah, 
Bissimillahi).   Les  gens  se  rendent  d'ailleurs  bien  compte 


l'enseignement  islamique  267 

de  la  défectuosité  de  leur  prononciation  et  ils  n'emploient 
jamais  l'arabe  comme  instrument  de  conversation. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'arabe  écrit,  qui  est  entré 
depuis  longtemps  dans  la  pratique  courante.  C'est  ainsi 
que  beaucoup  de  marabouts  tiennent  dans  leur  famille  une 
sorte  d'état  civil  et  sont  très  exactement  renseignés  sur  leur 
âge  et  celui  de  leurs  enfants;  qu'ils  enregistrent  le  montant 
des  dots  qu'ils  versent  pour  eux-mêmes  ou  pour  leurs  fils. 

Ceux  qui  s'adonnent  au  commerce  tiennent  ainsi  des 
rudiments  de  comptabilité.  Il  n'est  pas  rare,  dit  Chaudron, 
de  voir  certains  d'entre  eux  porteurs  de  planchettes  en 
bois,  sur  lesquelles  ils  marquent  très  exactement  leurs  iti- 
néraires, leurs  profits  ou  pertes,  leur  crédit  et  leur  débit, 
les  points  où  ils  ont  commercé,  séjourné,  et  les  prêts  con- 
sentis ou  non  ;  des  renseignements  sur  les  pays  traversés, 
des  noms  de  localités,  de  chefs  indigènes,  etc.,  enfin 
d'autres  informations,  dont  eux  seuls  ont  le  secret,  et  qui 
expliquent  si  bien  leur  force  morale  dans  lepays.  La  langue 
employée  est  généralement  l'arabe,  quelquefois  le  mandé. 
Les  caractères  employés  sont  toujours  les  caractères  arabes. 
L'emploi  de  l'arabe  écrit  est  donc  constant  dans  la  vie 
courante  ;  les  marabouts  s'écrivent  souvent  entre  eux  et 
excellent  même  à  présenter  dans  des  palabres,  lorsqu'ils 
savent  que  l'Européen  connaît  la  langue,  des  mémoires 
écrits  dans  un  arabe  plus  ou  moins  correct,  suivant  la 
science  de  celui  qui  établit  le  document.  En  général,  la 
plupart  des  musulmans,  sinon  tous,  savent  écrire  l'arabe. 
Je  ne  veux  point  dire  qu'ils  connaissent  la  langue;  ils  en 
connaissent  quelques  mots  et  lorsqu'ils  sont  embarrassés 
se  servent  de  termes  dioula,  notés  en  caractères  arabes, 
qu'ils  font  suivre  de  la  mention  «  dans  notre  langue  ». 
Ces  mentions  sont  en  général  nombreuses,  et  c'est  ainsi 
qu'on  reçoit  des  lettres  et  rapports  dans  une  langue  extra- 
ordinaire, mais  cependant  compréhensible  avec  la  double 
connaissance  de  l'arabe  et  du  dialecte  dioula.  L'utilisation 


208  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

des  caractères  arabes  pour  la  correspondance  dioula  et  ma- 
linké  tend  d'ailleurs  à  se  généraliser.  Dans  ces  nombreuses 
lettres  qu'échangent  marabouts  ou  commerçants,  il  n'y  a 
d'arabe  que  les  formules  de  politesse,  initiales  et  finales  et 
les  caractères.  La  langue  elle-même  est  dioula. 


4.  —  Les  élèves. 

Les  élèves  (karandé)  se  recrutent  généralement  : 

1°  Parmi  les  proches  parents  du  marabout  enseignant 
(fils,  frèreset  neveux)  ;  c'est  là  la  grande  majorité.  A  remar- 
quer que  cette  catégorie  d'élèves  reçoit  son  enseignement 
gratis  (environ  6/10). 

2°  Parmi  les  membres  de  la  famille  généralisés  à  laquelle 
appartient  le  Karamorho  (2/10),  habitant  le  village  du 
marabout  enseignant.  Cette  catégorie  bénéficie  encore  de 
nombreux  avantages  et  paie  à  peine  l'enseignement 
reçu  ; 

3°  Parmi  les  familles  musulmanes  du  pays  (de  i/io  à 
2/10)  payant  intégralement  l'enseignement  donné  à  leurs 
enfants; 

4"  Enfin,  exceptionnellement,  pour  les  marabouts  connus 
pour  leur  science,  leur  piété  et  leurs  soins  donnés  aux 
élèves,  parmi  les  musulmans  étrangers  et  très  rarement, 
parmi  les  familles  fétichistes,  désireuses  de  posséder  parmi 
elles  un  karamorho,  qui  «rachète  leur  fétichisme».  Evidem- 
ment, ce  sont  là  les  gens  qui  paient  le  plus  cher  l'enseigne- 
ment distribué,  et  à  qui  le  marabout,  malin,  fait  attendre 
le  plus  longtemps  le  turban  désiré. 

On  voit  donc  que,  sur  la  totalité  des  élèves  des  écoles 
coraniques,  un  cinquième,  à  peine,  et  cela  pour  les  mara- 
bouts influents,  dédommage  largement  le  karamorho.  Les 
autres  maîtres  ne  reçoivent  généralement  que  les  vivres  et 
vêtements  indispensables  aux  jeunes  talibés. 


l'enseignement  islamique  269 

Les  élèves  fréquentent  l'école  généralement  à  partir  de 
l'âge  de  huit  ans.  Théoriquement  l'école  coranique  a  lieu 
tous  les  jours,  sauf  le  mercredi  soir,  le  jeudi  et  le  vendredi 
matin  ;  il  y  a  une  classe,  le  matin ,  de  6  heures  à  7  heures, 
et  une  classe,  le  soir,  de  5  heures  à  6  heures. 

La  gamme  des  punitions  n'est  pas  très  variée;  tout 
d'abord  à  l'enfant  réfractaire  pour  inintelligence  ou  par 
paresse  on  fait  boire  «  l'eau  de  la  planchette  »,  c'est-à-dire 
l'eau  qui  a  servi  à  laver  la  planchette  sur  laquelle  la  leçon 
a  été  préalablement  écrite.  C'est  une  façon  comme  une 
autre  d'absorber  sa  leçon.  Si  ce  moyen  est  insuffisant  on 
corrige  l'enfant  à  coups  de  baguettes  sur  les  fesses,  le  bou- 
bou préalablement  relevé  ;  les  gifles  non  plus  ne  sont  pas 
ménagées.  Finalement,  si  rien  n'y  fait,  on  renvoie  l'enfant 
dans  sa  famille.  Quand  il  se  révèle  au  contraire  travailleur 
et  intelligent,  le  karamorho  le  signale  à  sa  famille  et  on  le 
pousse  vers  une  instruction  plus  développée. 

Au  sortir  de  l'école,  l'ambition  du  taleb  est  bien  souvent 
de  devenir  maître  d'école  à  son  tour.  En  conséquence,  il  se 
mettra  à  la  recherche  d'un  centre,  où  il  puisse  grouper 
autour  de  lui  quelques  élèves;  quelquefois  aussi,  il  sera 
invité  par  des  musulmans  de  fraîche  date,  ex-captifs  pour 
la  plupart,  à  résider  dans  leur  village  pour  remplir  les  fonc- 
tions de  maître  d'école  et  aussi  d'almamy.  Entre  temps,  il 
confectionnera  des  gris-gris,  vendra  des  talismans  infail- 
libles pour  réussir  dans  le  commerce,  pour  avoir  beaucoup 
d'enfants,  etc.  Si  dès  lors  ce  n'est  pas  la  fortune  assurée, 
c'est  au  moins  la  quasi-certitude  de  pouvoir  demeurer  à 
l'abri  du  besoin  et  des  travaux  matériels. 


5.  —  Rétribution  scolaire. 
En  principe,    le    marabout  enseignant  ne  reçoit  aucun 


270  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

salaire  pour  son  enseignement.  Il  ne  reçoit  que  des 
cadeaux,  mais  ces  cadeaux  ont  pris  une  régularité  et  une 
fixité  telles  qu'on  peut  aisément  les  considérer  comme  la 
rémunération  obligatoire  des  bons  offices  du  karamorho. 

La  famille  quia  décidé  de  confier  son  enfant  à  un  mara- 
bout s'abouche  avec  ce  dernier,  au  moyen  d'intermédiaires 
connus,  porteurs  naturellement  de  cadeaux,  le  plus  sou- 
vent en  vivres  ou  en  bétail  (moutons  et  riz),  rarement  en 
argent  ;  souvent,  on  off"reun  boubou  de  prix. 

Le  marabout  accepte  l'enfant,  et,  lorsque  ce  dernier  lui 
est  amené,  la  famille  oftVe  encore  un  cadeau  au  maître, 
souvent  alors  en  argent  :  les  sommes  varient  aujourd'hui 
entre  20  et  i5o  francs  ;  autrefois  les  prix  étaient  beaucoup 
moins  élevés.  A  la  fin  du  dix-neuvième  siècle,  à  Kadioha 
on  donnait  2  fr.  5o  à  l'entrée  et  25  à  5o  francs  à  la  sortie  ; 
à  Kapéié,  2  fr.  5o  d'entrée,  aussi  en  cauris,  plus  une  poi- 
gnée de  kolas;  une  barre  de  sel  à  la  sortie;  à  Boron, 
100  kolas  et  5o.ooo  cauris  à  l'entrée,  72.000  cauris  à  la 
sortie. 

A  partir  de  ce  moment,  l'enfant  est  sous  la  sauvegarde 
et  la  responsabilité  du  karamorho,  qui  lui  doit  aide,  pro- 
tection et  entretien,  les  vivres  étant  cependant  fournis  en 
nature  par  les  parents,  s'ils  se  trouvent  dans  un  village 
voisin  ;  en  argent,  s'ils  sont  éloignés.  Le  plus  souvent,  les 
vivres  ou  l'argent  sont  donnés  au  marabout,  au  moment 
des  fêtes  du  Ramadan  et  des  autres  fêtes  annuelles.  Inutile 
de  dire  que  le  marabout  y  trouve  grandement  son  compte, 
d'autant  plus  que  pendant  l'interclasse,  les  enfants  sont  le 
plus  souvent  employés  aux  champs  ou  aux  métiers  de  tis- 
sage du  marabout.  Ce  dernier  ne  manque  jamais  de  faire 
connaître  aux  familles,  à  grand  renfort  de  salutations  de 
vœux  et  de  louanges,  les  progrès  de  leur  nourrisson.  A 
chaque  sourate  nouvelle,  à  chaque  livre  qu'il  aborde,  un 
envoyé  est  adressé  aux  familles.  Evidemment  cette  sollici- 
tude n'est  pas  désintéressée  ;  l'envoyé  ne  revient  jamais  les 


L  ENSEIGNEMENT    ISLAMIQUE  27  I 

mains  vides;  pagnes,  boubous,  vivres,  poulets  et  moutons 
pleuvent  sur  ce  messager  de  Dieu,  qui  parle  si  bien  de 
l'enfant  prodige. 

C'est  là  le  plus  clair  des  revenus  de  marabouts  enseignants, 
et  ils  le  sont  tous  plus  ou  moins. 

Le  vendredi  soir,  surtout,  et  aussi,  souvent,  le  lundi  soir, 
les  talibés  vont  quémander  dans  leur  village,  en  chantant 
le  Coran,  ils  obtiennent  ainsi  quelques  cauris  (5,  lo,  20) 
qu'ils  conservent  pour  s'acheter  des'  galettes  de  mil  ou  de 
maïs  (ngomi).  En  beaucoup  d'endroits  on  porte  une  partie 
de  ces  cauris  au  karamorho. 

Enfin,  le  jour  du  turbannement  arrivé,  les  cadeaux  sont 
encore  plus  considérables;  lorsque  les  familles  fétichistes 
ont  un  enfant  qui  participe  à  la  cérémonie,  elles  font  géné- 
ralement bien  les  choses  :  le  plus  souvent  une  vache,  un 
boubou,  une  somme  d'argent  rondelette  récompensent  le 
marabout  de  ses  efforts,  sans  compter  les  dons  prépara- 
toires qu'on  a  dispensés  pour  l'amener  à  hâter  le  grand 
jour. 

Avant  notre  venue,  du  temps  de  la  captivité,  il  était  de 
coutume  que  l'élève,  lorsqu'il  pouvait  lire  et  écrire,  fit  don 
d'un  esclave  à  son  maître.  A  l'heure  actuelle,  on  a  rem- 
placé le  captif  par  un  bœuf. 

Une  fois  libéré  de  son  maître,  l'élève  ne  l'oublie  jamais; 
aux  fêtes  religieuses,  c'est  un  échange  de  cadeaux  entre 
lui  et  celui  «  qui  lui  a  donné  le  tuban  »,  où  évidemment  ce 
qu'il  donne  est  bien  supérieur  à  ce  qu'il  reçoit.  Il  y  a  là  un 
échange  de  bons  procédés  et  d'une  bonne  cordialité.  On 
voit  rarement  de  discussion  et  de  mésentente  entre  maîtres 
et  familles  de  talibés.  Il  règne  là  un  régime  patriarcal  et 
un  fort  bon  esprit. 

Des  quêtes  déguisées  sont  souvent  opérées  par  les  mara- 
bouts à  cours  d'argent,  surtout  au  moment  des  grandes 
fêtes,  où  les  marabouts  influents  vont  «  prêcher»  dans  les 
cantons  mal  pourvus  de    karamorho.  Les  demandes  d'ar- 


2r2  -  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

gent  sont    soigneusement    enveloppées  de  douces  paroles 
dans  les  prônes  du  vendredi.  Elles  sont  toujours  entendues. 

Une  autre  ressource  consiste  dans  la  copie  d'ouvrages. 
Elle  est  faite  soit  par  les  maîtres  eux-mêmes,  soit  par  leurs 
élèves  les  plus  dégrossis.  Ils  leur  donnent  les  livres  de  leur 
enseignement  ou  de  leur  bibliothèque,  ne  leur  fournissant 
que  le  papier  et  l'encre. 

Ces  manuscrits  sont  ensuite  vendus,  au  profit  du  maître, 
à  d'autres  marabouts  :  un  Coran,  convenablement  écrit  en 
deux  encres  différentes,  avec  enluminures  courantes,  se 
vend  généralement  entre  5o  et  200  francs,  suivant  la  valeur 
du  travail,  la  renommée  du  marabout,  et  le  soin  apporté 
à  la  reliure. 

Enfin  souvent  aussi,  le  vulgaire,  quelquefois  de  simples 
fétichistes,  s'adressent  aux  marabouts  soit  pour  la  confec- 
tion de  lettres  à  des  étrangers, soit  pour  celle  d'amulettes; 
on  en  connaît  de  différents  modèles,  que  l'on  vend  à  des 
prix  plus  ou  moins  élevés,  suivant  la  valeur  du  copiste  et  le 
soin  qu'il  a  apporté  à  la  confection  du  document,  et  à  son 
habileté  à  tromper  le  client. 


6.  —  Valeur  pédagogique  et  intellectuelle 
de  renseignement. 

Quelque  rudimentaire  que  soit  l'enseignement  distribué 
par  les  marabouts,  quelque  absurdes  qu'en  soient  souvent 
les  méthodes,  basées  surtout  sur  la  mémoire  et  la  récitation 
littérale  des  textes,  il  n'en  demeure  pas  moins  vrai  qu'il 
c®nstitue  une  ébauche  de  culture  du  cerveau,  une  obliga- 
tion pour  l'esprit  indigène  de  se  dépouiller  de  sa  torpeur 
et  de  sa  paresse  congénitales,  une  tentative  de  travail  in- 
tellectuel, un  rudiment  de  connaissances  générales  qui 
sortent  un  peu  le  noir  de  son  milieu,  et  lui  apprennent  à 


l'enseignement  islamique  273 

entrevoir  et  à  concevoir  une  mentalité  différente  de  la 
leur;  de  la  nôtre  également,  il  est  vrai,  puisque  arabe, 
mais  certainement  supérieure  à  l'ambianceoù  ils  végètent; 
enfin  à  leur  inculquer  par  le  désir  du  paradis,  par  la  peur 
de  l'enfer  ou  par  la  crainte  de  Dieu,  des  éléments  d'une 
morale  primitive,  mais  saine  et  réaliste.  C'est  devenu  un 
lieu  commun  d'affirmer  que  l'Islam  constitue  un  progrès 
certain  dans  la  mentalité  primitive  des  noirs.  Ce  n'est  pas 
douteux.  Certains  de  ces  noirs  sont  déjà  réellement  évolués, 
dans  un  sens  différent  du  nôtre,  c'est  entendu,  mais  d'une 
façon  indiscutable.  Leur  esprit  est  plus  délié,  plus  curieux, 
plus  assoupli,  plus  apte  à  la  réflexion  et  au  travail  intellec- 
tuel, plus  hautain  aussi  et  plus  orgueilleux.  Il  est  regret- 
table que  ce  progrès  s'arrête  là,  conduisant  ainsi  à  une 
impasse,  où  en  conclusion  il  aurait  mieux  valu  que  les 
animistes  ne  s'engagent  pas. 

Au  point  de  vue  religieux,  ces  marabouts  sont  relative- 
ment orthodoxes  suivant  le  rite  malékite,  et  lorsque,  par 
habitude  ou  par  tradition  ancestrales,  ils  s'en  écartent,  ils 
le  savent  fort  bien,  beaucoup  le  déplorent. 

Pour  nous  enfin,  ce  que  nous  devons  retenir  et  par  des- 
sus tout,  c'est  que  l'élève  a  généralement  pour  son  maître 
un  profond  respect,  une  touchante  affection;  toute  sa  vie,  il 
garde  souvenance  de  celui  qui  lui  enseigna  la  prière,  la 
lecture,  l'écriture,  qui  parfois  lui  octroya  le  «  namou  »  ou 
l'affilia  à  une  secte.  A  ce  directeur  spirituel,  à  ce  chef 
intellectuel,  l'élève  devenu  adulte,  homme  mûr,  sera  sou- 
vent capable  d'obéir  avec  aveuglement.  Si  chez  les  musul- 
mans de  vieille  date,  nous  trouvons  parfois  plus  que  chez 
les  fétichistes  une  hiérarchie  mieux  sauvegardée,  une  cohé- 
sion plus  grande,  plus  de  tendances  au  calme  et  même  à  la 
réflexion,  mais  aussi  plus  de  duplicité  et  d'hypocrisie,  il  ne 
faut  pas  se  le  dissimuler,  c'est  en  majeure  partie  à  la  pré- 
sence et  à  l'influence  des  maîtres  d'écoles  musulmans  que 
nous  le  devons,  et  c'est  pourquoi  sans  attenter  le  moins  du 

18 


274  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

monde  à  la  liberté  des  écoles  coraniques,  en  pays  islamisé 
s'entend,  car  des  villages  fétichistes  elles  doivent  être  rigou- 
reusement exclues,  on  exercera  à  Tégard  de  ces  établisse- 
ments scolaires  et  religieux,  la  plus  active  et  la  plus  atten- 
tive surveillance. 

Il  y  a  à  ce  progrès  incontestable  un  très  fâcheux  pendant. 
Le  noir  islamisé  se  cristallise  dans  sa  doctrine  et  dans  sa 
religion  et  ne  paraît  plus  pouvoir  dépasser  un  certain 
niveau  intellectuel.  On  peut  faire  la  différence  entre  l'intel- 
lectuel islamisé  et  l'intellectuel  directement  francisé,  et  voir 
de  quel  côté  penche  la  balance.  En  deuxième  lieu  et  sur- 
tout il  n'est  pas  prouvé  du  tout  que  l'islamisation  engendre 
un  progrès  moral  chez  le  noir.  L'indigène  ne  cueille  sou- 
vent dans  l'enseignement  islamique  que  des  rites  et  des 
gestes,  et  en  revanche,  se  jugeant  dégagé  en  quelque  sorte 
des  préceptes  et  des  châtiments  moraux  et  à  l'abri,  derrière 
son  paratonnerre  cultuel,  se  permet  nombre  de  transgres- 
sions relevant  de  la  morale  purement  naturelle,  que  le 
simple  fidèle  sans  instruction  et  sans  intellect  et  plus  près 
de  son  animisme  traditionnel,  n'oserait  se  permettre. 

La  suppression  de  l'esclavage,  la  libération  des  captifs  a 
porté  un  coup  douloureux  aux  écoles  coraniques,  car  les 
biens  ne  demeurant  plus  aux  mains  seules  de  quelques  fa- 
vorisés, aristocrates  musulmans  pour  la  plupart,  la  loi  du 
travail  s'est  imposée  pour  tous,  les  longs  loisirs  ne  sont 
plus  permis,  et  le  commerce  et  le  colportage  ont  monopo- 
lisé de  plus  en  plus  les  jeunes  activités,  au  grand  détriment, 
des  études  islamiques. 


y.  — Bibliothèques  indigènes. 

Tout  marabout  possède  une  bibliothèque;  le  plus  sou- 
vent cette  bibliothèque  consiste  en  3  ou  4  volumes  impri- 
més et  surtout  en  ouvrages  manuscrits    :   le    Coran,    les 


l'enseignement  islamique  275 

Dalail  al-Khairat,  etc.  Mais  un  certain  nombre  de  mara- 
bouts possèdent  de  véritables  bibliothèques  au  sens  même 
où  nous  l'entendons;  5o,  100,  200  volumes  imprimés  ou 
manuscrits,  ce  qui  constitue  un  véritable  tour  de  force  et 
témoigne  d'un  singulier  amour  des  livres. 

Ces  bibliothèques  sont  à  peu  près  semblables,  et  ne  dif- 
fèrent que  par  quelques  rares  ouvrages.  Comme  toujours, 
elles  sont  conservées  dans  des  caisses  :  huit  malles,  dix 
malles,  douze  malles,  de  taille,  de  confection  et  de  couleurs 
variées.  Elles  sont  fort  bien  soignées  et  certains  ouvrages 
sont  d'une  écriture  vraiment  remarquable.  La  langue  en 
est  assez  pure  et  les  altérations  ou  erreurs  de  copistes  rela- 
tivement rares.  On  trouvera  en  annexe  les  catalogues  de 
plusieurs  de  ces  bibliothèques  (Odienné,  Timé,  Sambati- 
guila,  Touba,  Férentela,  Mankono,  etc.).  Dans  cette  no- 
menclature on  a  respecté  les  titres  arabes,  tels  que  les  pré- 
sentent les  copistes  de  ces  ouvrages. 

Ces  manuscrits  sont  composés  de  feuilles  volantes,  er^ 
papier  fort,  vendu  par  les  maisons  de  commerce,  dit 
«  papier  marabout  ».  Ils  sont  écrits  en  gros  caractères,  le 
plus  souvent  en  deux  encres  ;  les  caractères  en  encre  noire, 
les  points  diacritiques,  en  encre  rouge;  souvent  les  trois 
points  séparant  les  phrases  sont  indiqués  en  jaune.  A  la 
mode  arabe,  on  trouve  des  enluminures  assez  ingénieuses 
aux  fins  de  chapitre,  avec  une  inscription  toujours  tirées 
du  Coran. 

Les  commentaires,  placés  dans  les  marges,  expliquent, 
commentent  ou  complètent  le  texte.  Certains  de  ces  com- 
mentaires sont  en  quelque  sorte  classiques  et  portent  un 
nom  d'auteur.  D'autres  sont  l'œuvre  des  marabouts  locaux. 

Enfin,  les  feuillets  réunis  les  uns  auprès  des  autres  sont 
placés  dans  un  étui  en  cuir,  souvent  assez  recherché  comme 
travail.  Certains  de  ces  manuscrits  ont  été  payés  jusqu'à 
5oo  francs  par  leurs  propriétaires. 

Il  n'existe  que  fort  peu  de  livres  en  caractères  imprimés. 


27b  ÉTUDES    SUR   l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Les  maisons  de  commerce  ont  bien  tenté  de  vendre  à  des 
prix  très  élevés  :  i5  à  3o  frs,  d'affreuses  éditions  du  Coran 
imprimés  en  Orient  (le  Caire,  Beyrouth),  suivant  la  nota- 
tion orientale.  Leurs  yeux  étant  habitués  à  de  gros  carac- 
tères, et  à  une  notation  diacritique  différente,  les  mara- 
bouts ont  de  la  peine  à  comprendre  ces  textes  et  le  com- 
merce des  Corans  a  à  peu  près  échoué.  Du  reste,  même 
écrits  en  caractères  et  suivant  la  notation  régulière,  les 
textes  imprimés  sont  lus  difficilement  en  raison  de  la  finesse 
des  caractères.  On  peut  s'en  rendre  compte  soi-même  en 
prêtant  un  volume  à  un  marabout.  Il  ne  peut  lire  qu'avec 
de  grandes  difficultés,  hésite  et  finalement,  surmonte  son 
nez  d'une  énorme  paire  de  lunettes. 

Le  nombre  et  la  richesse  des  bibliothèques  étaient 
jadis  bien  supérieurs  à  leur  état  actuel.  Les  luttes  de  la  fin 
du  siècle  dernier  ont  provoqué  d'innombrables  incendies 
de  villages,  où  ont  péri  beaucoup  de  bibliothèques.  Ce  fut 
d'abord  et  surtout  Samory.  Il  est  responsable  de  l'incendie 
des  bibliothèques  de  la  plupart  des  villes  du  Kong  et  de  la 
cité  elle-même.  Ce  fut  ensuite  le  colonel  Combes,  qui,  au 
dire  des  indigènes,  faisait  sur  la  place  publique  un  magni- 
fique autodafé  des  papiers  arabes  qu'il  trouvait.  Disons, 
pour  son  excuse,  que  Samory,  se  posant  en  conquérant 
musulman,  ses  ennemis  se  croyaient  le  droit  de  détruire 
ses  munitions  spirituelles  comme  les  autres.  Disons  encore 
que  les  coloniaux  ont  toujours  eu  une  sorte  de  phobie  de 
l'islam,  et  que  tout  papier  arabe  leur  paraît  une  machine 
de  guerre  effroyablement  dangereuse. 

Il  n'existe  point  de  journaux  arabes  dans  les  biblio- 
thèques, de  même  qu'il  n'en  circule  point.  Il  est  réellement 
étonnant  de  voir  à  quel  point  les  musulmans  même  ins- 
truits, même  approchant  des  gens  revenant  du  Maroc  ou 
d'Orient,  comme  les  anciens  tirailleurs,  vivent  actuelle- 
ment dans  l'ignorance  du  monde  extérieur,  de  la  crise  que 
subit  l'islam,  et  des  aspirations  panislamiques. 


L  ENSEIGNEMENT   ISLAMIQUE  277 

C'est  encore  l'Administration  qui,  par  ses  diffusions  de 
journaux,  d'illustrés  et  de  tracts,  a  le  plus  contribué,  ces 
dernières  années,  à  tenir  les  musulmans  du  pays  au  cou- 
rant des  grands  événements  qui  déchiraient  le  monde. 


CHAPITRE  IV 

DOCTRINE,  OBLIGATIONS  LÉGALES 
ET  PRATIQUES  CULTUELLES  (i) 


I .  —  La  doctrine. 

L'élite  intellectuelle  et  sacrée  du  monde  musulman  ma- 
iinké  et  mandé-dioula  possède  certainement  quelques  con- 
naissances des  assises  essentielles  de  l'islam.  Cette  élite 
exceptée,  la  masse  des  adeptes,  pour  la  plupart  de  souche 
autochtone  et  d'islamisation  récente,  réduisent  la  religion 
soit  à  quelques  formules  servant  à  tout  propos,  en  tout 
temps  et  en  tout  lieu,  soit  à  quelques  gestes  rituels. 

Ces  adeptes,  tard  venus  dans  le  giron,  de  l'islam,  pro- 
clament bien  qu'Allah  est  Dieu,  le  Seul,  l'Unique,  mais 
intimement  ils  n'en  semblent  pas  très  convaincus  :  qu'il 
s'agisse  d'un  fait  important  à  élucider,  d'une  décision  grave 
à  prendre,  c'est  la  divinité  d'à  côté  que  l'on  ira  consulter, 
et,  pour  conclure,  ils  immoleront,  tout  comme  les  fétichis- 
tes, leurs  frères,  sur  le  tronc  du  vieil  arbre,  le  traditionnel 
poulet  blanc,  ils  rougiront  ensuite  de  son  sang  les  pierres 
sacrées.  Allah,  certes  inspirera  pleine  et  entière  confiance  ! 

Voici  la  première  leçon  de  théologie  dans  une  classe  de 
jeunes  talibés  débutants,  à  qui  le  karamorho  inculque  les 
principes   de   l'existence,   de  la  grandeur  et  de  l'unité  de 

(i)  Plusieurs  notes  de  ce  chapitre  ont  été  empruntées  aux  monographies 
islamiques  de  Ripert  {Ouoi'odougou)  et  Le  Campion  {Touba  Odienné). 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES   CULTUELLES     279 

Dieu.  La  méthode  employée,  toute  de  récitation  verbale, 
d'ailleurs  sans  l'ombre  de  la  moindre  réflexion  de  part  et 
d'autre,  est  la  même  que  celle  employée  parles  tolba  du 
Nord  africain. 

Dans  la  langue   du  pays,   le  mandé-dioula,  le  dialogue 
suivant  s'engage  entre  le  maître  et  ses  élèves  : 

D.  —  Qu'est-ce  qui  est  inaccessible  ? 

R.  —  C'est  Dieu  et  le  Prophète. 

D.  —  Qu'est-ce  que  Dieu? 

R.  —  Dieu  est  Nafcia,  Salbia,  Maani.  xMaanaouïa. 

D.  —  Nafcia,  qu'est-ce? 

R.  —  Al-Ouioud  :  Dieu  est. 

D.  —  Et  Salka  ? 

R.  —  Cinq  sont  les  attributs  Salbia. 

D.  —  Maani? 

R.  —  Sept. 

D.  —  Maanaouïa? 

R.  —  Sept  également. 

D.  —  Qu'est  l'attribut  Nafcia? 

R.  —  Dieu  existe,  Dieu  est  (Yahveh). 

D.  —  Quels  sont  les  attributs  Salbia? 

R.  —  Dieu  est  éternel. 

Dieu  est  immortel. 

Dieu  est  incomparable. 

Dieu  est  immuable. 

Dieu  est  unique. 
D.  —  Quels  sont  les  attributs  Maani? 
R.  —  Dieu  est  tout-puissant. 

Dieu  propose  et  dispose. 

Dieu  est  omniscient. 

Dieu  est  la  Vie. 

Dieu  entend  tout. 

Dieu  voit  tout. 

Dieu  anime  tout. 


28o  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

D.  —  Quels  sont  les  attributs  Maanouïa  ? 
Dieu  est  le  plus  fort. 
Dieu  peut  tout. 
Dieu  sait  tout. 
Dieu  dispose  de  la  vie. 
Dieu  voit  tout. 
Dieu  connaît. 
Dieu  parle  de  tout. 

Ce  sont  là  les  vingt  attributs  de  la  Divinité.  Telle  est  la 
conception  de  la  puissance  de  Dieu  que  se  font  les  mara- 
bouts du  pays.  Elle  est  orthodoxe,  si  l'on  veut,  puisque 
basée  sur  les  traités  théologiques  de  l'islam,  mais  pure- 
ment livresque,  sans  explications,  et  fondée  sur  la  récita- 
tion des  attributs,  et  non  sur  la  connaissance  intime  et 
l'effort  intellectuel. 

Sur  l'Unité  de  Dieu,  à  relater  cette  jolie  explication  d'un 
karamoko  de  Mankono,  rapportée  par  Ripert  :  «  Le  kara- 
moko  dit  à  deux  de  ses  élèves  :  «  Prenez  tous  deux  cette 
«  même  aiguille,  et  travaillez  à  la  fois  à  coudre  deux  bandes 
«  de  tissus  différentes.  —  C'est  impossible,  répondirent 
les  enfants.  Alors  par  une  série  de  raisonnements  très  peu 
clairs,  mais  où  lui-même  semble  fort  convaincu,  le  mara- 
bout démontre  aux  élèves  que  si  Dieu  était  deux,  il  n'aurait 
pas  pu  faire  un  seul  monde.  Si  l'infidèle  ne  perçoit  pas 
bien  le  raisonnement,  le  maître  et  ses  élèves,  sans  doute 
éclairés  par  la  foi,  ont  l'air  de  fort  bien  comprendre.  » 

Le  Prophète.  —  Comme  Allah,  Mahomet  a  une  longue 
série  d'attributs.  Sommaire  est  d'ailleurs  la  connaissance 
du  Prophète,  inculquée  aux  élèves  ;  Dieu  a  fait  Mohammed, 
qui  est  le  meilleur  des  hommes.  Il  est  né  à  La  Mecque 
et  il  en  sortit  pour  aller  à  Médine,  où  est  sa  tombe.  Ce 
qu'il  dit  est  la  vérité.  Il  est  sûr  de  ce  qu'est  Dieu,  car  il  est 
le  Prophète  de  Dieu,  qui  traduit  exactement  ce  que  Dieu 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS   LÉGALES    ET   PRATIQUES   CULTUELLES      28 1 

lui  a  dit;  et  c'est  à  cela  que  se  borne  généralement,  malgré 
les  livres  de  louanges  ou  les  relations  des  hauts  faits  de 
Mohammed,  la  connaissance  exacte  de  celui-ci. 

II  est  vrai  que  si  Ton  voulait  s'étendre  sur  les  miracles 
qu'on  lui  attribue,  et  qui  augmentent  tous  les  jours,  on  n'en 
finirait  plus. 


Croyances  eschatologiques. 

Les  élèves  doivent  apprendre  par  cœur  : 

Tout  le  monde  mourra. 

(La  mort  est  vraie.) 

La  tombe  est  vraie. 

Le  paradis  est  vrai. 

L'enfer  est  vrai. 

Et  l'âme  des  musulmans  va  au  paradis. 

Et  l'âme  des  païens  à  l'enfer. 

Et  le  paradis  est  au  ciel. 

Et  l'on  ne  sait  pas  où  est  l'enfer. 

C'est  de  là  qu'on  part  pour  matérialiser  aux  enfants  l'Au- 
delà  dans  les  écoles  musulmanes.  Cette  méthode  d'enseigne- 
ment est  la  seule  qui  synthétise  l'opinion  et  les  croyances 
profondes  des  musulmans. 

Mounkirou  et  Nakirou  arrivent,  tous  deux  à  la  fois,  à  la 
tombe  récente  du  mort,  et  demandent  à  celui-ci  ;  «  Qui  est 
ton  maître?  Quel  est  ton  Livre?  qui  est  ton  prophète?  quel 
est  ton  père?  Quelle  est  ta  religion?  »  Si  le  mort  est  mu- 
sulman, il  répond  :  «  Allah  est  mon  maître,  le  Coran  est 
mon  Livre,  Mohammed  est  mon  prophète,  mon  père  est 
Abraham,  et  j'ai  la  religion  de  Mohammed.  »  Satisfaits  de 
cette  réponse,  ils  s'en  retournent,  après  avoir  frayé  à 
l'âme  son  chemin  pour  gagner  le  ciel  sous  l'aile  de  l'ange 
Andjaraïlou  (Azrael). 


232  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE   D  IVOIRE 

Si  la  réponse  est  mauvaise,  Mounkir  et  Nakir  battent 
l'homme  avec  des  bâtons  de  fer,  le  font  tomber  jusqu'à  ce 
qu'il  crie  et  que  ses  os  soient  tous  brisés.  Le  mort  s'excuse 
de  son  ignorance,  mais  les  anges  répondent  :  «  Puisque  tu 
as  été  aveugle  durant  ta  vie  et  que  tu  n'as  rien  voulu  ap- 
prendre, tu  demeureras  éternellement  ignorant.  Vois 
l'enfer.  C'est  là  que  tu  iras  après  le  jugement.  » 

Les  âmes  des  justes  sont  amenées  par  Andjaraïlou  (Az- 
rael)  à  Dieu  et  à  ses  serviteurs,  les  anges.  Une  fois  l'âme  du 
musulman  enlevée  du  corps  par  Azrael,  elle  est  placée 
dans  des  pagnes  blancs,  exhalant  des  odeurs  délicieuses. 
C'est  ainsi  qu'elle  est  amenée  à  Dieu  dans  le  paradis  (Djan- 
nati-Djanna)  où  elle  est  heureuse  et  attend  dans  la  félicité 
le  jour  du  Jugement  dernier.  Dans  le  paradis,  jamais  de 
nuit,  jamais  de  soleil,  jamais  de  chaleur  ni  de  froid, 
jamais  de  faim,  jamais  de  sommeil.  Tout  ce  que  l'homme 
peut  désirer  en  fait  de  plaisir  et  de  volupté,  il  l'y  trouve. 
«  C'est  là,  ajoute  le  karamoko  aux  enfants,  la  marque  la 
plus  sûre  de  l'excellence  du  paradis.  Une  fois  au  paradis, 
on  ne  sort  plus,  on  n'en  a  d'ailleurs  jamais  envie.  Les 
plus  belles  femmes,  les  plus  beaux  arbres,  des  fleuves 
de  lait  et  de  miel  y  sont  à  la  disposition  des  bienheureux. 
Les  meilleures  viandes  s'y  trouvent.  »  On  voit  combien  le 
Coran  se  matérialise  encore  plus  ici. 

Le  paradis  est  divisé  en  deux  parties  :  l'une,  le  Djanna- 
tou  al-Aliïa,  où  l'on  voit  Dieu  tout  le  temps,  ce  qui  est  la 
récompense  et  le  bonheur  suprême.  Elle  est  réservée  aux 
grands  croyants  et  aux  martyrs;  l'autre,  le  Djannatou  al- 
Maoua,  ou  jardin  de  refuge,  où  se  trouvent  les  âmes  ordi- 
naires des  musulmans,  mais  qui  dans  leur  félicité  ne  voient 
Dieu  que  rarement  et  sont  privés  du  bonheur  suprême 
d'être  rassasiés  de  sa  vue. 

L'enfer.  —  L'enfer,  c'est  la  nuit  éternelle  :  les  Kafir 
(païens)  y  sont  placés,  couchés  sur  le  ventre,  et  sont  tou- 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES   ET    PRATIQUES   CULTUELLES      283 

jours  brûlés  par  le  feu.  Ils  ont  soif,  mais  n'ont  point  d'eau  ; 
bien  plus  ils  croient  entendre  la  pluie,  et  ouvrent  la 
bouche  pour  recueillir  de  l'eau;  il  n'y  tombe  que  du  fer 
brûlant.  Ils  ont  toujours  faim,  à  tel  point  qu'ils  dévorent 
leur  propre  chair. 

L'aumône  qu'ils  devaient  donner  à  Dieu  durant  leur  vie 
et  qu'ils  ont  refusée  prend  là  la  forme  d'un  serpent  qui  les 
dévore.  Les  scorpions  les  piquent,  les  oiseaux  de  nuit  les 
mordent.  Alors  ils  regrettent  le  chemin  de  la  foi.  Quand  ils 
sont  rongés  par  le  remords,  Satan  (Sitana,  Cheitan)  vient. 
On  lui  fait  une  grande  montagne  de  feu,  qui  lui  sert  de 
chaire  pour  sa  prédication.  Monté  au  sommet,  au  milieu 
des  flammes,  Satan  parle  :  «  Il  les  remercie  de  l'avoir 
écouté  et  d'avoir  refusé  d'entendre  la  voix  de  Dieu.  » 
«  Mais,  ajoute-t-il,  je  vous  ai  appelé  pour  rien.  Regrettez 
vos  fautes,  car  je  ne  puis  rien  pour  vous.  Ne  me  reprochez 
rien,  car  je  ne  suis  rien,  et  Dieu  est  tout.  Vous  avez  eu  tort 
de  suivre  le  chemin  du  mal,  et  de  délaisser  la  voie  de 
Dieu.  »  Tout  le  monde  pleure,  et  cela  dure  ainsi  jusqu'au 
Jugement  dernier. 

Si  des  musulmans  ont  fauté,  ils  sont  également  mis  en 
enfer,  mais  au  bout  d'un  certain  temps,  Mohammed  a 
pitié  d'eux,  parce  qu'ils  ont  appris  sa  parole,  et  intercède 
auprès  de  Dieu,  qui  les  admet  dans  le  paradis. 

A  la  fin  du  monde,  tous  les  hom.mes  se  lèveront  et  se 
réuniront  à  l'emplacemat  appelé  «  Kima  »  (Qiama).  Dieu 
interroge  tous  les  hommes,  musulmans,  païens  sur  ce 
qu'ils  ont  fait.  A  l'issue  du  jugement,  tout  le  monde  reçoit 
son  papier  avec  la  sentence  et  l'énumération  des  fautes  ou 
des  vertus.  Dieu  tend  le  papier  aux  musulmans  avec  la 
main  droite  —  la  main  noble  —  aux  Kafîr,  avec  la  main 
gauche  —  la  main  souillée. 

Les  musulmans  voient  inscrites  leurs  bonnes  actions  sur 
ce  papier.  Ils  retournent  vers  leur  famille  et  montrent  la 
sentence  de  Dieu;    on   se  réjouit,  on  l'acclame  et  il  va  se 


284  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

placera  la  droite  de  Dieu.  Les  Kafir  voient  leur  papier  tout 
noir.  Leur  main  gauche  est  enfoncée  dans  leur  poitrine 
jusqu'à  ce  qu'elle  y  pénètre  et  en  ressorte  par  le  dos.  Leur 
cou  est  cassé,  tordu,  au  point  que  leur  tête  regarde  en 
arrière.  Ils  voient  leur  papier  noir  des  péchés  qu'ils  ont 
commis.  Alors  ils  perdent  la  notion  de  tout  et  pleurent. 
On  les  hue,  leurs  parents  pleurent  de  honte  et  ils  vont  se 
placer  à  la  gauche  de  Dieu. 

Mahdi.  —  La  croyance  au  Mahdi  est  fort  vague  et  se 
confond  le  plus  souvent  avec  celle  du  Jugement  dernier. 
Voici  ce  qui  est  expliqué  à  ce  sujet  aux  jeunes  gens  dans 
les  écoles  coraniques  : 

On  discute  pour  savoir  si  le  Mahdi  est  la  même  personne 
que  Aïssa  (Jésus),  ou  bien  s'il  est  différent  de  lui,  et  s'il  doit 
seulement  apparaître  en  même  temps  que  Jésus.  Il  est  pro- 
bable que  cette  dernière  opinion  est  la  bonne  et  que  le 
Mahdi  et  Jésus-Christ  apparaîtront  tous  deux  à  la  fois. 
Aïssa  placera  le  Mahdi  comme  almamy  des  Croyants. 
Cette  période  durera  seulement  sept  ans  ;  pendant  ce  temps, 
le  monde  ne  connaîtra  que  le  Bien,  et  le  Mal  sera  inconnu 
et  cessera  de  régner. 

Après  cette  période,  un  animal  formidable,  un  Dragon, 
nommé  Niorhouna  (l'Antéchrist)  viendra  de  l'Ouest.  Alors 
les  religions  seront  confondues  et  il  n'y  aura  plus  d'islam. 
Dieu  ignorera  tout  ce  que  les  hommes  font.  Puis  Niorhouna 
viendra  regarder  les  hommes  dans  les  yeux.  Alors  que  les 
musulmans  s'ignoreront  eux-mêmes,  il  les  reconnaîtra. 
De  même,  il  reconnaîtra  les  fétichistes.  Lorsque  ce  choix 
sera  terminé.  Dieu  fera  périr  tout  le  monde,  puis  ranimera 
tous  les  morts  de  la  tombe  et  les  réunira,  et  ce  sera  le  jour 
du  Jugement  dernier. 

On  voit  combien  est  vague  la  croyance  au  Mahdi  et 
quelle  confusion  de  noms,  de  lieux,  de  temps,  se  produit 
dans  ces  esprits  peu  éclairés. 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET   PRATIQUES    CULTUELLES      285 

Il  en  est  de  même  de  l'imamat  des  sultans  du  Maroc  et 
de  Constantinople.  Le  premier  est  absolument  ignoré.  Des 
légendes  courent  sur  le  second,  puériles  au  plus  haut 
point  :  l'idée  la  plus  nette  qu'on  s'en  fait  est  que  le  chef  de 
Stamboul  a  des  palais  en  or  et  qu'il  porte  des  habits  de  La 
Mecque. 

2.  —  Obligations    légales. 

La  prière.  —  Les  cinq  prières  rituelles  régulières  sont 
en  usage  parmi  les  musulmans  de  la  Haute-Côte  d'Ivoire, 
Elles  sont  appelées  ici  : 

Salatou  Soubouhou,  dite  vulgairement  Faidera  :  à 
l'aube. 

Salatou  Douhourou,  dite  Serifana,  vers  2  heures  du 
soir. 

Salatou  el-Anziri,  dite  Lanzra,  faite  à  4   ou  5  heures. 

Salatou  el-Maghribi,  dite  Fatirti,  à  la  tombée  de  la  nuit. 

Salatou el-Anziai,  dite  aussi  Sarhafa,  faite  vers  10  heures 
du  soir  et  généralement  peu  fréquentée.  Souvent  cette 
prière  est  faite   immédiatement  après  celle  du  crépuscule. 

Les  dettes  de  prières  (Séridioulou  en  mandé-dioula)  sont 
toujours  «  payées  »  le  soir,  alors  qu'on  a  tout  le  temps  de 
les  faire  et  elles  comprennent,  suivant  la  règle,  le  même 
rituel  que  les  prières  omises. 

Quelques  musulmans  bien  intentionnés  croient  devoir 
remplacer,  le  soir  même  du  jour  où  elles  ont  été  omises, 
ces  prières  absentes  par  des  «  Nanfila  »  ou  prières 
surérogatoires,  et  doubler  le  lendemain  les  prières  omises 
la  veille. 

Les  cinq  prières  obligatoires  de  la  journée  ont  été,  disent 
les  musulmans  du  pays,  instituées  par  Djibraïl  qui  alla 
trouver  Mohammed,  lui  enseigna  ces  prières,  et  les  lui  fit 
répéter  chacune  devant  lui  dans  tous  leurs  détails.  Mais 
contrairement  aux  légendes  issues  de   la  Sonna,  les  cinq 


286"  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

grands  prophètes  Adam,  Abraham,  Jonas,  Jésus  et  Moïse 
ne  sont  pas  considérés  ici  comme  les  inspirateurs  de  ces 
prières. 

Les  prières  surérogatoires  (Nawafîl),  appelées  ici  Nan- 
fila,  sont  toujours  à  deux  Raka.  Elles  sont  faites    surtout  : 

a)  Le  matin  entre  le  réveil  du  fidèle  et  l'heure  de  la 
prière  de  Taurore.  11  est  de  tradition  constante  de  faire 
précéder  cette  prière  d'une  nanfila.  Cette  habitude  est 
tellement  placée  dans  les  mœurs  que  la  plupart  des  musul- 
mans, peu  instruits  des  choses  religieuses,  soutiennent 
que  la  prière  de  l'aurore  se  fait  toujours  à  quatre 
Raka. 

b)  Le  soir,  entre  le  repos  du  soir  et  celle  de  l'Acha.  Ces 
nanfila  sont  faits  par  piété,  souvent  comme  conséquence 
de  la  réalisation  d'un  vœu,  d'une  heureuse  fin  de  maladie, 
de  la  mise  au  monde  d'un  enfant  mâle,  de  l'heureuse 
terminaison  d'un  voyage. 

La  prière  indigène  semble  être  l'exécution  d'une  besogne 
machinale,  assez  pénible  pour  soi-même,  mais  susceptible 
de  contenter  la  Divinité,  et  toute  la  concentration  de 
l'esprit  n'est  tendue  que  vers  un  seul  but  très  matériel  : 
ne  rien  omettre  des  détails  canoniques  et  suivre  exacte- 
ment le  rituel.  C'est  bien  le  rite  machinal,  avec  récitation 
verbale  obligée.  La  récitation  mentale,  en  effet,  n'est  point 
autorisée  et  réprouvée  comme  entachée  d'hérésie.  En 
aucune  façon,  la  prière  ne  semble  ici  être  l'entretien  intime, 
familier  et  sans  limites  avec  Dieu. 

L'aumône  légale  (Zakât)  est,  en  principe,  admise  et  doit 
être  prélevée,  avec  un  certain  tempérament,  mais  en  réalité 
elle  est  pratiquée  sans  aucune  régularité.  Elle  est  d'un 
dixième,  en  ce  qui"  concerne  les  céréales  (Oussourou)  ; 
pour  le  bétail  elle  varie,  les  textes  calculant  la  zakât  en 
chameaux,  animaux  que  les  gens  de  la  savane  soudanaise 
n'ont  jamais  vu.  11  est  généralement  admis  qu'une  chèvre 
ou  un  mouton  est  prélevé  annuellement  par  troupeau  de 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LÉGALES   ET    PRATIQUES    CULTUELLES       387 

5o  chèvres  ou  moutons  ;  qu'un  veau  mâle  est  prélevé  par 
troupeau  de  trente  bovins.  Enfin,  pour  les  sombé,  mon- 
naie du  pays,  un  paquet  sur  soixante  est  prélevé  comme 
aehour. 

Le  minimum  imposable  est,  pour  l'argent,  la  valeur  de 
20  boucles  d'oreilles  en  or,  soit  i.ooo  francs,  Tachour, 
pour  ce  chiffre,  étant  de  25  francs. 

Pour  les  bœufs,  le  minimum  est  de  3o  boeufs  ;  un  veau 
représente  la  zakât  de  ce  minimum  imposable. 

Pour  les  ovins  et  caprins,  le  minimum  est  un  troupeau 
de  40  têtes  de  ce  bétail,  quels  que  soient  les  composants 
de  ce  troupeau,  chèvre  seule,  mouton  seul,  ou  ces  deux 
espèces  d'animaux  réunis  :  une  chèvre  représente  la  zakât 
de  ce  chiffre. 

Pour  les  céréales,  en  ce  qui  concerne  le  maïs  et  le  mil, 
on  compte  simplement,  dans  les  lougans,  les  files  de  pieds. 
Une  file  sur  dix  représente  l'achour,  sans  minimum. 
Pour  le  riz  également,  aucun  minimum  n'est  déterminé. 
A  la  récolte,  une  botte  sur  dix,  ou  bien  un  panier  sur  dix 
est  mis  de  côté  et  représente  l'achour. 

Pour  l'igname,  il  n'est  pas,  en  principe  prélevé  d'achour  ; 
cependant,  dans  les  familles  pieuses,  une  partie  du  lougan 
est  consacrée  à  Dieti^et  les  tubercules  qu'on  y  récolte  sont 
réservés  pour  la  charité. 

Il  est  très  rare  au  surplus  qu'un  musulman  soit  dans  le 
cas  de  payer  la  zakât.  Les  troupeaux  de  trente  têtes  de 
bœufs,  de  quarante  têtes  d'ovins  ou  caprins  sont  extrême- 
ment rares,  et  l'on  ne  cite  guère  que  le  cas  d'un  marabout 
de  Kadioha,  qui  ait  été,  il  y  a  fort  longtemps,  dans  l'obli- 
gation, toute  morale  d'ailleurs,  de  payer  la  zakât  sur  son 
troupeau  de  bœufs. 

Les  marabouts  et  les  musulmans  du  pays  savent  fort  bien 
que  la  zakât  et  l'achour  devraient  être  remises  à  l'autorité 
religieuse,  et  contrôlées  par  elle.  Mais  on  se  méfie  de  son 
honnêteté,  et  chacun  dispose    des  quantités  prélevées  sur 


288  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

ses  récoltes,  à  sa  guise,  pour  faire  des  charités  soit  à  des 
pauvres,  soit  à  des  personnages  religieux,  soit  aux  orphe- 
lins, soit  à  ceux  qui  n'ont  pas  pu  faire  de  plantations.  Il  y 
a  peut-être  là  une  ébauche  intéressante  de  nos  futures 
sociétés  de  prévoyance  et  d'aide  agricole.  Inutile  de  dire 
qu'aucune  comptabilité  n'est  dressée,  aucun  contrôle 
exercé,  et  qu'aucune  obligation  matérielle  n'étant  imposée 
au  fidèle,  les  pauvres  sont  le  plus  souvent  oubliés.  Le 
fidèle  dispose  de  ses  zakât  et  achour  à  sa  guise  et  à  la 
satisfaction  de  ses  intérêts. 

L'aumône,  chez  tous,  se  fait  avec  une  extrême  parcimonie; 
elle  est  M'ailleurs  rarement  spontanée,  quoique  toujours 
volontaire. 

A  signaler,  chez  les  musulmans  de  vieille  date,  l'exis- 
tence d'une  coutume,  à  vrai  dire  fort  peu  répandue.  Cer- 
tains, parmi  ces  musulmans,  non  tant  pour  accomplir  un 
acte  pieux  que  pour  se  ménager  des  alliances,  des  amitiés 
utiles,  donnent  leurs  filles  en  mariages  à  des  marabouts 
influents,  des  almamys  vertueux,  sans  qu'aucune  dot  ne 
soit  versée  ni  stipulée.  C'est  ce  qu'on  appelle  «  donner  sa 
fille  en  charité  ».  Cette  coutume,  on  le  sait,  est  proscrite 
par  le  Droit  musulman. 

Le  jeûne.  —  La  lune  du  mois  du  Ramadan,  vue  en  un 
point  quelconque,  indique  le  commencement  du  jeûne  en 
principe.  Cependant,  quand  le  Ramadan  tombe  en  saison 
des  pluies,  où  le  ciel  est  toujours  chargé  de  nuages,  le 
jeûne  est  ouvert  par  une  déclaration  de  l'almamy  prin» 
cipal  du  pays.  Il  commence  le  lendemain  et  se  poursuit 
pendant  trente  jours  consécutifs.  11  se  termine  par  la  même 
déclaration,  sauf  conflit  entre  les  marabouts  et  divergences 
d'application,  ce  qui  arrive  assez  souvent. 

Lorsqu'un  jour  est  inobservé  par  cas  de  force  majeure, 
il  est  remplacé  par  un  jour  à  la  suite  du  mois  du  Ramadan. 
L'inobservation  volontaire   du  jeûne  est  astreinte  à  une 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES   ET   PRATIQUES    CULTUELLES       289 

expiation  théorique  de  soixante  jours.  Cette  expiation 
(Soundioulou)  était  autrefois  rachetée  par  la  mise  en  liberté 
d'une  captive  ou  la  distribution  aux  pauvres  d'un  certain 
nombre  de  paniers  de  céréales.  En  réalité,  on  n'a  pas  une 
idée  très  nette  de  ces  rachats,  et  l'on  n'en  tient  guère  compte 
dans  la  pratique. 

Les  cas  de  rupture  déjeune  sont: 

Le  fait  de  manger  et  de  boire  durant  la  journée  ; 

Le  fait  de  porter  à  la  bouche  une  guésé  (bâtonnet  pour 
les  dents)  ; 

Le  fait  de  mâcher  un  kola,  même  sans  avaler  la 
pulpe  ; 

Le  fait  de  cohabiter  avec  une  femme  durant  le  jour  ; 

Le  fait  pour  une  femme  d'avoir  ses  menstrues. 

Le  jeûne  n'est  en  rien  une  abstinence  de  nourriture  :  si 
l'on  ne  mange  pas  le  jour,  on  se  rattrape  la  nuit;  on  fait 
entre  les  prières  du  crépuscule  et  l'aurore  de  véritables  orgies 
culinaires  et  l'on  dort  le  jour. 

Le  jeûne,  dans  ces  conditions,  n'est  pas  pénible.  Dans  la 
plupart  des  villages  musulmans,  la  prière  de  la  nuit  pen- 
dant le  Ramadan  est  faite  en  commun,  généralement  sur 
une  place,  au  marché,  ou  dans  un  endroit  découvert, 
voisin  de  la  mosquée.  Ces  prières  assez  impression- 
nantes, et  d'une  véritable  grandeur,  sont  appelées  «  Sari 
nihatou  ». 

Pèlerinage.  —  Contrairement  à  la  Sonna,  le  pèlerinage 
n'est  pas  considéré  comme  une  des  obligations  de  la  reli- 
gion musulmane.  C'est  un  grand  luxe,  une  façon  comme 
une  autre  d'acquérir  un  grand  renom  de  sainteté  avec  les 
profits  qui  entourent  toujours  les  saints  personnages  dans 
tous  les  pays,  mais,  on  n'a  jamais  cru  ici,  et  l'on  ne  croit 
pas  encore,  être  un  mauvais  musulman  à  considérer  le 
pèlerinage  comme  un  hors-d'œuvre,  très  coûteux,  fort 
pénible,  et  à  lui  préférer  sa  tranquillité. 

19 


290  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE   D  IVOIRE 

Le  pèlerin  partait  seul  jadis  avec  tous  ses  captifs  de  traite. 
Il  les  monnayait  en  chemin,  et,  après  un  voyage  à  la  mode 
noire,  marqué  de  longs  repos,  qui  durait  au  moins  dix  ans, 
revenait  au  pays,  sans  un  seul  captif.  Il  est  vrai  que  les 
dons  qu'il  recevait  alors  le  dédommageaient  amplement  de 
ses  peines. 

Les  gens  ne  sont  plus  assez  riches  maintenant  pour  pou- 
voir espérer  faire  ce  pèlerinage  qui,  encore  une  fois, 
comme  la  Guerre  sainte,  n'est  pas  considéré  comme  obli- 
gatoire. Autrefois  les  guerres,  si  elles  ruinaient  la  grande 
majorité  du  pays,  enrichissaient,  de  captifs  au  moins,  les 
gens  qui  savaient  profiter  de  l'état  de  guerre  et  ménager 
tous  les  partis.  C'était  le  cas  de  quelques  musulmans, 
grands  fournisseurs  d'armes  et  de  poudre,  gros  marchands 
de  captifs  aussi.  Ces  gens-là  pouvaient  évidemment  se  payer 
ce  luxe,  d'autant  plus  facilement  que  le  voyage  était  sur- 
tout payé  des  ventes  successives  de  captifs. 

L'itinéraire  suivi  était  celui-ci:  réunion  locale  àOdienné 
ou  àTouba,  ou  à  Bolon,  ou  à  Kong  ; 

Réunion  générale,  soit  simultanée,  soit  successive,  à 
Bondouk-ou,  De  là  on  traversait  la  Haute  Gold  Coast,  et  le 
pays  Haoussa.  On  contournait  le  Tchad  par  le  sud  ;  et  par 
rOuadaï,  le  Kordofan  et  Khartoum,  on  arrivait  à  la  mer 
Rouge. 

Aujourd'hui,  c'est  toujours  à  Bondoukou  que  se  fait  le 
départ,  mais  comme  on  n'utilise  plus  la  voie  de  terre,  on  se 
rend  à  Coomassie,  point  terminus  du  chemin  de  fer  et  à 
Secondée,  où  l'on  s'embarque  sur  un  vapeur  anglais  pour 
les  Canaries.  Là,  transbordement,  soit  sur  Marseille,  soit 
sur  Tanger,  où  l'on  se  mêle  à  la  foule  des  pèlerins  de 
l'Afrique  du  Nord  ou  de  l'Afrique  occidentale. 

Quelques  pèlerins,  surtout  dans  l'Ouest  de  la  Colonie, 
trouvent  plus  simple,  rompant  avec  l'antique  passage  par 
Bondoukou,  de  prendre  le  train  à  Bouaké  et  le  bateau 
pour  Marseille  à  Bassani. 


\ 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS   LEGALES    ET    PRATIQUES   CULTUELLES       2g  I 

Tous  les  pèlerins  du  Bas-Soudan  et  même  plusieurs  du 
moyen  Niger,  de  Ségou  àTombouctou,  empruntent  l'une  ou 
l'autre  de  ces  deux  voies  :  il  ne  faut  pas  oublier  en  effet  que 
leurs  affaires  (bœufs,  kolas  etc.)  leur  ont  appris  depuis 
longtemps  le  chemin  de  la  Côte  d'Or  et  de  la  Côte 
d'Ivoire. 

Tous  ces  pèlerins  ne  semblent  plus  jouir  d'une  extrême 
et  particulière  considération.  C'est  sans  doute  que  les  fidèles 
noirs  ne  se  rendent  pas  compte  de  l'énorme  somme  de 
souffrances  et  de  fatigues  qu'entraîne  le  pèlerinage  pour 
un  des  leurs  et  du  grand  mérite  qu'il  y  a  à  l'accomplir.  Et 
puis  le  pèlerin  revient  chez  lui  après  2,  5  ou  10  ans 
d'absence  :  il  reprend  ses  occupations  et  rentre  dans  la  vie 
commune  et  l'on  ne  s'apercevrait  pas,  sidésormais  son  nom 
n'était  précédé  de  Lagui,  Ladji,  Al-Hadji,  qu'il  a  parcouru 
l'Orient.  Qu'a-t-il  vu?  qu'a-t-il  retenu  ?  Vraiment,  pour 
les  Noirs,  le  pèlerinage  aux  Lieux  saints  de  l'Islam  est 
d'une  utilité  tout  à  fait  contestable.  Relatons  toutefois  qu'en 
dehors  d'un  certain  prestige  moral,  tout  platonique,  le 
pèlerin  tire  quelques  bénéfices  plus  positifs  de  la  vente,, 
désormais  licite  pour  lui  et  sans  frein,  des  menus  objets 
de  piété  de  La  Mecque  :  eau  de  Zemzem,  poils  du 
Prophète,  gravier  du  sanctuaire,  pierres  ou  étoffes  qui  ont 
touché  la  Kaaba,  etc.. 

Il  n'y  a  actuellement  dans  toute  la  région  Occidentale 
(Odienné,  Touba,  Ouorodougou)  aucun  musulman  vivant 
qui  ait  effectué  le  pèlerinage  à  La  Mecque,  aucun  même. 
qui,  étant  parti  dans  ce  but,  soit  encore  attendu  des  siens. 
Le  dernier  musulman  qui  soit  allé  à  La  Mecque  est  mort 
depuis  i5  ans.  Du  reste  les  marabouts  d'un  certain  âge  ne 
se  rappellent  avoir  vu  que  trois  Hadj. 

Le  nommé  Al-Hadji  Ahmadou  Bambo  de  Congoasso, 
parti  vers  i855  à  La  Mecque,  n'en  revint  qu'en  1870,  et 
mourut,  il  y  a  i5  ans,  à  Congoasso: 

Le  nommé  Al-Hadji    Karamorho  Karaboué,  parti  vers. 


292  ETL'DFS    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

1840  et  revenu  en  i85o  mourut  en  i885  à  Dantougou,  son 
village  natal. 

Enfin,  le  nommé  Al-Hadji  Moussa  Karamorho,  deTon- 
houlé,  parti  vers  1860,  ne  revint  que  16  ans  après  dans 
son  village,  et  mourut  l'année  suivante  en  1877. 

Aucun  de  ces  Hadj  n'a  laissé  de  relation  écrite  de  son 
voyage,  et  personne  aujourd'hui  ne  se  rappelle  les  impres- 
sions éprouvées  et  racontées  par  eux. 

Quelques  faits  puérils  sont  seulement  restés  dans  les 
mémoires.  On  se  souvient  encore  que  lorsque  ces  saints 
hommes  se  lavaient  le  corps,  on  se  disputait  l'eau  qu'ils 
laissaient  tomber  à  terre,  afin  de  pouvoir  faire  des 
ablutions  dans  une  eau  bénite  par  le  contact  de  leur 
corps. 

On  se  rappelle  aussi  que  Al-Hadji  Ahmadou  Bambo 
reçut,  le  jour  même  de  son  retour  de  La  Mecque,  quatre 
jeunes  filles  comme  épouses,  et  que  cette  avalanche  con- 
jugale dura  plusieurs  mois. 

Cet  arrêt  total  dans  les  pèlerinages  de  La  Mecque  doit 
être  attribué  sans  doute  au  fait  que  la  Haute-Côte  d'Ivoire 
fut  soumise  entre  1860  et  1898,  à  une  très  longue  série  de 
guerres  (Vakaba  Touré,  Mori  Ouli  Cissé  de  Kankan, 
Vakourou  Bamba,  Samory)  qui  appauvrit  considérablement 
le  pays,  et  bien  que  les  musulmans  se  fussent  mis,  en 
général,  à  l'abri  des  attaques,  ils  n'en  demeurèrent  pas 
moins  atteints  par  cet  appauvrissement  collectif  et  par 
l'arrêt  complet  de  la  vie  économique  du  pays.  L'insécurité 
intense  qui  régnait  partout  empêchait  les  moindres 
voyages  :  chacun  restait  chez  soi  pour  éviter  d'être  pillé 
ou  tué  en  chemin. 

Il  y  a  d'autres  empêchements:  l'opposition  de  la  famille 
par  exemple.  René  Caillié  signalait  déjà  le  fait  il  y  a  un 
siècle. 

«  Je  donne,  dit-il,  pour  exemple  Arafan-Abdallahi,  man- 
dingue  de  Kankan,  homme  d'à  peu  près  40  à  45  ans,  qui 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES   CULTUELLES      2^3 

se  privait  du  plaisir  et  même  du  devoir  religieux  de 
faire  un  pèlerinage  à  La  Mecque  pour  ne  pas  déplaire  à 
son  vieux  père,  dont  il  ne  pouvait  obtenir  le  consen- 
tement. » 

La  Guerre  sainte.  —  Le  mélange  si  profond  des  popu- 
lations musulmanes  et  animistes  dans  l'Ouest  de  la  Haute- 
Côte  d'Ivoire,  leur  unité  racinale  et  leur  interparenté  ont 
rendu  les  premières  tolérantes  à  l'égard  des  infidèles  et 
ont  fait  passercette  tolérance  dans  les  mœurs.  Nous  verrons 
plus  loin  que  les  prescriptions  du  Coran  et  de  la  Sonna 
relatives  aux  mariages,  étaient  ici  perdues  de  vue,  qu'en 
particulier  non  seulement  les  unions  légitimes  des  femmes 
fétichistes  avec  des  sectateurs  de  l'Écriture  étaient  et  sont 
permises,  mais  que  cette  autorisation  légale  avait  été 
étendue  aux  mariages  des  fétichistes  avec  les  femmes 
musulmanes. 

Les  deux  fractions  de  la  population  appartiennent  toutes 
deux  au  groupe  malinké.  Plus  à  Test,  Malinké  et  Mandé- 
Dioula  sont  encore  des  branches  cousines  de  la  famille 
Mandé.  Toutes  sont  intimement  mêlées  par  des  liens  de 
consanguinité.  Pourraient-elles  se  combattre  au  sujet 
d'une  prescription  coranique  que  beaucoup  ignoraient  ? 
Évidemment  non,  et  l'on  allait  plus  loin,  puisque  l'on  to- 
lérait la  plupart  du  temps  que  les  femmes  animistes, 
même  légitimes,  conservassent  leur  foi,  et  l'on  donnait  des 
filles  musulmanes  à  des  animistes.  Les  deux  populations, 
issues  d'un  même  tronc  indiscutablement,  ont  trop  réagi 
l'une  sur  l'autre,  se  sont  trop  intimement  mêlées  pour  que 
la  conception  même  du  Djihad  fût  possible  chez  les 
musulmans. 

Nous  avons  vu,  au  contraire,  que  les  marabouts  ne  fai- 
saient rien  pour  l'extension  de  l'islam  chez  les  fétichistes, 
redoutaient  de  voir  la  foi  nouvelle  s'implanter  chez  des 
néophytes  parfois  gênants,   et  déconseillaient  souvent  les 


294  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM    EN   CÔTE    d'iVOIRE 

conversions.  Pourquoi  auraient-ils  donc  couru  ces  risques 
d'une  guerre,  pour  un  but  qu'ils  ne  désiraient  pas,  bien 
au  contraire? 

Il  convient  pourtant  de  signaler  que  quelques  guerres  de 
conquérants  du  Nord,  Va  Kaba  Touré  d'Odienné,  Mori 
Oulé  Cissé  de  Kankan,  en  particulier,  ont  été  déguisées  en 
Djihad  contre  les  infidèles.  En  réalité,  ces  conquérants 
n'ont  songé  qu'au  brigandage,  à  la  rapine  et  l'acquisition 
fructueuse  d'esclaves  fétichistes,  de  race  senoufo,  et  n'ont 
pas  hésité,  lorsqu'ils  se  sont  trouvés  en  présence  de  musul- 
mans, décidés  à  défendre  leur  «  Banmana»,  à  les  confondre 
avec  ces  Banmana,  à  massacrer  les  marabouts  et  à  détruire 
leurs  villages  et  leurs  mosquées.  La  ville  sainte  et  lettrée 
■de  Kong  en  sait  quelque  chose.  Le  Djihad  n'avait  rien  à 
faire  à  cela,  puisque  les  captifs  acquis  servaient  aux  con- 
quérants, soit  comme  objet  d'échange,  soit  comme  travail- 
leurs, soit,  pour  les  femmes,  comme  concubines  sans  qu'il 
soit  jamais  venu  à  l'idée  de  ces  prétendus  défenseurs  de  la  foi 
coranique  de  la  leur  imposer.  Cet  apostolat  n'a  jamais,  du 
reste,  trompé  personne. 

Il  est  même  intéressant  pour  conclure  de  narrer  l'épisode 
suivant,  rapporté  par  Ripert,  et  qui  établit  combien  sou- 
vent les  musulmans  locaux  étaient  de  cœur  beaucoup  plus 
avec  leurs  cousins  et  voisins  fétichistes  qu'avec  les  bandes, 
prétendues  apostoliques,  qui  venaient  exercer  leurs  méfaits 
dans  le  pays. 

Il  s'agit  de  la  conduite  du  village  Gomanasso,  envers  les 
fétichistes  et  envers  Saranké,  fils  de  Samory,  en  1892. 

Se  dirigeant  vers  Kong,  Saranké  Mori  avait  été  fort  bien 
reçu  par  le  village  musulman  de  Gomanasso  (Ouorodou- 
gou)  et  avait  du  reste  comblé  les  gens  de  ce  village  de 
cadeaux.  Sa  horde  (Kéré)  s'était  installée  aux  environs  du 
village,  où  elle  demeura  près  d'un  mois,  sans  que  le  moindre 
incident  eût  troublé  ces  relations  entre  le  village  et  le  fils 
de  l'almamy. 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES   ET    PRATIQUES    CULTUELLES       295 

Poursuivant  sa  route,  l'armée  de  Saranké  Mori  eut  à 
traverser  des  villages  fétichistes,  dépendant  de  Gomanasso. 
Malgré  son  amitié  envers  ce  bourg,  ces  villages  furent 
pillés,  brûlés,  les  habitants  tués  ou  réduits  en  captivité.  Le 
chef  du  village,  Aliou  Cissé,  voulut  quitter  Gomanasso 
pour  ne  pas  rester  dans  un  pays  où  tout  l'accablait  de 
honte  et  dont  les  survivants  l'accusaient  de  félonie.  Il  en 
fut  empêché  par  les  musulmans  du  village  qui  lui  dirent  : 
«  Aliou,  Saranké  Mori  a  trahi  notre  amitié  en  massacrant 
nos  Banmana,  qui  avaient  foi  en  nous.  Nous  ne  pourrons 
survivre  à  cet  affront,  et  nous  obligerons  Saranké  Mori  à 
nous  tuer,  toi  en  tète,  pour  le  laver.  »  Aliou  resta  donc. 
Quelques  années  après,  au  lendemain  delaprise  de  Sikasso, 
Saranké  Mori  revint  à  Gomanasso,  les  mains  pleines  de 
présents.  Il  trouve  le  tata  fermé.  Il  fit  appeler  Aliou,  qui 
sort  du  village  avec  toute  la  communauté  musulmane,  et 
paraît  ainsi,  sans  une  parole  devant  le  fils  de  l'almamy. 
Celui-ci  s'étonne,  salue  Aliou  qui  ne  répond  pas.  Saranké 
Mori  s'irrite,  il  menace.  Alors  Aliou  se  répand  en  injures 
envers  la  félonie  de  Saranké  Mori,  l'accuse  de  l'avoir 
épargné,  pour  mieux  le  déshonorer,  lui  crie  que  seul  son 
sang  et  celui  de  son  village  rachètera  le  sang  des  Banmana 
versé.  Aliou  fut  exécuté  immédiatement  avec  la  majorité 
du  village.  Seul  son  fils  Siko,  actuel  chef  de  Gomanasso, 
au  moment  où  il  allait  être  exécuté,  fut  sauvé  par  des  gens 
d'Odienné,  dont  il  avait  épousé  une  femme. 

C'est  là  sans  doute  un  exemple  de  véritable  grandeur 
morale.  Il  établit,  pour  autant  qu'il  est  complètement  véri- 
dique,  que  la  «  guerre  sainte  »  n'est  comprise  dans  les  obli- 
gations morales  des  musulmans  de  la  Haute-Côte  d'Ivoire. 

Il  s'agit  bien  entendu  de  la  guerre  sainte,  telle  que  la 
comprennent  les  Noirs,  c'est-à-dire  la  lutte  contre  les  païens 
fétichistes  qui  les  entourent,  non  pas  dans  un  but  de  pro- 
sélytisme, mais  comme  le  moyen  de  s'approprier,  sans 
l'ombre   d'un   prétexte,  les   richesses  des  infidèles  et  leurs 


2gb  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoibe 

personnes  mêmes.  Il  n'a  jamais  été  question  de  faire  la 
guerre  sainte  aux  Blancs.  C'est  la  xénophobie,  ou  l'esprit 
de  résistance  à  nos  conquêtes  qui  ont  pu  seuls  provoquer 
des  hostilités  à  notre  égard. 


3.  —  Les  fêtes  religieuses. 

Les  principales  fêtes  rituelles  sont  exactement  célébrées 
ici  aux  époques  consacrées.  Ce  sont  de  grandes  orgies 
païennes  entrecoupées  de  prières  rituelles,  faites  dans  les 
mosquées  de  quartier,  sauf  la  prière  du  Dohor  faite  à  la 
Diamiou.  La  population  animiste  participe  à  ces  fêtes, 
puisqu'en  somme,  le  nom  de  Dieu  n'est  là  qu'un  prétexte 
pour  bien  manger  et  s'amuser,  et  que  c'est  l'idéal  de  tous 
les  Noirs  sans  exception.  Les  musulmans  ont  d'ailleurs 
adopté  un  certain  nombre  de  fêtes  fétichistes,  dont  nous 
citerons  les  principales,  mais  sans  que  ces  fêtes  soient 
l'objet  d'une  vénération  particulière.  L'influence  euro- 
péenne a  pénétré  dans  ces  fêtes  sous  la  forme  des  parfums. 
On  arrose  d'eau  de  Cologne  et  autres  vinaigres  de  toilette  le 
sol  et  les  nattes  de  prière.  On  s'inonde,  vêtement,  poils  et 
chair,  des  parfums  les  plus  divers,  depuis  ceux  chers  au 
Chevalier  d'Orsay  jusqu'aux  affreux  mélanges  chimiques, 
revenus  d'Allemagne. 

Voici  les  fêtes  musulmanes  tout  au  long  du  calendrier 
dioula  : 

ic»"  mois  :  Dioumandé.  On  célèbre  la  fête  du  Yaouma 
Auzoura,  «  le  dixième  jour  »  en  arabe  local,  c'est-à-dire 
l'Achoura  classique,  dixième  jour  du  mois  islamique  de 
Moharrem.  On  la  dit  encore  en  dioula  «  san  iéléma  séri  », 
fête  du  nouvel  an,  et  en  malinké  «  Dioméné  ».  La  plupart, 
des  marabouts  qui  se  respectent  font  jeûne  ce  jour-là,  mais 
la  grande  majorité  des  fidèles  se  contente  d'assister  à  la 
prière  publique  et  de  faire  ripaille. 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES    CULTUELLES      297 

Cette  fête  est  pour  les  Mandé  un  anniversaire  de  la  fin 
du  déluge  où  l'arche  de  Noé  s'arrêta  enfin  sur  la  terre 
ferme.  Elle  rappelle  aussi  la  scène  d'Abraham  et  de  Nem- 
rod.  Abraham  avait  fait  des  reproches  à  Nemrod  sur  sa 
conduite.  Celui-ci  fit  allumer  un  immense  bûcher.  On 
mit  Abraham  dans  une  immense  fronde,  grande  comme 
un  hamac,  et  on  le  jeta  tournoyant  comme  une  balle 
dans  le  bûcher.  11  en  sortit  indemne  après  un  temps  fort 
long.  En  commémoration  de  ces  événements  miraculeux, 
on  appelle  cette  fête  «  la  fête  de  l'eau  et  du  bois  ».  On  la 
célébrait  jadis  en  se  poursuivant  avec  des  torches  enflam- 
mées. Cet  usage  est  à  peu  près  tombé  en  désuétude,  encore 
qu'à  Bondoukou,  les  enfants  fassent  une  procession  avec 
des  torches  enflammées.  L'usage  s'est  mieux  conservé  qui 
consiste  pour  les  jeunes  filles  à  aller  la  nuit  en  chantant, 
soit  chercher  de  l'eau  au  marigot,  soit  couper  du  bois  dans 
la  brousse  et  à  en  ofl'riraux  vieillards. 

2*^  mois  :  Domba-Makono .  —  C'est-à-dire  le  mois  avant 
Domba. 

3'^  mois  :  Domba.  —  Fête  de  la  naissance  du  Prophète 
(Mouloudou  Endou,  Domba  séri,  Dombà  Karan).  —  C'est  le 
Mouloud  classique,  12"  jour  de  Rebi  I.  Ce  jour  est  férié  : 
on  se  promène  en  habits  choisis.  On  nettoie  les  armes,  les 
fusils,  les  sabres,  les  boubous  de  guerre  et  leurs  gris-gris; 
on  les  étale  au  soleil  ;  on  va  saluer  ses  parents  en  grand 
équipage  guerrier,  on  commémore  ainsi  la  tentative  d'as- 
sassinat, projetée  par  les  chefs  de  La  Mecque  sur  Mahomet, 
au  moment  de  sa  naissance,  et  sur  la  résistance  à  main 
armée,  que  firent  les  parents  de  sa  mère  aux  attaques 
ennemies. 

Le  vingt- septième  jour  de  Domba,  on  célèbre  la  première 
fête  des  mariages.  Celle-ci  est  plus  ou  moins  connue.  Jadis, 
à  Bondoukou,  on  la  célébrait  avec  éclat.  Puis,  on  crut 
s'apercevoir  que  des  décès  se  produisaient  nombreux  dans 
les  mariages  eff"ectués  à  cette  date,  et  elle  tend  à  tomber  en 


2g8  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM   EN   CÔTE   d'iVOIRE 

désuétude.  On  reporte  toute  sa  ferveur  sur  celle  de  Min- 
garé. 

4^  mois  :  Domba-Kouroukono.  —  C'est-à-dire  (le  mois) 
qui  suit  Domba. 

5^  mois  :  Domba-Kouroukono  Filana.  —  C'est-à-dire  le 
deuxième  mois  après  Domba. 

6«  mois  :  Kamidoumou-Makono.  —  C'est-à-dire  le  mois 
avant  Kamidoumou. 

7«  mois  :  Kamidoumou  (Fête  des  Pintades).  —  Le  27  de  ce 
mois.  Le  Radiaba  en  arabe  local  (Redeb),  l'islam  célèbre 
dans  la  nuit  (leilat  al-miradj)  l'ascension  du  Prophète.  Cette 
fête  est  marquée  ici  par  une  hécatombe  générale  de  pin- 
tades (Kami).  C'est  pourquoi  les  Mandé  l'appellent-ils  Ka- 
midou  séri  (fête  du  sacrifice  des  pintades  ;  mot  à  mot  «  du 
manger  des  pintades  »). 

Voici  les  origines  de  cette  fête,  telle  qu'on  me  les  a  dé- 
crites à  Dabakala  : 

Mahomet  étant  parti  avec  tous  ses  partisans  pour  faire 
la  guerre  à  Hamidaki,  marcha  une  demi-journée  sans  trou- 
ver d'eau;  fatigués  et  n'en  pouvant  plus,  ils  allèrent  s'as- 
seoir au  pied  d'un  arbre.  Tout  à  coup  une  pintade  ayant 
les  ailes  mouillées  vint  se  poser  sur  l'arbre,  sous  lequel 
était  assis  le  Prophète  et  ses  guerriers.  Elle  fit,  en  se  se- 
couant, tomber  quelques  gouttes  d'eau  sur  la  tète  de  Maho- 
met. Aussitôt  elle  fut  interrogée  par  celui-ci  :  «  Pintade,  dis- 
moi,  où  tu  as  trouvé  de  l'eau.  —  Je  ne  sais  pas,  répondit  la 
pintade.  »  Puis  elle  s'envola. 

Quelques  minutes  après,  le  sanglier  passa;  Mahomet 
l'appela  et  l'interrogea  en  ces  termes  :  «Sanglier,  toi  qui  as 
tout  le  corps  couvert  de  boue  fraîche,  peux-tu  me  dire  l'en- 
droit où  je  pourrais  trouver  de  l'eau  fraîche  pour  mes 
gens  et  pour  moi,  car  depuis  ce  matin  nous  n'avons  pas  pu 
étancher  notre  soif.  »  Le  sanglier  lui  répondit  :  «  Pourquoi 
n'as-tu  pas  demandé  à  la  pintade  qui  m'a  devancé  ici  ? 
—  Elle  a  refusé  de  me  renseigner,  »  répondit  Mahomet. 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES   CULTUELLES      299 

«  Viens,  lui  dit  alors  le  sanglier,  avec  tout  ton  monde, 
que  je  te  conduise  à  l'étang  qui  est  tout  proche  d'ici.  »  Ar- 
rivé à  l'endroit,  il  n'y  avait  dans  l'étang  qu'une  flaque 
d'eau  dans  la  boue.  Mahomet  posa  alors  sa  main  droite  sur 
cette  flaque  qui  se  transforma  aussitôt  en  eau  abondante, 
il  en  but  ainsi  que  tous  ses  guerriers,  puis  il  se  retira  sa 
main  et  l'eau  abondante  redevint  une  flaque  boueuse 
comme  auparavant. 

Avant  de  quitter  l'étang,  Mahomet  dit  à  ses  gens  :  «  A 
partir  d'aujourd'hui,  7<=  année  de  mon  hégire,  je  vous  dé- 
fends formellement  de  jamais  manger  du  sanglier  à  cause 
du  service  qu'il  m'a  rendu.  Quant  à  la  pintade,  tous  les  ans, 
à  cette  date,  tout  musulman  marié  ou  adulte,  pouvant 
avoir  une  pintade,  devra  la  tuer  sans  pitié,  à  cause  de  son 
inconduite.  Quiconque  observera  cette  règle  aura  ma  clé- 
mence par  les  taches  noires  de  la  plume  de  la  pintade;  et 
les  taches  blanches  lui  permettront  d'espérer  le  bonheur 
de  la  vie  future.  » 

Enfin  dans  le  Nord,  plus  spécialement  Odienné,  Korhogo, 
Qt  quelques  villages  du  nord  de  l'Ouordougou,  à  Sarhala 
et  à  Gomanasso,  une  sixième  fête  est  célébrée  annuellement, 
c'est  celle  dite  l'Ouadjouma  ba  (le  grand  vendredi)  :  le 
premier  vendredi  du  mois  de  Radiaba.  Elle  est  marquée 
par  de  grandes  ablutions  au  marigot,  avant  les  offices  re- 
ligieux, auxquels  on  assiste  avec  ses  plus  beaux  pagnes. 

8«  mois:  Arguinaguiéy  la  fête  de  l'eau  (guié)  du  Paradis 
(arguina,  ardjina,  al-Djanna).  —  Elle  a  lieu  le  14"  jour  de  ce 
mois.  Ce  jour-là,  jeunes  gens  et  jeunes  filles,  parés  d'habits 
de  fête,  vont  au  marigot  en  battant  des  mains  en  mesure 
et  en  chantant  :  «  C'est  aujourd'hui  le  jour  de  l'eau  du  Pa- 
radis ;  il  faut  que  nous  en  buvions.  »  On  remplit  les  cale- 
basses et  revenu  à  la  maison,  on  ofl"re  de  l'eau  aux  parents, 
aux  vieilles  femmes,  etc..  Le  soir,  sur  la  place,  grand  tam- 
tam, où  les  mêmes  chants  et  des  chants  similaires  reviennent. 

9'  mois;  Soungari,  où  on  célèbre  Endou  Soukari  (aid  as- 


300  ÉTUDE    SUR    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

saghir),  fête  de  la  rupture  du  jeûne  du  Ramadan.  A  l'issue 
du  mois  de  Soungari,  au  premier  jour  du  mois  de  Soualou 
(choual,  en  dioula  ;  elle  est  dite  encore  «  Sim  Kalon  séri  » 
(fête  du  mois  du  jeûne)  ou  «  Ninn  Kari  Toulou  »  (fête  du 
mois  du  boire).  L'apparition  du  croissant  est  saluée  par 
les  coups  de  feu  des  veilleurs  qui,  dès  la  mi-soirée,  sont 
installés  l'arme  au  poing  et  le  regard  vers  l'est.  Après  un 
copieux  festin,  dans  les  villes  les  jeunes  gens  et  les  jeunes 
filles  s'organisent  par  quartier  en  tam-tams  et  bandes 
joyeuses  et  vont  se  faire  visite  s'offrant  réciproquement 
toute  la  nuit  des  aubades  dansantes.  Les  gens  crient  : 
«  Nous  allons  désormais  bien  boire  et  bien  manger,  et  si 
quelqu'un  veut  nous  en  empêcher,  il  sera  battu.  » 

La  fête  est  marquée,  le  lendemain,  par  des  salves  de 
coups  de  fusil,  par  des  offices  en  commun  aux  mosquées, 
par  un  grande  prière  publique,  à  midi,  avec  retour  chez 
soi  par  un  autre  chemin  et  enfin  par  une  bombance  sans 
frein,  où  l'on  se  rattrape  du  jeûne,  pourtant  fort  doux,  du 
Ramadan.  On  fait  en  même  temps  des  distributions  de 
grain  (mil,  riz,  maïs),  suivant  les  localités,  aux  membres 
de  sa  famille  et  aux  pauvres.  Les  plus  généreux  y  ajoutent 
des  ignames,  du  manioc. 

Les  fêtes  se  continuent  pendant  sept  jours  :  bains,  toi- 
lette, beaux  atours,  tam-tams,  pas  de  ballets,  danses  costu- 
mées et  masquées. 

Cette  fête  est  très  populaire  dans  toute  la  Haute-Côte 
d'Ivoire.  On  appréciera  donc  à  sa  juste  valeur  cette  infor- 
mation du  Rapport  politique  du  4"  trimestre  1914  :  «  Pour 
témoigner  leur  loyalisme  et  montrer  leur  attachement  à  la 
France,  les  groupements  musulmans  importants  ont  délé- 
gué, dans  les  cercles  du  Nord,  leurs  principaux  person- 
nages religieux  près  des  Administrateurs  à  qui  ils  ont 
offert  de  ne  pas  célébrer  les  fêtes  de  la  rupture  du  jeûne. 
Ce  sacrifice  a  été  jugé  superflu,  et  le  Ramadan  s'est  ter- 
miné comme  de  coutume.  >> 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES   CULTUELLES       3oi 

Trois  jours  avant  la  fin  du  Ramadan,  c'est-à-dire,  le 
27  du  Soungari,  on  célèbre  la  fête  des  jeunes  filles  dans  la 
«  nuit  du  destin  ».  Elle  est  dite  en  dioula  «  Kouroui  »  id 
est  «  on  ne  dort  pas  ». 

Les  jeunes  gens  se  procurent  un  franc  ou  un  shilling, 
20  kolas,  un  pagne  ou  un  mouchoir  de  tête,  et  off"rent  ces 
cadeaux  à  leurs  fiancées  ou  amies.  Celles-ci,  réunies  en 
groupe  sur  leurs  lits  (tara),  babillent  et  s'éventent  avec  des 
queues  d'éléphants,  empruntées  aux  chefs.  Les  jeunes  gens 
vont  de  l'une  à  l'autre,  offrant  des  kolas  et  plaisantant. 

10"  mois  :  Mingari.  —  C'est-à-dire  «  le  mois  de  la 
boisson  »,  parce  qu'on  boit  etqu'on  mange  sans  restriction. 
C'est  en  effet  le  mois  qui  suit  le  jeûne  du  Ramadan. 

Le  276  jour  de  Mingari  on  célèbre  la  fête  des  mariages. 
Celle-ci  est  très  suivie  et  a  fini  par  supplanter  la  première. 
Cette  date  du  27  n'est  pas  absolue,  car  on  choisit  toujours 
un  mercredi  à  Bondoukou  (sauf  dans  le  quartier  de  Kou- 
mala,  où  l'on  choisit  un  jeudi)  ces  jours  étant  fastes  et  tout 
à  fait  propres  pour  «attacher  les  mariages  ».  Cette  fête  dure 
toute  la  semaine.  Le  fiancé  ou  simplement  le  prétendant  se 
procure  25  francs  et  les  fait  parvenir  par  son  père  à  sa  fu- 
ture belle-mère  ;  ils  serviront  aux  frais  du  festin.  Le  jour  de 
la  fête  même  est  le  jour  du  versement  de  la  dot.  Cette  dot 
consiste  en  petites  sommes,  argent,  numéraire  ou  cauries, 
destinés  au  beau-père  et  à  la  belle-mère,  enfin  en  kolas,  etc. 
Le  tout  est  exposé  devant  la  case  du  prétendant,  où  cha- 
cun peut  venir  le  voir.  A  la  tombée  de  la  nuit,  on  porte  en 
pompe  la  dot  à  la  case  de  la  jeune  fille;  c'est  généralement 
la  sœur  du  fiancé  qui  a  l'honneur  de  ce  transport.  L'alma- 
my  prévenu  arrive.  Il  lit  les  formules  arabes  qui  convien- 
nent, pendant  que  ses  suivants,  fidèles  à  la  coutume, 
tirent  12  kolas  de  chaque  corbeille  de  mariage,  les  envelop- 
pent dans  des  feuilles,  ficellent  le  paquet  avec  des  fils  de 
coton  et  replacent  chaque  paquet  dans  sa  corbeille.  Désor- 
mais les  mariages  sont  «  attachés  ». 


302  ÉTUDES    SUR   l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

Après  une  nouvelle  prière  de  l'almamy  et  la  proclama- 
tion des  mérites  des  jeunes  gens  par  un  griot,  chacun  se 
retire  chez  soi,  emportant  sa  corbeille. 

Le  lendemain,  grande  réunion  des  fiancés  chez  la 
«  grand'mère  »  du  quartier,  qui  représente  les  femmes  au 
sein  des  diverses  familles.  Les  sœurs  des  jeunes  gens  bom- 
bardent les  fiancées  de  boules  de  savon ,  en  leur  recomman- 
dant de  bien  se  laver. 

La  fête  continue,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'entrer  ici 
dans  des  détails  qui  au  surplus  seront  mieux  à  leur  place 
au  titre  du  mariage  même. 

1 1**  mois;  Dongui-Makono.  —  C'est-à-dire  le  mois  avant 
Dongui. 

12'^  mois;  Dongui. — Mois  delà  grande  fête  (Landi,  Lan- 
dou  Kabirou)  de  la  fête  du  sacrifice  (Lohéa  séri),  de  la 
fête  du  mouton.  Chaque  musulman  ou,  pour  les  moins 
fortunés,  chaque  groupe  de  musulmans,  sacrifie  un  mou- 
ton ou  une  chèvre,  quelquefois  même  un  bœuf.  Cette  fête 
a  lieu  régulièrement  le  dixième  jour  du  mois,  dit,  ici,  Saha- 
rou  el-Hidjatou  ou  Dioulou  Hadjati  (Dzoul-Hijja)  en  diou- 
la.  Cette  fête  est  appelée  vulgairement  Dongui  Séri.  C'est 
la  plus  grande  fête  musulmane  et  fétichiste  de  l'année. 

C'est  à  l'imam  que  revient  le  droit  de  procéder  à  regor- 
gement rituel  (kana  tégué)  de  la  bête  sacrificielle.  Les 
fidèles  ne  peuvent  le  faire,  pour  leur  bête,  qu'après  lui  et 
lorsqu'ils  sont  rentrés  chez  eux. 

A  partir  du  premier  jour  de  la  lune  nouvelle  et  pendant 
les  neufs  jours  qui  précèdent  la  fête,  on  ne  peut  ni  se  raser 
la  tête,  ni  se  couper  les  ongles,  conformément  à  la  coutume 
arabe;  mais  contrairement  à  cette  coutume,  on  peut  le 
faire  dès  le  dixième  jour  après  la  prière. 

Le  mouton  égorgé,  on  lui  coupe  l'oreille  droite,  on  la 
partage  en  petits  morceaux,  et  on  la  distribue  à  ses  pa- 
rents. Le  mouton  lui-même  n'est  mangé  que  le  soir,  et 
réparti  en  communion  à  toute  la  famillle;  la  poitrine  est 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES    CULTUELLES       3o3 

pour  le  Satigui  (chef  de  la  famille  totale)  ;  le  gigot  pour  le 
loutigui  (chef  de  «  lou  »  ou  groupe  de  ménages),  l'épaule 
pour  le  frère,  etc.  Une  partie  est  donnée  aux  pauvres;  une 
autre,  aux  marabouts.  Les  os  sont  enterrés  avec  soin  dans 
la  cour.  Il  est  absolument  défendu  d'en  vendre  la  moindre 
parcelle. 

En  dehors  de  ces  fêtes  islamiques  ou  islamisées,  la  cou- 
tume en  prévoit  d'autres  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer 
ici.  Citons  toutefois  la  fête  de  la  saison  des  pluies,  à  la  pre- 
mière grande  pluie.  Cette  fête  est  généralement  assez 
délaissée,  les  gens  ayant  hâte  de  se  rendre  à  leurs  cultures. 
Les  prières  sont  dites,  comme  à  l'ordinaire,  sans  disposi- 
tion spéciale. 

Lorsque  les  pluies  sont  tardives,  les  marabouts  font  en 
commun  des  nawafîl  pour  demander  à  Dieu  de  l'eau.  A 
remarquer  que  les  nawafîl,  à  l'exécution  desquelles  sont 
intéressés  les  fétichistes,  ne  sont  jamais  payées  par  eux. 
Ces  cérémonies  consistent  en  simples  prières  en  commun, 
d'après  les  rites  ordinaires;  mais  ils  ne  sont  marqués  ni 
par  des  chants,  ni  par  des  processions,  ni  par  le  sacrifice 
rituel  d'un  mouton. 

Fêtes  françaises.  —  Les  marabouts  assistent  générale- 
ment, à  titre  privé,  à  nos  fêtes  (14  juillet,  i^""  janvier,  etc.) 
qui  ne  sont  marquées  par  aucune  cérémonie  islamique. 

En  dehors  des  centres  européens,  elles  passent  d'ailleurs 
inaperçues,  tant  parmi  les  musulmans  que  parmi  les 
fétichistes. 


4.  —  La  circoncision  et  l'excision. 

La  circoncision  se  pratique  indifféremment  sept  jours 
après  la  naissance,  ou  bien  lorsque  l'enfant  a  atteint  l'âge 
de  sept  ans,  ou  alors  entre  quinze  et  vingt  ans.  Chaque 


304  ÉTUDES    DE    l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

région  a  ses  coutumes.  Mais  c'est  surtout  à  Tâge  de  sept 
jours  qu'est  pratiquée  l'opération,  lors  de  la  collation  du 
nom.  Elle  est  faite  soit  par  des  gens  de  la  famille  experts, 
soit  par  des  gens  en  quelque  sorte  professionnels,  de  la 
caste  des  forgerons  musulmans  ou  fétichistes,  peu  importe. 
C'est  dire  que  l'opération  n'a  en  rien  ici  un  caractère  reli- 
gieux. Elle  passe  d'ailleurs  inaperçue  et  aucune  fête  n'est 
célébrée.  Les  jeunes  garçons  de  tout  le  village,  musulmans 
ou  fétichistes  mêlés,  y  prennent  part.  L'opération  est  faite 
assez  proprement  avec  une  sorte  de  rasoir  spécial.  Les  par- 
ties à  vif  sont  enduites  de  karité.  Les  bains  et  pansements 
sont  renouvelés  pendant  trois  semaines.,  jusqu'à  complète 
guérison.  Le  jeune  circoncis  porte  un  vêtement  spécial  : 
c'est  un  boubou  cousu  sur  les  côtés  et  qui  est  de  couleur 
noire  à  Odienné.  La  circoncision  est  indispensable  pour 
pouvoir  assister  à  la  prière  publique  à  la  mosquée.  Lesgens 
ajoutent  que  sans  elle  un  jeune  homme  ne  pourrait  épouser 
une  jeune  fille  musulmane. 

Les  filles  ne  sont  jamais  excisées  à  leur  naissance,  mais 
seulement  lorsqu'elles  sont  pubères  et  même  mariées. 
Cependant  dans  quelques  familles,  l'opération  est  effectuée 
lorsque  l'enfant  a  l'âge  de  dix  ans,  et  à  Odienné  on  trouve 
des  familles  qui  pratiquent  l'excision  dès  la  naissance  de  la 
fillette.  L'opération  est  faite  par  des  matrones  spéciales,  à 
des  périodes  déterminées,  par  groupes  de  jeunes  filles,  où 
musulmanes  et  fétichistes  sont  mélangées.  La  patiente  est 
tenue  à  un  calme  complet;  elle  ne  doit  ni  crier,  ni  pleurer. 
Bien  plus,  dès  l'opération,  les  jeunes  excisées  (kendé  den) 
doivent  faire  un  tam-tam  et  ne  pas  laisser  paraître  leur 
souffrance. 

Enfermées  pendant  plusieurs  jours  chez  la  matrone,  elles 
sortent  dans  la  soirée,  parées  de  tous  les  atours  maternels 
et  munies  d'un  long  et  mince  bambou. 

Elles  sont  fêtées  dans  tout  le  village  ;  on  tue  des  bœufs 
en  leur  honneur,  elles  recueillent  beaucoup  de  sombé  au 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES    ET    PRATIQUES    CULTUELLES       3o5 

moyen   desquels  elles  achètent  de  la  viande,   et  pendant 
quelques  jours  ce  ne  sont  que  pantagruéliques  festins. 

Un  certain  nombre  de  familles  dioula  musulmanes  de 
l'Ouest,  ne  pratiquent  pas  l'excision,  considérant  cette 
habitude  comme  entachée  de  fétichisme  et  contraire  au 
Coran.  Ce  sont  les  Barhayorho,  les  Kamarhaté,  les  Binante, 
les  Mêlé,  les  Timité,  et  les  Seiorho. 

Les  Barhayorho  donnent  pour  motif  que  jadis  la  pre- 
mière fille  excisée  est  morte  des  suites  de  l'opération. 
D'autres  au  contraire  appuient  l'excision  sur  de  prétendus 
textes  juridico-religieux. 

Dans  plusieurs  groupements  dioula  de  l'Est,  notam- 
ment à  Bondoukou  même,  on  n'excise  pas  non  plus  les 
filles.  L'opérateur  leur  rase  simplement  la  tête,  le  septième 
jour.  Cette  pratique  est  au  contraire  observée  chez  les 
Huéla  musulmans  voisins,  comme  chez  leurs  congénères 
fétichistes.  Les  morceaux  de  chair  excisée  et  le  sang  qui  en 
a  coulé  sont  enfouis  dans  un  endroit  secret,  que  seule  con- 
naît la  matrone  intéressée.  Les  jeunes  filles  excisées  doi- 
vent vivre  dans  la  solitude  jusqu'à  leur  retraite.  Les  indis- 
crets qui  cherchent  à  les  approcher  sont  frappés  et  mis  à 
l'amende. 

Il  est  assez  curieux  de  constater  que  chez  plusieurs 
peuples  fétichistes,  qui  ne  pratiquent  ni  la  circoncision  ni 
l'excision,  par  exemple  les  Koulango,  certains  groupements, 
tels  les  Koulango  du  Nasian,  qui  ont  chez  eux  des  Huéla 
musulmans  et  fétichistes,  tendent  à  leur  emprunter  la  pra- 
tique de  l'excision,  et  nullement  celle  de  la  circoncision. 
Quant  aux  quelques  Koulango  islamisés,  ils  suivent,  bien 
entendu,  la  coutume  de  leurs  maîtres  dioula. 

René  Caillié  a  fait  avec  sa  netteté  de  vue  ordinaire,  gâ- 
tée malheureusement  par  un  style  décousu,  la  description 
de  ces  rites  traditionnels  dans  la  région  d'Odienné; 
vieille  d'un  siècle,  cette  description  est  toujours  exacte  : 


3o6  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

«  Les  garçons  mandingues  sont  circoncis  à  l'âge  de 
quinze  à  vingt  ans;  les  filles  subissent  l'excision,  quand 
elles  sont  nubiles;  souvent  on  la  retarde  jusqu'au  moment 
où  elles  sont  promises  en  mariage;  j'ai  même  vu  une 
femme  mariée,  ayant  déjà  eu  un  enfant,  qui  s'était  soumise 
à  cette  opération,  toujours  faite  par  des  femmes;  on  la 
pratique  sur  plusieurs  à  la  fois.  Dès  ce  moment  elles 
deviennent  pour  quelque  temps  incapables  de  travailler; 
elles  sont  soignées  par  leur  mère,  qui  lave  la  plaie  plusieurs 
fois  par  jour,  avec  un  caustique  indigène,  dont  elles  con- 
naissent l'usage;  les  femmes  du  voisinage  vont  chercher 
l'eau  et  le  bois,  dont  elles  ont  besoin. 

«  Le  jour  de  la  circoncision  est  un  jour  de  réjouissance. 
Dès  le  lendemain  et  les  jours  suivants,  les  filles  circon- 
cises vont  accompagnées  d'une  vieille  femme,  se  promener 
dans  le  village,  s'arrêtant  à  chaque  porte,  et  demandant 
assistance;  c'est  la  vieille  qui  porte  la  parole;  les  jeunes 
ne  sortent  jamais  sans  être  armées  d'un  roseau  qu'elles 
tiennent  de  la  main  gauche;  elles  portent  aussi,  dans  cette 
occasion,  un  grand  bonnet  d'homme  sur  la  tète,  dont  la 
pointe  est  soutenue  par  un  morceau  de  bois  flexible,  mis  en 
dedans  pour  le  faire  tenir  debout;  avec  ces  coiffures,  ces 
filles  paraissent  grandes  comme  des  géants.  J'en  ai  vu  qui, 
à  la  place  d'un  roseau,  tenaient  une  flèche  en  fer,  symbole 
de  la  circoncision. 

«Les  gens  à  qui  on  a  demandé  l'hospitalité  pour  les  nou- 
velles circoncises  s'empressent  de  faire,  chacun  à  son  tour, 
un  grand  dîner  ou  souper,  dans  lequel  on  met  du  sel,  et 
qu'on  leur  envoie;  tous  les  amis  et  voisins  suivent  (si  cela 
leur  plaît)  cet  exemple;  mais  ceux  qui  sont  fiancés  ne 
peuvent  s'en  dispenser,  et  ils  envoient  des  dîners  jusqu'à 
l'entier  rétablissement  des  malades,  ce  qui  dure  communé- 
ment environ  six  semaines.  Leurs  pères  (car  elles  ne  logent 
jamais  dans  la  même  case)  leur  envoient  aussi  des  provi- 
sions plus  considérables  qu'à  l'ordinaire  ;  ces  grands  plats 


DOCTRINE,    OBLIGATIONS    LEGALES   ET    PRATIQUES    CULTUELLES      Soy 

de  riz  ou  de  tau  sont  distribués  par  les  mères  aux  voisins  et 
aux  parents,  et,  dans  ces  occasions,  je  n'étaisjamais  oublié  : 
la  bonne  négresse,  ma  gouvernante,  me  donnait  toujours 
ma  part.  » 


CHAPITRE  V 

INFLUENCE  DE   L'ISLAM  DANS  LE  DOMAINE  JURIDIQUE  (i) 


II  n'est  pas  possible  de  faire  ici  un  exposé  complet  des 
coutumes  juridiques  des  sociétés  musulmanes  Malinké  et 
Mandé  Dioula,  qui  vivent  dans  la  Haute-Côte  d'Ivoire.  Au 
surplus,  ce  n'en  est  point  le  lieu.  On  visera  surtout  dans 
les  pages  suivantes  à  prendre  successivement  chacune  des 
grandes  institutions,  civiles,  pénales  et  de  procédure,  de  ces 
peuples  ;  à  signaler  les  empreintes  qu'elles  ont  subies  du  fait 
des  institutions  similaires  des  Malinké  fétichistes  dans 
l'Ouest,  des  Senoufo,  Koulango  et  Abron  animistes,  dans 
le  Centre  et  dans  l'Est  ;  à  marquer  enfin  les  emprunts  réci- 
proques que  les  deux  coutumes  se  sont  faits. 

La  communauté  musulmane  de  la  Haute-Côte  d'Ivoire, 
filiale  de  l'apostolat  soudanais  et  par  lui  des  prosélytismes 
saharien  et  nord-africain  se  rattache  naturellement  et 
d'une  façon  complète  au  rite  malékite.  Les  autres  rites  or- 
thodoxes ou  hétérodoxes  de  l'islam  ne  sont  même  pas  soup- 
çonnés. 

II  est  incontestable  que,  lors  de  leur  arrivée  dans  le  pays, 
ies  musulmans  de  vieille  date  suivaient  dans  l'organisa- 
tion de  la  famille,  dans  les  coutumes  de  la  propriété,  des 
testaments,  dans  les  institutions  pénales  quelques-unes  des 
j)rescriptions    du  Code  coranique,   mais   noyés  dans  une 

(i)  Ce  chapitre  s'inspire  en  maints  endroits  des  notes   de  l'administrateur 

JllPERT. 


INFLUENCE   DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  3oÇ 

masse  fétichiste,  pouvant  difficilement,  par  suite  des  fusions^ 
des  alliances,  des  mariages,  conserver  l'originalité  de  leurs 
institutions,  ils  adoptèrent  la  plupart  des  coutumes  locales 
régissant  leurs  hôtes  fétichistes,  ou  parfois  même  d\irent 
se  plier  à  ces  coutumes.  Il  convient  en  outre  de  ne  jamais- 
oublier  que  les  musulmans  furent  à  peu  près  partout  et  à- 
peu  près  toujours,  ici,  soumis  à  une  autorité  territoriale 
fétichiste  et  qu'ils  durent  toujours  avoir  recours  à  elle,  de 
gré  ou  de  force,  pour  le  règlement  de  ces  affaires.  C'est 
donc  la  coutume  fétichiste  qui  fut  toujours  appliquée  à 
tous,  coutume  sur  laquelle  réagit  inévitablement,  en  beau- 
coup de  points,  la  loi  musulmane.  Le  Droit  musulman^ 
n'est  donc  guère  appliqué  ici  qu'en  principe,  et  ce  que  nous- 
aurons  à  signaler  ne  sera  guère  que  l'exposé  de  ses  infiltra- 
tions dans  la  coutume  animiste. 


I.  —  Institutions  civiles. 

La  famille.  —  La  famille  est  essentiellement  patriar- 
cale, les  liens  de  parenté  s'établissant  par  la  tige  pater- 
nelle, l'alliance  ne  créant  jamais  un  lien  de  droit,  ni  des 
droits  successoraux.  Le  chef  de  la  famille  est  le  père,  ou 
à  la  mort  de  celui-ci,  le  frère  aîné,  si  celui-ci  est  âgé;, 
l'oncle  paternel,  dans  le  cas  contraire.  Nous  verrons  les- 
conséquences  de  ces  faits  dans  les  successions.  Les  femmes 
ne  sont  jamais  chefs  de  famille,  de  même  que  les  captifs, 
puisque  les  unes  comme  les  autres  suivent  l'héritage  et  y 
sont  compris. 

Le  mariage.  —  La  polygamie  est  la  règle  générale.- 
Les  musulmans  appliquent  dans  sa  généralité  la  règle  co- 
ranique :  quatre  femmes  légitimes  et  un  nombre  de  con- 
cubines, limité  seulement  par  la  fortune  de  l'époux. 

Les  femmes   légitimes  (Horo-Mousso,  en  dioula)    sont 


3lO  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

prises  parmi  toutes  les  femmes  du  pays  sans  distinction  de 
religion,  sauf  parmi  les  femmes  de  caste  inférieure  (Nou- 
mou,  griottes,  ou  captives  de  case  ou  de  traite). 

Les  concubines  sont  prises  également  parmi  les  femmes» 
sans  distinction  de  statut,  même  parmi  les  femmes  de 
condition  libre.  Un  homme  de  condition  supérieure  ne 
peut  épouser  une  femme  de  caste  inférieure,  dite  de  Si- 
Diougou  (mauvais  Diamou)  telles  les  griottes,  les  noumou, 
les  Fine,  les  Karangué,  les  Gaoulé,  etc.. 

Une  femme  fétichiste,  épousée  comme  femme  légitime 
est  astreinte  7nora/emenf  à  embrasser  l'islam.  On  emploie 
pour  cela  le  moyen  suivant  :  le  mari  refuse  les  aliments 
qui  lui  sont  préparés  par  cette  femme  ;  deux  cas  se  présen- 
tent alors  :  ou  bien  la  femme  lui  demande  pardon,  et  si 
elle  tient  à  son  mari,  se  convertit,  ou  bien  elle  persiste 
dans  son  attitude,  le  mari  dans  la  sienne,  jusqu'à  ce  que  ce 
dernier  se  lasse,  et,  pour  ne  pas  perdre  sa  dot,  finit  par 
laisser  à  la  femme  sa  liberté  ;  ce  cas  est  très  fréquent,  et  en 
réalité  la  ténacité  de  l'homme  s'émoussc  fort  rapidement. 
On  ne  peut  citer  aucun  exemple  de  répudiation  pour  fait 
de  non-conversion  à  l'islam,  et  pratiquement,  la  liberté 
des  femmes  demeure  complète.  C'est  là  un  des  principaux 
facteurs  de  cette  tolérance  déjà  signalée. 

Les  mariages  doivent  se  faire  en  principe  d'après  la  loi 
musulmane,  pour  les  mariages  mixtes.  En  réalité,  on  suit 
presque  toujours  la  coutume  animiste. 

Les  conditions  de  validité  du  mariage  sont  : 

I"  Le  consentement  du  père  de  la  femme.  En  réalité, 
celui  d'un  frère  cadet  ou  d'un  oncle  de  celui-ci  suffit.  Si 
la  femme  a  déjà  été  mère,  si  elle  est  veuve  ou  divorcée, 
son  consentement  est  requis; 

2°  Le  payement  d'une  dot  (en  dioula,  Fourou  fen,  les 
choses  du  mariage),  payée  par  les  parents  de  l'époux  à 
ceux  de  l'épouse.  On  a  vu  plus  haut  que  cette  condition  de 
la  dot,  indispensable  en  Droit  musulman,  subit  quelques 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    JURIDIQUE  3ll 

atteintes  ici,  et  du  fait  même  des  marabouts.  C'est  ce  qu'on 
appelle  «  les  mariages  de  charité  »  où  un  père  de  famille 
donne  par  piété  sans  dot,  sa  fîUe  à  un  saint  personnage  ; 

3°  Le  témoignage  de  deux  hommes  de  bon  renom.  Ce  sont 
en  réalité  les  gens  qui  vont  porter  aux  parents  de  l'épouse 
le  montant  de  la  dot  (Fourou  Tchilan  =  envoyés  du  ma- 
riage). 

Remarquons  donc  que  chez  les  fétichistes  comme  chez 
les  musulmans,  le  mariage  est  un  véritable  achat  :  don  de 
la  personne  féminine  contre  versement  d'une  dot. 

Seul,  le  consentement  du  père  ou  de  son  ayant  droit  est 
nécessaire;  la  mère  est  à  peine  consultée,  la  fille  jamais. 
Cette  dernière  d'ailleurs  est  habituellement  promise  en 
mariage,  dès  l'enfance  ;  il  arrive  même  parfois  qu'un  chef 
de  famille  hypothèque  en  quelque  sorte  l'avenir,  comme 
dit  Le  Campion,  et  promette  à  un  postulant  la  première 
fille  qu'Allah  lui  enverra.  Cependant,  dans  l'offre  de 
quelques  kolas  que  fait  le  postulant  à  la  jeune  fille  qu'il 
désire,  —  offre  qui  théoriquement  peut  être-rejetée,  —  on 
peut  voir  un  échange  de  promesses  et  par  suite  trouver  la 
trace  d'une  coutume  qui,  à  une  époque  donnée,  exigeait 
probablement  l'acceptation  préalable  de  la  femme,  mais 
peu  à  peu  cette  institution  est  devenue  un  simple  simu- 
lacre; en  fait,  la  femme  ne  peut  refuser  d'accepter  les  kolas 
et  parla  même  d'épouser  l'homme  que  son  père  lui  a  choisi. 

Dans  l'attribution  de  la  dot,  on  constate  une  profonde 
dégradation  ;  au  début,  il  semble  bien  que  la  dot  était  pro- 
priété exclusive  de  la  femme  ;  quelques  rares  musulmans, 
d'ailleurs,  actuellement  encore,  laissent  la  dot  à  la  disposi- 
tion des  femmes,  certains  autres  en  font  deux  parts  :  l'une 
demeure  propriété  de  la  femme  ;  l'autre  part  est  donnée  à 
l'un  des  frères  de  la  femme,  afin  que  ce  dernier  à  son  tour 
puisse  se  marier  en  versant  une  dot,  mais  chez  la  plupart 
des  musulmans,  tout  comme  chez  les  fétichistes,  la  dot  est 
versée  au  père,  qui  en  fait  l'emploi  qui  lui  plaît. 


3l2  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Les  empêchements  au  mariage  sont,  en  principe  ; 

1°  La  trop  grande  parenté.  Le  mariage  entre  cousins- 
germains  est  autorisé;  il  constitue  même  le  cas  le  plus  fré- 
quent, avec  les  mariages  d'oncle  à  nièce  et  de  neveu  à 
tante  ; 

20  La  grossesse,  bien  que  cette  règle  soit  souvent  inob- 
servée ; 

3°  Une  malformation  congénitale  ou  accidentelle  des 
parties  sexuelles  rendant  le  coït  impossible. 

La  différence  de  religion,  de  même  que  la  stérilité  de  la 
femme  ou  du  mari,  ne  constituent  pas  un  empêchement 
valable  au  mariage. 

Chaque  femme  cohabite  durant  trois  jours  et  trois  nuits 
consécutifs  avec  son  mari;  après  quoi,  vient  le  tour  d'une 
nouvelle  femme,  dans  un  ordre  bien  établi.  Il  n'est  dérogé 
à  cette  règle  que  lorsqu'une  femme  vient  d'avoir  ses  mens- 
trues, après  avoir  vu  passer  son  tour.  Le  mari  demande 
alors  aux  autres  femmes  l'autorisation  de  laisser  la  femme 
en  question  partager  sa  couche.  Cette  autorisation  peut  être 
refusée,  et  le  mari  hésite  toujours  à  passer  outre,  craignant 
le  boycottage  des  autres  femmes  à  son  égard,  et  la  jalousie 
vis-à-vis  de  l'épouse,  à  laquelle  il  a  donné  une  marque  de 
faveur  si  évidente. 

Lorsqu'une  femme  vient  d'être  épousée,  elle  a  le  droit 
de  partager  sept  nuits  consécutives  la  couche  de  son  époux, 
si  elle  est  vierge.  Dans  le  cas  contraire,  elle  n'a  droit  qu'à 
trois  nuits  comme  les  autres  femmes,  ayant  seulement  le 
tour  de  priorité.  C'est  la  règle  islamique;  cependant,  dans 
certains  villages,  à  Gomanasso,  par  exemple,  il  n'est  fait 
aucune  différence  entre  vierges  et  non  vierges,  probable- 
ment par  la  raison  évidente  que  bien  peu  de  jeunes  filles 
arrivent  vierges  au  mariage,  et  par  suite,  qu'il  n'y  a  aucun 
motif  avouable  de  les  avantager  au  détriment  de  femmes 
ayant  déjà  été  mariées.  Toutes  ont  droit  à  la  cohabitation 
pendant  sept  jours  avec  le  mari. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  3l3 

Répudiation  et  divorce.  —  L'individu  qui  épouse  une 
jeune  fille  n'use  jamais  de  son  droit  de  répudiation,  s'il  ne 
la  trouve  pas  en  état  de  virginité. 

Le  motif  en  est,  qu'en  cas  de  répudiation,  le  mari  n'a  pas 
le  droit  de  réclamer  le  dot  versée  et  qu'il  préfère  garder  sa 
femme  avec  tache,  ce  à  quoi,  somme  toute,  il  n'attache 
qu'une  importance  secondaire,  que  de  perdre  son  argent. 

Cependant,  autrefois,  la  femme  était  battue  jusqu'à  ce 
qu'elle  indiquât  le  nom  de  son  séducteur.  A  Mankono, 
celui-ci  était  battu  à  son  tour  et  chassé  du  village,  où  il 
revenait  bientôt,  après  avoir  demandé  et  obtenu  son  par- 
don. Dans  d'autres  villages  le  mari  avait  droit  à  une  répa- 
ration pécuniaire. 

Le  divorce  (Talako)  était  extrêmement  rare  du  fait  de  la 
volonté  du  mari;  au  contraire,  le  cas  est  très  fréquent  du 
fait  de  la  femme.  La  cause  en  est  que  les  dots  sont  fort  éle- 
vées, les  fortunes  rares,  et  qu'en  cas  de  répudiation,  le  mari 
n'a  aucun  recours  sur  la  dot  versée.  Au  contraire,  la 
femme,  en  brisant  les  liens  qui  l'attachent  à  son  mari, 
peut  toujours  faire  rembourser  sa  dot  par  son  amant,  de- 
venant son  mari. 

En  principe,  la  femme  peut  être  répudiée,  même  sans 
motif  valable. 

La  femme  ne  peut  guère  d'elle-même  répudier  son  mari, 
ce  qui  est  conforme  au  Droit  musulman.  Elle  n'a  que  le 
droit  de  demander  le  divorce  à  l'autorité  légale,  autrefois 
au  roi  du  pays  (massa  ou  farhama),  aujourd'hui  à  nos 
postes  administratifs.  Elle  ne  s'en  prive  guère,  et  pratique- 
ment, la  plupart  du  temps  c'est  par  la  femme  qu'est  rompue 
l'union  conjugale. 

La  femme  est  considérée  comme  ayant  un  plein  droit  au 
divorce,  sous  réserve  que  celui-ci  soit  prononcé  par  l'auto- 
rité territoriale  —  remarquons-le,  toujours  fétichiste  et  ja- 
mais musulmane  —  dans  les  cas  suivants  : 

I"  Preuve   de   l'incapacité  du  mari  au  coït,  attestée  en 


3 14  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'i VOIRE 

particulier  par  la  non-défîoration  de  la  femme.  Ce  cas  est 
extrêmement  rare; 

2'^  Continence  volontaire  du  mari  pendant  quatre  mois 
consécutifs.  A  chacune  de  ses  périodes  menstruelles,  la 
femme  doit  demander  pardon  à  son  mari.  Si  le  mari  refuse 
de  reprendre  ses  relations  et  déclare  la  répudier,  l'almamy 
a  le  droit  de  rendre  à  la  femme  sa  liberté.  Le  cas  est  rare, 
sauf  dans  certaines  localités,  par  exemple  à  Bouandougou; 

3**  Accusation  d'adultère  et  désaveu  de  paternité  par  le 
mari.  Le  serment,  dans  ce  cas,  est  imposé  aux  deux  par- 
ties. Si  la  femme  jure  qu'elle  est  innocente,  et  prouve 
par  deux  témoins  mâles  et  honorables,  ou  par  quatre 
femmes  dignes  de  foi,  qu'elle  n'a  point  failli,  —  la  preuve 
de  la  fausseté  de  l'accusation  du  mari  est  considérée 
comme  faite.  Celui-ci  est  alors  attaché  et  battu.  La  fa- 
mille supplie  l'épouse  outragée  de  lui  pardonner.  Si  elle 
refuse  trois  fois,  l'almamy  la  délie  de  ses  liens  et  lui  confie 
son  enfant,  même  s'il  est  prouvé  que  l'époux  divorcé  en 
est  bien  le  père. 

Lorsqu'un  homme  a  demandé  une  femme  en  mariage, 
qu'il  a  obtenu  le  consentement  de  la  femme,  si  elle  est 
émancipée,  ou  celui  du  père,  si  elle  est  mineure,  et  enfin 
qu'il  a  versé  la  dot,  il  n'a  droit  qu'à  la  moitié  de  celle-ci  s'il 
revient  sur  sa  décision  et  répudie  sa  fiancée,  même  si  le 
mariage  n'a  pas  été  consommé. 

La  répudiation  par  consentement  mutuel  est  tolérée, 
mais  il  est  défendu  à  l'un  des  époux  d'accepter  de  l'autre 
aucune  compensation. 

Les  contestations  de  faible  gravité  étaient  réglées  autre- 
fois par  l'alimamou,  mais  l'une  des  parties  avait  toujours 
le  droit  d'en  appeler  devant  le  chef  territorial. 

Retraite  légale.  —  Sur  ce  point,  l'influence  du  droit  mu- 
sulman est  à  peu  près  complète.  Le  délai  de  viduité  est 
pour  les  femmes  légitimes   de  4   mois  et  10  jours;  pour 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  3l5 

les  concubines  et    les    non-libres  de  2    mois   et  5    jours. 

Le  délai  de  divorce,  est  de  trois  Kourou  (périodes  mens- 
truelles). A  chaque  menslrue,  la  femme,  qui  est  d'ailleurs 
surveillée  par  de  vieilles  femmes,  demande  pardon  au  mari 
qui  peut  la  reprendre,  jusques  et  y  compris  la  troisième 
époque  menstruelle.  Après  refus  du  pardon  au  troisième 
trouble  menstruel,  la  répudiation  devient  définitive. 

Si  la  femme,  pendant  trois  mois,  ne  voit  pas  ses  règles, 
trois  nouveaux  mois  sont  encore  ajoutés  à  cette  première 
retraite  légale  puis  une  nouvelle  période  de  trois  mois.  A 
chaque  période  trimestrielle,  la  femme  implore  le  pardon 
du  mari,  qui  peut  la  reprendre  jusqu'à  l'accouchement. 
Après  celui-ci,  le  divorce  devient  irrévocable  et  l'enfant 
revient  au  père. 

A  noter,  conformément  au  droit  musulman,  qu'après  la 
triple  répudiation,  ou  après  l'accouchement,  le  mari  n'a 
plus  le  droit  de  reprendre  sa  femme.  Il  ne  le  peut  qu'après 
un  mariage  réel  de  celle-ci  avec  un  tiers,  suivi  de  répudia- 
tion, divorce  ou  veuvage. 

Pendant  la  retraite  légale,  la  femme  doit  demeurer  dans 
la  case  où  le  mari  l'a  placée,  sous  la  surveillance  de  vieilles 
femmes  ;  le  mari  pourvoit  à  sa  nourriture,  à  moins  que 
ce  soit  la  femme  qui  réclame  le  divorce,  auquel  cas  elle  est 
libre  de  ses  actes,  et  le  mari  n'est  astreint  ni  à  sa  nourri- 
ture, ni  à  son  logement,  ni  à  son  entretien. 

Aucun  délai  n'est  imposé  aux  femmes  réputées  adul- 
tères. 

Il  existe  quelques  cas  où  des  femmes  ont  imposé  et  obtenu 
—  bon  gré  mal  gré  —  la  monogamie  à  leur  mari.  Mais 
c'est  là  une  grande  exception,  qu'on  ne  trouve  guère  que 
dans  quelques  lieux,  par  exemple  à  Séguéla,  chez  les 
Barhayorho. 

Nous  avons  vu  qu'un  homme  libre  musulman  n'a  pas 
le  droit  de  prendre  une  femme  Noumou  ou  griotte  de 
diamou,  dit  Sidiougou,  Fine,  Doumbia,  Diéri,   Karangué, 


3l6  ÉTUDES   SUR    l'islam   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Gaoula,  etc.,  même  si  celle-ci  est  musulmane.  Exception- 
nellement, à  Mankono,  des  femmes  Noumou,  même  non 
musulmanes,  peuvent  épouser  des  marabouts.  A  vrai  dire, 
aucune  interdiction  n'impose  à  ceux-ci  le  devoir  de  ne 
point  épouser  des  griottes.  C'est  simplementla  peur  de  voir 
celle-ci  mal  accueillie  par  les  autres  femmes  et  lui-même 
de  voir  son  intérieur  transformé  en  enfer.  Aucune  femme, 
en  effet,  de  condition  libre  ou  non,  mais  de  diamou  en 
quelque  sorte  aristocratique,  ne  pourra  jamais  admettre 
pour  elle  la  cohabitation  avec  une  griotte,  et  pour  son 
mari  des  relations  sexuelles  avec  celles-ci. 

Monogamie.  —  La  monogamie  est  la  règle  chez  les 
pauvres,  qui  ne  sont  pas  assez  riches,  non  pour  entre- 
tenir deux  femmes,  car  les  femmes  par  leur  travail  et  les 
enfants  qu'elles  donnent  constituent  en  elles-mêmes  une 
richesse,  mais  pour  payer  deux  dots.  Celles-ci  sont  en  effet 
relativement  élevées  et  varient  entre  260  et  5. 000  francs, 
ou  tout  au  moins  consistent  en  bétail,  captifs  (autrefois), 
pagnes,  kolas,  et  sombé,  représentant  ces  valeurs.  Les 
dots  dépassant  mille  francs  sont  fréquentes  ;  celles  infé- 
rieures à  25o  francs  sont  rares,  à  moins  de  tares  parti- 
culières du  côté  de  la  femme.  On  conçoit,  dans  ces  condi- 
tions, que  le  mari  supporte  de  sa  femme  beaucoup  plus  que 
ce  que  celle-ci  ne  supporte  de  lui ,  tous  les  noirs  du  pays  sont 
en  effet  sous  la  dépendance  réelle,  sinon  apparente,  de 
leurs  femmes,  et  beaucoup  sont  de  véritables  martyrs,  et 
ensuite  que  la  monogamie  soit  relativement  fréquente.  Aussi 
les  femmes  légitimes  sont-elles  gardées  jusqu'à  leur  plus 
extrême  vieillesse,  sans  être  répudiées.  On  ne  cite  qu'un 
cas  (rapporté  parRipert,  celui  de  Saïdi  Karamorho  à  Man- 
kono) de  répudiation  pour  cause  de  vieillesse,  sur  le  seul 
désir  du  mari  de  remplacer  une  femme  légitime,  par  trop 
usagée,  par  une  jeune  femme  pouvant  lui  donner  des 
enfants. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  "i  IJ 

Filiation.  —  Le  mari  a  toujours  le  droit  de  garder  les 
enfants,  même  s'il  sait  pertinemment  que  Penfantest  né  de 
relations  adultères.  S'il  répudie  la  femme  pour  adultère, 
et  s'il  ne  peut  prouver  l'illégitimité  de  l'enfant,  celui-ci 
revient  à  sa  mère;  mais  s'il  ne  répudie  pas  sa  femme, 
l'enfant  est  réputé  comme  son  fils.  L'adage  Is  pater  quem 
justse  nuptise  demonstrant  est  appliqué  ici  intégra- 
lement. 

D'autre  part,  l'enfant  illégitime,  né  des  relations  d'une 
femme,  libre  de  tous  liens  matériels,  avec  son  amant, 
revient  à  la  mère,  sans  que  le  père  putatif  puisse  élever 
légalement  la  moindre  prétention  à  son  égard. 

L'adoption  d'orphelins  est  fréquente,  beaucoup  plus 
fréquente  et  beaucoup  plus  facile  que  dans  le  droit  musul- 
man. Dans  ce  cas  l'optif  est  à  la  disposition  du  père  adoptif, 
mais  il  ne  peut,  en  aucun  cas,  prétendre  à  un  héritage, 
même  s'il  reste  seul  ;  l'héritage  dans  ce  cas  revient  aux 
collatéraux. 

L'adoption  n'entraîne  matériellement  aucun  devoir  ni 
aucun  droit  de  l'optif  vis-à-vis  de  l'adoptif  ou  réciproque- 
ment. En  somme  l'optif  est  considéré  comme  un  membre 
éloigné  de  la  famille,  recueilli  par  pure  charité,  mais  ne 
prenant  jamais  au  sein  de  la  famille  une  place  au  milieu 
des  enfants. 

Puberté.  Majorité.  —  L'âge  de  la  puberté  se  reconnaît 
pour  l'homme  : 

i"  Aux  changements  de  la  voix. 

2°  Aux  pollutions  nocturnes. 

3°  A  l'apparition  des  pilosités  sur  le  corps. 

Le  père,  lorsqu'il  s'aperçoit  que  son  enfant  change  de 
caractère,  et  que  sa  voix  devient  plus  grave,  lui  fait  revêtir 
un  bila  (pagne  intime),  de  couleur  noire  et  le  fait  coucher 
sur  une  peau  de  mouton  très  blanche.  Au  bout  de  quel- 
ques nuits,  le  père  examine  le  bila  ;  s'il  le   trouve    souillé. 


3l8  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

la  peau  de  mouton  est  examinée  attentivement.  Si  des  poils 
s'y  trouvent,  c'est  que  l'enfant  a  déjà  vu  apparaître  sur 
son  corps  la  pilosité  annonciatrice  de  l'âge  adulte.  Il  est 
donc  pubère  et  en  âge  de  prendre  femme. 

L'âge  de  la  puberté  se  reconnaît  chez  la  femme  à  l'appa- 
rition du  flux  menstruel  ;  elle  est  surveillée  par  des  vieilles 
femmes  qui  discrètement  examinent  son  bila. 

()n  remarque  l'extrême  pudeur  de  ces  examens  intimes, 
qui  étonnent  chez  des  gens  qu'on  pourrait  croire,  au  pre- 
mier abord,  brutaux  et  tentés  de  recourir  immédiatement 
à  la  preuve  certaine  et  immédiate,  tirée  de  l'examen  physio- 
logique. C'est,  qu'en  effet,  est  considéré  comme  sacrilège, 
à  part  le  cas  de  force  majeure,  en  particulier  pour  les 
témoins  de  l'adultère,  le  coup  d'oeil  indiscret  sur  les  parties 
sexuelles  d'autrui.  Cette  pudibonderie  est  fort  réelle  et 
vraiment  invétérée  chez  les  noirs  musulmans  du  pays,  et 
surtout  à  l'égard  des  enfants. 

Pour  les  garçons,  l'âge  du  mariage  suit  immédiatement 
l'âge  de  la  puberté,  si  les  parents  sont  en  état  déverser  une 
dot.  Pour  les  filles,  l'époque  de  la  puberté  est  suivie,  à 
plus  ou  moins  grande  distance,  par  l'excision,  à  la  suite  de 
laquelle  suivant  le  plus  ou  moins  bon  vouloir  des  parents, 
elle  est  donnée  au  mari  qui  lui  est  réservé.  Il  lui  est  laissé 
entre  temps  la  plus  grande  liberté  dont  elle  use  généra- 
lement sans  mesure. 

Tutelle.  —  Lorsque  le  père  meurt,  ses  biens  reviennent, 
d'après  la  coutume  musulmane  de  ces  pays,  à  son  fils  aîné. 
Si  celui-ci  n'est  pas  en  âge  d'entrer  en  jouissance  de  l'héri- 
tage, ou  plutôt  s'il  n'est  pas  de  force  à  le  défendre  contre 
la  rapacité  de  ses  oncles  paternels,  ceux-ci  s'en  emparent 
et  l'héritier  est  considéré  comme  placé  en  tutelle  chez  celui 
qui  le  recueille  à  l'égal  de  ses  fils. 

Le  mineur  émancipé  a  le  droit  de  réclamer  l'héritage 
paternel,  et  il  ne  s'en  prive  point.  C'est  là  une  source  très 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE    JURIDIQUE  3l9 

abondante  de  querelles  familiales  portées  aux  tribunaux 
indigènes.  Mais,  le  plus  souvent,  le  tuteur  a  peine  à  rendre 
intact  l'héritage  dont  il  a  pris  la  garde;  presque  toujours 
celui-ci  est  impitoyablement  dévoré.  Le  tuteur  se  dérobe 
et  invoque  presque  toujours  le  paiement  de  dots  au  bénéfice 
du  pupille  ou  le  remboursement  de  dettes  contractées  par  le 
frère  décédé.  Le  mineur  émancipé  pouvait,  s'il  était  puis- 
sant et  bien  appuyé,  se  faire  rendre  justice  par  l'autorité 
territoriale  régnante,  mais  le  plus  souvent  ses  plaintes 
étaient  laissées  sans  suite,  s'il  était  pauvre  et  faible.  Les 
sociétés  maiinké  et  mandé-dioula,  musulmane  comme 
animiste,  étaient  trop  profondément  anarchiques  pour  que 
ne  se  manifestât  pas  chez  elles  cet  indice  de  toutes  les 
sociétés  de  ce  genre;  la  loi  sans  fixité,  toujours  au  service 
du  plus  fort  et  du  riche,  et  essentiellement  variable,  sui- 
vant les  individualités,  auxquelles  elle  était  appliquée. 
Presque  toujours,  d'ailleurs,  le  mineur  spolié  protestait 
platoniquement  et  attendait  avec  patience  le  moment  où 
la  mort  de  l'oncle  indélicat  lui  permettrait  d'user  à  son 
tour  d'autorité  et  même  de  violence  vis-à-vis  de  ses  cousins, 
et  le  mettrait  à  même  de  rentrer  en  possession  de  ses  biens 
paternels,  quitte  lui-même  à  prélever  sur  l'héritage  de  ses 
cousins,  la  part  la  plus  grosse  possible,  et  de  spolié,  deve- 
nir à  son  tour  spoliateur. 

Propriété.  —  La  terre  appartient  en  principe  à  l'auto- 
rité territoriale  régnant  sur  la  région.  C'est-à-dire  dans  la 
pratique,  en  pays  maiinké,  aux  chefs  de  canton  (Massa  ou 
Farhama)  toujours  non  musulmans.  En  pays  Senoufo,  Kou- 
lango  ou  Abron,  le  sol  appartient  au  fondateur  de  la  ville, 
Senoufo,  Koulango  ou  Abron,etjamaisaux  immigrants  man- 
dé-dioula. C'est  l'autochtone  qui  est  le  «  maître  de  la  terre», 
soit  par  droit  d'occupation,  soit  par  cession,  issue  dans  le 
lointain  des  âges  du  droit  de  conquête.  Mais  c'est  là  seule- 
ment le  principe  et  il  n'est  appliqué  intégralement  qu'aux 


320  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM   EN    CÔTE   d'iVOIRE 

seules  terres  mortes.  Autour  des  villages,  les  terrains  de 
culture  sont  dévolus  à  chacune  des  familles,  habitant  le 
village,  qui  en  sont  les  propriétaires  indivises.  La  conti- 
nuité des  cultures  suburbaines  a  développé  considéra- 
blement dans  beaucoup  de  familles,  et  même  chez  des  indi- 
vidus, le  sentiment  de  la  propriété  privée,  et  elles  ne  sont 
pas  loin  de  considérer  leur  droit  comme  une  sorte  de 
dominium,  analogue  à  notre  propriété  privée.  C'est  là 
un  sentiment  nouveau  dont  il  faut  tenir  compte,  le  cas 
échéant. 

A  l'intérieur  de  chaque  secteur  familial,  chacun  fait  son 
champ  où  il  lui  plaît,  sans  qu'aucune  autorité  familiale 
vienne  fixer  à  chacun  le  terrain  qu'il  doit  cultiver.  Les 
terres  sont  malheureusement  toujours  suffisamment  vastes 
et  la  population  trop  clairsemée  pour  que  jamais  ne  surgisse 
la  moindre  contestation  au  sujet  du  choix  des  terrains  de 
culture.  Les  terrains  cultivés  sont  considérés  comme  la 
propriété  provisoire  de  celui  qui  les  met  en  valeur,  mais 
son  droit  de  propriété  tombe  du  jour  où  il  a  abandonné 
son  terrainpour  établir  ailleurs  ses  cultures.  Aussitôtenvahî 
par  la  brousse,  le  terrain  précédemment  occupé  peut  l'être 
à  nouveau  par  un  nouvel  individu  de  la  même  famille, 
sans  que  le  précédent  possesseur  puisse  élever  la  moindre 
prétention  à  son  sujet,  hormis  sur  les  arbres  qu'il  a  pu 
planter:  bananiers,  palmiers,  etc.,  qui  demeurent  sa  pro- 
priété personnelle,  sans  possibilité  d'indivision. 

Les  membres  d'une  famille  étrangère  ne  peuvent,  en 
principe  s'installer  sur  le  terrain  d'une  autre  famille  que 
d'une  façon  temporaire  et  avec  l'autorisation  expresse  du 
chef  de  famille. 

Les  forêts  sont  propriété  indivise  de  la  famille,  si  elles 
sont  situées  dans  le  secteur  dévolu  aux  cultures  de  la 
famille,  sauf  les  palmiers,  qui  sont  considérés  comme  pro- 
priété d'une  individualité  bien  déterminée  et  transmissibles 
par  héritage.  Il  en  est  de  même  des  kolatiers.  Cependant 


Les    NaMOUTOUGUI    de    fÉREXTÉLA. 


Cl.  Le  Campion. 


A    CÔTÉ    DE    GaHOUÉ. 

L'arbre  de  Moussa  Barhavorho. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  321 

le  cours  des  marigots,  et  les  forêts  qui  les  bordent,  même 
situés  sur  les  terrains  dévolus  à  une  famille,  sont  resnullius 
et  exploitables  par  n'importe  quel  individu,  pourvu  qu'il 
appartienne  au  village.  Seuls  les  palmiers  restent  la  pro- 
priété individuelle  d'un  membre  de  la  famille,  propriétaire 
des  terrains  de  culture  que  traversent  les  marigots  auprès 
desquels  ils  sont  placés. 

Il  est  remarquable  quelesarbresà  huile  et  à  graisse  (téman 
kobi  et  karité  dans  le  nord)  appartiennent  à  tout  le 
monde,  et  que  chacun  est  libre  de  faire  la  récolte  des  fruits 
de  ces  arbres,  même  situés  dans  les  terrains  culturaux  d'une 
famille  autre  que  la  sienne. 

Les  cases  appartiennent  à  celui  qui  les  a  construites, 
même  s'il  a  été  aidé,  ce  qui  est  toujours  le  cas,  par  toute  sa 
famille. 

Dans  l'intérieur  des  villages,  un  terrain  est  dévolu  tradi- 
tionnellement à  chaque  famille.  Sur  ce  terrain,  chacun 
choisit  l'emplacement  de  ses  cases.  L'occupation  équivaut 
alors  à  la  propriété  et  nul  ne  peut  prétendre  à  la  propriété  du 
terrain,  si  celui-ci  est  bâti,  sauf  si  le  réclamant  a  protesté, 
avant  la  construction  de  ces  cases,  ou  s'il  était  absent,  lors- 
qu'elles furent  édifiées.  Ces  terrains,  extrêmement  morcelés, 
mais  malgré  tout  sans  valeur,  puisque  les  villages  ont  tou- 
jours un  champ  d'extension  illimité,  ne  peuvent  être  cédés; 
ils  peuvent  être  donnés  gracieusement  à  un  autre  membre 
de  la  même  famille,  ou  exceptionnellement,  mais  sans 
avoir  besoin  de  l'autorisation  du  chef  de  famille,  à  un 
membre  d'une  famille  étrangère,  mais  jamais  en  principe, 
à  un  fétichiste,  et  réciproquement. 

Les  mosquées  de  quartier  sont  propriété  indivise  de  la 
famille  qui  les  a  élevées,  même  la  mosquée-cathédrale  qui 
appartient  à  la  famille  fournissant  héréditairement 
l'almamy,  bien  que  toute  la  communauté  musulmane,  et 
souvent  aussi  fétichiste,  y  ait  travaillé. 

Les  puits  sont  la  propriété   de  celui  qui  les  a  creusés  à 


'322  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

condition  qu'il  les  ait  creusés  sur  son  propre  terrain  ur- 
bain. Il  ne  peut  en  interdire  l'accès  à  un  membre  de  sa 
famille,  malgré  son  titre  de  propriété  indiscuté,  si  le  puits 
est  creusé  sur  le  terrain  collectif  de  la  famille;  de  même, 
il  ne  peut  défendre  l'usufruit  de  son  puits  à  aucun  membre 
de  la  communauté  urbaine,  si  le  puits  est  creusé  sur  une 
terre  du  souverain. 

Les  arbres  fruitiers,  palmiers,  dattiers,  manguiers,  etc., 
plantés  dans  les  villages,  appartiennent  à  celui  dont  la 
case  se  trouve  en  face  de  l'arbre  planté. 

En  principe,  nous  l'avons  vu,  la  terre  est  la  propriété  du 
souverain  (Massa  ou  Farhama)  régnant  sur  le  pays.  Les 
limites  de  chaque  canton,  même  dans  ses  parties  les  plus 
éloignées  et  les  plus  désertes,  sont  fort  bien  déterminées  par 
des  accidents  géographiques  naturels. 

Dans  la  pratique,  la  famille  du  souverain  territorial  ne 
se  différencie  en  rien  des  autres  familles.  Elle  a,  comme 
les  autres,  autour  du  village,  un  secteur  bien  déterminé  de 
terres  de  cultures,  et  s'y  trouvant  très  suffisamment  au 
large,  le  Massa  ne  songe  guère  à  empiéter  sur  les  secteurs 
voisins. 

En  réalité,  étaient  seulement  considérées  comme  terres 
du  souverain  les  terres  situées  hors  des  limites  des  terrains 
de  culture  des  villages;  chacun  avait  pourtant  le  droit  de 
parcours  sur  ces  terrains  et  possédait  le  droit  d'y  chasser, 
même  sans  autorisation,  même  s'il  appartenait  à  un  canton 
différent,  à  condition  qu'une  épaule  de  tout  quadrupède 
abattu,  et,  pour  l'éléphant,  une  des  défenses,  au  choix  du 
Massa,  soient  offertes  à  ce  dernier.  Chacun  avait  également 
le  droitdecueillette  desgraines  grasses  (taman  et  kobi)  sauf 
des  amandes  de  palme  qui  étaient  la  propriété  de  gens  bien 
déterminés. 

En  principe,  le  droit  de  pêche  sur  les  rivières  traversant 
ou  bordant  les  terrains  de  villages  ou  de  canton  appartient 
à  la  communauté  tout  entière,  sans  distinction  de  famille; 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    JURIDIQUE  323 

mais  dans  la  réalité,  comme  aucune  surveillance  n'était 
exercée,  parce  qu'impossible,  n'importe  qui,  appartenant 
ou  non  à  la  communauté,  pouvait  impunément  exercer  ce 
droit. 

La  propriété  transmissible  par  héritage  ne  peut  rester 
dans  l'indivision,  la  coutume  locale  ne  prévoyant  l'héritage 
qu'au  profit  d'un  seul  frère,  ou  fils  aîné,  suivant  le  statut 
du  défunt,  à  l'exclusion  de  tous  les  autres  collatéraux. 
Cependant  la  propriété  acquise  peut  fort  bien  rester  indi- 
vise ;  un  troupeau,  un  champ  peut  normalement  apparte- 
nir indivis  à  plusieurs,  mais,  un  seul  animal,  âne,  cheval, 
bœuf  ou  mouton,  ne  peut  l'être,  sauf  s'il  a  été  acheté  dans 
le  but  bien  déterminé  d'être  revendu  avec  bénéfice,  s'il 
s'agit  d'un  cheval  ou  d'un  âne,  d'être  abattu,  s'il  s'agit  d'un 
animal  de  boucherie;  chacun  est  payé  alors  sur  le  produit 
de  la  vente,  le  partage  étant  fait  proportionnellement  aux 
parts  apportées  par  chacun. 

Cependant,  il  arrive  souvent  qu'une  vache  soit  achetée 
avec  des  kolas  appartenant  à  divers  individus.  Ne  pouvant 
rester  indivise,  puisqu'elle  est  destinée  à  la  reproduction  et 
non  à  la  boucherie,  l'un  des  acheteurs  doit  restituer  aux 
autres  leur  part  avancée.  En  cas  de  différend,  l'animal  est 
vendu  à  un  tiers,  étranger  à  l'affaire,  aucun  des  co-ache- 
teurs  n'ayant  normalement  droit  de  préemption. 

Enfin  il  arrive  souvent  qu'un  terrain  soit  cultivé  simul- 
tanément, d'un  commun  accord,  par  deux  ou  plusieurs 
individus;  s'il  s'agit  de  céréales,  la  récolte  est  partagée 
entre  les  co-propriétaires  du  lougan,  proportionnellement 
au  nombre  d'individus  que  chacun  y  a  employés,  chacun 
retirant  d'abord  la  quantité  de  grain  qu'il  a  apportée  comme 
semence;  les  gerbes  de  riz  sont  alors  entassées  en  autant 
de  tas  qu'il  y  eut  de  travailleurs,  employés  au  champ,  et 
chaque  chef  de  famille  réunit  ensemble,  pour  en  former 
des  meules,  les  tas  afférents  à  chacun  des  parents  qui  ont 


324  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM   EN    CÔTE   d'tVOIRE 

travaillé  pour  lui.  S'il  s'agit  d'ignames,  chacun  prélève 
d'abord,  dans  une  ou  plusieurs  files  de  monticules,  les 
semences  apportéçs  au  champ  commun,  puis  les  files  de 
buttes  supportant  les  plans  d'ignames  sont  successivement 
attribuées  à  chacun  des  travailleurs  ayant  participé  au  tra- 
vail jusqu'à  ce  que  la  limite  du  champ  soit  atteinte.  Chaque 
chef  de  famille  compte  alors  le  nombre  de  rangées  de 
buttes  appartenant  aux  membres  de  sa  famille  et  le  lougan 
se  trouve  ainsi  partagé  proportionnellement  au  travail 
fourni  par  chacun  des  co-partageants. 

La  question  d'usufruits  de  la  propriété  foncière  et  immo- 
bilière ne  se  pose  point,  la  terre  n'ayant  pas  de  valeur 
intrinsèque  et  n'en  acquérant,  chaque  année,  que  par  le 
travail  déployé  à  la  surface. 

Pour  la  propriété  mobilière,  en  ce  qui  concerne  le  bétail, 
le  tuteur  —  c'est  le  cas  le  plus  fréquent  —  a  l'usufruit  du 
troupeau,  c'est-à-dire  la  jouissance  du  laitage,  et  la  posses- 
sion des  jeunes  animaux,  nés  au  cours  de  la  tutelle.  Mais 
ce  n'est  là  qu'un  principe.  En  réalité,  nous  l'avons  vu  plus 
haut,  l'orphelin  en  tutelle  ne  revoit  jamais  les  biens  pa- 
ternels. 

A  droit  encore  à  l'usufruit,  mais  seulement  en  ce  qui 
concerne  le  laitage,  celui  à  qui  est  confié  le  troupeau  d'un 
individu  parti  en  voyage,  ou  malade;  les  veaux  restent  la 
propriété  du  possesseur  du  troupeau.  L'usufruitier  n'est  pas 
responsable  des  accidents  survenus  sans  sa  faute.  En  cas 
d'accident  grave,  l'animal  est  abattu  et  débité  devant  té- 
moins. Le  produit  de  la  vente  revient  intégralement  au 
propriétaire.  L'usufruitier  est  responsable  des  dégâts  com- 
mis par  les  bœufs  dont  il  a  l'usufruit,  et  paie  en  principe 
les  dommages  et  intérêts  pour  les  dégâts  commis.  Souvent 
aussi  il  off"re  le  bœuf  ayant  causé  le  différend,  et  l'individu 
au  préjudice  duquel  les  dégâts  ont  été  commis  doit  accepter, 
même  s'il  y  perd  par  suite  de  l'importance  des  dégâts. 
Cependant  si  l'usufruitier  arrive  à  prouver  par  deux  témoins 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE    JURIDIQUE  325 

qu'il  soigne  et  surveille  le  bétail  à  lui  confié,  et  qu'en  par- 
ticulier il  le  rentre  chaque  soir  et  le  recherche,  s'il  ne  le 
découvre  pas  à  la  tombée  de  la  nuit  près  du  village,  il  est 
de  règle  admise  que  l'usufruitier  soit  déchargé  de  sa  res- 
ponsabilité qui  incombe  alors  au  nu-propriétaire. 

Il  est  de  règle  générale  de  donner  à  l'usufruitier  le  pre- 
mier veau,  issu  d'une  vache,  née  de  celle  à  lui  confiée.  Si 
la  vache  confiée  n'a  que  des  taureaux,  sa  troisième  portée 
appartient  à  l'usufruitier. 

En  ce  qui  concerne  les  volailles  — c'est  là  le  cas  le  plus 
fréquent,  et  c'est  une  source  intarrissable  de  petites  dis- 
putes —  celui  à  qui  la  basse-cour  est  confiée,  prend,  pour 
chaque  poule,  un  poussin  à  la  première  couvée,  deux  à  la 
seconde,  un  à  la  troisième  et  ainsi  de  suite. 

Aux  moutons  et  aux  chèvres  est  appliquée  la  règle  indi- 
quée pour  les  bovidés. 

Les  servitudes  n'existent  en  aucune  façon.  En  principe 
chacun  passe  où  il  veut,  même  au  milieu  des  lougans. 
Réciproquement  chacun  avait  le  droit  de  faire  son  champ 
où  bon  lui  plaisait,  même  au  milieu  du  chemin.  Les  cul- 
tivateurs ne  se  gênaient  point  pour  barrer  les  sentiers,  à 
condition  de  prendre  la  précaution  d'augmenter  l'obstacle 
avec  une  haie  d'épines,  sinon  tout  le  monde  prenait  le  droit 
de  traverser  les  cultures.  C'est  ce  qui  explique  la  sinuosité 
extrême  des  sentiers  dans  les  terrains  de  cultures.  Le  droit 
de  pâturage  est  absolu;  les  bœufs  vont  où  ils  veulent,  sans 
la  moindre  surveillance,  même  dans  les  lougans.  Le  pro- 
priétaire est  d'ailleurs  responsable  des  dégâts  commis.  En 
plusieurs  points  pourtant,  à  Mankono  par  exemple,  il 
n'était  pas  d'usage  d'accorder  des  réparations  pécuniaires; 
aussi  les  propriétaires  de  cultures  ne  se  privaient  point 
après  quelques  avertissements  au  propriétaire  du  bœuf, 
de  trancher  d'un  coup  de  sabre  le  tendon  de  la  cuisse 
de  l'animal,  et  le  propriétaire,  à  son  tour,  ne  pouvait  pré- 


320  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

tendre  à  une  réparation  quelconque  pour  la  perte  éprou- 
vée. 

Privilèges.  — Les  dettes  sont  en  nombre  incalculable,  et 
bien  peu  à  moins  d'y  être  forcés  se  soucient  de  les  payer.  Les 
recours  sont  d'ailleurs  difficiles,  la  fortune  étant  rare,  et 
surtout  essentiellement  mobile.  Aussi,  avant  notre  arrivée, 
régnait  la  coutume  de  saisir  soi-même  d'autorité  les  biens 
du  débiteur,  si  on  arrivait  à  les  connaître.  C'est  de  là,  du 
reste,  ainsi  que  des  affaires  de  femmes,  que  résultait  prin- 
cipalement l'extraordinaire  anarchie  que  nous  trouvâmes 
ici.  Car  envers  le  débiteur  insolvable,  on  ne  se  contentait 
pas  du  recours  contre  sa  fortune;  elle  était  le  plus  souvent 
introuvable;  si  les  bœufs,  les  pagnes,  les  sombé,  étaient 
soigneusement  cachés,  il  ne  pouvait  en  être  de  même  des 
membres  de  la  famille  du  débiteur.  Aussi  ses  captifs,  ses 
filles,  ses  fils  étaient-ils  souvent  arrêtés  et  vendus  pour  sol- 
der la  créance.  Souvent  même,  si  les  membres  directs  de  la 
famille  se  cachaient,  on  arrêtait  un  membre  éloigné,  voire 
un  habitant  du  même  village  que  le  débiteur.  Les  parents 
directs  de  l'individu  faisaient  pression  sur  le  débiteur  et  le 
forçaient  à  payer.  S'il  refusait  ou  s'il  ne  le  pouvait  pas,  les 
membres  de  la  famille  de  l'individu  arrêté  prenaient  à  leur 
compte  la  créance  et  la  soldaient.  Le  plus  souvent,  la  petite 
tragédie  se  renouvelait  entre  le  débiteur  récalcitrant  et  ses 
nouveaux  créanciers;  la  famille  du  débiteur  prenait  d'ail- 
leurs souvent  en  désespoir  de  cause  la  décision  de  le  vendre 
comme  captif. 

On  voit  que  c'était  là  un  régime  d'arbitraire  et  de- vio- 
lence, sans  aucun  droit  de  préemption,  et  sans  privilège 
autre  que  celui  du  plus  fort. 

En  principe,  quiconque  n'appartient  pas  à  la  commu- 
nauté ne  peut  s'installer  sur  les  terres  d'autrui,  même  res 
nullius,  sans  l'autorisation  de  l'autorité  territoriale.  Une 
fois  accordée,  cette  autorisation  ne  peut  d'ailleurs  être  reti- 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  827 

rée.  La  jouissance  devenait  définitive,  équivalant  à  la  pos- 
session. Puis,  par  des  accords  successifs,  les  limites  des 
terres  étaient  déterminées;  une  communauté  nouvelle  au- 
tonome existait. 

Le  cas  s'est  souvent  produit,  surtout  à  Kong,  à  Bon- 
doukou,  à  Séguéla,  pour  les  captifs  de  case,  au  moment  où 
les  non-libres  furent  libérés  en  masses.  Ne  pouvant  s'éloi- 
gner des  lieux  où  ils  étaient  nés,  les  captifs  de  case  deman- 
dèrent ainsi  aux  familles^  qui. les  avaient  possédés,  de  rester 
sur  les  emplacements  où  ils  avaient  toujours  vécu.  Après 
maintes  difficultés  et  après  recours,  suivant  la  coutume,  à 
l'autorité  territoriale,  en  l'espèce  le  poste  administratif,  les 
captifs  furent  autorisés  à  jouir  en  toute  propriété  des  ter- 
rains de  culture  que  leur  village  de  cultures  avait  tradi- 
tionnellement occupés. 

Peuvent  cultiver  de  plein  droit,  dans  les  terres  indivises 
d'une  famille  : 

1°  Les  parents  consanguins  ou  seulement  par  alliance 
d'un  membre  quelconque  de  la  famille; 

2'J  L'étranger,  hôte  d'un  membre  de  la  famille,  avec  l'au- 
torisation de  son  hôte  seulement; 

3°  Un  membre  de  la  famille  généralisée,  c'est-à-dire  de 
même  diamou,  môme  indésirable,  et  déjà  chassé  de  son 
village,  à  condition  qu'il  n'ait  pas  été  renié  publiquement 
par  les  siens  comme  membre  de  la  famille  généralisée, 
privé  de  son  diamou  par  la  formule  traditionnelle  :  «  Tu 
n'es  plus  un  Bamba  »  par  exemple. 

Vente.  Donation.  —  Le  terrain  n'ayant  pas  de  valeur, 
même  dans  les  agglomérations  urbaines  indigènes,  n'est 
jamais  vendu.  Il  peut  être  donné  sous  réserve  du  chef  de 
famille.  Les  palmiers  à  huile  et  les  kolatiers  peuvent  être 
cédés  ou  donnés  par  leur  propriétaire,  sans  que  celui-ci 
soit  tenu  d'en  demander  l'autorisation  au  chef  de  famille. 


328  ÉTUDES   SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Bail.  Nantissement.  -^  Le  bail  au  comptant  n'est  pas 
connu.  Le  nantissement  (Rahnou-Raiin)  est  par  contre 
d'un  usage  courant  et  s'étendait  à  toutes  les  formes  de  la 
propriété  mobilière,  même  aux  individus. 

Comme  garantie  d'une  somme  prêtée,  on  mettait  en  ga- 
rantie non  seulement  les  bœufs,  les  pagnes,  les  bracelets 
d'argent  et  les  anneaux  d'or,  même  les  livres  des  membres 
de  la  famille  restreinte,  mais  encore  les  captifs  et  même  les 
individus  de  condition  libre. 

Le  contrat,  verbal  toujours,  était  le  plus  souvent  le  sui- 
vant :  la  garantie  est  accordée  pour  un  délai  déterminé,  à 
la  suite  duquel  le  créancier  a  droit,  en  principe,  après  trois 
sommations  infructueuses,  faites  devant  témoins,  de  mettre 
à  son  tour  l'objet,  l'animal  ou  l'individu  gagés  en  garantie 
chez  un  tiers;  sauf  décision  de  l'autorité  territoriale,  il 
n'avait  pas  le  droit  de  procéder  à  une  vente  définitive  des 
gages;  si  le  produit  obtenu  dans  la  nouvelle  mise  garantie, 
ou,  le  cas  échéant,  dans  la  vente,  était  supérieur  au  montant 
de  la  créance,  le  surplus  n'était  versé  au  débiteur,  mais  en 
cas  de  moins  valeur,  le  débet  était  à  la  charge  du  débiteur, 
contrairement  aux  règles  ordinaires  du  «  Rahn  »,  établies 
par  les  juristes  musulmans. 

L'objet  gagé  est  toujours  remis  au  créancier  qui  consi- 
dère, en  l'absence  de  preuve,  ou  de  stipulation  contraire 
formulée  devant  témoins,  que  la  dette  est  égale  à  la  valeur 
du  gage. 

Le  gagiste  a  l'usufruit  du  travail  des  captifs  ou  des  per- 
sonnes mises  en  garanties,  sauf  travail  excessif  ou  acci- 
dents, hors  le  cas  de  force  majeure,  entraînant  la  déprécia- 
tion ou  la  réduction  de  la  capacité  de  production,  ou  la 
mort,  auquel  cas  la  créance  est  ou  bien  considérée  comme 
éteinte  ou  bien  subit  des  réductions  après  discussion.  Si  la 
valeur  de  l'individu  est  prouvée  supérieure  à  la  créance,  le 
surplus  en  est  remboursé  par  l'usufruitier  au  nu-proprié- 
taire. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    JURIDIQUE  2)2^ 

En  ce  qui  concerne  les  femmes  libres  mises  en  garantie, 
le  gagiste  n'a  que  le  droit  d'usufruit  de  leur  travail. 

Pour  les  non-libres  mises  en  garantie,  le  gagiste  n'a  le 
droit,  ni  de  les  forcer  à  la  prostitution  ni  les  contraindre 
au  concubinage  légal.  En  réalité,  si  le  gagiste  est  une 
femme,  la  première  règle  n'est  jamais  remplie,  et  le  pre- 
mier soin  de  celle-ci  est  de  se  faire  la  proxénète  de  la  nou- 
velle venue;  si  le  gagiste  est  un  homme,  il  ne  se  gène 
guère  pour  user  et  abuser  du  gage. 

Mais  en  aucun  cas,  les  enfants  nés  au  cours  d'une  mise 
en  garantie  ne  sont  la  propriété  du  créancier.  Les  libres 
sont  considérés  comme  les  fils  du  mari  légal  de  la  femme 
gagée,  les  captifs  comme  ceux  du  patron  de  la  femme 
gagée.  Enfin  des  réductions  sont  imposées  souvent  en  cas 
de  grossesse  malheureuse  ou  maladies  contractées  par  les 
femmes  forcées  à  la  cohabitation  avec  les  hommes,  durant 
leur  mise  en  garantie. 

Successions.  —  Le  droit  musulman  n'est  jamais  suivi  en 
matière  de  succession. 

Voici  du  reste  comment  se  passaient  les  choses  à  la  mort 
d'un  individu.  Dès  sa  mort,  le  frère  aîné  du  défunt  préle- 
vait un  bœuf  sur  l'héritage,  le  tuait  et  le  partageait  avec  les 
fils  du  défunt  ;  il  prélevait  également  200  paquets  de  sombé 
et  les  répartissait  également  entre  les  fils  du  mort.  Ceux- 
ci,  à  leur  tour,  distribuaient  dans  le  village  et  la  viande  et 
les  sombé.  C'est  là  ce  qu'on  appelle  honorer  le  mort,  et 
une  partie  de  la  viande  et  des  sombé  servaient  à  gaver  lit- 
téralement les  amis  du  défunt,  présents  aux  funérailles. 
Ces  points  sont  communs  aux  musulmans  et  aux  féti- 
chistes. 

Après  la  cérémonie  des  funérailles,  le  fils  aîné  du  défunt 
prend,  s'il  est  en  âge,  possession  des  biens  paternels.  S'il 
est  trop  jeune  pour  se  préserver  de  la  rapacité  des  oncles, 
ce  sont  ceux-ci  qui  deviennent  les    maîtres  de  l'héritage, 


33o  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

quitte  à  en  rendre  compte  plus  tard  à  l'aîné  de  leurs 
neveux,  qui  en  général  feront  comme  eux  à  l'égard  des  fils 
de  leur  soi-disant  tuteur. 

Les  femmes  n'ont  droit  à  aucune  part  des  biens;  de 
même  les  captifs,  puisque  les  unes  comme  les  autres  font 
partie  intégrante  de  l'héritage.  Cependant,  si  les  captifs 
reviennent  en  principe  au  fils  aîné  du  défunt,  les  femmes 
sont  normalement  dévolues  après  avoir  purgé  la  retraite 
légale,  aux  frères  du  défunt.  En  cas  de  refus  de  l'une  des 
femmes  de  cohabiter  avec  l'un  des  frères  du  mari  décédé, 
celui-ci  lui  fait  épouser  un  tiers  et  encaisse  la  dot  convenue. 
C'est  là  une  véritable  vente  déguisée  sous  le  nom  de  mariage. 

Les  filles  des  femmes,  ainsi  passées  aux  oncles,  sont 
placées  sous  la  tutelle  légale  de  ceux-ci,  qui  les  font  marier 
à  leur  guise,  et  reçoivent  de  leur  gendre  la  dot  convenue. 
Les  fils  travaillent  dans  ses  lougans,  mais  reçoivent  de  leur 
oncle  une  épouse  à  l'âge  de  la  puberté. 

Il  n'y  a  dans  tout  cela  qu'un  simple  déplacement  de  la 
coutume  fétichiste;  l'héritier  normal  unique,  qui,  dans 
cette  coutume,  est  le  frère  aîné  du  mort  devient,  chez  les 
musulmans  le  fils  aîné,  s'il  est  en  âge.  Il  convient  d'ajouter 
que  l'héritage  suit  la  coutume  fétichiste  intégralement  en 
ce  qui  concerne  les  femmes  du  défunt;  les  fils  ne  pouvant 
naturellement  pas  hériter  de  leurs  mères,  ou  cohabiter 
avec  l'une  des  autres  femmes  de  leur  père,  ce  sont  les  frères 
du  défunt  qui  en  héritent,  exactement  comme  chez  les  fé- 
tichistes. 

Dans  la  pratique,  ces  règles  sont  tempérées  par  la  cou- 
tume suivante;  le  fils  aîné,  seul  héritier  du  père,  à  l'exclu- 
sion de  tous  les  frères  et  des  frères  et  des  femmes  du  défunt, 
doit  normalement  à  sa  mort,  laisser  ses  biens  à  ses  fils  à 
l'exclusion  de  ses  propres  frères  et  oncles.  En  réalité,  si  le 
fils,  héritier  normal  du  défunt,  n'est  pas  de  force  à  résister, 
il  est  placé  en  tutelle  chez  l'aîné  de  ses  oncles,  qui  recueille 
tout  l'héritage. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    JURIDIQUE  33 1 

On  voit  que,  là  encore,  l'arbitraire  et  le  droit  du  plus  fort 
sont  la  règle. 

Si  le  défunt  ne  laisse  ni  frères,  ni  fils,  l'héritage  revient 
au  parent  le  plus  rapproché. 

Les  femmes,  étant  elles-mêmes  comprises  comme  va- 
leur transmissibles,  ne  sont  jamais  susceptibles  d'hériter  de 
leur  mari.  Si  celui-ci  est  étranger  au  pays,  l'héritage  n'est 
pas  dévoré  immédiatement  par  l'hôte,  chez  lequel  le  défunt 
avait  séjourné  au  moment  de  sa  mort.  Si  l'héritage  est  ré- 
clamé parles  ayants-droit,  les  droits  de  ceux-ci  étant  affir- 
més par  des  témoins  dignes  de  foi,  l'héritage  est  remis  à 
ceux-ci  et  la  femme,  même  si  elle  est  originaire  du  pays 
où  est  mort  son  mari,  doit  suivre  l'héritage  et  passe  au 
frère  aîné  de  son  époux  défunt,  ainsi  que  ses  enfants.  Si 
l'héritage  n'est  pas  réclamé,  l'hôte  garde  purement  et  sim- 
plement les  biens  de  l'étranger,  mais  la  femme  est  libérée 
de  tout  lien  à  son  égard.  Si  elle  a  un  enfant,  l'hôte  le  prend 
en  tutelle,  et  lui  rembourse  en  principe  (mais  cela  n'a 
jamais  lieu)  les  biens  paternels,  lors  de  son  émancipa- 
tion. 

En  réalité,  la  femme  d'un  étranger  enlève  toujours  le  ou 
les  enfants  qu'elle  a  eus  de  lui,  et  lorsqu'elle  voit  son  époux 
gravement  malade,  met  en  sûreté  la  plupart  des  biens  qu'il 
possède  et  une  fois  en  possession  de  ceux-ci,  elle  devient, 
son  époux  mort,  l'unique  héritière  de  fait,  et  la  tutrice  de 
son  enfant. 

Avant  l'enterrement  même,  les  créanciers  sont  mandés 
auprès  du  corps  du  défunt.  L'héritier  de  droit  ou  de  fait 
demande  à  haute  voix  aux  créanciers  de  faire  connaître  leurs 
créances.  On  procède  alors  à  l'examen  de  celles-ci,  et  à  leur 
vérification  par  déclarations  de  témoins.  Il  arrive  souvent 
que  des  créanciers,  amis  du  mort,  renoncent  à  la  créance; 
dans  le  cas  contraire,  ils  sont  régulièrement  payés  après 
l'enterrement.  De  toute  façon,  le  fils  aîné,  héritier  normal, 
devient  l'héritier  des  créances    et   des  dettes   paternelles, 


332  ÉTUDES    SUR   l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

même  s'il  est  placé  en  tutelle  et  si  son  oncle  seul  est  l'héri- 
tier de  fait. 

Testaments.  —  Le  testament  écrit  n'existe  pas.  Lorsqu'un 
homme  est  malade,  il  appelle  ses  fils,  et  leur  nomme  ses 
créanciers  et  ses  débiteurs.  De  son  vivant  encore,  il  peut 
faire  don  à  l'un  de  ses  fils  ou  à  l'une  de  ses  femmes, 
d'une  part  de  sa  fortune,  mais  il  est  admis  que  la  valeur 
n'en  doit  pas  dépasser  cinquante  francs.  S'il  passe  outre 
à  celte  règle,  l'héritier  normal  —  ou  de  fait  —  attend  la 
mort  du  donateur  et  retire  des  mains  de  celui  ou  de  celle 
qui  a  été  Tobjet  de  la  donation  les  sommes  ou  valeurs 
excédant  les  cinquante  francs  réguliers.  De  même,  le 
moribond  ne  peut  avouer  une  fausse  créance  dans  le  but 
d'avantager  après  sa  mort  Tune  de  ses  femmes  ou  l'un  de 
ses  enfants  ou  bien  un  parent  ou  même  un  étranger,  ses 
déclarations  étant  faites  sous  bénéfice  d'inventaire,  à  titre 
de  simple  indication,  mais  ne  constituant  pas  une  preuve; 
les  créanciers  après  la  mort  du  débiteur  doivent  en  effet 
apporter  la  preuve  par  témoins  et  par  serment,  de  la  vali- 
dité et  de  la  réalité  de  leur  créance. 

Ripert  rapporte  le  cas  d'un  marabout  de  Mankono  qui, 
près  de  sa  mort,  fit  appeler  son  fils  aîné  et  lui  recommanda 
de  partager  ses  biens  à  sa  mort  entre  ses  fils  et  ses  femmes 
par  parties  égales.  Ce  n'était  pas,  on  le  voit,  le  partage 
légal  institué  par  les  juristes  musulmans,  beaucoup  trop 
compliqué  pour  être  jamais  d'une  application  courante  ici, 
mais  c'était  là  une  tentative  pour  s'en  rapprocher,  tenta- 
tive d'autant  plus  intéressante  que  ses  prescriptions  furent 
loyalement  et  intégralement  suivies. 

Il  y  aurait  là,  semble-t-il,  une  base  intéressante  de  réformie 
de  la  société  noire,  en  ce  qui  concerne  l'héritage,  et  un 
acheminement  vers  un  mieux-être  et  vers  plus  de  régula- 
rité et  de  justice.  Il  est  vraiment  révoltant  que  nous  fer- 
mions chaque  jour    les  yeux  pour  nous  conformer  à  une 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS   LE    DOMAINE    JURIDIQUE  333 

coutume  à  peine  fixée  et  en  tout  cas  barbare,  sur  les  dénis 
de  justice,  les  vols,  les  abus  de  confiance,  et  le  cynisme 
qui  entourent  toutes  les  dévolutions  d'héritages.  Comme 
avant  notre  conquête,  le  droit  du  plus  fort  est  le  droit,  et 
les  plus  faibles  sont  dépouillés  impitoyablement.  Nous 
pourrions  sans  peine,  au  moins  chez  les  musulmans,  ap- 
porter dans  les  successions  plus  de  régularité,  plus  de  jus- 
tice, et  aussi  plus  de  moralité,  en  obligeant  les  indigènes  à 
abandonner  leurs  pratiques  anciennes,  et  à  établir  une 
règle  uniforme  de  succession,  conformément  à  l'exemple 
cité  plus  haut;  ce  serait  là  une  œuvre  intéressante  et  de  la 
plus  haute  justice. 

En  ce  qui  concerne  les  contrats,  disons  simplement  qu'un 
large  crédit  était  en  honneur  chez  les  musulmans,  ce  qui 
est  naturel  dans  une  société  aux  tendances  commerciales 
si  développées.  Conformément  au  droit  écrit,  mais  aussi  à 
la  coutume,  l'exclusion  de  tout  intérêt  était  formelle.  Il  est 
vrai  que  les  cadeaux,  obligatoires  en  quelque  sorte,  rem- 
placent avantageusement  le  prêt. 


2.  —  Institutions  pénales. 

Principe.  — Au  point  de  vue  pénal,  la  justice  n'est  basée 
que  sur  l'idée  de  compensation  ;  l'idée  de  défense  sociale, 
de  talion  et  de  vengeance  n'entrant  jamais  en  ligne  de 
compte.  Toute  la  sommaire  organisation  judiciaire  locale 
découle  de  ce  principe. 

Est  considérée  comme  faute,  tout  acte  entraînant  un 
dommage  physique,  matériel  ou  moral  pour  celui  qui  en 
est  la  victime.  11  suit  de  là  que  toute  infraction  à  l'égard 
des  individus  est  considérée  sous  l'angle  spécial  de  l'intérêt 
individuel,  sans  qu'intervienne  une  seule  fois  l'idée  d'inté- 
rêt social.  Par  suite,  toute  infraction,  civile  ou  pénale,  n'est 
envisagée  que  sous  l'angle  civil  du  dommage  causé  à  l'in- 


334  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

dividu  et  par  voie  de  conséquence,  ne  donne  pas  droit  à 
une  sanction  pénale,  mais  seulement  à  des  dommages-in- 
térêts. 

L'action  sociale  était  en  quelque  sorte,  fixée  par  le 
Farhama,  qui,  en  sus  de  la  réparation  du  dommage  causé, 
allouait  à  la  victime  une  indemnité,  sur  laquelle  il  préle- 
vait une  large  part. 

En  principe,  l'auteur  de  l'infraction  est  responsable  de 
ses  actes.  Cependant,  en  cas  de  fuite  ou  d'insolvabilité,  la 
famille  substitue  sa  responsabilité  collective  à  celle  indivi- 
duelle de  l'auteur  de  l'infraction.  Et,  comme  nous  l'avons 
vu  plus  haut  (dettes,  saisies),  il  arrivait  souvent  que  la 
communauté  de  la  famille  généralisée,  ou  même  du  village 
du  délinquant,  soit  rendue  collectivement  responsable  de 
l'un  de  ses  membres;  c'était  là  une  affaire  où  la  puissance 
de  la  famille  lésée  avait  la  plus  grande  part.  Les  peines 
étaient  infligées  par  l'autorité  territoriale,  en  principe 
absolue. 

Infractions.  —  Toute  infraction  relève,  en  principe,  du 
pouvoir  territorial.  Par  suite,  les  infractions  de  caractère 
sacrilège,  telles  que  le  blasphème,  l'action  de  souiller  les 
livres  saints,  la  sorcellerie,  les  discours  contraires  au  Coran, 
à  la  Sonna  et  aux  hadith,  l'ivresse  et  la  rupture  volon- 
taire et  sans  compensation  consécutive  du  jeûne  du  rama- 
dan, soumises  à  l'autorité  du  Farhama  fétichiste,  doi- 
vent demeurer  impunies;  par  suite  de  cette  impunité,  leur 
gravité,  si  considérable  aux  yeux  des  musulmans  intégraux, 
s'est  émoussée,  et  ces  infractions  ne  sont  citées  que  pour 
mémoire  :  elles  ne  comptent  pas. 

Le  meurtre,  la  rébellion  étaient  soumis  à  la  sentence  du 
Farhama,  et  punis  de  fortes  amendes  et  dommages-intérêts. 
L'adultère  et  la  fornication  étaient  punis  en  principe,  mais 
ces  infractions  étaient  réellement  trop  fréquentes  pour  que 
la  théorie  pût  être  confirmée  par    les  faits.    Une   douce 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  335 

indulgence,  presque  une  complicité,  régnait  partout,  sur- 
tout à  l'égard  des  femmes  mariées.  En  ce  qui  concerne  la 
fornication,  si  les  relations  sexuelles  de  la  jeune  fille  avec 
son  amant  avaient  lieu  avant  le  mariage  de  celle-ci,  son 
époux  pouvait  simplement  battre  le  séducteur  et  le  faire 
chasser  du  village,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  obtenu  son 
pardon. 

Le  brigandage  était  considéré  commetrès  grave.  Il  régnait 
cependant  partout.  La  seule  sanction  était  la  mort  par 
suite  de  légitime  défense  des  individus,  victimes  d'une 
tentative  de  brigandage  ;  les  brigands  capturés  étaient  en 
effet  décapités  sur  place,  lorsqu'il  y  avait  possibilité  maté- 
rielle de  leur  résister  et  de  les  repousser. 

L'homicide  par  imprudence  n'était  pas  puni.  Il  faisait 
simplement  l'objet  d'une  transaction  entre  le  meurtrier 
involontaire,  et  la  famille  de  la  victime.  Le  Farhama  n'y 
intervenait  que  rarement.  Le  plus  souvent  la  transaction 
variait  entre  un  et  trois  bœufs. 

Les  coups  et  blessures  se  réglaient  également  le  plus 
souvent  à  l'amiable.  Lorsque  l'affaire  était  portée  devant 
le  Farhama,  celui-ci  condamnait  celui  ou  ceux  qui  étaient 
reconnus  coupables  à  5  paquets  de  sombé,  celui  ou  ceux 
qui  avaient  raison  à  2  paquets  de  sombé  d'amende,  s'ils 
avaient  répondu  aux  coups  ;  dans  le  cas  contraire,  l'agres- 
seur payait  5  paquets  de  sombé.  Ces  amendes  étaient 
versées  au  Farhama.  Si  l'agresseur  avait  fait  usage  d'un 
sabre  ou  d'un  couteau,  l'amende  était  portée  à  un  bœuf, 
et  le  blessé  recevait  une  indemnité.  Si  l'affaire  s'était 
passée  dans  la  famille,  on  faisait  tout  pour  ne  pas  l'ébruiter 
et  on  la  réglait  à  l'amiable,  afin  d'éviter  le  versement  au 
Farhama  des  amendes. 

Le  vol  était  puni  du  remboursement  à  la  partie  volée  du 
montant  de  la  valeur  dérobée,  augmenté  d'une  indemnité 
égale  à  deux  fois  le  montant  de  la  valeur  dérobée  ;  par 
exemple,  le  vol  d'un  bœuf  était  puni  du    remboursement 


336  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

de  trois  bœufs.  Un  de  ces  bœufs  revenait  au  Farliama 
pour  prix  de  sa  justice.  Dans  ce  cas  encore,  la  famille  du 
voleur  mettait  tout  en  œuvre  pour  régler  à  l'amiable  la 
question   du  remboursement  et  celle  des  compensations. 

L'infraction  n'est  jamais  atteinte  par  la  prescription, 
puisque  en  cas  de  fuite  du  délinquant,  sa  famille  implore  le 
pardon  de  la  famille  lésée,  et  en  son  absence,  traite  des 
compensations  et  des  remboursements  à  effectuer.  Une 
fois  ces  conventions  exécutées,  le  délinquant  pouvait  tran- 
quillement rentrer  chez  lui.  L'action  pénale  et  l'action 
civile  étaient  éteintes,  et  il  n'était  plus  responsable  que  vis- 
à-vis  de  ses  parents  ou  de  son  chef  de  famille. 

En  cas  de  vols  répétés  ou  d'infraction  fréquentes,  com- 
mises parle  même  individu,  chacune  donnait  lieu  à  des 
compensations,  la  famille  était  tenue  pécuniairement  res- 
ponsable de  ces  fautes,  jusqu'au  jour  où,  fatigué,  le  père  ou, 
à  son  défaut,  le  chef  de  famille  déclarait  réparer  une  der- 
nière fois.  Le  délinquant  récidiviste  était  alors  chassé  et 
l'on  avertissait  tout  le  monde  qu'il  n'avaitplus  le«diamou» 
de  la  famille,  qu'on  ne  répondait  plus  de  ses  actes,  et  que 
celui  qui  l'accueillerait  en  prendrait  la  responsabilité.  Le 
plus  souvent  la  famille  lasse  de  payer,  le  vendait  comme 
captif.  Ces  deux  manières  de  procéder  mettaient  fin  à  la 
responsabilité  familiale. 

La  famille  était  tenue  de  réparer  une  seule  fois;  en  cas 
de  récidive,  elle  livrait  purement  et  simplement  à  la  famille 
de  la  victime  le  meurtrier  qui  était  mis  à  mort.  Ainsi 
donc,  le  père  avait  toujours  le  pouvoir  de  faire  mettre  son 
fils  à  mort;  on  voit  que  le  seul  cas  où  la  peine  capitale 
était  prononcée  était  toujours  soumis  à  l'approbation  même 
à  la  volonté  du  père  du  criminel,  ou  à  celle  de  son  chef  de 
famille. 

Les  peines  afférentes  au  meurtre  étaient:  trois  bœufs  ou 
un  captif,  représentant  le  prix  du  sang  ;  et  douze  bœufs 
représentant  les  dommages-intérêts.  Tout  était  versé  à  la 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE   JURIDIQUE  BSy 

famille  de  la  victime,  qui  devait  donner  au  Farhama  une 
partie  des  dommages-intérêts,  suivant  les  exigences  de 
celui-ci.  S'il  pouvait  payer  lui-même,  l'affaire  était  fini; 
sinon  la  famille  payait  et  le  meurtrier  devenait  responsable 
vis-à-vis  d'elle.  La  mort  n'était  infligée  que  sur  la  volonté 
même  du  père  du  meurtrier,  qui  livrait  son  enfant  à  la 
famille  de  la  victime  —  nous  avons  vu  dans  quelles  circon- 
stances —  et  dans  le  cas  de  flagrant  délit. 

Dans  le  cas  de  meurtres  entre  deux  familles  ennemies, 
la  famille  de  la  victime  tentait  par  tous  lesmoyens  de  se  sai- 
sir du  meurtrier  et  le  mettait  purement  et  simplement  à 
mort. 

Vol.  —  Les  voleurs  n'avaient  jamais  la  main  coupée. 
Ils  étaient  roués  de  coups,  s'ils  étaient  pris  en  flagrant 
délit. 

Adultère.  —  L'amant  était  fouetté  de  verges  et  chassé 
du  village.  Il  faisait  implorer  le  pardon  du  mari  trompé 
et,  l'ayant  obtenu,  rentrait  dans  le  village.  Encore  cette  pro- 
cédure n'était-elle  applicable  qu'aux  seuls  séducteurs  de 
jeunes  filles  avant  leur  mariage. 

Récidive.  —  La  récidive  était  punie  de  verges  pour  les 
délits  de  peu  d'importance,  tels  que  injures  publiques  envers 
le  Farhama,  le  père,  ouïe  chef  de  famille. 


3.  —  Procédure. 

La  procédure  était  rudimentaire.  Ou  bien  l'infraction 
était  commise  dans  sa  propre  famille  par  le  délinquant; 
le  chef  de  famille 'arrangeait  à  l'amiable,  entre  parties  le 
diff'érend,  s'il  était  de  faible  gravité  .  En  cas  de  meurtre, 
même  à  l'intérieur  delà  famille,  le  Farhama  ou  Massa   se 


338  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

saisissait  d'office  de  l'affaire,  afin  qu'elle  ne  fût  pas  arrangée 
à  l'amiable  par  le  chef  de  famille. 

En  cas  de  délit,  commis  par  un  individu  sur  un  membre 
d'une  communauté  autre  que  la  sienne,  le  chef  de  famille, 
accompagné  du  père  du  délinquant,  s'abouchait  avec  le 
chef  de  la  famille  lésée  et  tentait  de  régler  l'affaire  à 
l'amiable.  En  cas  de  mésentente,  l'affaire  était  portée  au 
Farhama. 

En  cas  de  meurtre,  si  le  meurtrier  et  sa  victime  appar 
tenaient-  à  des  familles  différentes,  la  procédure  était  la 
même,  mais  l'entente  était  généralement  impossible. 

Le  Farhama  se  faisait  alors  «  tirer  l'oreille  »  pour  se  sai- 
sir de  l'affaire,  les  pots-de-vins  à  lui  versés  grossissant 
chaque  jour,  il  se  décidait  enfin  à  ouvrir  l'enquête  et  à 
régler  l'affaire, 

La  procédure  était  simple  ;  elle  était  faite  par  le  Farhama 
avec  plus  ou  moins  d'impartialité  :  cela  dépendait,  en 
effet,  de  ia  quantité  d'épices,  reçues  de  part  et  d'autre.  Il 
était  aidé  surtout  par  les  investigations  de  ia  famille  de  la 
victirpe.  Lorsque  l'affaire  est  en  état,  elle  vient  au  Tribu- 
nal, composé  en  l'espèce  du  seul  Farhama  qui  juge  en  der- 
nier ressort  et  sans  appel  possible,  et  qui  exécute  en  même 
temps  la  sentence  prononcée.  Le  Farhama  a  donc  en  mains 
non  seulement  l'autorité  territoriale  et  administrative, 
mais  encore  l'autorité  juridique  et  le  pouvoir  d'exécution. 
Cette  autorité  d'exécution  est  d'ailleurs  déléguée  le  plus 
souvent  au  chef  de  famille  du  meutrier  du  délinquant, 
puisqu'il  est  responsable  pécuniairement. 

On  voit  que  cette  autorité  absolue  du  Farhama  soumet 
d'une  façon  intégrale  tous  ses  sujets,  sans  distinction  de 
religion  à  sa  loi;  il  juge  suivant  sa  coutume,  et  daigne 
parfois  s'éclairer  des  lumières  des  notables,  et  rarement  de 
l'almamy.  Il  n'y  a  donc  rien  d'étonnant  à  ce  que  la  cou- 
tume indigène  fétichiste  ait  été  adoptée  partout,  et  qu'elle 
se  soit  introduite  même  dans  la  vie  privée  des  musulmans^ 


INFLUENCE    BE   l'JSLAM    DANS    LE    DOMAINE   JURIDIQUE  339- 

Le  Farhama  juge  en  principe  seul,  d'une  façon  souve- 
raine. Il  ne  fait  que  rarement  appel  à  l'arbitrage.  Cependant 
pour  les  contestations  de  différends  entre  familles  musul- 
manes, il  faisait  quelquefois  appel  à  l'arbitrage,  sous  ré- 
serve de  son  approbation,  de  l'almamy  du  village  et  des  chefs 
des  collectivités  intéressées. 

La  preuve.  —  La  preuve  était  considérée  comme  acquise 
en  cas  d'aveu  de  l'inculpé  même  s'il  était  réputé  ne  pas 
jouir  de  la  plénitude  de  ses  facultés  mentales.  En  cas  de 
dénégation,  la  preuve  était  obtenue  par  témoignage. 

Le  témoignage  de  deux  femmes  pouvait  seulement  rem- 
placer le  témoignage  d'un  homme;  celui  d'un  captif  d.e 
confiance  valait  celui  d'un  homme  libre.  Le  témoignage 
d'un  témoin  sans  moralité  n'était  pas  valable.  Lorsque  les  té- 
moins étaient  connus  comme  honnêtes  et  incapables  de 
mentir,  leur  témoignage  suffisait,  et  n'était  même  pas  fait 
sous  serment;  si  leur  moralité  était  inconnue,  on  faisait 
appel  à  des  témoins  de  moralité  connaissant  intimement 
le  témoin  cité  et  connus  eux-mêmes  pour  leur  parfaite 
bonne  foi. 

Les  témoins  de  moralité  inconnue  ou  douteuse  étaient 
toujours  astreints  au  serment. 

Le  témoignage  d'un  fétichiste  était  valable  à  Végard  de 
celui  d'un  musulman,  s'il  était  connu  comme  de  parfaite 
moralité;  s'il  était  inconnu,  il  était  soumis  à  la  déposition 
de  témoins  de  moralité  ;  s'il  était  suspect,  sa  déposition 
n'était  pas  valable. 

Cette  manière  de  procéder,  cette  valeur  des  témoignages 
est  en  contradiction  absolue  avec  les  textes  juridiques  mu- 
sulmans, mais  elle  découle  logiquement  de  la  sujétion  poli- 
tique des  musulmans  à  l'autorité  territoriale  fétichiste. 

Le  témoignage  d'un  griot,  d'un  forgeron  ou  du  membre 
d'une  famille  de  mauvais  diamou  (Sidiougou)  était  admis 
à  l'égal  de  celui  d'un  musulman  de  caste  supérieure,  s'il 


3-jO  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE   d'iVOIRE 

était  lui-même  musulman;  ou  d'un  fétichiste  de  bonnes 
mœurs,  s'il  était  de  moralité  certaine.  Il  était  soumis  au 
témoignage  de  deux  témoins  de  moralité,  s'il  était  inconnu. 
Entin  son  témoignage  n'était  pas  admis,  si  sa  moralité 
était  douteuse.  C'est  là  le  principe  ;  mais  en  réalité  les  griots, 
habiles  à  parler,  mais  aussi  les  plus  menteurs  et  les  plus 
amoraux  des  noirs,  étaient  toujours  très  écoutés;  les  ora- 
teurs avaient  toujours  le  plus  grand  succès. 

Le  témoignage  de  mineurs,  musulmans  ou  fétichistes, 
était  toujours  admis,  même  contre  une  personne  majeure 
ou  musulmane,  à  condition  qu'il  fût  prouvé  ou  de  touie 
évidence  que  ce  témoignage  n'avait  pas  été  dicté  par  un 
homme  d'âge. 

Un  seul  témoin  n'apporte  jamais  la  preuve.  La  règle 
testis  unus,  testis  nullus  est  appliquée  intégralement  dans 
tous  les  cas. 

Pour  toutes  affaires,  le  témoignage  de  deux  témoins 
honorables,  par  suite  celui  de  quatre  femmes,  connues 
pour  leur  moralité,  suffit,  sauf  pour  les  affaires  d'adul- 
tère, où  sont  requis  obligatoirement,  pour  que  la  preuve 
soit  faite,  les  témoignages  de  quatre  témoins  honorables, 
ayant  constaté,  dans  tous  ses  détails,  l'acte  de  copulation. 

La  présomption  est  réputée  comme  preuve,  si  l'accusa- 
tion émane  de  la  victime  elle-même,  si  celle-ci  est  consi- 
dérée comme  de  toute  moralité,  même  si  elle  est  fétichiste 
et  si  elle  accuse  un  musulman. 

Elle  est  considérée  comme  indice  grave  de  culpabilité  si 
la  victime  est  inconnue  ou  bien  si  elle  est  connue  comme 
sans  moralité. 

Le  témoignage  d'un  seul  témoin  mâle  ou  de  deux  femmes 
connues  pour  leur  moralité  est  considéré  comme  simple 
présomption.  Celui  d'une  seule  femme,  comme  sans  va- 
leur. 

Le  double  témoignage  de  deux  étrangers,  absolument 
inconnus,  même  fait  sous  serment,  est  considéré  comme 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    JURIDIQUE  341 

non  valable,  puisque  nul  ne  peut  répondre  de  leur  mora- 
lité. 

Pouf  les  fétichistes,  le  serment  requis,  qui  donnait  à  leur 
témoignageune  valeur  juridique  égale  à  celui  des  musulmans 
était  à  la  disposition  du  Farhama.  Il  consistait  en  pratiques 
fétichistes  diverses  :  manger  un  kola,  manger  une  pincée 
de  terre,  boire  une  calebasse,  en  répétant  :  «  Que  je  meure, 
si  je  ne  dis  pas  la  vérité.  » 

Pratiques  fétichistes.  —  En  cas  de  grave  présomption, 
non  étayée  par  des  témoignages  certains,  l'accusé  est  sou- 
mis au  serment.  S'il  jure,  il  est  laissé  en  liberté.  S'il  refuse 
de  jurer,  la  présomption  devient  une  preuve.  S'il  était 
fétichiste,  un  serment  spécial  était  également  exigé;  un 
fusil  posé  à  terre  sur  lequel  saute  l'accusé.  Ce  serment 
avait  la  même  valeur  que  celui  d'un  musulman  jurant  sur 
le  Coran. 

En  principe,  mais  seulement  en  principe,  la  preuve 
n'était  pas  recherchée  par  des  châtiments  corporels,  infli- 
gés à  l'accusé  ou  aux  témoins  présumés.  L'aveu,  arraché 
ainsi  à  l'accusé,  n'avait  pas  en  tout  cas  la  même  valeur 
juridique  que  celui  fait  en  toute  liberté,  à  moins  qu'il  ne 
fût  vérifié  par  les  faits.  En  réalité,  le  Farhama  se  pri- 
vait point  d'infliger  la  question  au  moyen  de  pratiques 
barbares  ;  coups  de  fouet,  privation  de  nourriture,  liens,  etc. 
Ces  pratiques  n'étaient  pas,  à  vrai  dire,  d'un  usage  cou- 
rant; elles  ne  s'appliquaient  surtout  qu'à  des  cas  particu- 
liers, accusation  par  rumeur  publique,  présomptions  si 
graves  qu'elles  équivalaient  à  la  certitude.  Les  musulmans 
les  admettaient  fort  bien.  Jamais,  du  reste,  il  ne  leur  était 
imposé  de  pratiques  fétichistes  ayant  un  caractère  religieux; 
ils  juraient  à  leur  manière,  et  le  Farhama,  de  son  côté,  ne 
pouvait  songer  à  imposer  à  un  musulman  une  formule  de 
serment  qui,  ne  répondant  en  rien  à  la  foi  de  celui-ci,  lui 
permettrait  de  faire  un  faux  serment  sans  obérer  sa  con- 


342  ■       ÉTUDES    SUR   l'islam   EN    CÔTE   d'iVOIRE 

science.  C'est  ce  que  malheureusement  notre  administra- 
tion n'a  pas  compris. 

Gratuité  de  là  justice.  —  La  justice  rendue  par  le  Farha- 
ma  était  loin  d'être  gratuite,  Elle  coûtait  au  contraire  fort 
cher.  Avant  l'affaire,  il  était  de  règle  pour  mettre  en  route 
la  justice  —  en  l'espèce  le  Farhama  —  de  lui  fournir  de 
nombreuses  épices.  Si  l'affaire  était  douteuse,  les  deux 
parties  rivalisaient  de  zèle  pour  s'attirer  les  bonnes  grâces 
du  Farhama.  On  conçoit  que  dans  les  affaires  où  la  cul- 
pabilité de  l'une  des  parties  était  évidente,  la  victime, 
réclamant  justice,  était  celle  qui  se  croyait  surtout  tenue 
de  s'attirer  la  faveur  du  justicier,  sachant  fort  bien  qu'il 
en  serait  tenu  compte  dans  la  sentence,  et  que  l'indemnité 
qu'elle  recevrait  serait  proportionnelle  à  sa  propre  géné- 
rosité. Du  reste,  le  Farhama  ne  songeait  guère  à  voiler  sa 
pensée;  il  faisait  d'abord  son  prix. 

Dans  ces  conditions,  la  justice  était  souvent  au  plus 
offrant  et  dans  les  cas  graves  où  la  culpabiliié  était  évi- 
dente, la  famille  du  coupable  se  préoccupait  de  combler  le 
Farhama  de  cadeaux,  certaine  que  l'indemnité  à  verser  à  la 
famille  de  la  victime  serait  réduite  d'autant.  Cependant, 
les  Farhania  avaient  souvent  intérêt  à  régler  les  affaires  à 
la  satisfaction  de  la  famille  de  la  victime,  puisqu'ils  préle- 
vaient sur  les  indemnités,  attribuées  à  celle-ci,  ce  qu'ils  ju- 
geaient bon.  Dans  beaucoup  de  cas  d'ailleurs,  les  honoraires 
du  juge  étaient  fixés  à  l'avance.  En  cas  de  vol  d'un  boeuf 
par  exemple,  le  produit  du  vol  était  remboursé,  avec  indem- 
nité pour  la  famille  de  deux  bœufs.  Le  Farhama  en  préle- 
vait un,  sans  préjudice  naturellement  des  épices.  C^était  là 
le  tarif  général;  le  montant  du  vol  remboursé,  l'indemnité 
égale  au  double  produit  du  vol,  était  partagée  par  parties 
égales  entre  le  Farhama  et  la  victime  du  vol.  Épices  mises 
à  part,  les  honoraires  du  juge  étaient,  en  câS  de  vol,  égaux 
au  montant  du  vol. 


CHAPITRE  VI 

INFLUENCE  DE  L'ISLAM  DANS  LE  DOMAINE  SOCIAL  (i) 


En  adoptant  le  dogme  coranique,  les  peuples  musul- 
mans delà  haute  Côte  d'Ivoire,  Malinké  et  Mandé-Diouia, 
ne  pouvaient  pas  n^  pas  s'imprégner  des  canorts  sociaux 
que  le  Livre  révélé  renferme.  Mais  ici,  plus  encore  que 
dans  le  domaine  proprement  religieux  ou  dans  le  champ 
des  institutiorfcs  juridiques,  une  résistance  tenace  et  pas- 
sive s'est  produite  ;  la  coutume  s'est  opposée  de  toutes  les 
forces  d'un  peuple,  et  notamment  de  toute  la  résistance 
féminine  que  le  dogme  ou  le  droit  tauchent  moins,  à  l'in- 
gérence de  l'islam  dans  les  diverses  manifestations  fami- 
liale et  sociale.  Cette  résistance  a  été  renforcée  encore  par 
la  dispersion  des  musulmans  au  milieu  des  populations 
animistes,  Malinké  à  l'ouest,  Senoufo  au  centre,  Abron 
<ît  Koulangp  à  l'est. 

L'islam  subit  au  contact  de  ces  diverses  coutumes  une 
sorte  de  dégradation  perpétuelle.  Il  n'est  pas  sans  intérêt 
de  suivre  ces  tentatives  de  pénétration  pacifique  dans  la 
coutume,  car,  il  faut  le  souligner,  les  institutions  sociales 
des  peuples  Mandé  de  la  savane,  ne  sont  pas  le  statut  mu- 
sulman, corrompu  par  la  coutume,  mais  la  coutume  ances- 
trale  elle-même,  imprégnée  de-ci  de-là  d'infiltrations  mu- 
sulmanes. 

(i|  Renseignements  dus,  en  nnains  endroits,  à  l'administrateur  RrPERT. 


344  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 


I.  —  Conception  et  naissance. 

On  a  vu  quelle  liberté  est  laissée  à  la  jeune  fille  avant 
son  mariage,  quelles  excitations  déguisées  elle  subit  vers  la 
prostitution,  et  cela  de  la  part  même  des  siens.  On  a  vu 
encore  que  la  femme  adultère  et  son  complice  n'étaient  en 
somme  passibles  d'aucune  pénalité  grave.  Il  résulte  de  cet 
ensemble  de  circonstances  que  le  lien  rattachant  la  femme 
à  son  mari  est  fort  mince,  et  l'on  peut  dire  que  l'adultère 
est  de  règle,  pour  la  femme,  comme  pour  le  mari  d'ail- 
leurs ;  par  suite,  une  grande  partie  des  indigènes  est  certai- 
nement de  conception  illégitime.  Le  mari  du  reste  connaît 
les  débordements  de  sa  femme,  comme  celle-ci  connaît  les 
siens.  Il  ne  se  fâche  que  si  son  infortune,  supportée  gaî- 
ment  d'ailleurs,  devient  par  trop  scandaleuse, 

La  grossesse  illégitime,  si  elle  ne  le  satisfait  pas  trop 
moralement,  comble  par  ailleurs  un  des  désirs  les  plus 
chers  à  tous  les  noirs  :  avoir  une  nombreuse  famille,  et  ici 
surtout,  beaucoup  de  filles.  S'il  ne  proteste  pas  —  et  il  s'en 
garde  bien  —  l'enfant  issu  des  relations  de  sa  femme  et  de 
ses  amants,  est  incontestablement  sien,  puisque,  époux 
légitime  de  la  femme,  il  endosse  la  paternité  de  ces  enfants. 
Et  quelquefois  même,  s'il  est  lui-même  dans  l'impossi- 
bilité physique  d'être  réellement  père,  il  accueillera  avec 
plaisir  une  grossesse  dans  laquelle  il  n'est  pour  rien,  mais 
qui  lui  rapportera  les  mêmes  avantages  qu'une  paternité 
réelle.  Beaucoup  même,  dans  cet  état  d'esprit,  poussent 
l'immoralité  jusqu'à  l'abjection,  se  faisant,  pour  se  créer, 
coûte  que  coûte,  une  famille,  qu'ils  ne  peuvent  eux-mêmes 
former,  les  véritables  entremetteurs  de  leurs  épouses. 

Signalons  en  passant  que  dans  les  gros  villages  musul- 
mans, qui  sont  d'ailleurs  renommés  pour  leur  immoralité, 
Kong,  Bondoukou,  Mankono,  Kani,  etc.,  la  grossesse  est 
une   gêne   pour  les  femmes,  habituées  à  la  plus  grande 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  845 

liberté  d'allures.  Aussi,  les  cas  d'avortement  volontaire  sont 
fort  nombreux,  au  grand  désespoir  des  maris  qui  cepen- 
dant n'osent  rien  dire. 

Au  cours  de  la  grossesse,  la  femme  continue  à  vaquer  à 
ses  occupations  et  surtout  à  fréquenter  les  marchés  qui 
sont  ici  de  véritables  lupanars.  EUe  ne  cesse  ses  occupa- 
tions ordinaires  que  le  plus  tard  possible. 

La  mère  est  délivrée  par  des  matrones  de  la  famille  ;  au- 
cun homme,  même  le  mari,  n'assiste  à  l'accouchement.  Les 
accidents  sont  peu  fréquents,  moins  rares  cependant, 
semble-t-il,  dans  les  milieux  musulmans  que  dans  les  mi- 
lieux animistes. 

Dès  sa  naissance,  l'enfant  est  lavé  à  l'eau  chaude  par  les 
matrones.  L'ombilic,  soigneusement  noué,  est  enduit  de 
karité;  de  l'antimoine  est  souvent  passé  sur  les  paupières 
de  l'enfant.  Un  fil  blanc  lui  est  noué  autour  de  la  taille. 
L'enfant  est  alors  placé  près  de  la  mère  et  le  mari  est  auto- 
risé à  pénétrer  dans  la  case.  On  vient  congratuler  la  mère? 
on  félicite  le  mari,  et  tout  se  termine  par  une  bombance, 
comme  seuls  en  savent  faire  les  noirs,  et  par  une  distribu- 
tion de  sombé  aux  assistants.  Dans  la  plupart  des  villages 
musulmans,  l'enfant  reçoit  son  nom,  dès  sa  naissance, 
soit  de  son  père,  si  c'est  un  fils,  soit  de  sa  mère,  si  c'est 
une  fille.  L'almamy  est  souvent  consulté  à  ce  sujet,  au 
cours  de  la  visite  de  courtoisie  qu'il  vient  faire  au  père. 
Chez  les  fétichistes  au  contraire,  on  attend  souvent  plus 
d'un  an  avant  de  donner  un  nom  à  l'enfant. 

La  mère  reste  étendue  sur  une  natte  pendant  un  jour  ou 
deux,  rarement  plus,  à  moins  que  les  couches  aient  été  dif- 
ficiles; elle  reprend  aussitôt  ses  occupations.  Sauf  de  rares 
exceptions,  remarquées  et  coonues,  la  femme  ne  reprend 
ses  relations  sexuelles  avec  son  mari  —  ou  avec  son  amant 
—  que  lorsque  l'enfant  marche,  c'est-à-dire  dix-huit  mois 
après  sa  naissance.  Beaucoup  croient  même  nécessaire  de 
prolonger  cette  abstinence  jusqu'au  sevrage  du  bébé,  c'est- 


346  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

à-dire  vers  trois  ans.  Cette  règle  est  quasi  générale,  car  l'on 
prétend  que  le  coït  prématuré  empoisonne  le  lait  de  la 
mère  et  fait  périr  l'enfant.  Les  plaintes  des  maris  à  ce  sujet 
sont  assez  fréquentes,  accusant  l'inconduite  de  la  mère, 
lorsque  l'enfant  meurt.  En  général,  la  conduite  de  la  mère 
pendant  l'allaitement  est  irréprochable. 

L'allaitement  dure  au  moins  jusqu'à  l'âge  de  trois  ans, 
souvent  jusqu'à  4  ans.  Malgré  tous  leurs  défauts  et  leur 
immoralité  foncière,  les  femmes  d'ici,  surtout  les  femmes 
musulmanes,  sont  de  bonnes  mères. 

En  cas  d'absence  de  lait,  la  mère  confie  son  enfant  à 
une  femme,  en  général  de  sa  famille,  qui  lui  donne  le  sein. 
Cet  allaitement  est  payé  cinq  francs  par  mois.  Le  lait  ne 
confère  au  nourrissson  aucun  lien  de  parenté  avec  sa  nour- 
rice, mais  constitue  cependant  un  empêchement  à  son 
mariage  avec  ses  sœurs  de  lait. 

La  femme  a  la  haute  main  sur  tous  ses  enfants  au  cours 
de  l'allaitement.  Après  cette  période,  elle  n'a  la  garde  que 
de  ses  filles,  le  père  prenant  les  garçons.  Le  père  a,  par  la 
suite,  assez  peu  de  relations  avec  ses  filles  qui  prennent 
naturellement  l'empreinte  de  leur  mère.  Adulées,  choyées, 
fêtées,  les  petites  filles  musulmanes  sont  de  terribles  enfants 
gâtées,  volontaires,  capricieuses,  violentes  même  envers 
leur  mère,  qui  rit  de  leurs  caprices  ou  de  leurs  colères; 
elle  passe  sur  ces  écarts  de  caractère  comme  elle  tolérera 
ou  encouragera  même  leurs  écarts  de  conduite.  Ce  sont  de 
déplorables  éducatrices  que  la  plupart  des  femmes  noires. 


2.  —  Éducation. 

L'éducation  est  absolument  maternelle  pour  tous  les  en- 
fants jusqu'à  six  ans.  A  partir  de  cet  âge,  les  enfants  mâles 
sont  placés  sous  la  gardé  du  père,  les  filles  restant  jusqu'à 
leur  mariage  sous  celle  de  la  mère.  Garçons  et  filles  sans 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    SOCIAL  347 

exception  vont  ensemble  à  l'école  coranique  élémentaire, 
les  filles  pour  apprendre  sommairement  la  prière,  et 
quelques  rudiments  de  textes  religieux,  de  rites,  et  de  carac- 
tères arabes,  les  garçons  afin  de  connaître  les  rites  reli- 
gieux des  diverses  prières,  et  apprendre  par  cœur  les  sou- 
rates et  prières  indispensables.  Les  filles  et  les  garçons 
restent  ainsi  ensemble  à  l'école  pendant  deux  ou  trois  ans. 
A  ce  moment,  les  filles  sont  considérées  comme  suffisam- 
ment savantes  et  vont  aider  leur  mère  dans  tous  ses  tra- 
vauix  ;  la  plupart  des  garçons  sont  placés  chez  un  marabout 
plus  savant,  qui  continue  leur  éducation  religieuse. 

Beaucoup  de  pères  tiennent  à  donner  eux-mêmes  à  leurs 
enfants  les  éléments  de  leur  éducation  religieuse,  jusqu'au 
moment  où  les  filles  sont  rendues  à  leurs  occupations  mé- 
nagères (9  ou  10  ans),  et  où  les  garçons  doivent  être  placés 
chez  un  marabout  plus  savant  que  leur  père. 

En  dehors  des  heures  d'école,  les  enfants  sont  employés 
par  leurs  parents,  ou  par  le  maître  d'école,  aux  cultures, 
et- les  filles  aident  leur  mère  dans  ses  travaux,  et  plus  parti- 
culièrement, vont  chercher  du  bois,  de  l'eau  et  des  ignames 
ou  du  riz  aux  lougans. 

On  a  indiqué  parquels  subterfuges  les  parents  arrivaient 
à  déceler  la  puberté  chez  leurs  enfants.  C'est  l'âge  où 
ceux-ci  sont  laissés  en  pleine  liberté,  et  leurs  débordements 
sexuels  n'inquiètent  point  les  parents,  qui  semblent  au 
contraire  les  considérer  d'un  œil  bienveillant.  On  verra 
plus  lom  dans  quel  but. 


3.  —  Mariage. 

Les  garçons  sont,  en  principe,  mariés,  dès  l'âge  où  ils 
présentent  des  marques  indiscutables  de  pollutions  noc- 
turnes. En  réalité,  c'est  là  un  luxe  réservé  aux  gens  fortu- 
nés, car  ne  peuvent  seuls  faire  marier  leurs  fils  à  cet  âge 


34^  ÉTUDES   SUR   l'islam    EN    CÔTE  d' IVOIRE 

que  les  parents  qui  sont  en  état  de  payer  une  dot.  Cepen- 
dant, chez  les  marabouts,  les  garçons  sont  généralement 
mariés  jeunes,  l'esprit  familial  étant  beaucoup  plus  déve- 
loppé que  chez  les  fétichistes  et  le  père  mettant  rarement 
tout  en  œuvre  pour  réserver  sa  fortune  à  l'acquisition,  à 
son  seul  profit,  de  nouvelles  femmes.  Le  cas  est  fréquent 
chez  les  fétichistes. 

Chez  les  musulmans,  il  est  assez  d'usage  de  promettre, 
dès  leur  naissance,  les  enfants  l'un  à  l'autre.  La  dot  est 
alors  payée  par  la  famille  du  futur  époux,  dès  le  moment 
où  cette  convention  tacite  est  faite.  Cette  pratique  donn? 
généralement  de  bons  résultats;  les  enfants  étant  habitués 
dès  1  enfance  à  ce  projet,  arrivent  à  avoir  l'un  pour  l'autre 
une  véritable  affection.  Au  surplus,  cette  pratique  met,  de 
bonne  heure,  la  jeune  fille  sous  la  garde  jalouse  dé  son 
futur  époux,  qui  la  préserve  de  beaucoup  de  déchéances, 
et  enfin  permet  aux  familles  de  constituer  dans  un  long 
intervalle  la  dot,  de  manière  que  les  jeunes  gens  puissent 
entrer  en  ménage,  dès  l'excision  de  la  jeune  fille. 

René  Caillié  a  très  bien  saisi  la  question  de  la  dot  :  «  La 
dot,  dit-il,  varie  beaucoup  ;  si  la  fille  est  de  bonne  famille, 
qu'elle  soit  jolie,  et  qu'on  lui  reconnaisse  de  bonnes  quali- 
tés, les  parents  exigent  trois  ou  quatre  esclaves,  ou  la 
valeur  en  marchandises  ;  ces  malheureux  sont  toujours  la 
propriété  de  la  mère.  Si  la  fille  est  d'un  rang  peu  distingué, 
ou  d'une  figure  désagréable,  on  ne  donne  que  deux  esclaves. 
Je  n'a  pas  vu  d'exemple  dans  tout  ce  pays  d'une  fille  céli- 
bataire; elles  se  marient  toutes,  belles  ou  laides  Ce  sont 
autant  de  servantes  que  les  hommes  s'attachent,  et  dont  ils 
ne  craignent  pas  la  désertion.  Le  prétendu  est  obligé  de 
livrer  la  dot  avant  de  posséder  la  fille,  à  laquelle  il  fait 
encore  quelques  petits  cadeaux;  de  plus,  il  lui  envoie  tous 
les  jours  des  grandes  calebases  pleines  de  riz.  Deux  mois 
avant  le  mariage,  la  future  est  toujours  en  fête,  et  sa  mère 
invite  les  voisins  à  venir  y  prendre  part.  Ces  usages  varient 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    SOCIAL  849 

un  peu  dans  chaque  contrée  :  à  Cambaya,  par  exemple,  si 
le  prétendu  donne  trois  esclaves,  il  y  en  a  deux  pour  sa 
I  belle-mère,  et  le  troisième  suit  la  nouvelle  épouse  chez  son 
mari.  A  limé  et  à  Sambalikila,  les  parents  reçoivent  tout  : 
quand  le  jeune  homme  a  rempli  les  formalités  et  fait  toutes 
les  libéralités  exigées,  si  la  fiancée  ou  même  ses  parents  se 
refusent  à  terminer  le  mariage,  ils  sont  obligés  de  lui  remi- 
bourser  toutes  les  dépenses  qu'il  a  faites;  si,  au  contraire, 
les  plaintes  viennent  de  la  part  de  l'homme,  soit  par  jalou- 
sie ou  tout  autre  motif,  il  perd  tout  ce  qu'il  a  donné;  et 
quand  il  s'élève  une  discussion  entre  le  prétendu  et  la  fa- 
mille de  sa  future,  si  les  arrangements  viennent  à  se  rompre, 
la  femme  est  tenue  de  rendre  tout  ce  que  ses  parents  ont 
reçu.  Ces  conditions  sévères  font  que,  parmi  un  peuple  in- 
téressé et  même  avide,  les  premiers  arrangements  se  rom- 
pent très  rarement  :  les  femmes  en  sont  souvent  les  vic- 
times; car  les  hommes,  les  regardant  comme  leur  étant 
très  inférieures,  sont  toujours  maîtres  absolus  dans  leurs 
ménages.  » 

La  jeune  fille  est  généralement  donnée  à  son  mari  dès 
son  excision.  Cependant  les  parents  sont  complices  pour 
retarder  le  plus  possible  le  moment  où  il  leur  faudra  se 
séparer  de  leur  fille. 

Les  mères,  d'abord,  moitié  par  amour  maternel,  moitié 
pour  se  conserver  dans  leurs  travaux  journaliers  une  aide 
matérielle  précieuse,  cachent  le  plus  possible  à  leurs  maris 
que  la  jeune  fille  a  vu  apparaître  ses  troubles  menstruels. 
Lorsque  ce  fait  est  avéré,  on  retarde  le  plus  possible  le  mo- 
ment de  l'excision,  et  après  celle-ci,  on  invoque  mille 
motifs  pour  conserver  le  plus  lard  possible  la  jeune  fille  au 
domicile  paternel.  Le  temps  n'est  d'ailleurs  pas  perdu  pour 
la  jeune  fille,  au  grand  profit  de  la  mère.  Avant  sa  puberté, 
la  jeune  fille  est  constamment  entourée  d'un  ou  plusieurs 
Kambélé  (jeunes  gens),  qui  lui  font  sans  cesse  des  cadeaux, 


350  ÉTUDES    SUR   l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

dont  profite  la  mère;  cadeaux  sans  grande  valeur,  il  est 
vrai,  mais  sans  cesse  renouvelés  :  morceaux  de  viande, 
cuvettes  de  riz,  sombé,  mouchoirs  de  tête,  pagnes,  quel 
quefois  pièces  de  cinq  francs,  ou  écheveaux  de  fil  dérobés 
à  la  mère  du  jeune  homme.  A  tous  ces  cadeaux,  la  jeune 
fille,  très  avertie  pourtant,  répond  seulfiment  par  des  ama- 
bilités, des  minauderies,  desfrôJements,  mais  les  relations 
ne  vont  pas  plus  loin. 

Elle  change  d'allures  à  sa  puberté.  Poussée  à  la  débauche 
souvent  par  les  excitations,  ou  tout  au  moins  le  silence 
complice  de  la  mère,  et  l'inditïérence  du  père,  elle  choisit 
parmi  les  soupirants,  un  ou  plusieurs  amants,  et  les  cadeaux 
continuent  au  grand  profit  de  la  mère.  Le  père  met,  de  son 
côté,  à  profit  le  laps  de  temps  plus  ou  moins  long  dans 
lequel  tous  se  complaisent,  sauf  le  futur  époux,  entre  la 
puberté  et  le  mariage  de  la  jeune  fille,  pour  tirer  de  la 
famille  de  son  futur  gendre  la  plus  grosse  dot  possible  qu'il 
dévore  incontinent. 

L'immoralité  de  ces  pratiques  est  vraiment  révoltante. 
A  part  de  rares  et  très  honorables  exceptions,  que  l'on  peut 
d'ailleurs  citer,  tant  le  fait  est  peu  fréquent,  ces  pratiques, 
où  la  cupidité  et  le  cynisme  des  parents  rivalisent  avec  la 
débauche  presque  animale  des  jeunes  filles,  sont  malheu- 
reusement la  règle,  aussi  bien  chez  les  -musulmans  que 
chez  les  fétichistes.  Nous  sommes  loin  ici  de  l'éducation 
relativement  chaste,  et  toute  dirigée  en  vue  du  mariage, 
recommandée  et  pratiquée  en  pays  vraiment  musulman. 
On  conçoit  fort  bien  que  cette  immortalité  acquise  par  la 
J3une  fille,  reparaisse  après  le  mariage,  et  que,  la  licence 
des  jeunes  filles  rejaillissant  sur  les  jeunes  gens,  et  les 
encourageant  à  la  débauche,  le  libertinage  soit,  en  somme, 
la  règle  dans  la  plupart  des  ménages. 

La  cérémonie  du  mariage  est  purement  civile,  et  d'une 
simplicité  "extrême.  Elle  n'est  marquée,  en  définitive,  que 
par  un  seul  fait  :  la  remise,  par  le  père,  de  la  jeune  fille  à 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  35 1 

son  futur  époux,  et  par  l'accession  de  celle-ci   au  domicile 
conjugal. 

L'époux  fait  généralennent  distribuer,  le  jour  du  mariage, 
dans  tout  le  village,  une  ou  plusieurs  calebasses  desombé. 
On  abat  des  cabris  et  des  moutons,  rarement  des  bœufs. 
Le  soir,  les  jeunes  filles,  amies  de  la  nouvelle  épousée,  font 
un  petit  tam-tam  dans  la  cour  du  mari.  Et  c'est  tout  :  la 
fête  n'a  été  en  somme  marquée  que  par  les  ripailles, 
comme  toute  fête  en  pays  noir.  Tous  les  frais,  toutes  les 
générosités  sont  supportés  par  l'époux  ou  sa  famille.  En 
général  même,  la  jeune  fille  est  donnée  à  son  mari  avec  un 
simple  pagne  usagé;  l'époux  doit  fournir  également  le 
trousseau.  Cependant  la  mère  doit  fournir  à  sa  fille,  au 
moyen  de  son  travail  personnel  (confection  de  fil  de  coton, 
fabrication  d'indigo,  commerce  de  kolas  et  de  sel)  ou  de 
son  inconduite,  les  boucles  d'oreille  en  or  et  les  bracelets 
d'argent.  Elle  est  bien  souvent  aidée  par  la  jeune  fille  elle- 
même,  qui  consacre  une  partie  des  cadeaux  faits  par  ses 
amants,  à  l'achat  de  bijoux. 


■    /).  "  Décès.  Ensevelissement. 

On  a  vu  les  précautions  que  prend  le  moribond  vis-à-vis 
de  ses  biens,  lorsqu'il  se  sent  en  danger  de  mort.  Le  plus 
souvent,  dans  renonciation  de  ses  dernières  volontés,  il 
désigne  les  amis  personnels  qui  lui  sont  chers  et  qu'il 
désire  avoir  près  de  lui  à  sa  mort  pour  le  lavage  de  son 
corps. 

Après  le  décès,  le  corps  est  sorti  de  la  case,  placé  dans  la 
courette  qui  sert  de  cabinet  de  toilette,  il  est  lavé  par  les 
amis  désignés  par  le  mort,  suivant  le  rituel  ordinaire  pres- 
crit par  les  livres  musulmans.  Cette  cérémonie  est  appelée 
ici,  vulgairement.  Su  Kolan  (lavage  du  mort)  et  en  arabe 
du  pays   Kassoulou.   Le  corps  est,  immédiatement  après, 


352  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

revêtu  de  ses  vêtements,  et  cousu  dans  une  natte  neuve.  Il 
est  ensuite  placé  sur  un  brancard  sommaire  en  bambous, 
qui  est  sorti  de  la  case  et  placé  dans  la  cour,  la  tête  du 
mort  étant  dans  la  direction  de  la  qibla. 

Entre  temps,  le  crieur  a  annoncé  dans  le  village  le  décès. 
L'alimamou  du  village  vient  alors  se  placer  derrière  lecorps 
et  les  fidèles,  amis  du  défunt,  derrière  lui,  tous  dans  la 
direction  de  la  qibla.  On  dit  alors  la  prière  spéciale,  la 
Salatou  el  Djanaïatou,  à  quatre  rakaa,  commençant  cha- 
cune par  le  Takibarou  (Takbir  :  Allah  Akbar),  dits  dans 
la  position  debout. 

Contrairement  aux  prescriptions  arabes,  le  corps  est  le 
plus  souvent  enseveli  sans  linceul,  ni  blanc,  ni  de  couleur, 
la  natte  remplissant  ce  rôle.  Néanmoins,  si  le  musulman 
est  fortuné,  il  est  placé  dans  un  ou  plusieurs  linceuls  et 
cousu  dans  plusieurs  nattes,  dont  l'une,  celle  de  l'extérieur, 
sera  enlevée  au  moment  de  l'ensevelissement  et  portée  à  la 
mosquée  où  elle  servira  de  natte  de  prière.  La  prière  finie, 
le  corps  est  placé  sur  les  épaules  des  fils  et  parents  du  défunt 
et  emporté  jusqu'à  la  tombe.  Il  n'y  avait  point  de  cimetière 
entretenu  et  régulier  jusque  vers  1908  :  les  Musulmans  sui- 
vaient la  coutume  animiste  et  enterraient  les  cadavres 
dans  les  villages,  auprès  de  la  case  où  avait  vécu  le  défunt 
durant  sa  vie.  Depuis  cette  date,  les  musulmans  comme 
tous  les  habitants  des  villages  ont  abandonné  cette  pratique 
et  enterrent  les  corps  dans  la  brousse.  Ils  ont  même  ten- 
dance à  grouper  les  tombes  en  cimetière,  sans  que  les 
emplacements  réservés  à  ces  tombes  et  les  tombes  elles- 
mêmes  aient  jamais  un  caractère  sacré. 

Les  tombes  sont  toujours  orientées  dans  la  direction  de 
la  qibla.  Une  pierre  plate  est  placée  dans  la  tombe,  devant 
servir  d'oreiller  au  défunt  sur  sa  dernière  couche. 

Entre  le  domicile  du  défunt  et  sa  tombe,  les  assistants 
présents  au  convoi  marmottent  sans  cesse  à  mi-voix  le 
«  Tahlil  »  sans  rien  ajouter.  Lorsque  le  corps  est  descendu 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  353 

dans  la  tombe,  les  assistants  prononcent  à  mi-voix  :  «Bissi- 
millahi  !  Allahou  Koubarou  ». 

Lorsque  la  tombe  est  fermée,  chacun  ayant  jeté  une 
poignée  de  terre,  on  se  place  derrière  la  tombe  et  chacun 
énonce  ses  «  dou'a»  (vœux)  en  faveur  du  défunt. 

Enfin,  pendant  que  l'on  dépose  les  bras  du  brancard  qui, 
suivant  la  coutume,  restent  dans  la  tombe,  on  formule  de 
nouveaux  souhaits. 

L'alimamou  ne  suit  pas  généralement  le  corps  jusqu'à 
la  tombe  et  se  retire  dès  que  la  prière  des  morts  est  dite. 

Les  femmes  ne  suivent  que  les  enterrements  des  femmes, 
sauf  les  matrones  d'âge  canonique,  qui  sont  admises  aux 
-enterrements  de  leurs  parents  et  qui  s'y  comportent  comme 
pleureuses.  Les  hommes  suivent  rarement  les  enterrements 
des    femmes,    même    de   parenté    très    proche. 


5.  —  Uislam  et  la  coutume. 

L'influence  de  l'islam  dans  la  vie  de  l'individu  est  en 
somme  relativement  faible.  Ce  qui  donne  au  musulman  du 
Nord  africain  son  caractère  particulier,  c'est  l'unité  de  sa 
vie,  tout  entière  soumise  à  la  loi  religieuse.  Il  n'a  qu'une 
seule  loi,  qu'un  seul  code,  le  Coran,  et  tous  les  livres 
musulmans,  réglant  sa  vie  sociale,  individuelle,  familiale, 
économique  et  religieuse,  en  découlent.  L'unité  de  sa  doc- 
trine, religieuse  et  sociale,  est  complète.  Ici,  au  contraire, 
il  y  a  dualité  absolue,  entre  la  vie  religieuse,  qui  vise  à 
être  orthodoxe,  et  la  vie  sociale.  La  première  est  régie  par 
le  livre,  avec  une  ponctualité  et  un  formalisme  incroyables. 
Au  contraire,  la  seconde  est  régie  par  les  coutumes  ani- 
mistes, souvent  en  contradiction  absolue  avec  les  lois  tirées 
des  livres  musulmans.  Par  la  fréquence  des  mariages 
mixtes,  les  coutumes  fétichistes,  en  somme  faciles  et  com- 
modes, se  sont  installées  au  foyer  même,  ont  façonné    les 

23 


354  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

enfants;  le  Farhama  fétichiste  a  imposésa  loi  aux  adultes. 
On  s'est  habitué  à  penser  en  fétichiste,  ne  réservant  sa 
rigueur  que  pour  les  seules  pratiques  cultuelles.  En  fait,  il 
n'y  a  que  des  différences  insignifiantes  entre  les  sectateurs 
du  prophète  et  les  animistes;  tous  pensent  exactement 
de  même,  tous  vivent  et  agissent  de  la  même  manière. 

Peut-être  l'Islam  imprime-t-il  sur  ses  fidèles  une  disci- 
pline mentale,  une  morale  et  un  esprit  de  famille  plus 
accentués.  Eloignés  des  débordements  avilissants  des  féti- 
chistes, de  certains  au  moins,  comme  la  boisson,  les 
musulmans  conserventen  général,  malgré  tout,  une  certaine 
tenue  morale,  surtout  dans  la  vie  privée;  les  enfants 
témoignent  à  leurs  parents  un  respect  et  un  attachement 
inconnus  chez  les  fétichistes  ;  les  liens  familiaux  sont 
plus  étroits  et  empreints  d'une  discipline  qui  n'existe  pas 
chez  les  animistes.  Avec  cela,  dans  leurs  affaires,  ils  mani- 
festent un  esprit  plus  actif,  une  intelligence  plus  profonde, 
un  sens  pratique  plus  développé,  tout  en  montrant  le  plus 
souvent  une  incroyable  absence  de  préjugés,  un  cynisme 
et  une  amoralité  inouïs.  Il  en  est  de  même  dans  leur  vie 
sentimentale. 

Il  faut  dire  qu'à  côté  de  ceux-là,  certains  musulmans 
constituent  au  contraire  de  fort  belles  figures.  L'Islam  a 
donné  à  tous  un  orgueil  sans  bornes  et  un  sentiment  réel 
de  la  supériorité  des  musulmans  sur  les  fétichistes.  Il  y  en 
a  beaucoup  qui  ont  une  véritable  tenue  morale,  un  carac- 
tère très  droit,  et  une  intelligence  ouverte.  Ceux-là  sont 
entourés  d'un  profond  respect,  et  ils  constituent  un  frein 
puissant  pour  tous  ceux  qui  les  écoutent.  Ils  sont  malheu- 
reusement trop  peu  nombreux. 

En  somme,  la  grande  majorité  des  musulmans  a  facile- 
ment mis  d'accord  la  morale  fétichiste,  à  laquelle  ils  étaient 
fatalement  astreints  ici,  et  si  conforme,  elle-même,  à  la 
mentalité  noire,  et  la  morale  musulmane,  si  encline  à  l'in- 
dulgence pour  toutes  les  faiblesses  humaines. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    SOCIAL  355 

Le  père  est  en  principe  détenteur  de  tous  les  biens  de  la 
famille,  et  les  fils,  en  principe  toujours,  travaillent  pour 
lui.  Cela  est  souvent  vrai,  et  c'est  réellement  remarquable 
lorsque  l'on  considère  à  côté,  l'anarchie  complète  des 
familles  animistes.  En  retour,  le  père  doit  protection  à  ses 
enfants,  et  doit  les  pourvoir  d'épouses.  Il  n'y  manque  que 
rarement  et  consacre  une  bonne  partie  de  sa  fortune  au 
paiement  des  dots  de  ses  enfants.  Il  justifie  ainsi  laconfiance 
que  ses  fils  lui  témoignent.  Au  contraire,  lorsque  les  enfants 
voient  leur  père  ne  songer  qu'à  lui  et  dépenser  sa  fortune 
uniquement  au  paiement  de  dot  pour  ses  épouses  person- 
nelles qui,  on  le  sait,  ne  peuvent  être  dévolues  à  ses  enfants, 
mais  seulement  à  ses  frères,  ses  fils  ne  songent  alors  qu'à 
travailler  pour  eux-mêmes,  afin  d'acquérir  par  leur  travail 
les  épouses  que  leur  père  leur  refuse. 

Ce  cas,  si  fréquent  chez  les  fétichistes,  se  rencontre  rare- 
ment chez  les  musulmans,  où  l'esprit  paternel  et  la  sou- 
mission filiale  sont  relativement  accentués. 

Du  chef  de  famille,  en  principe,  l'autorité  est  absolue, 
mais  combien  ce  principe  est  tempéré  par  les  contingences 
et  les  exigences  de  la  vie  journalière. 

Envers  ses  fils,  il  est  bien  le  chef,  le  patriarche  et  le 
prêtre,  l'analogue,  en  moins  noble,  du  pater familias 
antique.  Nous  verrons  plus  loin  quelle  est  sa  situation  vis- 
à-vis  de  ses  femmes  et  de  ses  concubines. 

Pour  les  captifs,  le  chef  de  famille  avait  tout  pouvoir, 
même  celui  de  tuer,  envers  les  captifs  de  traite.  Il  pouvait 
en  particulier  les  vendre  à  sa  guise.  Il  n'en  était  pas  de 
même  des  captifs  de  case,  qui  formaient  une  sorte  de  clien- 
tèle, parfois  puissante,  de  la  famille;  le  chef  avait  des 
devoirs  et  obligations  bien  déterminés  à  l'égard  de  ces  cap- 
tifs et  il  ne  pouvait  en  particulier  les  vendre  à  sa  guise. 
A  leur  égard,  il  était  souvent  dans  la  même  position  qu'à 
l'égard  de  ses  fils  :  responsable  de  leurs  actes,  de  leurs 
dettes,  de  leurs  délits  et  de  leurs  crimes,  devant  toujours 


356  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

dédommager  les  parties  lésées,  sans  que  les  captifs  de  case 
n'aient,  à  son  propre  égard,  d'autre  devoir  que  de  lui 
fournir  seulement  trois  matinées  de  travail  par  semaine. 

En  principe,  la  femme  n'a  le  droit  de  rien  posséder  : 
tout  appartient  à  son  mari.  Elle  doit  cependant  norma- 
lement donner  à  ses  filles  les  bijoux  indispensables  à  toute 
femme  du  pays:  anneaux  d'or,  bracelets  d'argent,  garniture 
de  tête,  dits  libé,  en  argent,  colliers  et  ceintures  de  perles. 
Mais  le  mari,  en  cas  de  besoin,  est  toujours  en  droit  de  la 
dépouiller  du  fruit  de  son  travail.  En  réalité,  il  s'en  garde 
bien.  Malgré  tout,  la  situation  de  la  femme  musulmane  est 
loin  d'être  aussi  bonne  ici  que  par  exemple  chez  les  ani- 
mistes de  la  forêt. 

L'instruction  des  femmes  est  quelquefois  assez  poussée, 
quoique  toujours  moins  que  celle  des  hommes,  certaines 
femmes  obtiennent  le  turban,  mais  c'est  là  moins  la  récom- 
pense de  leur  science  que  de  leur  piété  et  de  leur  âge.  Quel- 
ques femmes  arrivent  pourtant  à  une  certaine  notoriété. 
C'est  ainsi  qu'une  femme  de  Mankono,  Maféréma  Kara- 
morho,  aujourd'hui  décédée,  avait  fait,  durant  toute  sa 
vie,  les  mêmes  études  que  les  hommes,  et  avait  reçu  le 
même  turban  que  les  marabouts.  Aussi  possédait-elle,  sur 
le  retour,  une  école  très  fréquentée,  même  par  des  talibés 
adultes.  Il  en  fut  de  même  de  sa  sœur,  Ma  Kounhoulé 
Karamorho. 

Il  faut  remarquer  que  le  turban  —  consistant  la  plupart 
du  temps  en  une  simple  bande  blanche,  nouée  autour  de 
la  tête,  sans  fez,  n'est  attribué  aux  femmes  qu'à  l'âge,  où 
leur  état  physiologique  leur  permet  de  se  passer  de  relations 
sexuelles,  et  d'être,  ainsi  que  les  hommes,  en  état  virtuel  de 
pureté  latente,  pour  pouvoir,  après  ablution,  faire  les 
prières  rituelles  de  chaque  jour.  Nous  avons  vu,  en  effet 
que  le  flux  menstruel  met  les  femmes  en  un  état  d'impu- 
reté que   ne  peuvent  effacer   les  ablutions  faites  avant  la 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE  SOCIAL  35/ 

prière,  et  par  suite,  rend  cette  prière  non  valable  et  même 
sacrilège. 

Il  n'y  a  actuellement,  dans  la  Haute-Côte  d'Ivoire,  que 
4  ou  5  femmes  adonnées  à  l'enseignement  :  la  plus  réputée 
est  Mata  Karamorho  (Fatimata)  qui  aide  toujours,  et  supplée 
parfois  son  mari  Ma  Salanka  Karamorho.  Elle  s'occupe 
principalement  de  l'éducation  des  filles  (Ouorodougou). 


6.  —  Le  ménage  musulman. 

La  polygamie  est  générale  chez  les  musulmans.  La  plu- 
part cependant  n'atteint  pas  le  nombre  de  femmes  légi- 
times, tolérées  par  le  prophète,  la  moyenne  des  femmes 
étant  de  trois.  Dans  les  ménages  plus  nombreux,  aucune 
distinction  n'est  faite  entre  les  femmes  légitimes  et  les  con- 
cubines, sauf  peut-être  que  celles-ci, étant  plus  jeunes,  sont 
généralement  plus  choyées.  La  première  femme  a  en  prin- 
cipe la  haute  main  sur  la  tenue  du  ménage  —  et  elle  est 
généralement  la  femme  de  confiance  de  l'époux,  qui  n'a 
pas  de  secrets  pour  elle  et  qu'elle  renseigne  journellement 
sur  les  écarts  de  conduite  des  autres  femmes,  ses  com- 
pagnes. A  vrai  dire,  nous  verrons  plus  loin  que  le  concu- 
binage légal  n'a  en  rien  diminué  ici  la  fréquence  de  l'adul- 
tèrebilatéral. 

Avec  ses  servantes  (captives),  le  chef  de  famille  prend 
toutes  les  libertés,  jusqu'au  jour  où  l'une  d'elles  devient 
enceinte.  Ne  pouvant  alors  avoir  un  enfant  ca-ptif,  il  est 
obligé  d'admettre  la  femme  non  libre  parmi  ses  concu- 
bines. Nous  verrons  plus  loin  quelle  est  généralement  sa 
conduite,  et  celle  des  autres  femmes  vis-à-vis  de  la  nouvelle 
venue.  Lorsque  les  relations  du  maître  vis-à-vis  de  sa  cap- 
tive étaient  suivies  de  grossesse,  ou  si  elle  avait  su  prendre 
un    certain  empire    sur   lui,  elle  était  admise  au  rang  des 


358  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

concubines,  ou  encore  il  la  faisait  épouser  par  un  de  ses 
captifs  de  case,  qui  s'en  montrait  très  honoré. 

Les  femmes  préparent,  chacune  à  leur  tour,  les  repas 
de  leur  mari  ;  chacune  ne  préparant  qu'un  seul  repas  de  la 
journée.  Les  vivres  bruts  leur  sont  donnés  par  le  mari, 
chacune  à  leur  tour  et  directement.  La  plus  vieille  des 
femmes  a  seulement  un  droit  de  contrôle  sur  l'emploi  des 
denrées  alimentaires.  Le  fait,  pour  le  mari,  de  ne  pas  four- 
nir les  vivres  nécessaires  à  la  femme,  dont  c'est  le  tour  de 
préparer  le  repas,  constitue  pour  la  femme,  objet  de  ce  trai- 
tement, une  injure  grave.  Il  en  est  de  même,  quand  il  lui 
refuse,  lorsque  c'est  son  tour  de  cuisine,  le  repas  qu'elle  a 
préparé. 

Par  contre,  il  arrive  souvent  qu'une  femme  nouvelle 
soit  mal  accueillie  et  qu'au  moindre  signe  de  faveur 
spécial,  difficile  à  refuser  à  la  nouvelle  épouse,  une  véritable 
levée  de  boucliers  se  produise  parmi  les  autres  épouses,  se 
jugeant  délaissées.  Elles  s'entendent  alors  pour  boycotter  le 
couple,  et  refusent  énergiquement,  d'un  commun  accord, 
de  préparer  la  cuisine  et  de  se  livrer  aux  travaux  ménagers. 

La  chose  arrive  souvent  actuellement  pour  les  femmes 
d'origine  captive,  qui  sont  toujours,  et  pour  des  raisons 
spéciales,  particulièrement  choyées  de  leurs  maris  :  celui- 
ci  craint  en  effet  que  sa  femme,  anciennement  captive,  ne 
se  souvienne  un  jour  de  sa  qualité  native,  et  ne  le  quitte, 
en  en  faisant  état  auprès  de  l'administration.  Aussi  met-il 
en  jeu  tous  les  moyens  et  toutes  les  séductions  pour  lui 
enlever  même  la  pensée  de  fuite;  mais  c'est  alors  chez  les 
autres  femmes  la  grève  des  repas,  celle  des  soins  domes- 
tiques, le  sabotage,  et  même  la  grève  très  spéciale  «  à  la 
Lysistrata  ». 

La  vie  conjugale  est  ainsi  souvent  un  enfer.  Les  femmes, 
en  dehors  de  leur  inconduite,  se  jalousent  férocement 
entre  elles,  non  seulement  à  cause  de  leur  époux,  mais 
encore  à  cause  de  leurs  amants.  Les  cancans,   les  médi- 


INFLUENCE    DE   l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    SOCIAL  35g 

sances  abondent;  un  espionnage,  constant  et  d'une  mal- 
veillance atroce,  des  faits  et  gestes  même  les  plus  intimes 
du  mari,  des  jalousies  mesquines,  des  haines  venimeuses, 
des  disputes  continuelles,  empoisonnent  sans  cesse  la  vie 
du  malheureux  polygame.  Quelques  coups  de  trique  ne 
suffisent  pas  à  rétablir  l'ordre,  et  enveniment  encore  les 
relations.  La  somme  de  haine  régnant  à  Tintérieur  des 
ménages,  quelquefois  en  apparence  unis  et  disciplinés,  est 
vraiment  inouïe.  N'était  l'orgueil  incroyable  du  noir, 
qu'il  place  dans  le  nombre  de  femmes  et  d'enfants,  comme 
l'indice  de  sa  richesse  et  de  sa  position  sociale,  il  n'est  pas 
douteux  que  les  neuf  dixièmes  des  maris  souhaiteraient 
ardemment  d'être  débarrassés  de  leurs  harpies,  et  que  la 
monogamie  leur  paraît  un  paradis  à  côté  de  leur  enfer. 

René  Caillié  a  décrit  avec  une  grande  exactitude  la  con- 
dition de  la  femme.  «  Les  disputes,  dit-il,  sont  très  fré- 
quentes, car  les  femmes  de  ce  pays  sont  d'un  caractère 
difficile,  et  les  maris  très  exigeants.  Ces  malheureuses  peu- 
vent être  assimilées  aux  esclaves  par  les  travaux  pénibles 
auxquels  on  les  oblige  :  elles  vont  chercher  l'eau  et  le  bois 
à  des  distances  très  éloignées;  leurs  maris  les  envoient 
faire  les  semences,  arracher  les  mauvaises  herbes,  ou  faire 
la  récolte.  Lorsqu'elles  suivent  les  caravanes,  ce  sont  elles 
qui  portent  les  fardeaux  sur  leur  tête,  et  les  maris  suivent 
gravement  à  cheval.  Ils  les  grondent  sévèrement  pour  la 
moindre  faute  qu'elles  commettent;  alors  elles  crient,  tem- 
pêtent et  courent  dans  le  village,  en  se  plaignant  à  haute 
voix  de  leur  injustice  ;  ils  n'y  font  pas  beaucoup  d'atten- 
tion, car  ils  ne  croient  jamais  avoir  tort;  et  la  dispute  se 
termine  par  des  coups  de  fouet,  donnés  à  la  femme,  qui 
pleure  et  crie,  jusqu'à  ce  que  les  anciennes  du  village  arri- 
vent à  son  secours  et  rétablissent  la  paix  dans  le  ménage. 
J'ai  remarqué  qu'après  avoir  été  frappées,  elles  devenaient 
très  souples  :   elles  ne  sont  pas  vindicatives;  il  est  vrai 


36o  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

qu'elles  n'y  gagneraient  rien;  le  troisième  ou  le  quatrième 
jour,  elles  sont  aussi  gaies  qu'à  l'ordinaire.  Elles  n'ose- 
raient lever  la  main  sur  leur  mari  pour  se  défendre;  elles 
ne  se  permettent  jamais  la  moindre  plaisanterie  avec  lui.  » 

Les  femmes  prennent  amplement  leur  revanche  dans  la 
vie  familiale.  Les  hommes  y  sont  vraiment  sous  leur 
domination,  y  vivent  sous  leur  férule,  et  ne  plastronnent 
que  loin  de  leurs  regards  et  de  leurs  propos  moqueurs. 
Elles  se  révèlent  souvent  dans  l'intimité  de  véritables 
harpies.  Elles  ne  sont  que  bonnes  mères,  et  encore  abu- 
sent-elles souvent  de  l'autorité  qu'elles  exercent  sur  leurs 
enfants,  en  particulier  sur  leurs  filles,  pour  leur  faire 
épouser  la  haine  qu'elles  ont  contre  leur  père.  Celui-ci  n'a 
alors  d'autre  ressource  que  de  déserter  son  foyer  et  d'aller 
«  Baro  Ké  »  (bavarder)  chez  les  voisins.  De  là,  la  fréquence 
des  relations  entre  indigènes  dans  le  village  même,  ou  de 
village  à  village.  Les  femmes  ne  se  privent  guère  non  plus 
de  recevoir  ou  de  visiter  qui  leur  plaît,  se  souciant  fort  peu 
des  ordres  et  des  conseils  que  leur  dispense  leur  seigneur 
et  maître  au  sujet  de  leurs  relations. 

René  Caillié  qui  a  vu  (1827-1828)  de  plus  près  que  qui- 
conque les  femmes  Malinké,  dit  :  «  Sous  le  rapport  des 
souffrances  physiques,  les  femmes  sont  très  courageuses  : 
elles  se  livrent  aux  travaux  les  plus  pénibles  pendant  le 
temps  et  jusqu'au  dernier  moment  de  leur  grossesse;  elles 
accouchent  sans  se  plaindre;  on  croirait  qu'elles  n'éprou- 
veiit  aucune  douleur,  et  le  lendemain,  elles  reprennent 
leurs  occupations. 

«  Les  mères  ont  une  tendresse  et  des  soins  extrêmes 
pour  leurs  enfants;  elles  les  confient  rarement  à  des  étran- 
gères; elles  les  nourrissent  toujours  elles-mêmes  et  les 
portent  partout  sur  leur  dos,  attachés  à  leur  pagne,  comme 
chez  tous  les  nègres.  » 

Le  harem  fermée  et  jalousement  gardé,  n'existe  pas.  Le 
lou  (ensemble  des  cases  de  la  famille)  conjugal  est  au  con- 


INFLUENCE   DE   l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  36 1 

traire  largement  ouvert.  Y  entre  qui  veut.  Les  cases  sont 
irrégulièrement  disposées  autour  d'une  cour,  et  chaque 
femme  a  généralement  la  sienne,  où  elle  habite  avec  tous 
ses  enfants,  sauf  les  fils  devenus  pubères,  qui  ont  alors 
leur  case.  Les  époux  méfiants  préfèrent  mettre  deux  ou 
trois  femmes  dans  chaque  case,  en  général  les  jeunes  avec 
une  matrone,  afin  d'empêcher  ce,  qu'en  définitive,  ils  ne 
peuvent  jamais  éviter.  Bien  peu  de  femmes,  du  reste,  se 
laissent  imposer  cette  condition;  car  elles  demandent,  et 
obtiennent  toujours  finalement,  une  case  unique. 

L'adultère  est  facile,  on  dirait  même  inévitable,  dans  la 
situation  des  noirs  de  ce  pays. 

Chaque  femme  en  eff'et  connaît  exactement,  longtem.ps 
à  l'avance,  les  jours  où  elle  doit  cohabiter  avec  son  mari, 
d'autant  plus  que  celui-ci  ne  peut  déroger  au  tour  habituel, 
qu'avec  l'autorisation  de  toutes  les  feirimes.  Nulle  alerte, 
nulle  surprise  n'est  donc  possible  et  l'adultère  est  inévitable, 
logique  même. 

Les  gynécées  abondamment  peuplés,  sont  fréquentés 
surtout  chez  les  fétichistes,  mais  ne  manquent  pas  chez 
les  musulmans.  A  Bondoukou  par  exemple,  l'almamy  Kou- 
nandi  Tamité  a  7  ou  8  femmes;  à  Dabakala,  on  retrouve 
la  même  proportion. 

A  Mankono,  les  trois  musulmans  dont  le  gynécée  est  le 
plus  peuplé  sont  l'almamy  Gbouakéri  Fofana,  son  neveu 
Vanli  Fofana,  et  le  chef  de  famille  des  Karamorho,  Saïdi 
Karamorho.  Ils  ont  chacun  dix  femmes.  Le  nommé  Séko 
Cissé,  à  Gomanaro,  almamy  et  chef  du  village,  en  a  23; 
mais  en  général,  dans  les  villages  musulmans,  la  moyenne 
des  femmes  composant  les  ménages  est  de  trois.  Chaque 
femme  de  ces  ménages  moyens  reste  donc  sur  neuf  jours, 
6  jours  inoccupée,  et  ne  cohabite  pas  durant  ce  temps  avec 
son  mari. 

Elle  le  met  largement  à  profit.  L'adultère  est   d'ailleurs 


302  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM   EN    CÔTE    d'iVOIRE 

gL^néral,  également  chez  les  hommes  mariés;  mais  l'adul- 
tère des  hommes  n'est  possible  que  durant  la  journée,  tan- 
dis que  celui  des  femmes  est  généralement  nocturne.  En 
effet,  le  mari  est  dans  l'obligation  légale  de  cohabiter  avec 
chacune  de  ses  femmes  pendant  trois  nuits,  et  cela  sans 
solution  de  continuité.  Il  ne  peut  négliger  simultanément 
toutes  ses  épouses,  ou  bien  laisser  celle,  dont  c'est  le  tour, 
seule  la  nuit,  sous  peine  de  se  voir  boycotté  par  toutes 
ses  femmes  sans  exception,  coalisées  contre  lui,  ou  bien 
insulté  et  même  souvent  battu  par  l'épouse  délaissée. 
Au  contraire,  la  femme  jouit,  pendant  la  plupart  de  ses 
nuits,  de  la  plus  extrême  liberté,  hors  le  temps  légalement 
consacré  au  mari.  Il  suit  de  là  que  les  femmes  adultères 
le  sont  surtout  avec  des  célibataires  et  des  jeunes  gens,  les 
hommes  mariés  étant  forcés  de  demeurer  chez  eux  la  nuit. 

En  réalité,  la  grande  majorité  des  femmes  du  pays,  mu- 
sulmanes comme  fétichistes,  s'adonnent  à  la  prostitution, 
surtout,  comme  c'est  le  cas,  dans  les  centres  musulmans, 
pour  les  femmes  qui  font  du  commerce  et  fréquentent  les 
marchés.  Elles  y  vont  avec  leur  seule  beauté,  et  leurs  plus 
beaux  pagnes  et  bijoux,  et  en  reviennent  avec  des  charges 
de  kolas,  qui  n'ont  coûté  que  des  traits  à  l'honneur  du 
mari.  Celui-ci  d'ailleurs  en  profite  et  préfère  ne  point  de- 
mander de  comptes  à  sa  femme.  A  l'est,  Bondoukou  et 
Bouna;  au  centre  Kong;  dans  l'Odienné,  Odienné,  Sama- 
tiguila,  etc.  ;  dans  l'Ouoroudougou  et  la  forêt  limitrophe, 
Diorholé,  Touna,  Toubalo,  Soukouroughan,  Léapla,  pour 
les  kolas,  Niakabi,  Boron,  Loinguédougou  et  Yritchélé, 
pour  les  denrées  vivrières,  passent  pour  de  véritables  lupa- 
nars. 

Signalons  que  de  nombreuses  femmes,  dans  les  gros 
centres  musulmans  comme  fétichistes,  refusent  obstiné- 
ment de  se  marier,  préférant  se  consacrer,  leur  vie  durant, 
à  la  prostitution.  Ces  femmes  deviennent  de  plus  en  plus 
nombreuses  dans  les  centres  européens,   surtout  Bouakè, 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  363 

Dimbokro  et  Abidjan.  La  prostituée,  rentrant  dans  son 
village,  riche  de  bijoux,  d'argent  et  de  pagnes,  est  toujours 
honorée. 

Beaucoup  de  femmes  considèrent  donc  la  grossesse  et  la 
maternité  comme  des  charges  pénibles,  les  empêchant  de 
vivre  leur  vie  de  liberté  et  de  débauche.  Aussi  les  cas 
d'avortement  sont-ils  fréquents,  et  cette  fréquence  est  vrai- 
ment inquiétante.  Elle  est  très  mal  vue  des  indigènes; 
mais,  malheureusement  sous  la  terreur  constante  de  leurs 
femmes,  ils  n'osent  rien  dire,  et  les  pratiques  demeurent 
malheureusement  toujours  impunies. 


7.  —  V  enfant. 

L'enfant  est  toujours  bien  traité  dans  les  familles  mu- 
sulmanes: c'est  là,  il  est  vrai,  un  trait  commun  à  la  race 
noire,  mais  ce  fait  semble  plus  accentué  ici,  chez  les  mu- 
sulmans que  chez  les  fétichistes.  Il  est  quelquefois  réelle- 
ment touchant  de  surprendre  le  regard  ravi  et  attendri  que 
jette  un  grave  marabout  sur  son  enfant,  les  soins  dont  il 
l'enveloppe,  les  jeux  qu'il  lui  prodigue;  tout  son  être, 
toutes  ses  attitudes  attestent  alors  le  vif  amour  du  père  à 
l'égard  de  ses  enfants,  surtout  mâles.  Il  en  est  de  même 
des  mères  à  l'égard  de  leurs  filles. 

Aussi  ces  enfants  sont-ils  terriblement  gâtés  et,  à  moins 
d'être  d'une  nature  exceptionnellement  bonne,  deviennent- 
ils  rapidement  insupportables,  volontaires,  coléreux  et 
d'une  suffisance  sans  bornes.  Il  faut  les  voir,  aux  jours  de 
grandes  fêtes  musulmanes,  parés,  les  fillettes  de  tous  les 
bijoux  de  la  mère,  empêtrées  de  pagnes  trop  lourds  et  trop 
grands,  les  fils,  grotesquement  affublés  de  boubous  trop 
larges  et  trop  riches,  les  yeux  passés  à  l'antimoine,  respi- 
rant tous  un  naïf  orgueil  et  une  fatuité  ridicule.  Les  jours 
de  la  semaine  cependant,  leur  tenue  est  moins  brillante. 


364  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

Jusqu'à  l'âge  de  cinq  ou  six  ans,  garçons  et  fillettes  sont 
nus  comme  des  vers.  A  cet  âge,  ils  revêtent  un  pagne 
intime  (bila)  qui  leur  cache  à  peu  près  les  parties  sexuelles. 
Vers  la  puberté,  les  enfants  revêtent  le  koursi  (pantalon 
bouffant)  et  le  déréké  (boubou),  les  filles,  le  pagne  noir 
autour  de  la  ceinture,  ou  au-dessus  des  seins.  Ils  sont  alors 
désignés,  les  premiers  sous  le  nom  Kambélé,  les  seconds 
sous  celui  de  «  jeunes  filles  »  (Soungouri,  littéralement 
Soun-Kourou  «  à  seins  naissants  »). 

Malgré  toutes  leurs  tares  morales,  les  familles  musul- 
manes sont  généralement  aussi  prolifiques  que  les  familles 
fétichistes,  sauf  peut-être,  dans  les  centres  commerciaux. 
Les  musulmanes  sont  alors  moins  sédentaires  que  les  féti- 
chistes, partant  plus  libertines.  Les  femmes  sont  générale- 
ment assez  fécondes.  Le  fils  unique  d'une  même  mère  est 
rare.  Nombreuses  sont  les  mères  de  quatre  enfants  adultes 
vivants.  ' 

En  général,  il  faut  compter  que  la  moitié  des  enfants 
meurent,  .soit  au  cours  de  la  grossesse  et  de  l'accouchement 
(relativement  nombreux)  soit  en  bas  âge,  soit  vers  la  pu- 
berté. On  peut  compter  que  pour  les  décès  d'enfants  : 

i»  La  moitié  des  grossesses  est  marquée  par  un  avorte- 
ment  —  volontaire  ou  non  —  ou  par  des  couches  malheu- 
reuses. 

2°  Les  trois  quarts  de  la  moitié  restante  des  décès  est 
due  aux  maladies  de  *  l'enfance,  en  particulier  aux  infec- 
tions intestinales  ou  pulmonaires,  ou  aux  ophtalmies  puru- 
lentes aiguës. 

3"  Le  dernier  quart  est  dû  à  des  accidents  ou  maladies 
survenues  entre  la  période  de  l'allaitement  et  celle  de  la 
puberté. 

Il  n'est  pas  exagéré  de  dire  que  le  nombre  des  grossesses, 
suivies  de  décès,  immédiat  ou  dans  la  période  comprise 
entre  les  couches  et  la  puberté  de  l'enfant,  est  égal  à  celui 
des  grossesses  heureuses,   suivies  d'évolution   normale  de 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  365 

l'enfant  vers  la  puberté  et  l'âge  mûr.  La  plupart  des 
femmes,  à  leur  période  critique,  ont  été  au  moins  huit  fois 
mères;  quelques-unes  l'ont  été  jusqu'à  i5  fois.  Le  nombre 
moyen  des  enfants  vivants,  par  mère,  est  de  quatre,  mais 
les  mères  de  sept  enfants  vivants  ne  sont  pas  rares,  moins 
cependant  chez  les  musulmans  que  chez  les  fétichistes. 
Cette  proportion  des  grossesses  chez  les  femmes  peut  pa- 
raître faible,  si  l'on  tient  compte  de  leur  genre  de  vie.  Il 
ne  faut  pas  oublier  cependant  que  chaque  naissance  est 
suivie  d'une  période  de  trois  ou  quatre  ans  de  continence 
complète  pour  la  mère,  et  que,  par  suite,  les  naissances  ne 
peuvent  guère  s'espacer,  à  moins  de  décès  du  nourrisson, 
au  cours  des  couches  ou  de  l'allaitement,  que  tous  les 
quatre  ou  cinq  ans. 

En  principe,  la  naissance  d'un  fils  est  considérée  comme 
un  bonheur  par  la  famille,  parce  que  normalement  celle-ci 
compte  en  puissance  une  unité  de  plus  :  elle  s'agrandit 
donc.  On  fait  souvent,  pendant  la  grossesse  des  femmes, 
des  vœux  pour  la  naissance  de  garçons.  Les  prières  suré- 
rogatoires  sont  fréquentes  dans  ce  but,  auxquelles  le  père 
associe  toute  sa  famille.  Souvent  même,  autrefois,  celui-ci 
faisait  le  vœu  d'affranchir  une  captive  ou  de  distribueraux 
pauvres  ou  aux  musulmans  influents  soixante  mesures  de 
riz  ou  leur  équivalent  en  sombé,  si  ses  vœux  pour  la  nais- 
sance d'un  fils  étaient  exaucés. 

Ce  sentiment  est  certainement  sincère  chez  la  majorité 
des  musulmans,  les  pères  témoignant  toujours  un  amour 
extraordinaire  envers  leur  fils  et  dédaignant  les  filles. 

Cependant,  si  la  naissance  d'une  fille  est  accueillie  avec 
moins  d'emphatiques  transports,  elle  provoque  une  joie 
très  réelle.  Elle  est,  il  est  vrai,  destinée  à  quitter  la  famille, 
et  par  suite  à  amoindrir  sa  puissance,  mais  aussi  elle  l'en- 
richit par  les  sommes  versées  par  des  étrangers  pour  le 
paiement  de  sa  dot,  laquelle  est  d'ailleurs  le  plus  souvent 
reversée  immédiatement  à  une  autre  famille  comme  dot 


366  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

de  mariage.  Indirectement  donc  la  place  que  laisse  la  jeune 
fille  est  comblée  immédiatement  par  l'arrivée  d'une  nou- 
velle épousée,  venue  d'une  famille  étrangère,  et  son  mariage 
seul  en  fournit  le  plus  souvent  la  possibilité. 

Certaines  familles  pourtant,  les  Karamorho  par  exemple, 
marient  généralement  leurs  jeunes  filles  avec  des  jeunes 
gens,  membres  également  de  la  famille,  et  par  suite  sans 
dot,  ou  bien,  par  suite  d'anciennes  conventions,  avec  les 
jeunes  gens  d'une  famille  musulmane  voisine  à  qui,  dès 
leur  naissance,  les  enfants  étaient  mutuellement  promis. 
Cette  pratique  est  fort  usitée  entre  les  musulmans,  et  ne 
donne  jamais  lieu  au  paiement  de  dots,  mais  à  la  consti- 
tution de  petits  douaires  en  faveur  de  la  nouvelle  épousée. 
Il  convient  de  remarquer  que  ces  familles  n'y  perdent  géné- 
ralement rien  au  point  de  vue  matériel,  et  y  gagnent  sur- 
tout au  point  de  vue  moral,  puisqu'à  chaque  jeune  fille, 
donnée  par  une  famille  à  la  famille  voisine,  correspond  le 
mariage  à  un  membre  de  la  première  d'une  jeune  fille 
offerte  par  la  seconde  famille,  sans  aucun  des  marchan- 
dages auxquels  donnent  lieu  les  mariages  conclus  dans  les 
conditions  habituelles. 


8.  —  Les  vieillards. 

La  vieillesse,  pour  les  hommes  du  commun,  pourvus 
d'enfants,  est  normale.  Leur  vie  s'écoule  à  l'abri  du  besoin 
et  au  milieu  d'un  respect  suffisant  des  enfants  à  leur  égard. 
Elle  est  lamentable  pour  ces  mêmes  gens,  si  la  vieillesse 
les  trouve  sans  enfants.  Abandonné  à  ses  seules  femmes, 
le  vieillard  généralement  délaissé  des  plus  jeunes  à  qui  il 
ne  peut  fournir  de  confort  suffisant  et  auxquelles,  par  la 
force  des  choses,  incombent  tous  les  travaux  domestiques. 
Elles  désertent  le  plus  souvent  le  domicile  conjugal,  lais- 
sant le  vieil  époux  se  morfondre  avec  ses  plus  vieilles 


VlElLLAPD    MALIVkK    MUSULMAM. 


INFLUENCE    DE    L'ISLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  SÔj 

femmes,  incapables  maintenant  de  travailler.  Le  ménage 
est  alors  nourri  chichement  par  les  autres  membres  de  la 
famille,  mais  la  mort  de  l'homme  et  de  ses  femmes  vieil- 
lies est  intimement  souhaitée. 

Les  marabouts  vénérés  ont,  au  contraire,  une  vieillesse 
heureuse,  respectée,  même  opulente.  Environnés  du  res- 
pect de  leurs  fils  et  des  musulmans  du  pays,  ils  vivent 
largement.  On  en  cite  qui,  jusqu'à  un  âge  avancé,  ont  con- 
tinué à  recevoir  d'admirateurs  ou  de  dévots  zélés,  de 
toutes  jeunes  filles  comme  épouses.  Les  fils,  en  général,, 
goûtent  assez  mal  ces  marques  de  respect,  qu'ils  jugent 
d'un  goût  douteux. 

Les  vieilles  femmes  sont  presque  toujours  fort  malheu- 
reuses :  délaissées  par  leurs  filles  qu'elles  ont  pourtant 
tendrement  chéries,  mais  bien  mal  élevées.  Sauf  si  ces  der- 
nières sont  encore  hors  d'âge  de  se  marier,  elles  vivent  soli- 
taires, se  nourrissant  surtout  de  charité,  et  si  elles  ont  des 
filles  encore  jeunes,  elles  les  poussent  à  la  débauche  pour 
prendre  la  part  du  gain  réalisé.  Leur  fin  passe  presque 
inaperçue,  soit  de  leur  mari,  soit  de  leurs  enfants.  Quel- 
ques fils,  pourtant,  entourent  leur  mère,  une  fois  vieille^ 
de  soins  assez  tendres  :  le  fait  est  assez  fréquent  chez  les 
musulmans  ;  ce  fut  le  cas  de  la  vieille  femme  qui  donna 
des  soins  maternels,  pendant  plusieurs  mois,  à  René 
Caillié,  à  Tiémé.  Mais  le  fait  est  à  peu  près  sans  exemple 
chez  les  fétichistes.  Il  constitue  un  indice  d'une  mentalité 
plus  élevée  chez  les  premiers. 

Les  vieilles  femmes  turbannées  sont,  par  contre,  fort 
respectées;  elles  sont  entourées  de  la  vénération  unanime 
de  leurs  enfants,  garçons  ou  filles,  et  de  toute  la  commu- 
nauté musulmane.  Elles  ont  d'ailleurs  une  vie  fort  digne. 


368  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 


g.  —  Classes  sociales. 

L'Islam  n'a  eu  aucune  action  sur  les  classes  sociales  de 
la  société  noire  de  la  Haute-Côte  d'Ivoire.  Au  contraire,  il  a 
subi,  en  ce  qui  concerne  les  mœurs  de  la  société  musul- 
mane, de  nombreuses  altérations,  du  fait  de  la  prépondé- 
rance politique  constante  des  Farhama  animistes  et  des 
coutumes  fétichistes,  qu'ils  ont  imposées  à  tous.  La  chose 
peut  paraître  paradoxale  pour  qui  a  vu  ailleurs  la  rigidité 
de  principes  de  la  société  musulmane  et  la  cristallisation 
que  lui  ont  imposée  les  livres  sacrés  et  les  commentaires 
des  juristes  et  savants  musulmans.  La  société  islamique 
n'a  pas  eu  ici  cette  solide  armature  pour  la  soutenir  et, 
faute  d'avoir  le  pouvoir  temporel,  elle  a  été  amenée  à  épou- 
ser les  mœurs  et  les  coutumes  fétichistes,  souvent  en  con- 
tradiction avec  sa  foi. 

Par  ailleurs,  une  égalité  complète  règne  entre  les  familles 
musulmanes  et  fétichistes,  la  famille  du  Farhama  elle- 
même  étant  considérée  au  même  titre  que  les  autres 
familles  du  pays.  Pourtant  certaines  familles,  les  Sérifou, 
mis  à  part,  étaient  un  peu  plus  considérées  que  les  autres, 
soit  du  fait  de  la  piété  de  leurs  membres  (les  Karamorho 
deMankono  par  exemple),  soit  du  renom  acquis  par  un  des 
leurs  à  la  guerre  ou  dans  des  circonstances  mémorables 
(les  Touré,  par  exemple,  à  cause  de  Samory). 

L'Islam  s'est  implanté  dans  beaucoup  de  familles  d'arti- 
sans, fétichistes  à  l'origine.  C'est  ainsi  qu'un  grand  nombre 
de  griots  et  forgerons  font  profession,  avec  leur  famille, 
d'être  sectateurs  de  Mohammed.  Mais  s'ils  ont  évolué  au 
point  de  vue  religieux,  leur  conversion  n'a  en  rien  influé 
sur  leurs  mœurs  spéciales,  sur  leurs  habitudes  domestiques 
et  professionnelles,  en  un  mot,  sur  leur  vie  sociale.  Il  ne 
pouvait  en  être  autrement,  puisque  les  musulmans  avaient 
eux-mêmes  dû  s'adapter  au  milieu  social  fétichiste. 


INFLUENCE   DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  369 

Les  gens  de  diamou  Sérifou  (de  l'arabe  Chéri/)  se  consi- 
dèrent comme  les  descendants  du  Prophète  Mohammed  ; 
ils  ne  fournissent  d'ailleurs  la  plupart  du  temps  aucune 
chaîne  les  rattachant  au  Prophète.  Ils  constituent  en  tout 
cas,  une  sorte  d'aristocratie  religieuse  et,  sous  certains  as- 
pects, une  caste  sociale  assez  influente. 

A  défaut  de  généalogie  prouvant  son  identité  et  sa  race, 
le  Sérifou  se  prétend,  comme  le  veut  la  tradition,  insensible 
à  la  douleur  physique  et  plus  particulièrement  à  la  brûlure  : 
c'est  à  l'épreuve  du  feu  qu'ils  se  font  donc  reconnaître.  A 
la  description  qu'on  en  fait,  on  peut  présumer  qu'il  entre 
une  bonne  partie  de  charlatanisme  dans  cette  épreuve. 

Les  Sérifou  jouissent  de  nombreux  avantages  m-atériels  : 
lorsque,  dans  les  villages  musulmans,  on  se  partageait  les 
aumônes,  la  part  des  Sérifou  était  toujours  la  plus  considé- 
rable et  ilsavaient  le  droitde  choisir  les  premiers.  Leur  té- 
moignage était  considéré  comme  plus  probant  que  celui  d'un 
autre  musulman,  même  aux  yeux  des  farhama  fétichistes. 
Ceux-ci  les  traitaient  d'ailleurs  mieux  que  les  autre  musul- 
mans, et  avaient  pour  eux  plus  de  considération  et  plus 
d'égards.  Un  Sérifou  ne  pouvait,  en  principe,  être  détenu 
en  captivité  par  un  musulman;  mais  il  y  avait  loin  de  la 
théorie  à  la  pratique  et  l'on  tournait  le  principe,  en  niant 
au  captif  sa  qualité  de  Sérifou  et  en  le  soumettant  à  l'épreuve 
du  feu,  faite  sans  bienveillance,  où  naturellement  l'autre, 
privé  de  ses  moyens  de  charlatanisme  et  étroitement  sur- 
veillé, succombait  toujours.  Il  était  alors  traité  d'imposteur 
et  jusqu'à  preuve  du  contraire  conservé  en  captivité. 

Dans  la  vie  courante,  les  Sérifou  étaient  traités  géné- 
ralement comme  les  autres  habitants  du  village.  Ils 
n'étaient  pas  chargés  de  fonctions  spéciales  et,  en  particu- 
lier, n'étaient  et  ne  sont  encore  que  rarement  chargés  des 
fonctions  d'imam,  sauf  dans  les  villages  où  la  communauté 
musulmane  n'est  constituée  que  par  les  seuls  Sérifou. 


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Syo  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

Les  Ouléma.  —  On  peut  citer,  comme  remplissant  à  cer- 
tains égards  ce  rôle,  mais  simplement  par  le  respect  dont 
ils  sont  entourés  et  avec  lequel  sont  écoutés  leurs  décisions 
et  avis,  la  plupart  des  grands  personnages  religieux,  énu- 
mérés  plus  haut.  Leur  avis  est  requis  sur  les  points  litigieux 
du  rite  et  leurs  décisions  font  autorité  pour  la  déclaration 
de  l'ouverture  du  Ramadan  ou  pour  sa  clôture.  Mais  ce 
sont  là  de  simples  directeurs  de  conscience,  sans  fonctions 
officielles,  entourés  seulement  de  considération.  Et,  s'ils 
jouent  un  rôle  analogue  à  celui  des  Ouléma,  ils  n'en  ont 
pas  le  titre,  donnent  des  avis,  mais  ne  rendent  pas  de 
«  Fetoua  »  (consultations  juridiques  et  religieuses)  qui  aient 
force  de  loi,  comme  en  rendent  les  Ouléma  dans  les  autres 
pays  d'islam. 

10.  —  Esclavage. 

Plus  que  les  fétichistes,  les  Musulmans  étaient  de  gros 
propriétaires  de  captifs.  iNos  mesures  à  l'égard  des  non- 
libres  les  ont  en  général  ruinés  et,  en  tout  cas,  ont  bien 
amoindri  leur  situation  matérielle  et,  par  suite,  leur  pres- 
tige moral. 

On  peut  dire  que  le  but  de  tout  musulman,  une  fois 
marié,  était  de  se  procurer  le  plus  grand  nombre  possible 
de  captifs.  Il  mettait  tout  en  œuvre  pour  cela,  et  aucune 
considération  de  religion,  de  parenté  même  quelquefois, 
•ne  l'arrêtait  dans  son  commerce  de  captifs.  Aussi  les 
musulmans  comme  les  fétichistes  étaient-ils  accueillis 
comme  captifs  par  les  musulmans,  et  aucune  différence 
de  traitement  ne  les  distinguait  chez  leur  patron.  Bien 
plus,  le  maître  interdisait  à  ces  captifs  musulmans  d'inter- 
rompre leur  travail  pour  iraccomplissement  des  prières 
journalières  rituelles,  qui  n'étaient  faites  qu'à  la  fin  de  la 
journée,  une  fois  la  tâche  achevée. 

Les  musulmans  montraient  par  ailleurs  la  plus  grande 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE   SOCIAL  3jl 

-dureté  vis-à-vis  de  leurs  captifs,  et  ces  derniers  se  trouvaient 
beaucoup  plus  heureux  chez  les  fétichistes  que  chez  les  is- 
lamisés. Le  captif,  surtout  le  captif  de  case,  n'était  en 
somme  guère  malheureux  chez  les  fétichistes,  et  il  faisait 
partie  intégrante  de  la  famille  et  jouissait  même  souvent 
d'une  grosse  influence.  Chez  le  musulman,  même  à  l'égard 
des  captifs  musulmans,  une  dureté  plus  prononcée,  une 
hauteur  blessante  et  une  observation  plus  stricte  et  plus 
impitoyable  du  statut  des  captifs  régnait,  même  à  l'égard 
des  anciens  serviteurs  de   la  famille  et  des  captifs  de  case. 

Par  contre,  l'affranchissement  des  captifs  à  la- suite  de 
vœux  ou  par  suite  de  circonstances  importantes  était  assez 
fréquent  chez  les  musulmans,  alors  qu'il  était  très  rare 
chez  les  animistes. 

L'affranchissement  était  le  plus  souvent  effectué  après 
l'exaucement  d'un  vœu  formulé  par  le  croyant  ;  générale- 
ment, la  naissance  d'un  enfant  mâle,  la  guérison  d'une 
maladie  ou  l'heureuse  issue  d'un  voyage.  L'affranchisse- 
ment par  expiation  à  la  suite  de  la  non-observation  volon- 
taire du  jeune  du  Ramadan  était  encore  assez  fréquent. 
Mais  tandis  que,  dans  le  premier  cas,  l'affranchi  était  un 
captif,  musulman,  autant  que  possible,  attaché  par  de 
vieux  liens  à  la  famille  du  maître,  dans  le  second  cas, 
c'était  toujours  une  jeune  fille  nubile  qui  bénéficiait  de  la- 
mesure  libératrice. 

Le  plus  souvent,  les  captifs  n'étaient  aucunement  tenus 
d'embrasser  la  foi  du  Prophète;  au  contraire,  ils  en  étaient 
toujours  dissuadés  par  la  douceur,  car,  malgré  tout,  la 
communauté  de  foi  faisait  disparaître  une  cloison  séparant 
le  captif  de  son  maître. 

En  effet,  en  1907,  au  moment  de  l'exode  des  captifs, 
tous  les  fétichistes,  et  la  plupart  des  musulmans  de  condi- 
tion servile,  ont  quitté  leur  patron,  et  les  captifs  de  case 
se  sont  d'eux-mêmes  affranchis,  tout  en  restant  dans  le 
pays  où  ils  étaient  nts.  Il  n'est  resté  chez  les  maîtres  que 


372  ÉTUDES    SUR    l'islam   EN   CÔTE    d'iVOIRE 

les  jeunes  gens  auxquels  les  patrons  s'étaient  intéressés,  et 
qui  avaient  suivi  avec  leurs  fils  les  écoles  coraniques.  On 
peut  dire  que  ces  captifs  sont  attachés  à  leur  maître,  comme 
à  un  père  spirituel,  et  qu'ils  trouvent  plaisir  et  intérêt  à 
rester  spontanément  sous  sa  tutelle,  d'ailleurs  devenue  fort 
douce.  Ils  sont  en  effet  choyés  à  l'extrême,  plus  souvent 
que  les  fils  eux-mêmes.  Ce  sont  les  seuls  serfs  qui  consen- 
tent à  travailler  encore  pour  leur  ancien  maître,  mais  le 
lien  qui  les  unit  est  purement  moral. 

Beaucoup  de  ces  gens  sont  maintenant  turbannés  et  con- 
sidérés comme  des  libres.  Ils  épousent  couramment  les 
filles  de  leurs  patrons.  L'un  d'eux,  à  Séguéla,  le  nommé 
Moussa  Barhayoro,  a  même  acquis  une  certaine  notoriété 
religieuse. 

En  somme,  on  peut  considérer  comme  affranchis  les 
captifs  restant  encore,  de  leur  plein  gré,  chez  les  anciens 
maîtres,  et  leur  situation  est  loin  d'être  malheureuse  :  elle 
est  même  souvent  supérieure  à  celle  de  la  majorité  des 
noirs  du  pays. 

II.  —  Castes. 

Les  castes  libres  sont  toutes  égales,  et  les  familles  mu- 
sulmanes sont  considérées,  dans  la  vie  ordinaire,  comme 
les  familles  fétichistes.  Les  professions  religieuses  et  édu- 
catives n'étant,  en  somme,  considérées  que  par  la  valeur 
ou  la  considération  de  celui  qui  s'y  adonnait,  n'étaient  en 
définitive  entourées  d'aucun  respect  spécial.  D'ailleurs,  nul 
n'est  adonné  seulement  à  une  profession  libre  ;  le  péda- 
gogue, par  exemple,  va  à  ses  cultures  en  dehors  de  ses 
heures  déclasse,  ou  bien  s'adonne  à  son  commerce. 

Les  castes  d'artisans,  griots  ou  noumou,  sont  partout 
assez  peu  considérées  et  en  certains  endroits  considérées 
comme  d'extraction  inférieure.  Les  mariages  entre  familles 
de  diamou  élevé  et  celles  d'artisans  étaient  interdits.  Ce- 


INFLUENCE   DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE    SOCIAL  BjS 

pendant  de  nombreuses  familles,  appartenant  à  ces  castes, 
étaient  souvent  converties  à  l'islam,  mais  les  barrières 
subsistaient. 

Remarquons  que  les  griots  sont  généralement  les 
hommes  de  confiance  des  musulmans,  dont  ils  sont  les 
conseillers  écoutés  et  aimés  :  ils  exploitent  en  effet  leur 
immense  orgueil  en  les  flattant  sans  limites.  Certains  de 
ces  griots  sont  responsables  de  la  ruine  des  familles,  au- 
trefois riches  et  prospères,  et  qu'ils  ont  abandonnées  sans 
vergogne  le  jour  où  leur  chef  s'est  trouvé  complètement 
ruiné. 

Aucun  empêchement  légal  n'empêche  les  libres  d'épou- 
ser des  griottes  ou  d'en  faire  leurs  concubines,  mais  la 
chose  ne  se  fait  pas.  C'est,  chose  curieuse,  par  suite  d'une 
entente  tacite  entre  toutes  les  femmes  libres  qui  ont  établi, 
de  temps  immémorial,  de  faire  la  grève  spéciale,  à  la 
Lysistrata,  envers  tout  homme  libre  soupçonné  d'avoir  eu 
des  relations  sexuelles  avec  une  griotte,  que  cette  règle  a  été 
établie.  Aussi  tout  homme  libre,  dans  son  village,  évite- 
t-il  avec  soin  les  griottes  afin  de  ne  point  donner  prise  à  une 
accusation,  dont  il  est  toujours  difficile  de  se  laver  et  qui  le 
mettrait  dans  l'impossibilité  absolue  de  trouver  à  l'avenir 
une  femme  libre  voulant  de  lui. 


12.  —  Autorité. 

L'autorité  politique,  exercée  par  le  Massa  ou  Farhama, 
ici  généralement  fétichiste,  est  en  principe  absolue.  Elle 
l'est  réellement,  si  le  Massa  ou  Farhama  est  puissant,  et  le 
seul  régime  est,  dans  ce  cas,  celui  de  son  bon  plaisir;  mais 
l'anarchie  règne  en  maîtresse  et  chacun  se  croit  et  est  libre 
de  toute  autorité,  si  le  Massa  est  faible  ou  menacé  par  de 
puissants  ennemis,  extérieurs  ou  intérieurs.  Dans  ce  cas» 
le  Farhama  était  obligé  dépasser  momentanément  son  au- 


374  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

torité  au  Kérémassa  (chef  de  guerre).  En  somme,  l'auto- 
rité politique  est  essentiellement  variable  et  évolue  depuis 
la  forme  patriarcale,  si  le  Massa  est  bienveillant,  mais  fort, 
à  la  tyrannie  la  plus  dure,  s'il  est  cruel  et  despotique  et  s'il 
aies  moyens  de  satisfaire  à  son  despotisme,  en  passant  par 
l'anarchie  absolue,  si  l'autorité  du  farhama  est  débile. 

Le  royaume  est  héréditaire  dans  la  famille  fétichiste,  qui 
en  a  la  garde,  et  transmissiblepar  héritage,  suivant  la  cou- 
tume animiste  de  l'héritage,  à  l'aîné  des  frères  du  roi  défunt 
et,  en  cas  d'extinction  des  frères,  au  fils  aîné  du  défunt,  A 
défaut  de  frères  et  de  fils,  le  commandement  est  acquis  au 
fils  aîné  du  défunt,  c'est-à-dire,  à  l'aîné  des  neveux  du 
défunt.  Les  musulmans  n'avaient  aucune  autorité  spéciale 
dans  ces  royaumes  fétichistes.  Cependant,  dans  beaucoup 
d'endroits,  les  musulmans,  plus  intelligents,  plus  hardis, 
et  peut-être  aussi,  en  raison  de  leur  foi,  plus  respectés^ 
fournissaient  généralement  les  Kérémassa  (chefs  de  guerre), 
ayant  sous  leurs  ordres  les  guerriers  du  royaume,  de  tout 
statut,  qui  les  reconnaissaient  pour  leurs  chefs.  Il  suit  de 
là  que  les  musulmans  possédaient  souvent  entre  leurs 
mains,  avec  l'autorité  des  Kérémassa  et  la  majorité  de  la 
population,  la  possibilité  de  s'emparer  du  pouvoir  poli- 
tique :  on  n'en  cite  guère  comme  exemple  que  les  États 
musulmans  de  Kong.  Mais  il  est  exact  de  dire  que  les 
musulmans  ont  toujours  préféré,  avant  notre  occupation 
comme  actuellement,  leur  eff'acement  politique  plein  de 
charmes,  de  profits  et  d'irresponsabilité,  aux  tracas  du 
pouvoir.  Du  reste,  la  situation  du  Kérémassa  était,  en 
elle-même,  pleine  de  profits,  puisqu'il  disposait  de  tout  le 
butin  recueilli  à  la  guerre  et  ne  donnait  que  ce  q^ui  lui 
plaisait  au  farhama,  auquel  souvent  il  parlait  en   maître. 

Le  farhama  rend  en  principe  une  justice  souveraine, 
lève  des  amendes,  ordonne  la  guerre,  a  le  droit  de  mort, 
d'où  son  nom.  Mais  c'est  là  le  principe  :  il  peut  tout,  s'il 
est  fort,,  et  ne  peut  rien,  s'il  est  faible. 


INFLUENCE    DE   l'iSLAM   DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  SyS 

Si  le  farhama  est  héréditaire,  le  Kérémassa  est,  au  con- 
traire, choisi  par  les  jeunes  gens.  En  principe,  tout  jeune 
homme  influent,  beau  parleur  intelligent,  peut  aspirer  à  ce 
titre.  Il  se  fait  des  partisans,  les  groupe,  les  aguerrit,  et 
lorsqu'il  se  sent  assez  fort,  pour  un  motif  quelconque,  se 
met  en  campagne,  sans  même  demander  l'avis  du  Massa. 
Si  la  guerre  est  heureuse  et  le  butin  abondant  au  début, 
les  recrues,  avides  de  pillage,  affluent:  si  au  contraire  les 
premières  escarmouches  sont  malheureuses,  l'infortuné 
Kérémassa,  abandonné  de  ses  troupes,  rentre  au  village,  en 
butte  à  la  colère  du  farhama,  devenu  soudainement  plus 
hardi.  Le  malheureux  chef  de  guerre,  non  content  de  sa 
déchéance,  se  voyait  souvent  obligé  de  payer  aux  familles 
intéressées  le  prix  du  sang  pour  les  jeunes  gens  qu'on 
l'accusait  maintenant  d'avoir  fait  tuer. 

A  côté  de  ces  chefs  fétichistes,  il  y  avait  quelques  vil- 
lages —  on  les  a  vus  plus  haut  —  qui,  entièrement  islami- 
sés, possédaient  des  chefs  musulmans.  Quant  à  l'autorité 
religieuse,  elle  n'appartient  point  à  la  famille  du  chef  de 
village  ;  le  pouvoir,  dans  ces  villages,  est  transmis  héré- 
ditairement, par  ligne  directe,  suivant  les  règles  et  restric- 
tions indiquées  plus  haut  pour  les  successions  musulmanes. 

Avant  les  événements  d'une  certaine  gravité,  le  farhama 
réunissait  les  vieillards  et  les  chefs  des  familles  patrony- 
miques, fétichistes  comme  musulmanes,  de  son  village  et 
des  villages  de  son  royaume,  intéressés  à  la  décision  à 
prendre.  L'Almamy  était  toujours  présent  à  ces  assemblées, 
mais  il  n'y  avait  point  voix  prépondérante. 

Le  farhama  suivait  généralement  la  décision  prise  en 
commun.  C'était  d'ailleurs  son  intérêt,  car,  en  cas  d'insuc- 
cès, il  était  ainsi  couvert  par  la  décision  des  autres. 

L'Islam  n'a  eu  aucune  action  sur  les  coutumes  politiques 
des  indigènes.  Soumis  à  l'autorité  politique  des  fétichistes, 
les  musulmans  ont  passivement  accepté  cete  sujétion  et 


376  ÉTUDES   SUR   l'islam   EN    CÔTE   d'iVOIRE 

n'ont  jamais  songé  à  réagir  :  bien  au  contraire  ils  se  sont 
imprégnés,  dans  la  vie  courante,  des  mœurs  et  des  coutumes 
fétichistes  et  les  ont  adoptées  presque  intégralement.  Au 
fait,  sans  doute,  ces  noirs  islamisés  n'ont-ils  fait  que  con- 
server les  mœurs  et  habitudes  auxquelles  ils  étaient  habitués 
avant  leur  islamisation  et,  n'ayant  jamais  vécu  qu'au  con- 
tact de  fétichistes,  pouvaient-ils  opérer  dans  leurs  mœurs 
une  révolution  en  copiant  celles  des  musulmans  de  longue 
date,  croyant  et  vivant  d'après  le  seul  Coran  ?  Évidemment 
non.  Ils  avaient  reçu  l'initiation  religieuse  et  réellement, 
au  point  de  vue  strict,  ce  sont  de  bons  musulmans;  au 
moins  a'U  point  de  vue  de  la  volonté  de  foi  ;  mais  en  ce  qui 
concerne  la  vie  courante,  ce  ne  sont  et  ne  peuvent  être  que 
des  fétichistes. 

Leur  action  politique  a  généralement  été  nulle.  Sans 
doute,  certains  musulmans  ont-ils  été  particulièrement 
vénérés  de  tous,  musulmans  comme  fétichistes,  mais  cette 
influence  a  été  purement  personnelle  et  non  particulière  à 
leur  statut.  Un  musulman  inconnu  n'est  pas  plus  respecté 
qu'un  fétichiste  également  inconnu.  Dans  les  conseils,  les 
vieillards  et  chefs  de  familles  musulmans  ne  valaient  plus 
que  les  vieillards  et  chefs  de  familles  fétichistes  qu'autant 
que  leur  influence  personnelle  valait  plus  que  celle  des  ani- 
mistes. Sinon,  aucune  différence  ne  se  manifestait  entre 
eux.  Sans  doute,  plus  cultivés,  plus  intelligents  en  général, 
plus  orgueilleux  aussi  et  d'esprit  plus  lucide,  voyaient-ils 
souvent  leur  influence  prépondérante  dans  la  vie  de  la  cité, 
et  leur  avis  personnel  souvent  suivi  :  mais,  toutes  choses 
égales  d'ailleurs,  un  fétichiste  d'égale  intelligence  et  ambi- 
tion, pouvait  aisément  obtenir  une  influence  semblable. 

En  un  mot,  l'Islam  n'a  jamais  eu  ici  de  vie  propre  au 
point  de  vue  social  et  sa  vie  politique  s'est  toujours  con- 
fondue avec  la  vie  politique  des  fétichistes,  à  l'égard  des- 
quels ils  se  trouvaient  politiquement  dans  un  état  de  demi- 
sujétion. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    SOCIAL  377 

A  chaque  famille  fétichiste  est  généralement  accolée, 
dans  les  régions  mixtes,  une  famille  musulmane:  ce  sont 
les  m.arabouts  de  la  famille  fétichiste.  Leurs  querelles  sont 
communes,  et  ils  ont  pour  rôle  d'attirer  les  bénédictions 
du  ciel  sur  les  infidèles,  tandis  que  ceux-ci  doivent  protec- 
tion aux  musulmans. 

Il  en  est  de  même  pour  les  tribus  :  la  famille  du  chef  avait 
ses  musulmans  qui  priaient  pour  elle,  mais  en  revanche, 
en  obtenaient  aide  et  protection.  Une  famille  fétichiste  par- 
tait-elle en  guerre,  elle  était  suivie  par  la  famille  musul- 
mane et  réciproquement.  Dans  les  guerres  de  village  à 
village  ou  de  canton  à  canton,  les  musulmans  et  les  féti- 
chistes d'un  parti  combattaient  de  part  et  d'autre  l'autre 
parti,  également  mixte.  C'est  dire  combien  l'action  des 
musulmans  fut  intimement  liée  à  la  vie  du  pays,  mais  elle 
ne  le  fut  point,  à  vrai  dire,  au  point  de  vue  musulman,  où 
les  islamisés  conservèrent  toujours  leur  individualité  ;  elle 
le  fut  en  tant  que  membres  d'une  même  cellule  sociale.  En 
d'autres  termes,  les  musulmans  ne  se  considérèrent  jamais 
comme  vivant  une  vie  particulière  dans  la  société  noire  du 
pays,  mais  au  contraire,  en  partagèrent  toutes  les  agitations 
et  se  considérèrent  toujours  comme  membres  d'une  même 
société  homogène  dans  ses  lois,  dans  ses  coutumes  et  dans 
sa  race,  croyant  seulement  d'une  façon  différente  en  l'Au- 
delà. 

Dans  ces  conditions,  leur  action,  en  tant  que  musul- 
mans, est  bien  difficile  à  démêler.  On  ne  retrouve  nulle  part, 
dans  la  vie  du  pays,  de  coutumes  indiquant  seulement  une 
tentative  d'ingérence  musulmane  orthodoxe  dans  la  vie 
sociale.  La  seule  qu'on  puisse  invoquer  serait  peut-être  la 
circoncision,  mais  elle  est  d'un  usage  général,  et  l'excision 
des  jeunes  filles.  Encore,  rien  ne  peut  prouver  que  celle-ci, 
également  usitée  par  une  partie  des  musulmans,  tandis 
qu'elle  est  d'un  usage  général  chez  les  animistes,  n'ait  pas 
été   imposée   moralement  par   ces  derniers  aux  islamisés. 


SyS  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

L'action  des  islamisés  sur  les  fejnmes  et  jeunes  gens 
fétichistes  varie  avec  la  personnalité  de  celui  qui  l'exerce  et 
ne  vaut  que  par  cette  personnalité.  En  principe,  aux  yeux 
des  femmes  et  jeunes  gens  fétichistes,  un  musulman  n'appa- 
raît pas  a  priori  paré  déplus  de  prestige  qu'un  animiste  de 
même  âge  et  d'égale  intelligence.  Il  est  vrai  que  rarement 
les  filles  musulmanes  sont  données  en  mariage  à  des  ani- 
mistes et  qu'au  contraire  nombreuses  sont  les  jeunes  filles 
fétichistes  mariées  à  des  musulmans.  Ces  dernières  ne  s'en 
considèrent  pas  comme  plus  honorées.  Nous  avons  vu  plus 
haut  qu'elles  étaient  pratiquement  laissées  libres  de  con- 
server leurs  pratiques  fétichistes  ou  d'embrasser  la  foi 
musulmane.  Cette  dernière  éventualité  se  présente  rare- 
ment, les  femmes  préférant  toujours,  tant  qu'elles  sont 
jeunes,  ne  point  se  charger  la  conscience  d'une  religion  mal 
cominode  et  propre,  malgré  toute  son  indulgence  aux  péchés 
de  la  chair,  à  faire  naître  le  remords  après  l'inconduite. 
Elles  en  sont  quittes  pour  l'adopter,  l'âge  du  calme  venu, 
afin  de  se  faire  une  face  de  respectabilité  tardive. 

Quant  aux  jeunes  gens,  très  rares  sont  ceux  qui,  de  leur 
propre  mouvement,  se  préoccupent  de  troquer  leurs  cro- 
yances païennes  contre  la  foi  islamique.  Il  n'y  a  guère  que 
ceux  qui  sont  confiés  jeunes  par  leurs  familles  à  des  mara- 
bouts, qui  se  soucient  de  faire  honneur  à  leur  foi  nouvelle 
et  s'en  trouvent,  en  retour,  honorés. 

En  définitive,  on  voit  que  l'Islam,  lui-même,  n'exerce 
aucune  action  propre  dans  les  milieux  fétichistes.  Une  peut 
en  exercer  que  par  des  individualités  particulièrement  res- 
pectées. 

i3.  —  Le  village. 

Les  Mandé  vivent  essaimes  au  milieu  des  populations 
Malinké  fétichistes  (Ouest)  Senoufo  (Ouest  et.  centre),  Kou- 
lango  et  Abron  (Est)  soit  en  de  petits  villages  autonomes, 


INFLUENCE   DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE    SOCIAL  3jg 

soit,  dans  les  grandes  agglomérations,  en  quartiers  dis- 
tincts, qui  peuvent  être  des  fragments  même  de  l'agglomé- 
ration, soit  plutôt  des  sortes  de  hameaux, à  quelques  mètres 
de  l'agglomération  Senoufo  ou  Koulango.  Le  village  où  le 
quartier  est  clos  par  un  mur  d'enceinte  en  briques  sèches 
ou  banco,  qui  va  de  case  à  case  extérieure.  11  arrive  même 
qu'à  l'intérieur  du  village  les  cases  d'une  même  famille 
sont  reliées  entre  elles,  extérieurement^,  par  un  mur  de 
banco,  de  sorte  que  le  groupement  familial  forme  un  petit 
quartierdans  le  village. 

Les  agglomérations  Mandé  se  signalent  tout  de  suite  par 
leur  apparence  urbaine  et  soudanaise.  Des  ruelles  étroites  et 
tortueuses  courent  entre  des  maisons  grises  à  murs  et  à  ter- 
rasse en  argamasse,  à  vestibule  et  à  patios.  Les  gargouilles 
de  terre  ou  de  bois  arrosent  le  passant,  en  lui  rappelant  les 
villages  de  la  vallée  du  Niger.  Les  fenêtres  minuscules  à 
grillages  de  bois,  et  de  style  arabe,  ressemblent  tout  à  fait 
aux  moucharabiehs.  Les  portes,  leurs  vantaux  souvent 
travaillés,  leurs  serrures,  souvent  ciselées,  semblent  une 
adaptation  locale  de  l'Orient.  Tout  prouve  immédiatement 
qu'on  est  dans  une  ambiance  Mandé  et  musulmane. 

Les  coutumes  urbaines  des  Mandé  musulmans  diffèrent 
peu  en  somme  de  celles  des  populations  animistes  qui  les 
entourent,  mais  il  est  à  remarquer  que  les  mœurs  com- 
merciales des  Dioula  et  leurs  perpétuels  déplacements  font 
que  leurs  villages,  à  moitié  vidés  de  leurs  habitants,  parais- 
sent toujours  désertiques.  De  plus,  les  cases,  non  réparées 
à  temps,  s'écroulent  et  achèvent  de  donner  à  l'agglomération 
un  aspect  lamentable.  La  différence  est  sensible  avec  les 
villages  Senoufo  voisins,  propres,  bien  entretenus,  et  grouil- 
lants d'habitants. 

Les  Mandé-Dioula,  plus  commerçants  que  cultivateurs, 
n'ont  pas,  au  même  titre  que  les  Senoufo,  Abron  et  Kou- 
lango, ces  mœurs  de  nomadisme  agricole  qui  caractérisent 
les  populations  de  la  savane.  L'exode,  à  certains  moments 


38o  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM  EN    CÔTE   d'iVOIRE 

de  l'année,  vers  les  hameaux  et  campements  de  culture 
n'est  pas  généralisé  et  ne  constitue  pas  pour  eux  un  véri- 
table rite  de  la  vie  agraire. 


14.  —  La  case. 

La  case  mandé  diffère  sensiblement  de  Thabitation  des 
tribus  de  la  zone  sylvestre  ou  de  la  région  maritime,  et  se 
rapproche  du  type  des  cases  soudanaises.  On  en  distingue 
deux  types:  la  case  ronde,  de  petite  ou  de  grande  dimen- 
sion, et  la  case  à  terrasses.  Dans  la  première,  les  murs  seuls 
sont  en  terre  et  la  toiture,  qui  est  en  forme  conique  et  en 
chaume,  consiste  en  faisceaux  d'herbe  sèche,  de  tiges  de 
graminée,  de  feuilles  de  rônier,  etc.  Elle  est  moins  com- 
mune, surtout  dans  les  grandes  agglomérations:  Bondou- 
kou,  Sandiévi,  Kong,  Dabakala,  que  la  case  à  terrasse, 
construite  tout  entière  en  banco.  L'armature  de  la  terrasse 
varie  selon  les  possibilités  locales  :  ici,  elle  est  faite  de  stipes 
de  dattier  nain,  ailleurs  de  bans  couverts  de  feuilles  de 
rônier.  L'argamasse,  bien  damé,  recouvre  le  tout.  Cette 
case,  supérieure  dans  l'ordre  architectural  à  la  case  ronde 
à  toiture  conique  de  chaume,  vaut  sûrement  moins,  au 
point  de  vue  hygiénique:  elle  est  chaude,  difficilement 
aérable,  malgré  les  petites  fenêtres,  possibles  ici,  souvent 
malpropre.  Cependant  à  cause  de  cette  supériorité,  et  sans 
doute  aussi  à  cause  des  plus  vastes  dimensions  qu'elle  per- 
met, c'est  cette  forme  que  les  Mandé  empruntent  pour  la 
construction  de  la  mosquée.  Il  est  rare,  même  dans  les 
villages  où  les  cases  sont  toutes  rondes,  à  toit  de  chaume, 
que  la  mosquée  ne  soit  pas  une  case  à  terrasse. 

Certains  centres,  comme  Mankono,  Séguéla,  sont  en  voie 
de  transformation.  Là  aussi,  les  musulmans  d'un  certain 
âge  et  d'une  certaine  situation  tendent  à  se  spécialiser  pour 
leurs  cases,  en  construisant  des  cases  à  argamasse,  quel- 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS   LE    DOMAINE    SOCIAL  38 1 

ques-unes  même  à  étage.  Pas  plus  qu'ailleurs  ces  cases 
ne  constituent  un  progrès  sur  la  case  ronde,  si  commode 
et  si  hygiénique. 

Elles  sont  sombres,  percées  de  rares  ouvertures,  toutes  en 
murs  et  en  coins  ;  incroyablement  basses  de  plafond,  si  elles 
sont  à  étage;  peu  solides  et  surtout  peu  étanches  à  la  pluie. 
C'est  cependant  le  summum  de  l'art  de  l'habitation  pour 
les  marabouts. 

Le  sol  est  toujours  damé,  et  la  plupart  du  temps,  pour 
lui  donner  plus  de  consistance,  on  mélange  au  banco  de 
la  bouse  de  vache. 

Les  Mandé,  et  aussi  les  Sénoufo,  mais  en  moindre  pro- 
portion, ont  introduit  dans  leurs  cases  l'ameublement  sou- 
danais, qui  diffère  sensiblement  de  celui  des  cases  de  la 
forêt,  beaucoup  plus  rustique,  ou  de  celui  des  cases  de  la 
côte,  beaucoup  plus  avancé.  La  natte  est  d'un  usage  cou- 
rant, mais  le  lit  ou  tara  est  très  répandu  :  c'est  un  grand 
cadre  de  bois  sur  lequel  sont  liées  de  solideset  souples  ner- 
vures de  raphia.  Les  matelas  de  kapok  ou  de  coton  sont  con- 
nus et  utilisés:  on  voit  que  les  Mandé,  grands  cultivateurs 
de  coton  et  ramasseurs  de  kapok,  ne  portent  pas  tout  à  la 
côte  et  savent  en  tirer  parti  pour  leurs  aises.  Les  petits  bancs 
(goun)  et  ustensiles  de  ménage  sont  quelquefois  travaillés 
avec  art.  Cependant  le  marabout,  toujours  poseur,  aurait 
tendance  à  se  servir  comme  siège  d'une  chaise  européenne, 
ordinaire  ou  longue,  ou,  à  défaut,  d'une  simple  natte  ou 
d'une  couverture  posée  à  terre.  Il  dédaigne  le  petit  siège, 
si  bas  et  si  commode,  dont  se  servent  les  fétichistes.  Pas  de 
tables.  La  vie  se  passe  sur  la  natte  et  si  le  marabout  est 
vénérable,  on  y  place  toujours  une  couverture  du  Macina 
ou  de  Ségou. 

Les  murs  sont  blanchis  ou  rougis  à  l'argile,  et  agrémen- 
tés de  dessins  géométriques,  cercles  et  arcs  de  cercle, 
triangles  simples  ou  doubles, carrés, losanges,  rosaces,  etc., 
d'inscriptions  religieuses,  notamment  la  teslima  et  même 


382  ÉTUDES  SUR   l'iSLAM    EN    COTE   d'iVOIRE 

de  formes  végétales,  animales  ou  humaines.  Il  faut  recon- 
naître que  les  Mandé  n'aiment  pas  beaucoup  cette  repro- 
duction des  formes  humaines,  sans  doute  par  tradition 
islamique.  Ces  peintures  sont  faites  à  grands  coups <ie  pin- 
ceaux de  raphia,  et  avec  de  la  peinture  rouge  ou  bleue^ 
blanche  ou  noire,  d'argile  locale  et  de  couleurs  végétales. 

La  bibliothèque  est  constituée  par  des  malles  de  traite 
ou  par  des  caisses,  où  les  livres  sont  entassés. 

L'art  est  représenté  par  des  enluminures,  parfois  très 
ingénieuses  et  même  artistiques,  qui  ornent  les  manuscrits. 
L'art  arabe  semble  se  retrouver  là  par  instants,  comme 
par  miracle.  Signalons  enfin  les  toits  coniques  des  ribat 
ou  cases  à  prière,  dont  l'intérieur  est  souvent  orné  de  des- 
sins géométriques,  faits  en  baguettes  flexibles  de  raphia  et 
en  fines  lanières  de  bois  divers,  disposées  parfois  avec  un 
art  véritable  et  assez  curieusement  coloriées. 


i5.  —  Le  vêtement. 

La  conversion  à  l'islamisme,  comme  au  christianisme 
d'ailleurs,  amène  chez  les  Noirs  une  transformation  vesti- 
mentaire sensible.  Les  populations  musulmanes  s'habil- 
lent ou  tendent  vers  l'habillement.  On  le  remarque  au 
premier  coup  d'oeil,  chez  les  Mandé,  où  évidemment  beau- 
coup ne  portent  encore  que  le  petit  morceau  d'étoff^e,  dit 
fort  justement  cache-sexe,  mais  où  un  grand  nombre  de 
personnes  connaissent  l'usage  du  large  pagne,  soit  tissé 
dans  le  pays  et  souvent  passé  à  l'indigo,  par  des  artisans 
dioula,  soit  importé  par  des  congénères  dioula.  Hommes 
et  femmes  utilisent  ce  pagne,  soit  sur  les  reins,  soit  sur  les 
épaules.  De  plus,  l'usage  d'une  large  blouse  de  cotonnade 
blanche  ou  bleue,  largement  échancrée  au  cou,  se  répand 
de  plus  en  plus,  et  de  chez  les  Mandé  musulmans,  elle 
passe  chez  les  Senoufo,  Koulango  et  Abron  fétichistes.  Les 


INFLUENCE    DE   l'iSLAM    DANS  LE   DOMAINE    SOCIAL  383 

pagnes  européens  peuvent  rarement  concurrencer  le  tissage 
local  pour  la  solidité  du  tissu,  la  fermeté  de  sa  coloration, 
et  surtout  pour  l'ornementation  très  spéciale  à  ces  popula- 
tions. 

L'habillement  classique  des  musulmans  soudanais  se 
trouve  aussi,  quoique  plus  rarement,  chez  les  dioula,  sei- 
gneurs du  commerce  ou  du  snobisme  :  sur  les  membres 
inférieurs,  un  pantalon  ou  un  caleçon  flottant,  sur  le  torse 
une  chemise  blanche;  par-dessus  le  tout,  un  grand  boubou 
blanc,  et  plus  souvent  bleu,  quelquefois  même  un  caftan 
marocain.  Une  chéchia  ou  encore  un  bonnet  blanc,  rond 
ou  en  mitre,  couronne  le  chef  d'un  personnage  aussi  dis- 
tingué et  qui  est  incontestablement  musulman.  On  peut 
soupçonner  des  chef  Sénoufo,  comme  Gbon  Koulibali,  sei- 
gneur de  Korhogo,  de  ne  se  dire  musulmans  que  pour 
pouvoir  arborer  un  complet  aussi  élégant,  et  qui  serait 
une  innovation  trop  dangereuse,  —  au  point  de  vue 
ridicule, —  s'ils  restaient  fétichistes.  A  moins  toutefois  que  ce 
ne  soit  le  contraire,  et  qu'on  ait  décrété  Gbon  musulman, 
du  jour  où  il  a  commencé  à  s'habiller  comme  les  riches 
Dioulas.  11  a  laissé  dire  et  faire.  Toujours  est-il  que  les 
musulmans  ne  cherchent  qu'à  saisir  les  occasions  de  se 
parer  des  vêtements,  qui  déterminent  nettement  leur  qua- 
lité, et  qu'en  dehors  des  fêtes  religieuses,  ce  qui  est  natu- 
rel. Us  ne  manquent  jamais  une  fête  civile  (14  juillet, 
i^""  janvier),  le  départ  ou  l'arrivée  de  fonctionnaires  du 
poste,  le  passage  d'un  hôte,  etc.,  pour  mettre  toutes  voiles 
et  tuniques  dehors,  et  arriver  processionnellement  au 
poste. 

Le  vêtement  est  moins  répandu  chez  les  femmes  que 
chez  les  hommes,  même  cJiez  les  populations  islamisées. 
Il  n'y  a  guère  qu.e  la  femme  âgée,  qui  s'enveloppe  d'un 
boubou,  ce  qui  est  évidemment  beaucoup  plus  une  preuve 
de  coquetterie  que  de  piété.  Les  jeunes  femmes  ont  le 
cache-sexe,  souvent  un  pagne  autour  des  reins,  et  quel- 


384  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

quefois  une  sorte  de  voile  qui,  posé  sur  la  tête,  à  la  ma- 
nière d'un  châle,  retombe  sur  les  épaules  et  peut  se  fermer 
sur  la  poitrine. 

Certains  peuples  de  la  haute  Côte  d'Ivoire,  les  Birifon, 
les  Lobi,  à  cheval  d'ailleurs  sur  la  frontière  soudanaise, 
n'ont  aucun  vêtement.  Leurs  cases  ou  soukala  sont  cons- 
truites en  terre  rouge.  Elles  ont  l'aspect  de  véritables  châ- 
teaux forts,  ne  communiquent  avec  l'extérieur  que  par  une 
seule  entrée,  située  au  ras  du  sol.  Sous  les  soukala,  fort 
obscures,  sont  disposés  des  caveaux  où  sont  ensevelis  les 
morts.  Ce  n'est  pas  sans  hésitation  que,  même  de  nos 
jours,  les  Mandé  musulmans  se  risquent  chez  ces  peuplades 
arriérées. 

i6.  —  La  parure. 

Les  Mandé  musulmans  laissent  aux  tribus  de  la  forêt 
l'usage  des  bijoux  d'or.  La  savane  ne  renferme  pas  en 
effet  le  précieux  métal.  En  revanche  les  bijoux  d'argent 
abondent  :  anneaux  de  pieds,  bracelets,  bagues,  boucles  de 
poitrine  ou  d'oreilles,  épingles  à  cheveux,  chaînes  et  sau- 
toirs. Ce  métal  est  d'ailleurs  des  plus  grossièrement  tra- 
vaillé, et  provient  des  barres  d'argent,  que  vendent  les 
dioulas,  ou  plus  simplement  de  notre  monnaie  division- 
naire ou  des  shillings  anglais.  Certains  de  ces  bijoux  rap- 
pellent la  forme  des  bijoux  arabes  ou  maures.  Il  doit  y  avoir 
eu  dans  le  passé  importation,  imitation,  que  sais-je? 

Les  musulmans,  comme  leurs  voisins  animistes,  se  pas- 
sent sur  le  corps  et  la  figure  des  bariolages  de  sève  blanche 
de  certaines  sapotacées.  C'est  tantôt  dans  un  but  de 
parure  et  tantôt  comme  remède.  Hommes  et  femmes,  fils 
du  Prophète,  usent  naturellement,  aux  jours  de  fête,  du 
henné  porte-bonheur. 

La  chevelure  est  l'objet  de  soins,  surtout  chez  les  femmes 
et  la  coifture  varie  d'une  tribu  à  l'autre,  et  même  de  vil- 


INFLUENCE    DE    L'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   SOCIAL  385 

lage  à  village  et  de  famille  à  famille.  Les  femmes  Mandé 
portent  généralement  une  sorte  de  cimier  bas,  avec  petites 
tresses,  descendant  sur  les  côtés,  et  même  en  avant  et  en 
arrière.  Remarquons  que  les  musulmans  ont  conservé 
l'habitude  ancestrale,  universelle  chez  les  animistes,  de  se 
raser  la  tête  à  l'occasion  d'un  deuil  de  famille,  et  d'en 
faire  l'hommage  au  défunt  sur  sa  tombe.  Mais  cette  cou- 
tume tend  à  disparaître  dans  certains  villages  islamisés. 
Dans  ceux-ci,  il  est  de  coutume  que  les  cheveux  ne  doivent 
pas  être  longs,  les  jours  de  fête.  Il  n'est  pas  indispensable 
toutefois  qu'ils  soient  rasés  de  frais. 

La  barbe  est  commune  chez  les  islamisés,  mais  est  sou- 
vent ramenée  en  un  collier.  La  moustache  est  ou  coupée 
ou  rasée  :  c'est  la  coutume  musulmane. 

Dans  le  domaine  des  tatouages  et  scarifications,  l'in- 
fluence de  l'Islam  s'est  fait  sentir  d'une  façon  très  nette. 
Les  mutilations  ont  disparu  en  proportion  directe  du  degré 
d'islamisation.  Il  est  vrai  qu'elles  n'étaient  pas  très  répan- 
dues et  fort  minimes.  Les  dioulas  instruits,  les  cheikhs, 
les  marabouts  n'ont  pas  du  tout  de  mutilations  ou  de 
kéroïdes,  et  en  fait  de  tatouages,  n'ont  souvent  que  des 
points  :  ils  le  disent  et  en  tirent  orgueil.  Chez  les  autres, 
les  tatouages  sont  plus  répandus,  mais  les  incisions  du  vi- 
sage ont  à  peu  près  disparu.  Il  n'y  a  guère  que  chez  les 
femmes  de  la  région  de  Kong,  où  l'on  puisse  trouver 
quelques  scarifications,  en  rayon  autour  du  nombril. 


17.  — L'alimentation. 

L'alimentation  des  peuplades  islamisées  du  Nord  n'a 
rien  qui  la  distingue  spécialement  de  celle  de  leurs  voisins 
animistes.  Remarquons  seulement  que  l'anthropophagie 
.avait  absolument  disparu,  dès  avant  notre  arrivée,  que  le 
gibier  ou  le  bétail  doit  être  généralement  abattu  suivant 

25 


386  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

le  rite  musulman  et  enfin  que  le  porc  est  éliminé  de  rali- 
mentation.  Ce  n'est  pas  qu'on  n'en  rencontre  pas  quelque- 
fois dans  les  villages  ou  champs  dioula,  mais  ils  viennent 
du  village  ou  du  quartier  voisin,  malinké  ou  senoufo.  Ce 
goût  de  la  viande  interdite  n'est  d'ailleurs  pas  spécial  aux 
fétichistes.  Les  musulmans  ne  se  privent  pas  pour  manger 
clandestinement  un  quartier  de  sanglier  ou  de  porc.  Ils  ne 
se  cachent  pas  toujours  d'ailleurs,  et  en  mangent  ouverte- 
ment, en  affectant  l'ignorance  de  l'origine  de  cette  viande 
ou  de  sa  nature.  Caillié  rapporte  un  fait  amusant,  qui  sur- 
vint à  Timé  en  août  1827.  Le  chef  de  village  lui  avait  donné 
un  morceau  de  viande,  qu'à  table  il  reconnut  être  du  san- 
glier. Comme  il  posait  pour  musulman,  il  prit  peur, 
et  fît,  dit-il  :  «  difficulté  de  continuer,  car  je  craignais  de 
me  compromettre,  mais  mon  jeune  guide  de  Sambatikila, 
moins  scrupuleux,  me  conseilla  de  suivre  son  exemple  en 
m'assurant  que  c'était  très  bon.  Les  Mandingues,  malgré 
leur  superstition,  ne  se  font  aucun  scrupule  de  manger  la 
chair  de  cet  animal,  quoiqu'elle  soit  expressément  défen- 
due par  le  Coran  ». 

La  boisson  est  généralement  l'eau,  mais  s'accompagne 
quelquefois  de  liqueurs  fermentées,  où  le  Prophète  trou- 
verait à  redire  :  le  bangui  ou-  vin  de  palme,  une  sorte 
d'hydromel  alcoolisé,  et  surtout  le  dolo  ou  bière  de  mil  ou 
de  maïs,  sont  fort  en  honneur  chez  tous  les^^Mandé,  musul- 
mans ou  animistes.  Il  est  vrai  que  les  marabouts,  qui  tien- 
nent à  leur  réputation,  y  mettent  quelques  formes  :  ils  ne 
boivent  pas  en  public,  mais  se  rattrapent  dans  leurs  cases. 

Un  reproche  plus  grave  qu'on  pourrait  faire  à  l'islam, 
c'est  que  ses  adeptes,  les  dioulas,  ont  été,  chez  les  popula- 
tions sylvestres,  les  plus  actifs  propagateurs  de  l'absinthe, 
du  gin,  du  genièvre  et  autres  aflPreux alcools  de  traite.  Loin 
de  préserver  la  région  de  l'alcoolisme,  ils  l'ont  soumise, 
par  leur  commerce  et  leurs  tentations,  au  joug  de  l'ivrogne- 
rie la  plus  dégradante. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS   LE    DOMAINE    SOCIAL  38j 

Une  dernière  remarque,  touchant  l'hospitalité  alimen- 
taire. Elle  est  beaucoup  moins  pratiquée  chez  les  musul- 
mans que  chez  les  fétichistes.  Cela  tient  sans  doute  à  ce 
que  les  Mandé  musulmans,  tous  plus  ou  moins  dioulas,  et 
liés  par  leur  solidarité  religieuse  et  commerciale,  ont  de 
gros  frais  de  réception  et  qu'ils  mettent  beaucoup  plus  de 
mauvaise  grâce  à  accueillir  un  étranger  douteux  que  ne  le 
font  les  fétichistes.  René  Caillié  fait,  à  plusieurs  reprises, 
la  même  remarque,  et  il  était  mieux  placé  que  quiconque 
pour  en  vérifier  la  justesse. 


i8.  —  La  musique  et  la  danse. 

La  musique  et  la  danse  sont  mêlées  intimement  à  toutes 
les  manifestations  de  la  vie  familiale  et  sociale  du  peuple 
Mandé,  et  y  atteignent  même  une  perfection  remarquable. 

Il  serait  hors  de  propos  de  s'étendre  longuement  sur  ce- 
sujet,  mais  il  convient  tout  de  même  de  citer  en  entier  la:- 
description  des  funérailles  d'une  femme  malinké  de  Timé 
(Odienné),  faite  par  René  Caillié  en  1828,  et  remarquable 
d'exactjtude.  J'ai  assisté  dans  les  mêmes  conditions  aux 
funérailles  d'une  femme  à  Kong,  le  5  avril  1920.  A  un 
siècle  et  à  3oo  kilomètres  de  distance,  il  n'y  a  rien  de 
changé,  et  je  laisse  la  parole  à  la  description  plus  savou- 
reuse et  qui  paraîtra  moins  tendancieuse,  de  Caillié.  On 
verra  quelle  part  importante  la  musique,  le  rythme,  la 
cadence,  la  danse,  tiennent  dans  ce  fait  divers  de  la  vie 
familiale  :  des  funérailles.  Il  en  va  de  même  pour  tous  les 
autres  phénomènes  sociaux. 

«  Un  jeune  Mandingue  célébrait  les  funérailles  de  sa 
mère,  décédée  il  y  avait  à  peu  près  quinze  jours  :  le  jour 
même  de  son  décès,  j'avais  été  attiré  dans  son  voisinage  par 
le  bruit  de  la  musique.  Je  vis  dans  sa  cour  deux  grosses 
caisses  faites  dans  le  genre  des  nôtres,  avec  des  cymbales 


388  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  cjte  d'ivoire 

que  l'on  agitait  fortement;  les  femmes  du  voisinage  accou- 
raient et  apportaient  quelques  petits  présents  pour  rendre 
hommage  à  la  défunte  :  on  les  déposait  dans  un  grand  pa- 
nier rond,  placé  exprès  au  milieu  de  la  cour,  pour  recevoir 
ces  offrandes;  ensuite  ces  femmes  prenant  un  maintien 
triste,  se  mirent  en  file,  et  suivirent  la  musique  en  mar- 
chant en  cadence,  remuant  les  mains  et  la  tête,  en  signe 
d'affliction  ;  quelquefois  elles  battaient  la  mesure,  en  frap- 
pant les  mains  l'une  contre  l'autre,  et  chantant  un  air 
lugubre.  Cette  scène  dura  toute  la  journée.  Je  demandai  si 
les  cadeaux  que  l'on  apportait  dans  la  cour  de  la  défunte 
seraient  mis  en  terre  avec  elle,  car  les  Bambaras  ont  cet 
usage  superstitieux;  les  Mandingues  dirent  qu'il  n'existait 
pas  chez  eux,  et  que  les  présents  serviraient  pour  célébrer 
la  fête  du  dégué-sousou. 

«  Le  8  janvier  1828  fut  le  jour  de  la  fête  :  elle  eut  lieu 
près  de  l'humble  habitation  de  la  défunte,  à  l'ombre  de  gros 
bombax,  qui  paraissaient  aussi  vieux  que  la  terre  ;  la  mu- 
sique, assez  bien  composée,  consistait  en  quatre  grosses 
caisses,  autant  decymbales,  et  six  hautbois,  comme  ceux  du 
Ouassoulo  que  j'ai  décrits.  Les  musiciens  étaienttous  Bam- 
baras, car  la  rigidité  du  Coran  ne  permet  pas  aux  musul- 
mans de  s'adonner  à  la  musique  (i). 

«  Plusieurs  petits  enfants,  le  corps  couvert  de  feuilles 
d'arbre  bien  arrangées,  ayant  sur  la  tête  quelques  plumes 
d'autruche,  tenaient  dans  chaque  main  un  panier  rond 
avec  une  anse,  dans  lequel  il  y  avait  des  morceaux  de  fer 
et  des  cailloux  ;  ils  accompagnaient  la  musique,  en  sautant 
en  cadence  et  agitant  leurs  paniers,  qui  faisaient  entendre 
un  cliquetis  d'un  effet  bizarre.  Il  y  avait  deux  chefs  de  mu- 
sique qui  réglaient  les  moments  où  l'on  devait  jouer;  ils 


(i)  Les  Bambaras  de  Caillié  sont  les  Malinké  fétichistes.  Il  est  inexact  que 
la  musique  leur  soit  exclusivement  spéciale.  Les  Malinké  musulmans  ont 
sur  ce  point  les  mêmes  goûts  et  les  mêmes  mœurs  que  leurs  cousins  féti- 
chistes. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS   LE    DOMAINE   SOCIAL  389 

étaient  couverts  d'un  joli  manteau  en  réseau  de  coton  très 
blanc,  avec  une  frange  autour;  ils  avaient  un  bonnet  noir, 
bordé  d'écariate  et  de  cauris,  et  garni  de  quelques  plumes 
d'autruche  ;  le  corps  de  musiciens  se  tenait  debout,  au  pied 
d'un  baobab. 

«  L'assemblée  était  nombreuse,  et  tout  le  monde  propre- 
ment habillé  ;  les  hommes  s'étaient  affublés  de  tout  ce 
qu'ils  avaient  déplus  beau  ;  j'en  vis  plusieurs  avec  un  petit 
coussabe,  couleur  de  rouille,  tout  parsemé  d'amulettes^ 
recouvertes  de  petits  morceaux  d'écariate  et  d'étoffe  jaune  : 
les  uns  étaient  armés  de  fusils  et  les  autres  d'arcs  et  de 
flèches  comme  s'ils  allaient  au  combat  ;  ils  portaient  aussi 
de  grands  chapeaux  de  paille  ronds,  fabriqués  dans  le  pays. 
Ils  faisaient  tous  ensemble  le  tour  de  l'assemblée,  en  sau- 
tant et  dansant  au  son  de  la  musique,  que  je  trouvais  très 
agréable;  de  temps  à  autre,  ils  paraissaient  furieux,  tiraient 
des  coups  de  fusil,  et  couraient  de  tous  côtés  en  jetant  des 
regards  menaçants  ;  les  hommes,  armés  d'arcs  et  de 
flèches,  simulaient  aussi  la  fureur  ;  ils  couraient  comme 
s'ils  allaient  se  jeter  sur  l'ennemi,  et  faisaient  semblant  de 
lancer  des  flèches.  Ces  hommes  étaient  suivis  d'une  quan- 
tité de  femmes  proprement  habillées,  ayant  chacune  sur  le 
cou  un  pagne  blanc,  qu'elles  tournaient  de  côté  et  d'autre 
en  marchant  au  son  de  la  musique,  et  observant  le  plus 
grand  silence.  Les  premiers  qui  se  trouvaient  fatigués  se 
retiraient,  et  étaient  bientôt  remplacés  par  d'autres,  qui 
venaient  surprendre  l'assemblée.  Ceux  qui  sortaient  de  la 
fête  couraient  bien  fort,  et  étaient  suivis  de  quelques  musi- 
ciens, qui  les  accompagnaient  en  jouant  jusqu'à  leurs  cases, 
et  là,  ils  recevaient  en  cadeau  quelques  noix  de  kolas.  Vers 
le  milieu  de  la  fête,  tous  les  hommes,  parents  de  la  dé- 
funte, parurent  habillés  de  blanc;  ils  étaient  en  file  sur 
deux  rangs;  ils  tenaient  chacun  à  la  main  un  morceau  de 
fer  plat,  sur  lequel  ils  frappaient  avec  un  autre  plus  petit; 
ils  firent  le  tour  de  l'assemblée  en  observant  la  mesure  et 


Sgo  ÉTUDES  SUR  l'islam  en  côte  d'ivoire 

chantant  un  air  triste  et  sonore;  ils  étaient  suivis  par  des 
femmes,  qui  répétaient  le  même  chant  en  chœur  et  en  frap- 
pant des  mains  par  intervalle.  Le  fils  de  la  défunte  les 
suivait;  il  était  bien  habillé  et  armé  d'un  sabre,  mais 
ne  paraissait  pas  très  affecté.  Après  avoir  fait  le  tour  de 
l'assemblée,  ils  s'éloignèrent,  et  les  danses  guerrières  re- 
commencèrent. Deux  vieillards,  parents  de  la  défunte, 
étaient  les  ordonnateurs  de  la  fête;  ils  parlaient  au  public  à 
haute  voix  et  faisaient  l'apologie  des  bonnes  qualités  de 
leur  parente.  La  fête  finit  par  un  grand  repas  :  on  mangea 
le  cabri  que  l'on  avait  tué  le  matin.  Je  remarquai  avec 
plaisir  que  le  silence  et  le  bon  ordre  n'avaient  pas  cessé  de 
régner  tout  le  temps  de  la  fête,  qui  fut  très  gaie.  La  jeu- 
nesse dansa  presque  toute  la  nuit.  Le  jeune  fils  de  la  dé- 
funte s'éloigna  du  souper  qu'il  donnait,  et  vint  partager  le 
nôtre.  » 

Les  instruments,  dit  Delafosse,  sont  de  deux  sortes  :  les 
uns,  ne  produisant  chacun  qu'un  son  unique,  ou  plutôt  ne 
donnant  qu'une  note  unique,  sont  destinés  à  marquer  le 
rythme,  chose  qui  semble  tenir  la  place  la  plus  importante 
dans  la  musique  nègre;  à  cette  classe  appartiennent  les 
tambours  de  diverses  formes  et  de  tailles  variées,  à  une  ou 
à  deux  peaux,  les  clochettes  de  fer,  les  bâtonnets  de  bois, 
ies  calebasses  remplies  de  cailloux,  les  courges  creuses  et 
longues,  les  trompes  de  bois,  de  corne  ou  d'ivoire. 

La  seconde  catégorie  comprend  les  instruments  dont 
chacun  peut  donner  une  gamme  de  sons  plus  ou  moins 
étendus  :  ce  sont  les  hautbois,  les  ^flûtes,  les  flageolets,  les 
guitares  et  enfin  les  balan  ou  xylophones,  dans  lesquels  le 
son  des  touches  de  bois  est  augmenté  et  modifié  à  l'aide  de 
calebasses  creuses,  suspendues  au-dessous  des  touches. 

Les  musiciens  et  les  danseurs  de  caractère  font  partie  de 
la  caste  des  griots,  dans  laquelle  se  recrutent  aussi  les 
"bouffons  de  cour  et  les  bardes  officiels,  qui  amusent  ceux 
qui  les  paient  et  chantent,  ou  plutôt  crient  leurs  louanges. 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE   SOCIAL  3^  I 

Mais  la  danse  est  un  passe-temps  cher  à  toutes  les  castes, 
à  toutes  les  classes  de  la  société,  à  tous  les  âges,  à  tous  les 
sexes  et  à  toutes  les  religions,  dans  le  pays  qui  nous  occupe. 
«  Quand  le  soleil  se  couche,  l'Afrique  danse,  »  disait  Burdo. 
Il  n'y  a  guère  que  les  gens  âgés  et  vénérables,  les  mara- 
bouts, les  chefs,  qui  n'y  prennent  pas  part,  par  souci  de 
leur  dignité.  Encore  voit-on  de  vieilles  femmes  s'y  livrer 
avec  frénésie,  et  quelques  chefs  risquer  des  pas,  qui  ne  sont 
pas  toujours  très  élégants,  mais  qui  excitent  toujours  les 
hourrahs  de  la  foule. 

Ces  danses  ne  manquent  ni  de  grâce  ni  d'originalité. 
René  Caiilié  note  à  diverses  reprises  qu'il  a  «  pris  plaisir  à 
les  voir  se  divertir  »,  que  leur  «  musique  est  agréable  ».  Il 
existe  dans  quelques  localités  de  véritables  corps  de  ballet 
qui  auraient  certainement  un  gros  succès  dans  nos  music- 
halls  parisiens,  notamment  celui  de  Kimbérila,  justement 
célèbre  à  la  Côte  d'Ivoire.  On  observe  que  les  danses  des 
Malinké  et  Dioula  musulmansdiffèrent  complètement  des 
ébats  chorégraphiques  des  populations  sylvestres  et  même 
savanaises  voisines. 


19.  —  Onomastique. 

L'influence  islamico-arabe  s'est  fait  sentir  quelque  peu 
dans  l'a  langue  mandé  (dialectes  malinké  et  dioula)  de  la 
haute  Côte  d'Ivoire.  On  peut  en  signaler  les  principales 
manifestations. 

'a)  L'hagiographie  musulmane  a  pris  la  place,  ou  peu 
s'en  faut,  de  toute  l'onomastique  Mandé.  Il  s'agit,  bien  en- 
tendu du  prœnomen,  spécial  à  l'individu,  car  le  nomen 
ou  nom  de  famille  ou  de  clan  (Cissé,  Taraoré,  Konaté, 
Fofana,  Karamorho,Sotodogho,  etc.)  n'ont  pas  été  touchés. 

On  trouvera  donc  d'innombrables  Amadou,  Mamadou, 
Mamadi,   Mamoudou,  Mamourou,   Souleïmana,    Abdoul- 


392  ÉTUDES   SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

laye,  Bakari,  Lancina,  Oussoumana,  Séko  (cheikh), 
Lamina,  Sidiki,  Birahima,  Soumaila,  Mariana,  Fatimatou 
et  leurs  innombrables  dérivés.  Il  n'est  pas  difficile  d'y 
reconnaître  les  noms  arabes  correspondants,  et  souvent  pro- 
digieusement déformés.  Parfois  ces  noms  sont  précédés 
de  Va  ou  Fa,  qui  est  le  mot  malinké  «  père  »,  terme  de 
respect. 

b)  Il  y  a  des  vocables  de  langue  noire  qui  possèdent  un 
sens  se  rapportant  à  l'islam  et  qui  sont  employés  tantôt 
comme  noms  communs,  tantôt  comme  noms  propres. 
Exemple  :  Karamorho,  maître  ;  Fodi  Fodé,  docteur  ; 
Tierno,  lettré,  cheikh  ;  Modi,  Mori,  musulman,  etc.. 

c)  Un  certain  nombre  de  villes,  ou  de  villages,  ont  reçu 
des  noms  islamiques  :  Odienné,  ou  l'honneur  de  Dienné, 
(Al-Djanna)  le  paradis  ;  Touba,  à  plusieurs  exemplaires,  en 
l'honneur  de  Touba  du  ciel;  Salama,  le  salut  ;  Madina,  à 
plusieurs  exemplaires,  en  l'honneur  de  Médine,  etc.. 

d)  Les  mois  et  les  jours  de  la  semaine  sont  tirés  de 
l'arabe,  avec  une  certaine  déformation. 

e)  Quelques  termes  concernant  surtout  la  vie  religieuse, 
comme  Allah,  Dieu;  Nabi,  Prophète;  Karandé,  élève;  Ka- 
ranta,  école  coranique  ;  Karamorho,  maître  d'école  ;  dia- 
miou,  mosquée-cathédrale;  missidi,  missiri,  mosquée  ordi- 
naire ,  dyiné,  guina,  niéna,  esprit,  djinn  ;  les  vocables 
techniques  en  quelque  sorte  professionnels  :  Alimamou, 
l'imam;  Kotbatou,  le  prône;  Minbarou,  la  chaire,  etc.  ; 
quelques  salutations  religieuses:  salam,  alla  bi  dia,  etc., 
les  noms  des  prières  de  la  journée,  etc.,  et  enfin  quelques 
rares  termes  commerciaux  :  dorom;  la  pièce  de  cinq  francs, 
dirhem. 

En  somme,  l'influence  de  l'arabe  ou  de  l'islam  dans  l'ono- 
mastique mandé  est  minime.  Elle  est  loin  d'atteindre  le 
degré  que  nous  avons  vu  chez  d'autres  populations  méla- 
niennes  :  Toucouleurs  et  Ouolof  du  Sénégal  ;  Songaï  du 
Soudan  ;  Foula  du  Fouta-Diallon. 


CHAPITRE  VII 

INFLUENCE  DE  L'ISLAM  DANS  LE  DOMAINE  ÉCONOMIQUE  (i) 

I.  —  Agriculture. 

On  verra  plus  bas  que,  dans  beaucoup  de  centres,  les 
musulmans,  hommes  et  femmes,  s'adonnent  uniquement 
au  commerce.  Ils  ne  font  dans  ces  villages  que  fort  peu  de 
cultures,  et  vivent  sous  la  dépendance  économique,  en  ce 
qui  concerne  les  denrées  vivrières,  des  populations  féti- 
chistes environnantes.  C'est  le  cas  de  tous  lesgrands  centres  : 
Bondoukou,  Kong,  Séguéla,  Touba.  Il  faut  voir  combien 
est  curieuse  la  vie  des  musulmans  de  ces  centres  au  point 
de  vue  agricole  et  commercial.  C'était  également  le  cas  de 
nombre  de  villes  de  second  plan  :  Kadioha,  Séguéla,  Kani, 
Boron,  avant  la  libération  des  captifs.  Mais  actuellement, 
le  population  fétichiste  y  étant  insuffisante  pour  nourrir 
la  population  musulmane,  celle-ci  a  dû,  les  captifs  partis, 
se  résigner,  et  se  mettre  à  son  tour  à  travailler  la  terre. 
Elle  l'a  fait  non  sans  rechigner,  et  actuellement  encore, 
les  cultures  de  ces  villages  sont  moins  considérables  et 
moins  bien  tenues  que  celles  des  fétichistes  environnants. 

Pendant  le  temps  laissé  libre  par  les  travaux  des  champs, 
toute  la  jeunesse  musulmane  s'égaille  dans  toutes  les  direc- 
tions et  va  faire  du  commerce,  surtout  dans  la  forêt,  et 

(i)  Renseignements  dus  souvent  aux  administrateurs  Le  Campion  et  Ripert 


394  -  ÉTUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

vers  Bamako  ou  Kankan,  dans  l'Ouest  ;  vers  Bouaké, 
Sikasso  ou  Bobo,  au  centre  ;  vers  la  Gold  Coast  ou  le  Sud, 
à  l'Est.  Cette  pratique  est  assez  malheureuse  :  beaucoup  de 
ces  jeunes  gens,  intelligents  et  travailleurs,  préfèrent  res- 
ter hors  de  leurs  villages  et  demeurer  à  Daloa,  Bobo,  Ba- 
mako, Kankan  ou  Bcruaké,  où  ils  peuvent  librement 
s'adonner  à  leurs  occupations  favorites,  le  commerce.  On 
verra  plus  loin  les  conséquences  sociales  de  cette  tendance. 
Mais  dès  maintenant,  on  peut  signaler  quelle  répercussion 
profonde  ces  mœurs  ont  sur  le  coût  ordinaire  de  la  vie. 
Ce  coût  est  deux  fois  plus  cher  au  pays  musulman  qu'en 
pays  fétichiste,  où  l'on  trouve  tous  les  produits  agricoles  en 
grand  nombre  et  à  bon  marché.  Dans  les  cantons  mixtes, 
l'équilibre  s'établit  par  une  moyenne  entre  les  deux 
extrêmes. 

Dans  quelques  villages  musulmans,  le  commerce  est 
considéré  comme  une  occupation  accessoire  pour  la  saison 
sèche,  en  particulier  celle  qui  permet  de  se  procurer  rapi- 
dement l'impôt:  mais  les  cultures  restent  la  principale  oc- 
cupation des  habitants.  Dans  ces  villages  alors  elles  son 
certainement  mieux  tenues  que  dans  les  villages  fétichistes, 
voisins  et  de  même  race  (Malinké).  Les  céréales,  le  riz,  le 
maïs,  le  mil  et  le  fonio  sont  cultivées  de  préférence  aux 
ignames,  et  par  des  procédés  meilleurs.  C'est  ainsi  que  les 
daba  employées  sont  plus  fortes,  plus  larges  et  plus  lourdes 
chez  les  musulmans,  que  la  moisson  du  riz  est  faite  par  des 
procédés  plus  expéditifs,  plus  rapides,  plus  propres,  et 
aussi  plus  économiques  au  point  de  vue  du  rendement,  au 
moyen  de  faucilles,  tandis  que  dans  les  villages  fétichistes, 
le  riz,  une  fois  mûr,  est  étèté,  épi  par  épi. 

En  outre,  ces  cultures  révèlent  une  discipline  de  travail 
et  une  unité  de  méthodes  qu'on  ne  trouve  pas  dans  les 
cultures  établies  par  les  animistes,  jetées  les  unes  loin  des 
autres.  La  famille  musulmane  fait  tous  ses  lougans  les  uns 
à  la  suite  des  autres,  afin  de  permettre  une  surveillance 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOxMAINE    ÉCONOMIQUE  3 96 

plus  facile  contre  les  animaux  nuisibles  sur  de  grandes 
étendues,  et,  par  suite,  pour  permettre  une  économie  de 
main-d'œuvre.  De  plus,  les  plantations  étant  voisines, 
chacun  peut  s'entr'aider  facilement.  On  sent  là  des  fa- 
milles mieux  organisées,  travaillant  avec  plus  de  cœur  sous 
la  direction  du  chef  de  famille,  et  respectueuses  de  sa  dé- 
cision. Cette  méthode  de  travail  contraste  d'une  façon 
saisissante  avec  l'anarchie  des  fétichistes,  et  elle  permet  le 
travail  en  commun,  facile,  discipliné  et  sans  arrière-pensée: 
•aussi  ces  cultures  sont-elles  infiniment  plus  étendues,  tout 
en  étant  mieux  tenues  que  celles  des  villages  fétichistes.  A 
ce  point  de  vue,  certains  villages  comme  Madji  ou  Goma- 
nasso  (Ouorodougou)  sont  réellement  remarquables  et  la 
vue  de  leurs  cultures  est  vraiment  réconfortante.  Elles 
valent  celles  des  Senoufo  fétichistes,  agriculteurs  incom- 
parables, maîtres  es  arts  et  travaux  agricoles.  Mais  alors, 
par  un  phénomène  curieux,  la  vie  agricole  réagit  fortement 
sur  l'islam  du  néo-cultivateur.  Celui-ci,  se  rapprochant  de 
la  terre,  semble  se  détacher  de  l'islam  et  revenir  aux  cou- 
tumes ancestrales.  Est-ce  de  l'atavisme?  Est-ce  le  contact 
■et  l'exemple  des  animistes  voisins,  Malinké  et  Senoufo,  qui 
sont  tous  cultivateurs  ?  Toujours  est-il  qu'on  peut  presque 
poser  en  principe  que  «  islamisme  »  est  synonyme  de 
commerce  et  «  animisme  »  de  vie  agricole,  et  que  tout  mu- 
sulman qui  revient  à  la  terre  semble  perdu  pour  l'islam, 
comme  tout  païen  qui  s'engage  dans  le  négoce  ambulant 
semble  perdu  pour  l'animisme. 

Les  Dioula  montrent  en  matière  agricole  leur  supériorité 
sur  un  seul  point,  et  encore  est-ce  une  culture  individuelle: 
le  coton.  C'est  surtout  aux  environs  des  villages  ou  des 
quartiers  dioula  qu'on  trouve  des  champs  cotonniers.  Et 
ce  sont  eux  aussi,  excellents  tisserands,  qui  sauront  le  tra- 
vailler et  le  vendre,  sous  cette  forme  de  bandes  bleues  ou 
blanches,  qui,  depuis  la  guerre,  soutiennent  fort  bien  la 
concurrence  avec  les  tissus  européens.  Il  est  d'ailleurs  assez 


396  ÉTUDES    SUR    l'islam    EN    COTE    d'iVOIRE 

compréhensible  que  les  Senoufo,  qui  n'abusent  pas  du 
vêtement,  considèrent  le  colon  comme  une  culture  d'utilité 
secondaire. 

La  grande  supériorité  des  islamisés  consiste  surtout  dans 
l'élevage.  Très  friands  de  laitage,  le  considérant  même 
nécessaire  pour  la  préparation  du  Souhourou  (Sehour),  repas 
matinal  du  Ramadan,  les  musulmans  ont  généralement 
très  soin  de  leur  bétail,  le  nourrissent  régulièrement,  et 
souvent  lui  imposent  la  pratique  de  la  stabulation,  toutes 
pratiques  absolument  inconnues  ou  dédaignées  des  ani- 
mistes. Les  musulmans  savent  également  pratiquer  la  cas- 
tration et  souvent  même  réduisent  dans  le  troupeau  le 
nombre  des  reproducteurs  à  un  chiffre  raisonnable.  Enfin 
ils  sont  remarquables  pour  les  soins  à  donner  aux  jeunes 
animaux  nouveau-nés.  Aussi  le  bétail  des  villages  musul- 
mans contraste-t-il  avec  celui  des  villages  fétichistes, 
vivant  à  l'état  à  demi-sauvage,  mal  tenu,  mal  nourri  et  mal 
abrité,  que  l'on  est  souvent  obligé  d'abattre  à  coups  de  fusil, 
tant  les  animaux  sont  farouches. 

La  famille  musulmane  constitue  une  association  agricole 
étroite,  avec  des  pratiques  très  étendues  d'assistance  et  de 
mutualité,  nous  Favons  vu  plus  haut.  En  effet,  l'achour 
est  prélevé  et  placé  dans  des  greniers  spéciaux,  pour  le  cas 
de  disette  ou  de  besoin  des  gens  de  la  famille  d'abord,  des 
étrangers  malheureux  ensuite. 

Un  bon  point  encore  pour  les  Musulmans  :  ce  sont  des 
dioulas  d'origine  peule,  venus  du  Macina,  qui  paraissent 
avoir  introduit  le  palmier  dans  la  région,,  et  notamment 
dans  le  pays  de  Bouna  où  on  le  rencontre  en  assez  grande 
quantité.  Le  nom  arabe,  à  peine  déformé  (tamaro  =  dattes), 
est  passé  dans  la  langue  du  pays. 

11  est  enfin  assez  curieux  de  noter  que  les  Musulmans, 
qui  se  préoccupent  si  peu  de  la  plantation  d'arbres  fruitiers, 
avaient  la  coquetterie  d'entourer  leurs  mosquées,  en  nombre 
d'endroits,  surtout  dans  l'Est,  de  rouges  flamboyants. 


INFLUENCE    DK    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE   ÉCONOMIQLE  ZC)'] 


2.  —  Commerce. 

Les  Mandé  sont  principalement  et  foncièrement  commer- 
çants et  colporteurs.  René  Caillié,  après  bien  d'autres, 
signalait  il  y  a  un  siècle  (1827),  ce  génie  du  négoce  ambu- 
lant, qui  brûle  l'âme  du  Dioula  et  de  son  cousin  Malinké, 
et  qui  a  fait,  pour  les  noirs,  comme  pour  nous,  que  le  nom 
propre  Dioula,  devenu  nom  commun  «  dioula  »,  signifie 
commerçant  ambulant. 

«  Les  Mandingues  de  cette  partie  de  l'Afrique  sont  tous 
marchands;  ils  voyagent  be.iucoup,  même  dans  la  saison 
despluies  :  mais  étant  obligésdecharger  leurs  bagages  sur  la 
tête,  ils  en  portent  peu,  et  vont  très  lentement,  en  sorte 
que  leur  commerce  n'estpas  lucratif.  Ils  ne  voyagent  jamais 
sans  que  leurs  vêtements  soient  chargés  d'amulettes  ou 
gris-gris,  recouverts  d'écarlate.  Les  habitants  de  cette  partie 
du  Soudan  n'étant  pas  hospitaliers,  les  marchands  sont 
obligés  d'acheter  leurs  vivres,  de  payer  le  logement  qu'on 
leur  donne,  et,  dans  chaque  village,  le  droit  de  passe  ;  il  en 
résulte  qu'ils  dépensent  en  voyage  une  partie  de  leurs  béné- 
fices. Ils  sont  toujours  armés  d'arcs  et  de  flèches,  car  les 
fusils  ne  sont  pas  communs  dans  cette  contrée.  Ils  ne  mar- 
chent jamais  sans  être  munis  d'un  petit  pot  de  beurrevégé- 
tal,  qu'ils  portent  à  leur  ceinture  ;  et  tous  les  soirs,  après 
s'être  lavés  à  l'eau  chaude,  ils  se  graissent  la  tête,  la  figure 
et  une  partie  du  corps  ;  ils  y  sont  tellement  habitués,  que 
la  route  leur  paraîtrait  plus  pénible  s'ils  ne  prenaient  pas 
cette  précaution.  De  retour  de  leurs  voyages,  ils  se  livrent 
à  roisiveté,'mangent  beaucoup  et  se  reposent  sur  les  esclaves 
du  soin  des  cultures.  » 

L'activité  commerciale  indigène  des  gros  centres  musul- 
mans est  vraiment  incroyable.  Pas  de  famille  qui  n'ait  au 
moins  le  tiers  de  ses  membres,  hommes,  femmes  ou 
enfants,  sur  les  chemins  pour   commercer,   isolés  ou    en 


398  ÉTUDES   SUR    l'islam   EN    COTE    d'iVOIRE 

famille,  et  sans  généralement  employer  de  Soufourou 
(porteurs  salariés).  La  vie  de  ces  dioulas  est  extraordinaire^ 
ainsi  que  les  habitudes  qu'ils  prennent  au  cours  de  ces 
pérégrinations.  Ils  restent  souvent  plusieurs  années  hors  de 
chez  eux,  reviennent  dans  leurvillage passer  quelque  temps,, 
toujours  bien  pourvus  d'argent,  et  menant  joyeuse  vie, 
comblant  parents  et  maîtresses  de  cadeaux  et  repartant 
ensuite  pour  plusieurs  années  rechercher  fortune  dans  la 
région  qui  les  avait  enrichis.  Ils  forment  ainsi  la  majeure 
partie  de  la  population  des  centres  européens,  situés  sur  les 
lignes  de  chemins  de  fer.  Ce  mode  d'existence,  profitable^ 
à  certains  points  de  vue,  aux  familles  des  absents,  restées 
au  village  natal,  est  cependant  très  préjudiciable  au  pays 
qu'il  prive  de  sa  population  la  plus  valide,  la  plus  intel- 
ligente et  la  plus  entreprenante. 

A  leur  rentrée  dans  les  villages,  ces  jeunes  gens  font 
preuve  d'un  assez  mauvais  esprit,  surtout  au  point  de  vue 
familial,  ayant  tendance  à  mépriser  les  parents  qui  ne  sont 
jamais  sortis  de  leur  village.  Nantis  d'habitude  d'indépen- 
dance et  de  liberté,  ils  supportent  difficilement  la  discipline 
paternelle,  si  faible  qu'elle  soit.  Ceux  qui  proviennent  des 
petits  villages  ne  peuvent  s'y  habituer  à  nouveau  et  ont 
toujours  tendance  à  les  abandonner  pour  aller  s'installerdans 
les  gros  centres  de  leur  pays.  Enfin,  malheureusement, 
beaucoup  prennent,  au  contact  de  races  diverses,  des  habi- 
tudes d'intempérance  vraiment  dangereuses.  Il  n'est  pas 
possible  de  croire  que  ces  déracinés  constituent  sur  le  reste 
de  la  population  Dioulaun  réel  progrès. 

Dans  les  gros  villages  musulmans,  les  gens,  qui  ne  font 
que  peu  ou  pas  de  cultures,  se  trouvent  à  la  merci  des  féti- 
chistes voisins  pour  leurs  achats  de  vivres.  La  vie  dans  ces 
villages  est  vraiment  curieuse.  Les  musulmans,  de  leur 
côté,  se  livrent  à  une  spéculation  effrénée  sur  tous  les  objets 
d'échanges:  le  sel,  les  sombé,  les  kola,  parfois  même  les 
bœufs  font  l'objet  de  véritables  trusts  ;  les  dioulas,  en  gêné- 


INFLUENCÉ   DE    l'iSLAM    DANS    LE   DOMAINE   ÉCONOMIQUE         899 

rai  musulmans,  achètent  en  masse  au  moment  où  les  prix 
sont  les  plus  bas,  les  sombé  au  moment  de  l'impôt;  le  sel 
et  les  bœufs,  en  saison  sèche  ;les  kolas  entre  septembre  et 
janvier  ;  le  tout  est  revendu  avec  un  bénéfice  énorme 
en  pleine  saison  des  pluies. 

Beaucoup  entassent  ainsi  des  stocks  considérables,  repré- 
sentant de  véritables  fortunes.  On  pouvait  voir  ainsi,  en 
igi3,  un  dioula  musulman  de  Mankono,  amasser  le  con- 
tenu de  dix  grandes  cases,  toutes  pleines  de  sel  jusqu'au 
toit  ;  un  autre  dioula,  de  Mankono  également,  avait  acca- 
paré, dans  un  but  de  spéculation,  tous  les  bœufs  arrivés  du 
Soudan  et  disposait  encore,  à  la  saison  des  pluies  suivante, 
d'un  troupeau  de  plus  de  mille  bœufs  qu'il  revendit  en 
moyenne  le  double  de  ce  qu'il  les  avait  achetés.  Notons  que 
ces  opérations  se  font  le  plus  souvent  en  famille  et  ne  sont 
que  très  rarement  l'occasion  de  différends.  Une  loyauté  com- 
merciale assez  remarquable  règne  entre  les  membres  d'une 
même  communauté. 

Pendant  que  les  musulmans  se  livrent  à  ces  opérations, 
les  fétichistes  suivent  leur  exemple  en  ce  qui  les  intéresse, 
c'est-à-dire  pour  la  vente  des  produits  de  leurs  cultures, 
trustent  à  leur  tour  ignames,  rizetmaïs,  et  les  spéculateurs 
sont  à  leur  tour  obligés  de  passer,  pour  vivre,  sous  leurs 
fourches  caudines.  D'où  un  renchérissement  très  sérieux  du 
coût  de  la  vie  dans  les  villages  musulmans,  adonnés  au 
commerce. 

Les  associations  à  forme  syndicale,  tant  de  commerçants 
que  de  colporteurs,  n'existent  pas.  C'est  assez  regrettable, 
car  elles  pourraient  donner  de  très  bons  résultats  dans  ces 
communautés  musulmanes,  étant  donnée  leur  menta- 
lité. 

Les  dioulas  musulmans  constituent  un  grave  danger 
pour  les  maisons  de  commerce  de  Vintérieur,  situées  hors 
des  voies  ferrées,   car   ils  sont  logiquement   appelés  à  les 


400  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE   D  IVOIRE 

supprimer  en  leur  rendant  toute  concurrence  impossible. 
Au  contraire,  ils  sont  de  merveilleux  chalands  pour  les 
maisons  de  commerce,  situées  sur  les  voies  de  pénétration 
de  l'intérieur,  et  dont  ils  constituent  à  peu  près  la  seule 
clientèle.  C'est  dans  ces  maisons  qu'ils  se  ravitaillent  en 
marchandises  de  toutes  sortes,  faisant  souvent  de  très  gros 
achats.  Ils  vont  ensuite  revendre  ces  marchandises  sur  tous 
les  marchés,  dans  les  moindres  villages.  Se  contentant  d'un 
très  léger  bénéfice,  comptant  leur  frais,  leur  peine  et  le 
transport  pour  peu  de  chose,  ils  arrivent  à  vendre  sur  les 
places  de  commerce  de  l'intérieur,  lesarticles  manufacturés, 
les  pagnes  et  la  pacotille,  à  un  prix  infiniment  moindre  que 
celui  des  maisons  de  commerce,  grevées  de  frais  généraux, 
surchargées  de  marchandises  invendables,  mal  dirigées' et 
surtout  plus  ou  moins  bien  servies  par  leurs  employés 
européens.  Plus  insinuants  que  ces  agents,  sachant  mieux 
prendre  l'indigène,  lui  parlant  sa  langue,  lui  offrant  à 
moindre  prix  les  mêmes  articles  qu'à  la  boutique,  où  un 
accueil  froid  lui  est  généralement  réservé,  ayant  toujours 
le  sourire  et  le  mot  aimable,  le  dioula  vend  très  vite  sa 
marchandise,  et  retourne  au  bout  du  rail,  au  grand  émoi 
des  commerçants  européens  scandalisés  de  sa  conduite,  et 
criant  à  la  concurrence  déloyale,  alors  que  ces  mêmes 
dioulas  font  vivre  et  prospérer  les  opérations  des  maisons 
mères,  situées  à  la  côte  ou  sur  le  rail. 

La  valeur  professionnelle  des  individus  est  vraiment 
rem.arquable.  Leurs  rudiments  de  langue  arabe  leur  ser- 
vent à  tenir  une  petite  comptabilité  des  plus  élémentaires, 
mais  suffisante.  Ils  se  passent  entre  eux  les  prix  courants 
des  différentes  maisons  de  commerce  et  vont  toujours  à  la 
boutique  qui  leur  offre  des  prix  minima. 

Ils  sont  incomparables  dans  certains  commerces,  surtout 
dans  celui  des  kolas,  où  seuls  ils  arrivent  à  choisir  les 
noix  les  meilleures  en  vue  de  la  conservation,  et  suivent  les 
goûts  des  populations  chez  lesquelles  ils  ont  l'habitude  de 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE   ECONOMIQUE  4OI 

commercer.  Connaissant  presque  tous  les  dialectes  agni, 
gouro  et  bété,  usités  dans  toute  la  forêt  du  sud,  productrice 
de  kolas,  ils  savent  parler  à  l'indigène  primitif  de  ces 
régions  et  le  convaincre  de  leur  vendre  leurs  noix  de  kolas 
contre  leur  sel  ou  leur  bétail.  Pas  toujours  honnêtes  d'ail- 
leurs, on  pourrait  même  dire  rarement  consciencieux,  ils 
sont  d'une  audace  extraordinaire  et  pénètrent  dans  les  tri- 
bus les  plus  farouches,  payant  souvent  de  leur  vie  leur 
audace,  mais  faisant  toujours  de  beaux  bénéfices.  Et  avec 
cela,  dans  les  pires  dangers,  ils  conservent  leur  sang-froid 
imperturbable,  restent  observateurs  relativement  rigoureux 
du  rite,  faisant  les  prières  obligatoires  de  la  journée  avec 
ostentation,  délaissant  dignement  leurs  occupations  et  les 
discussions  engagées,  peut-être  à  dessein,  pour  accomplir 
leurs  devoirs  religieux.  Peut-être  est-ce  là  le  secret  de  leur 
liberté  d'allure  dans  ces  régions  sauvages,  où  l'indigène 
autochtone,  barbare  et  cruel,  a  conçu  certainement,  dans  sa 
mentalité  primitive,  un  respect  curieux  et  sacré  pour  ces 
gens,  sectateurs  d'une  divinité  inconnue,  qui  la  servent 
avec  tant  de  zèle  et  lui  témoignent  un  si  visible  respect. 
Chose  étrange,  ces  dioulas,  au  caractère  si  aventureux, 
témoignent  pour  les  choses  les  plus  futiles,  d'une  couardise 
extrême;  mais  Tappàt  du  gain,  la  hantise  des  bénéfices, 
leur  font  braver  tous  les  dangers  avec  cette  insouciance 
tranquille  qui  étonne  quiconque  les  a  vus  chez  eux. 
Mélange  paradoxal  de  qualités  et  de  défauts,  de  courage  et 
de  lâcheté,  leur  caractèreest  cependantattachant,  tellement 
il  est  différent  de  celui  des  fétichistes,  liés  à  la  glèbe  et  ne 
s'intéressant  qu'à  elle,  fermés  à  toute  idée  nouvelle,  routi- 
niers, et  dont  beaucoup  n'ont  jamais  quitté  leur  petit  vil- 
lage. Les  dioulas  musulmans  sont  à  l'avant-garde  du  pro- 
grès économique  local.  Ils  ont  été  les  premiers  à  discerner 
que  le  sel  soudanais  avait  maintenant  fait  son  temps  dans 
la  forêt,  et  qu'il  ne  pourrait  désormais  plus  soutenir  la 
concurrence  du  sel  marin,  importé  par  la  voie  ferrée.  Ils 

26 


402  ETUDES   SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

ont  immédiatement  mis  tout  en  œuvre  pour  faire  adopter 
ce  sel  marin  aux  populations  Dioula  d'abord,  puis  à  celles 
de  la  forêt.  Et  leur  caractère  insinuant,  leur  insistance  opi- 
niâtre et  tenace,  ont  réalisé  ce  miracle  de  faire  abandonner 
aux  populations  les  plus  fermées  et  les  plus  routinières  du 
pays  noir,  celles  de  la  forêt,  le  sel  qu'elles  avaient,  depuis  un 
temps  immémorial,  reçu  du  Soudan,  pour  leur  faire  adop- 
ter une  denrée  nouvelle.  Du  même  coup,  ils  ont  réalisé 
rapidement  de  gros  bénéfices,  tout  en  donnant  aux  maisons 
de  commerce  de  la  voie  ferrée,  un  débouché  nouveau  à  un 
produit,  jusqu'alors  inconnu  dans  l'intérieur,  et  dont  les 
maisons  établies  dans  la  région  n'avaient  pas  su  prévoir  la 
vogue. 

D'autres  groupes  de  dioulas,  musulmans  aussi,  et  qui  ne 
font  que  passer,  sont  constitués  presque  exclusivement  par 
des  Soudanais,  en  majorité  originaires  des  contrées  de 
Ségou,  Bamako,  Siguiri.  Ces  Soudanais  se  répandent  sur 
les  lignes  de  caravanes,  principalement  de  novembre  à 
mars;  ils  poussent  devant  eux  des  troupeaux  de  bœufs  et 
même  des  chevaux,  à  destination  des  pays  de  la  forêt  ;  du 
Haut-Cavally  et  aussi  du  Haut-Sassandra;  ou  bien  vers  ces 
mêmes  régions,  par  groupes  ou  isolément,  soit  à  têtes 
d'hommes,  soit  à  l'aide  de  bourricots,  ils  descendent  des 
barres  de  sel,  qu'ils  troqueront  contre  des. kolas. 

Exceptionnellement  et  se  livrant  au  même  trafic,  on  ren- 
contre quelques  maures,  peul  et  haoussa.  Ces  divers  indi- 
gènes sont  les  véritables  grands  coureurs  des  lignes  de 
caravanes. 

Annuellement  on  peut  évaluer  à  une  centaine  de  mille  le 
nombre  de  ces  caravaniers. 

La  physionomie  des  Dioulas  est  familière  dans  toute 
l'A.  O.  F.  A  leurs  traits  généraux  qu'il  suffise  d'ajouter,  à 
notre  point  de  vue,  qu'ils  colportent  contre  notre  domina- 
tion des  rumeurs  tendancieuses,  des  bruits  alarmants;  mais 
rarement,  quoique  musulmans  fervents,  ils  font  dans  un 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    ÉCONOMIQUE         4o3 

but  religieux  de  la  propagande  musulmane,  quelque  peu 
militante.  Dans  la  majorité  des  cas,  ils  sont  apôtres  invo- 
lontaires, inconscients;  ils  prêchent  par  leur  conduite, 
mais  ne  demandent  aucune  conversion.  Parce  que  croyant 
à  Allah,  ils  prennent  près  des  fétichistes  des  airs  de  supé- 
riorité dédaigneuse;  ils  feront  avec  une  naïve  ostentation 
les  prières  prescrites;  ont-ils  réussi  dans  leur  commerce, 
c'est  grâce  à  Allah;  ont-ils  subi  des  pertes,  ce  n'est  point 
de  leur  faute,  Allah,  qui  connaît  le  véritable  enchaînement 
des  choses,  a  voulu  qu'il  en  soit  ainsi,  Bismillahi!  Dans  les 
villages  fétichistes,  situés  sur  les  lignes  de  caravanes,  tous 
ces  mobiles  finissent  à  la  longue  par  agir  puissamment  sur 
la  mentalité  puérile  du  noir.  Par  orgueil,  par  désir  de  ne 
point  s'aliéner  une  divinité,  reconnue  redoutable  par  de 
nombreux  fidèles,  le  fétichiste  arrive  parfois  lui  aussi  à 
faire  salam,  et  dans  le  Panthéon,  où  il  abrite  toutes  ses 
idoles,  il  offrira  une  place  à  Allah. 

Il  faut  reconnaître  de  plus  que,  commerçants  avant  tout 
et  ■  par-dessus  tout,  les  Dioulas  aiment  la  tranquillité  et 
qu'ils  ont  généralement  intérêt  à  la  faire  régner.  11  faut 
ajouter  aussi,  à  leur  honneur,  que  leur  témérité  mercan- 
tile bien  souvent  confina  au  véritable  héroïsme,  enfin  qu'ils 
furent  tenus  bon  gré,  mal  gré,  par  les  populations,  impé- 
nétrées ou  insoumises,  à  un  tel  point  comme  les  prophètes 
de  notre  venue,  comme  nos  alliés  et  nos  collaborateurs, 
que  maintes  fois,  à  ce  titre,  ils  tombèrent,  premières  vic- 
times, dès  le  début  des  hostilités. 


3.  —  Industrie. 

L'industrie  est  fort  peu  développée  dans  la  haute  Côte 
d'Ivoire;  elle  ne  dépasse  guère  le  stade  familial  et  de  vil- 
lage, et,  à  part  l'industrie  alimentaire,  est  presque  entière- 
ment concentrée  dans  les  mains  des  musulmans,  soit  lo- 


_j|04  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

eaux,  soit  immigrés  et  d'origine  soudanaise.  C'est  en  effet 
parmi  les  Dioulas,  surtout  dans  le  Centre  et  l'Est,  que  se 
recrutent  les  tailleurs,  coiffeurs,  cordonniers,  forgerons, 
bouchers,  tanneurs,  etc..  Ce  sont  eux  également  qui  pré- 
sentent le  plus  de  candidats  interprètes,  gardes,  boys,  cui- 
siniers, etc..  De  même,  le  recrutement  pour  les  grandes 
écoles  de  Bingerville  ou  de  Corée  serait  abondant  dans 
i'élément  dioula  et  malinké,  si  on  voulait  faire  un  peu  de 
réclame.  Tels  quels,  ces  peuples  sont  actuellement  bien 
•représentés  dans  ces  écoles. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que  les  Malinké  animistes,  les  Senoufo, 
les  Abron,  les  Koulango  ne  soient  pas  capables  d'une  sem- 
blable assimilation.  On  a  pu  constater  qu'ils  étaient  au  con- 
traire très  ouverts  et  s'adaptaient  à  toutes  les  situations 
-administratives  ou  commerciales,  dès  qu'ils  ont  été  un  peu 
dégrossis,  et  notamment  quand  ils  avaient  fait  leur  pre- 
qnière  éducation  dans  une  école  française,  soit  laïque,  soit 
catholique.  Cette  constatation  est  d'ailleurs  la  règle.  Le 
musulman  est  en  général  plus  avancé  et  plus  ouvert  que  le 
fétichiste,  mais  il  semble  fixé  sur  ses  positions  comme  par 
une  force  invincible.  Le  fétichiste  prend  sa  revanche  dès 
qu'il  trouve  une  heureuse  influence  pour  lui  ouvrir  la  voie 
du  progrès  :  aucun  obstacle  ne  l'arrête  alors,  et  il  dépasse 
de  beaucoup  les  musulmans.  Cette  règle  est  vraie  pour 
deux  races,  et  à  Tintérieur  de  deux  races,  pour  deux  fa- 
milles. Elle  est  vraie  pour  les  enfants  comme  pour  les 
adultes,  et  peut  être  constatée  journellement  dans  nos 
écoles,  petites  et  grandes,  et  dans  les  diverses  missions 
«chrétiennes. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  passer  en  revue  les  princi- 
paux aspects  de  cette  industrie  familiale.  Les  notes  de 
Delafosse  nous  y  seront  utiles. 

La  bière  est  préparée  par  les  femmes.  Elle  est  faite  de 
mil  et  de  maïs.  11  s'en  fait  une  grande  consommation, 
.surtout  chez  les  fétichistes,  qui  y  mettent  généralement  du 


INFLUENCE    DE    l'iSLAM    DANS    LE    DOMAINE    ECONOMIQUE  4o5- 

piment  et  du  gingembre.  Cette  boisson  renferme  une  quan- 
tité d'alcool  suffisante  pour  engendrer  l'ivresse  quand  on 
boit  avec  excès.  On  prépare  aussi  une  sorte  d'hydromel 
avec  du  miel  et  de  l'eau,  et  diverses  boissons  plus  ou  moins 
fermentées  extraites  de  divers  fruits  sauvages.  Les  dioulas 
et  plus  généralement  les  musulmans  ne  boivent  en  prin- 
cipe  ni  bière  de  grains,  ni  aucune  liqueur  fermentée.  Pra- 
tiquement il  en  va  tout  autrement. 

Ce  sont  les  femmes  qui  filent  le  coton,  mais  ce  sont  les 
hommes  qui  le  tissent  en  bandes  et  cousent  ces  bandes 
pour  en  faire  des  pagnes  ou  des  vêtements.  Les  tisserands 
appartiennent  aux  deux  races  Senoufo  et  Mandingue,  mais- 
ils  sont  surtout  nombreux  dans  les  villages  dioulas. 

Les  teinturiers  se  recrutent  parmi  les  deux  sexes  :  pres- 
que tous  sont  des  Haoussa  ou  des  Dioulas,  ou  encore  des 
Marka  ou  Sarakollé.  Ils  se  servent  de  cuves,  consistant  soit 
en  une  fosse  profonde,  creusée  dans  le  sol  argileux,  soit 
en  un  vase  de  grandes  dimensions,  enterré  jusqu'au  col 
dans  la  terre.  On  ne  connaît  guère  que  deux  teintures  : 
l'une,  allant  du  bleu  pâle  au  noir,  est  obtenue  des  jeunes- 
pousses  de  la  liane,  dite  liane  à  indigo;  l'autre,  brunâtre,, 
est  obtenue  des  noix  de  kolas  du  pays.  La  seconde  d'ail- 
leurs n'est  que  très  rarement  employée.  On  teint  soit  le 
fil  de  coton  en  écheveaux,  soit  les  étoffes  elles-mêmes.  La 
teinture  des  cuirs  est  faite,  non  par  les  teinturiers,  mais, 
par  les  cordonniers.  Les  cordonniers  sont  en  général  des 
étrangers  (Marka,  Haoussa,  ou  Sénégalais),  plus  rarement 
des  Dioulas  ou  des  Malinké  de  la  caste  des  artisans.  Ils 
tannent,  assouplissent  et  colorent  le  cuir  de  bœuf,  de  mou- 
ton et  de  chèvre,  et  en  fabriquent  des  babouches,  des  san- 
dales, des  bottes,  qu'ils  ornent  souvent  de  broderies  de  soie 
ou  de  laine  d'un  travail  assez  délicat;  ils  confectionnent 
aussi  des  selles  et  des  brides,  mais  surtout  des  gaines  pour 
couteaux,  des  fourreaux  de  sabre,  des  sacoches,  des  brace- 
lets et  ceintures  de  cuir,   et  enfin  des  étuis  à  talismans- 


406  ÉTUDES   SUR   l'iSLAM    EN    COTE    d'iVOIRE 

Leur  travail  est  généralement  solide  et  presque  toujours 
artistique. 

Les  tailleurs  et  brodeurs,  qui  confectionnent  les  vête- 
ments importés  par  les  musulmans  (culottes,  boubous  ou 
gandouras,  burnous,  caftans)  et  les  bonnets  de  coton  ou  de 
velours,  sont  aussi  presque  tous  des  étrangers  du  Nord. 
Leurs  broderies  de  soie  ou  de  coton  mériteraient  d'être 
mentionnées,  car  elles  sont  en  général  fort  belles.  Le  tra- 
vail du  fer  a  été  en  grand  honneur  de  tout  temps  chez  les 
Malinké  dans  la  caste  des  Noumou,  et  chez  les  Senoufo, 
principalement  dans  la  famille  des  Sekongo.  Le  fer  est 
extrait  du  minerai  par  une  méthode  analogue  à  celle  que 
nous  appelons  la  méthode  catalane,  au  moyen  de  hauts 
fourneaux  chauffés  au  charbon  de  bois.  Il  est  coulé  dans 
des  moules  cylindriques  en  argile  que  l'on  brise  pour  en 
retirer  le  lingot  de  fer,  ou  d'acier,  ou  même  de  bronze,  car 
ces  trois  métaux  sont  fabriqués  par  les  Senoufo,  le  dernier 
à  l'aide  de  cuivre  d'importation  européenne.  Ils  connais- 
sent fort  bien  les  procédés  et  les  usages  de  la  trempe,  et 
fabriquent  des  métaux  d'excellente  qualité. 

Ces  forgerons  sont  en  même  temps  orfèvres  et  bijou- 
tiers. Ils  fabriquent,  à  l'occasion,  des  chapelets,  mais  ces 
pieux  objets  sont  surtout  importés  du  Soudan  ou  des  pays 
maures. 

Dans  le  bassin  de  la  Volta,  les  jeunes  gens  délaissent 
souvent  leurs  cultures  pour  aller  chercher  des  paillettes 
d'or  dans  le  lit  des  cours  d'eau,  mais  ce  sont  des  féti- 
chistes :  Birifon,  Koulango,  Abron.  Il  est  vrai  que  tôt  ou 
tard,  cet  or  s'écoulera  par  la  main  des  Dioulas.  Dans  beau- 
coup de  villages,  on  élève  des  abeilles,  mais  ces  ruches  sont 
évidemment  le  fait  des  cultivateurs  et  par  conséquent  la 
plupart  du  temps,  des  non  musulmans. 


INFLUENCE    DE    L  ISLAM    DANS   LE   DOMAINE    ECONOMIQUE         407 


4.  —  Richesse  publique. 

On  a  vu  plus  haut  de  quelle  façon  étaient  données  les 
offrandes  aux  marabouts  et  combien,  en  général,  ces 
offrandes  étaient  légères.  11  suit  de  là  que  ces  dons  ne  peu- 
vent en  rien  influer  sur  la  richesse  publique  et  sur  la  raré- 
faction du  numéraire.  Sans  doute,  ces  dernières  années 
marquées  par  la  crise  du  caoutchouc,  avaient  amené  une 
crise  dans  la  vie  économique  du  pays  en  tarissant  la  prin- 
cipale source  de  numéraire  que  possédait  le  pays,  mais  le 
Dioula  n'en  a  pas  souffert.  Insinuant,  d'une  bonhomie  tou- 
jours égale,  le  Dioula  avait  continué  son  commerce,  l'avait 
transformé  insensiblement;  il  troquait  ses  marchandises 
européennes  contre  des  kolas  ou  des  sombé,  qu'il  chan- 
geait à  nouveau  contre  des  peaux  de  bœuf  ou  contre  des 
arachides,  et  enfin  il  allait  porter  le  fruit  de  ses  achats  aux 
maisons  de  commerce  de  Bouaké  ou  de  Kankan,  alors  que 
les  maisons  locales  hésitaient  encore  à  se  lancer  dans  des 
affaires  pareilles.  Aujourd'hui,  ils  achètent  du  coton,  des 
palmistes,  etc.,  devançant  de  plusieurs  années  les  maisons 
locales  qui  devraient  bien  souvent  les  étudier  et  les  prendre 
comme  exemples.  Les  dioulas  musulmans  ont  ainsi  assez 
peu  souffert  des  crises  dernières,  ils  ont  simplement  changé 
leur  fusil  d'épaule  sans  se  décourager  plus  que  les  autres, 
ils  ont  écouté  nos  conseils  et  se  sont  lancés  dans  les  voies 
nouvelles  avec  ardeur,  au  grand  profit  des  maisons  de  com- 
merce de  Bouaké  ou  de  Kankan. 

Malheureusement,  cette  vie  d'âpre  combat  pour  le  gain 
n'a  pas,  nous  l'avons  vu,  contribué  à  augmenter  sensible- 
ment leurs  qualités  morales  et  leur  esprit  d'économie. 
L'argent  pour  eux,  et  malgré  sa  raréfaction,  a  toujours 
conservé  aussi  peu  de  valeur  que  par  le  passé.  Ils  n'ont 
qu'une  hâte,  c'est  de  le  dépenser  en  folies,  aussitôt  gagné. 


40S  ÉTUDES    SUR    l'iSLAM    EN    CÔTE    d'iVOIRE 

Aimant  les  beaux  vêtements,  les  beaux  chevaux  et  les  belles 
femmes,  rien  n'est  trop  cher  pour  la  satisfaction  de  leurs 
appétits.  Grugés  par  les  femmes  et  les  griots,  auxquels  ils 
ne  savent  rien  refuser,  ils  sont  bientôt  aussi  pauvres  qu'au- 
paravant et  ils  reprennent  allègrement  leur  lutte  pour  le 
gain,  ayant  été  encore,  même  dans  la  satisfaction  de  leurs 
appétits,  de  merveilleux  instruments  d'accroissement  de  la 
richesse  publique. 

En  dehors  de  la  savane  soudanaise,  l'arrivée  des  dioulas 
et  leur  diffusion  dans  la  forêt  a  eu  dans  le  domaine  de  la 
vie  matérielle  des  peuplades  sylvestres,  une  heureuse  in- 
fluence, car  ils  ont  apporté  des  bœufs  jusque  dans  les 
régions  les  plus  reculées,  et  ont  certainement  ainsi  contri- 
bué à  diminuer  le  cannibalisme. 

En  outre,  ils  ont  créé  à  l'indigène  quelques  besoins,  en 
lui  donnant  le  goût  des  étoffes  et  de  la  pacotille;  mais, 
comme  nous  l'avons  vu,  le  dioula  ne  demande  en  échange 
que  le  kola;  ce  n'est  donc  pas  lui  qui  contribuera  à  donner 
aux  indigènes  l'habitude  du  travail,  qui  est  le  principal 
facteur  de  la  richesse  d'un  pays. 

La  nourriture  et  le  genre  d'habitation  des  indigènes 
n'ont  guère  changé  au  contact  des  dioulas,  mais  le  sordide 
biia  de  la  forêt  est  de  plus  en  plus  remplacé  par  le  panta- 
lon, et  les  ustensiles  de  cuivre  et  de  fer  émaillé,  dont  les 
ménagères  bambara  font  un  si  large  usage,  commencent  à 
faire  leur  apparition  dans  la  batterie  de  cuisine  des  mous- 
sos  du  pays. 

Enfin  les  chefs  eux-mêmes,  qui  sont  les  plus  farouches 
conservateurs  des  traditions  ancestrales,  commencent  à 
faire  des  concessions  au  confort  moderne,  et  beaucoup  ont 
abandonné  le  tabouret  de  pygmée  qui  les  suivait  dans  tous 
leurs  déplacements,  pour  la  chaise  longue,  plus  commode 
et  aussi  portative. 

Cependant  ces  avantages  ne  vont  pas  sans  inconvénients  : 
le  dioula  vide  le  pays  de  tout  numéraire.  C'est  ainsi  par 


INFLUENCE   DE    L  ISLAM    DANS    LE    DOMAINE    ECONOMIQUE  409 

exemple  qu'en  191 3,  le  cercle  du  Haut  Cavally  faisait 
863.000  francs  de  dépenses  contre  483.000  francs  de 
recettes.  Et  cependant  au  moment  de  la  rentrée  de  l'impôt, 
il  n'y  avait  plus  d'argent  ou  très  peu  :  les  dioulas  avaient 
donc  emporté  dans  leur  pays  3oo.ooo  francs  environ. 


CHAPITRE  VIII 
SURVIVANCES  DU  PASSÉ 

I.  —  Croyances  et  rites  médico-magiques . 

Le  tana.  —  Les  familles  musulmanes,  comme  les  fa- 
milles fétichistes,  ont,  en  principe,  toutes,  leur  tana,  c'est- 
à-dire  qu'elles  se  réclament  toutes  d'un  animal  totémique, 
ou  plutôt  tabouique,  indiqué  par  le  diamou  ou  nom  patro- 
nymique de  la  famille  généralisée.  Ce  tana,  dont  renoncia- 
tion est  équivalente  à  celle  du  nom  de  famille,  confère  à 
ceux  qui  en  sont  dépositaires  une  sorte  de  parenté,  éloignée, 
il  est  vrai,  mais  réelle. 

Ce  n'est  pas  le  lieu  d'entreprendre  ici  Ja  définition 
du  tana,  si  connu  d'ailleurs  en  Afrique  Occidentale.  Dela- 
fosse  en  a  donné  au  surplus  une  explication  excellente  au 
tome  III  de  son  ouvrage.  Haut- Séné  gai  et  Niger.  Il  dit  no- 
tamment :  «  C'est  dans  l'élément  magico-religieux  qu'il 
convient,  à  mon  sens,  de  classer  la  croyance  au  «  tabou  » 
ou  au  tana,  si  universellement  répandue  en  Afrique  Occi- 
dentale. Non  seulement  chaque  clan  a  son  ou  ses  tana, 
mais  il  est  rare  que  chaque  village,  chaque  famille,  chaque 
individu  même  n'ait  pas  le  sien  ou  les  siens,  qui  lui  ont 
été  imposés,  à  la  suite  de  certaines  circonstances,  par 
quelque  magicien  réputé,  avec  la  croyance  bien  enracinée 
que  toute  infraction  au  tana  amènera  la  mort  ou  tout  au 
moins  une  maladie  grave,  à  moins  que  l'infraction  ait  été 


SURVIVANCES    DU    PASSE  4II 

involontaire,  auquel  cas  elle  peut  être  rachetée  par  un 
sacrifice  expiatoire  et  une  offrande  au  magicien.  » 

Cependant,  les  familles  musulmanes  ont  peu  à  peu  dé- 
laissé leurs  croyances  totémiques.  La  plupart  des  musul- 
mans prennent  un  air  offensé,  lorsqu'on  leur  demande 
quel  est  leur  tana.  Il  n'en  était  pas  de  même  à  l'origine,  où 
la  croyance  au  «  tana  »  était  certainement  aussi  générale 
chez  les  musulmans  que  chez  les  fétichistes.  Les  familles 
musulmanes  avaient  des  tanas  semblables  à  ceux  des  fa- 
milles fétichistes. 

On  peut  profiter  de  l'occasion  pour  énumérer  l'ensemble 
des  tanas  de  la  familUe  Mandé. 

On  sait  que  depuis  Binger  on  la  partage  en  Ndé  et  en 
Mandé  proprement  dits. 

Chez  les  Mandé  proprement  dits,  les  tana  étaient  et  sont 
encore  : 

i"  Le  caïman  ou  bainba,  banma.  Cette  famille  porte 
actuellement  le  nom  générique  de  Banmana.  Au  Soudan 
français,  comme  dans  la  haute  Côte  d'Ivoire,  leur  donner 
le  nom  de  Bambara,  c'est  employer  une  appellation  impro- 
pre du  mandé.  Dans  tous  les  pays,  le  mot  Bambara  est 
synonyme  de  kafir,  «  infidèle  »  ; 

2"  L'hippopotame  ou  mali.  Cette  famille  porte  le  nom 
générique  de  Mali-nké.  Elle  comprend  les  Mali-nké  propre- 
ment dits,  les  Kagoro,  les  Tagoua  ; 

S**  L'éléphant  ou  sama.  Cette  famille  porte  le  nom  géné- 
rique de  Sama-nké  ; 

4"  Le  serpent  ou  sa.  Cette  famille  porte  le  nom  générique 
de  Sa-mokho. 

Ces  grandes  familles  ont  eu,  comme  on  sait,  chacune 
leur  propre  histoire  ;  elles  étaient  groupées  en  tribus,  ayant 
chacune  un  ou  plusieurs  tana  et  un  diamou  particulier. 

Certaines  de  ces  tribus  se  sont  même  scindées  et  figurent 
à  la  fois  dans  deux  ou  plusieurs  des  cinq  grandes  familles, 
telles  les  Diara,  Kouroubari,  Cissé,  etc.,  elles  se  désignent 


412 


ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 


actuellement  non  seulement  par  leur  diamou,  mais  elle 
y  adjoignent  quelquefois,  pour  se  différencier  entre  elles, 
le  nom  de  leurtana  particulier. 

1°  Famille  des  Bamba,  dite   Banmana  (caïman).  (Con- 
cerne le  Soudan). 

2°  Famille  des  Mali  (hippopotame),  dite  Mali-nké  :  ' 


a)  Famille  royale. 


b)  Familles  nobles. 


c)  Familles  de 
griots. 


^)Tagoro. 


e)  Tagouara. 


Keïta,  Koïta. 

Barhayorho, 

Kamara, 

Kourouma, 

Konaté, 

Sissokho, 

Kouyalé, 
Diabakhaté, 
Dombaa, 
Dioubaté, 

Tounkara, 
Magaza, 
Konaté, 
Touré, 

Traouré, 
Diarabasou, 
Konné, 
Bamma, 


le  rat  palmiste  des  arbres. 


la  panthère. 


i. 


l'iguane. 


le  serpent  boa. 

le  campagnol  (rai  des  champs). 

le  serpent  trigonocéphale. 


3°  Celle  des  Sama  (éléphant),  désignée  par  le  nom  Sama- 
nké.  Elle  comprend  des  Touré,  des  Cissé,  des  Traouré,  des 
Dembélé. 

4°  La  famills  des  Sa  (serpent),  dite  Sa-mokho.  Elle  com- 
porte des  Kouloubari  et  des  Sogodogo. 

Puis  vient  lancienne  famille  des  Ndé,  qui  avait  le 
lamantin  pour  tana  collectif,  et  dans  laquelle  on  classe  les 
Soni-nké  et  les  Soussou,  qui  ne  nous  intéressent  pas  ici,  et 
les  Mandé-Dioula. 

Chez  les  Mandé-Dioula  de  la  Côte  d'Ivoire,  qui  sont  à 


SURVIVANCES    DU    PASSÉ  4l3 

peu  près  tous  musulmans,  il  est  assez  difficile  de  recons- 
tituer !e  tana,  ses  légendes,  ses  applications  rituelles.  Ils 
opposent  un  mutisme  à  peu  près  complet  ou  des  dénéga- 
tions constantes,  soit  qu'ils  aient  honte  d'avouer  ces  fai- 
blesses du  passé,  incompatibles  avec  l'islam,  soit  que  vrai- 
ment, ce  qui  est  à  croire,  ces  cro3^ances  tendent  à  s'affai- 
blir chez  beaucoup  de  musulmans,  notamment  chez  les 
lettrés. 

Les  Saranorho  de  Korhogo  ont  pour  tana  l'éléphant 
(sama),  qu'ils  ne  doivent  pas  manger,  sinon  leur  bouche 
enfle  et  la  peau  tombe.  Il  faut  même  éviter  de  le  voir,  sous 
peine  d'êtreatteint  d'une  affection  des  yeux.  Les  Saranorho 
croient  qu'ils  ont  un  ancêtre  commun  avec  l'éléphant,  la 
légende  paraît  s'être  perdue.  Une  branche  de  cette  famille, 
à  Kong,  a  aussi  pour  tana  le  petit  renard  (ouattani). 

Les  Dembélé  de  Korhogo  ont  pour  tana  le  serpent  noir, 
tacheté  au  cou  (korongo).  Sa  présence  aux  alentours  d'une 
case  est  le  présage  de  mauvaises  nouvelles.  La  personne 
qui  le  rencontre  peut  être  assurée  d'une  mort  prochaine 
dans  sa  famille. 

Les  Touré  de  Korhogo  ont  pour  tana  la  panthère  (soli), 
depuis  le  jour  où  un  de  leurs  ancêtres  rendit  service  à  cet 
animal  en  lui  retirant  une  épine  du  pied,  en  pansant  la 
plaie,  et  en  le  nourrissant  pendant  la  convalescence. 

Un  indigène  Konaté  a  déclaré  que  le  tana  de  sa  famille 
était  le  boa,  sans  vouloir  en  dire  plus. 

Les  Ouattara  de  Bondoukou  ont  pour  tana  la  panthère 
(soli),  ou  plutôt  le  léopard.  L'ancêtre  des  Ouattara  était, 
disent-ils,  la  panthère.  C'est  un  souvenir  que  rappelle  tout 
Ouatara,  qui  rencontre  cet  animal,  en  lui  présentant  les 
doigts  écartés,  le   pouce  caché  dans  la  paume  de  la  main. 

Les  Diabaraté  de  Bondoukou  ont  le  même  tana,  depuis 
le  jour  où  la  stérilité  de  leurs  femmes  fut  guérie  par  la 
rencontre  d'une  femelle  de  léopard,  qui  venait  de  mettre 
bas  deux  petits.  Certains  assurent  qu'il  y  a  aussi  entre  eux 


414  ETUDES    SUR    L  ISLAM    EN    COTE    D  IVOIRE 

et  l'animal  une  relation  de  parenté  et  qu'autrefois  leurs 
ancêtres  pouvaient  se  changer    en   léopards. 

Les  Kamaraté  de  Bondoukou  ont  le  même  tana.  Ils 
disent  que  le  cri  du  léopard  annonce  une  mort  imminente 
dans  leur  quartier  (Kamaraya).  Leurs  ancêtres  prétendaient 
pouvoir  se  changer  en  léopards  et  ajoutaient  qu'après  la 
mort,  leurs  âmes  se  réfugiaient  dans  le  corps  de  ces  ani- 
maux. On  ne  croit  plus  cela  aujourd'hui  ;  l'islam  le  défend. 

Les  Bané  ont  pour  tana  le  serpent  cracheur  (bouroungo 
en  dioula)  et  le  rat  palmiste  (kéléni).  Leurs  ancêtres  se 
muaient  à  leur  guise  en  serpents  cracheurs.  ils  ne  tou- 
chaient pas  non  plus  au  rat  palmiste,  parce  que  jadis  le  ta- 
lisman, qu'ils  prenaient  à  leur  départ  en  guerre,  s'accom- 
pagnait d'une  interdiction  de  toucher  au  rat  palmiste.  Ils 
étaient  ainsi  à  l'abri  des  balles.  Certains  estiment  aujour- 
d'hui que  ce  tana  n'est  plus  aussi  nécessaire,  puisqu'il  n'y 
a  plus  de  guerre,  et  ils  ne  se  gênent  pas  pour  manger  le  rat 
palmiste. 

Les  Dérébou  ont  pour  double  tana  le  léopard,  qui  est 
leur  ancêtre,  et  à  qui  on  offre  une  chèvre,  quand  il  vient 
rôder  dans  les  environs  ;  et  le  lièvre  à  la  suite  d'un  contrat, 
passé  entre  un  de  leurs  ancêtres  et  un  lièvre  qu'il  lâcha 
dans  la  brousse  avec  une  amulette  au  cou. 

Les  Timité  déclarent  n'avoir  d'autre  tana  que  celui  du 
Prophète,  à  savoir  le  «  porc  ». 

A  Boima,  le  lion  des  monts  de  Kinta  est  le  tana  des 
Cissé  ;  le  boa,  celui  des  Ouatara;  l'éléphant,  celui  des  Ta- 
raolé  ;  le  chien,  celui  des  Touré  ;  le  caïman,  celui  des 
Bamba  ;  le  sanglier,  celui  des  Kambara  et  des  Diala. 

Retenons  enfin  que  la  plupart  des  Dioulas  ne  mangent 
pas  de  singe,  sans  toutefois  qu'on  puisse  considérer  cet  ani- 
mal comme  un  tana. 

En  résumé,  l'idée  générale  que  se  font  les  peuples  mu- 
suhnans  de  leurs  tana,  c'est  moins  une  idée  de  parenté  gé- 


SURVIVANCES    DU    PASSE  4l5 

nérale  et  de  consanguinité  qu'un  principe  d'aide  et  d'assis- 
tance réciproque  et  d'union  morale,  impliquant  l'interdic- 
tion formelle  pour  l'homme  de  toucher  à  l'animal,  et  même 
souvent  de  le  voir,  et  pour  l'animal  de  faire  du  mal  à 
l'homme. 

Le  tana  n'est  pas  forcément  un  animal,  c'est  quelquefois 
une  force  de  la  nature,  un  élément  physique  quelconque, 
qu'on  arrive  avec  le  temps  à  confondre  avec  l'objet  qui  lui 
sert  de  support.  C'est  ainsi  que  dans  les  villes,  on  trouve 
une  maison,  un  pan  de  mur,  une  gargouille,  un  coin 
de  place,  et  même  simplement  une  orientation,  qui  est 
tana,  ou,  comme  traduit  l'interprète, 'qui  est  fétiche.  Il 
devient  alors  impossible  d'effectuer  des  réparations  ur- 
gentes, des  travaux  de  voirie,  etc.,  ou  bien  il  faut  pala- 
brer interminablement  pour  convaincre  les  intéressés  et 
mettre  le  «  fétiche  »  de  son  côté.  Il  y  a  certainement  une 
relation  très  étroite  entre  le  principe  du  «  tana  »  et  le  féti- 
chisme. La  chose  mériterait  d'être  étudiée. 

Ailleurs,  et  le  cas  est  fréquent  dans  toute  l'Afrique  noire 
certains  chefs  ne  peuvent  se  rencontrer  avec  tels  autres 
dans  un  même  village  :  la  mort  de  l'un  d'eux  s'en  suivrait 
inévitablement. 

Dans  certains  villages,  en  certaines  familles,  on